Paps Toure : La rue mise à nu
Scène de nuit en noir et blanc. Accoudé à la rambarde séparant le trottoir de la route, le vieil homme rit. En arrière plan, un bus passe à toute vitesse. De ceux qui circulent sans arrêt sur l’autoroute de la vie, il se fout et se marre, les yeux tournés vers une euphorie que seul lui peut voir.
Sans doute que la minute d’après, il reprendra son sac en plastique et trainera son vieux manteau trop grand ailleurs, toujours en riant.
C’est cette scène et les autres où défilent ces paumés immortalisés par le regard cru mais toujours attachant de Paps Toure qui m’ont poussée à rencontrer l’artiste de rue.
Crédit photo Paps
Rendez-vous est donné aux Folies, café qui fait l’angle avec les rues Dénoyez et de Belleville. L’homme est connu des lieux. Ses clichés s’affichent sur la façade du café. Deux clebs pas commodes. Un blanc, un noir, droits comme des statues romaines…. Il arrive en vélo, montre patte blanche avant de brouiller les pistes. Rencontre.
crédit photo M.E
Temps de chiens
« On a été voir des loups en CE2, pendant une classe nature, et j’ai kiffé. En rentrant, j’ai adopté un chien trouvé dans la rue.
Les chiens annoncent alors les premiers pas du photographe qui les choisit comme modèles pour leurs côtés « sauvages, libres et fidèles », avant d’en venir aux scènes de rue suite au coup de foudre pour une photo volée. Celle d’un vagabond sur le pont de Stalingrad. Le déclic. Depuis, Paps alterne les séries sur les chiens et les hommes. « Plus le temps passe plus les humains vivent comme des chiens et les chiens comme les humains. On ne sait plus qui est qui… » Réalistes mais pas tristes, les photos de l’homme proposent autre chose qu’un « Paris cartes postales ». Un Paris crade, injuste, à deux vitesses mais qui n’en est que plus humain ou que plus chien.
De la rue…
Quartier du Danube, 19ème arrondissement de la capitale. Pas fait pour être derrière les bancs de l’école, le jeune Paps posera un temps son arrière-train sur ceux de la cité. Il quitte école et foyer à 15 ans et fait le choix de l’autonomie, vivant de débrouilles pendant 9 ans. Le jeune adulte devient père de famille. Puis, « après avoir fait les 400 coups, j’ai eu l’occasion d’essayer la vie de bureau. J’ai été commercial dans les assurances pendant 5 ans, pour faire comme tout le monde. C’était la bonne planque jusqu’à ce que je me dise que ce n’était pas ma place. » L’appareil photo devient le principal compagnon de Paps qui plaque tout pour déambuler jours et nuits dans les rues de Paname, des beaux quartiers aux ruelles mal éclairées avec une préférence pour les personnages que la lumière n’atteint pas.
Paps devient artiste, à 30 ans. « Dans les cités, il n’y a que des dealers, des sportifs ou des chanteurs… La photo ou l’art, c’est pas « normal » . Il y a encore des gens qui pensent que la photo c’est une planque que j’ai trouvée! »
… à la rue
Une partie de la vente de ses photos est reversée à l’association 2-or qu’il a créée pour aider ceux qui restent quand le photographe rentre chez lui. « Je ne veux pas prendre en photo un mec qui dort dehors et récupérer des sous sur lui. Je reviens les voir mais quand un lien s’est formé, je ne peux plus les prendre en photos, ça n’est plus spontané. »
A ceux qui lui reprochent le genre photo volée, il répond que trop se rapprocher c’est aussi risquer de déranger dans l’intimité. « Le recul est plus du respect que de la photo volée. Je prends la scène avant qu’elle ne file, et je me rapproche ensuite. »
Le Paps du 19ème se retrouve alors à exposer dans quelques galeries des quartiers chics.
« C’est important de prendre confiance en soit pour casser les barrières sociales. »
Mais, c’est à une autre entité que Paps voue son Art. « Tout vient de la rue et pas assez d’hommages lui sont rendus. » Il multiplie les affichages sauvages et les expos en plein air.
La discussion dérivera sur l’identité des uns, des autres. La sienne. De quoi réveiller Mr Hyde. « Je suis un double personnage. Qu’est ce que t’en sais si en vrai, je suis pas un véritable enfoiré ? Si je ne fais pas tout ça pour me donner bonne conscience, me rattraper des conneries passées ? Je suis là, je parle de casser les barrières….Mais si on me connaît vraiment, je suis un vrai salopard…Un vrai solitaire. J’ai un côté un peu pervers-narcissique. Disons que je suis joueur… »
Pour ça que son vélo affiche une roue noire, une blanche, que ses deux chiens ne se partagent pas le noir et le blanc…
Rien à foutre, ses photos parlent à sa place et là, le noir et le blanc s’équilibrent cruellement bien.
crédit photo: M.E
La devanture des Folies à Belleville. Hommage à Paps dont les photos (en arrière plan) collent parfaitement au décor, ou l’inverse
Paps expose en plein air dans sa rue, celle de son enfance.
Le dimanche 12 juin, de 14 heures 30 à 21 heures 30, 2 rue de la solidarité, Paris 19ème.
Il prépare actuellement un livre.