Auteur réussissant à apprivoiser la mélancolie en la métamorphosant en une douce promenade sur la plage. C’est bon comme un mars d’1 m50 (celui qui repart), un buffet à volonté sans pique assiette, une douzaine d’huitres déjà ouvertes et en plus c’est 0 calorie dedans.
Qu’entend-on le plus souvent sur M. Beigbeder ? Un noceur, un dandy, sexuellement obsédé. Que retrouve-t-on le plus souvent dans ses livres ? Des noceurs, des dandys, des nymphomanes dénudées. Voilà nous pourrions nous arrêter là et passer à côté de Frédéric, car son œuvre est, bien entendu, tout autre.
Frédéric Beigbeder, mode d’emploi :
Etape 1 : Commencer par la fin, oui, par son dernier livre Un roman Français non pas parce qu’il est le meilleur (prix Renaudot, tout de même) mais parce qu’il est le plus personnel et sûrement le plus honnête, on découvre l’homme derrière l’écrivain, d’ailleurs chacun de ses livres a quelque chose d’autobiographie ou une « autofiction prospective » comme le décrit Houellebecq.
Citation 1 : « C’est l’histoire d’un garçon mélancolique parce qu’il a grandi dans un pays suicidé, élevé par des parents déprimés par l’échec de leur mariage. »
Etape 2 : Reprendre par le début, la trilogie Marc Marronnier : Mémoires d’un jeune homme dérangé, Vacances dans le coma et L’amour dure trois ans. Une lutte sans fin pour trouver l’amour, le consumer et surtout le perdre, afin de recommencer, dans cet ordre, invariablement. L’empreinte Beigbeder y est déjà forte avec des formules dignes d’Audiard (le père).
Citation 2 : « Vive la drague droguée ! Plus besoin de briller, de dépenser des fortunes, de diner aux chandelles : une gélule et puis au lit ! ».
Citation 3 : « Il me faudra une corde avec un nœud comme ce fromage : bien coulant. »
Citation 4 : « A New York les taxis sont jaunes, à Londres ils sont noirs et à Paris ils sont cons. »
Etape 3 : Enfiler le costume du plus célèbre publicitaire névrosé : Octave Parango, dans 99 F (rebaptisé 14,99€), en oubliant, s’il vous plaît, le film, pour finir dans une Russie en déconstruction dans Au secours Pardon où, après quelques années de prison, Octave confie son errance amoureuse à un prêtre orthodoxe à la Camus dans La Chute et détruit tout puisque plus rien ne peut survivre.
Citation 5 : « Les bombes, je les préfère sexuelles, et les attentats, à la pudeur. »
Etape 4 : Ne passer surtout pas à côté de L’Egoïste Romantique, Octave (encore un !, en musique une octave est l’intervalle séparant deux sons dont la fréquence fondamentale de l’un vaut le double de la fréquence de l’autre, tiens tiens !), cet écrivain « égoïste, lâche, cynique et obsédé sexuel – bref un homme comme les autres » nous partage son journal intime, les jours s’écrèment alternance d’épanchements romantique et de regards lubriques, on se délecte de ses frasques et des ses rencontres.
Citation 6 : « Ce qui serait bien, à présent, pour l’évolution de l’histoire du cinéma, ce serait de tourner un film porno où les acteurs feraient l’amour en se disant « je t’aime » au lieu de « Tu la sens, hein, chiennasse ». Il paraît que cela arrive, dans la vie (L’idéal est d’alterner les deux) ».
Citation 7 : « Les hommes sont toujours entre une ex et une future, car le présent ne les intéresse pas. Ils préfèrent naviguer entre la nostalgie et l’espoir, entre la perte et le fantasme, entre la mémoire et l’attente. Nous sommes toujours coincés entre deux absentes. »
Etape 5 : Voilà votre Frédéric Beigbeder est quasiment monté, tel un meuble Ikea, mais sans douleur. Reste les finitions, avec Windows on The World coincé dans la tour Nord du World Trade Center le matin du 11 septembre, vous n’avez plus que quelques heures à partager avec de parfaits inconnus, à quoi les passons-nous, à qui ou à quoi pense-t-on ?, bilans de vies qui s’achèvent, entrecoupé d’un petit déjeuner au Ciel de Paris en habile parallèle.
Etape 6 : Toujours pas rassasié ? Plonger sans retenu dans Nouvelles sous ecstasy, inventaire hallucinant d’images et d’actes tous plus incontrôlés les uns que les autres sous influences d’ecsta et retours de shoots. On se demande où est la part de réel ce qui libère le propos, le rend plus honnête. A lire et relire sans limite le chapitre : Comment devenir quelqu’un, tout simplement splendide.
Citation 8 : « S’abîmer de manière irréversible le cœur, gâcher sa vie pour quelqu’un, et pleurer, vivement pleurer ! Plus besoin de cachets, ni de fouets, tu seras à la merci de ses yeux et de ses lèvres. En pensant à ses baisers et son parfum, tu auras de nouveau la respiration difficile ».
Citation 9 : « On naît, on meurt, et s’il se passe quelque chose entre les deux, c’est mieux (F. Bacon) ».
Citation 10 : « Il existe une zone de flou artistique entre le célibat dépressif et le mariage ennuyeux : baptisons-la bonheur ».
Encore un peu de souffle ? Dernier inventaire avant liquidation où ce qu’il faudra avoir lu du XXe siècle.
Je laisserai le mot de la fin à Michel Houellebecq : « Frédéric Beigbeder [est] peu à peu devenu une sorte de Sartre des années 2010, ceci à la surprise générale et un peu à la sienne propre, son passé le prédisposant plutôt à tenir le rôle d’un Jean-Edern Hallier, voire d’un Gonzague Saint-Brice. »
Bibliographie non exhaustive
- 1990 : Mémoire d’un jeune homme dérangé, La Table ronde.(Roman)
- 1994 : Vacances dans le coma, Grasset. (Roman)
- 1997 : L’amour dure trois ans, Grasset. (Roman)
- 1999 : Nouvel sous ecstasy (nouvelle)
- 2000 : 99 francs (14,99 euros), Grasset. (Roman)
- 2001 : Dernier inventaire avant liquidation (Essai)
- 2003 : Windows on the World, Grasset, prix Interallié. (Roman)
- 2005 : L’Égoïste romantique, Grasset. (Roman)
- 2007 : Au secours pardon, Grasset. (Roman)
- 2009 : Un roman français, Grasset, prix Renaudot. (Roman)
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