Pour sa première mise en scène à la Comédie-Française, Benjamin Jungers a fait le choix d’une sobriété au service du texte de Marivaux, l’île des Esclaves. Les acteurs évoluent sur la scène du Studio au milieu de voiles blanches pendues du plafond, dans des costumes dont seules les épaulettes marquent les différences de classe.
Car c’est bien à une sorte de lutte des classes à laquelle on assiste dans ce qui est une des pièces les plus célèbres de Marivaux (et pourtant sans marivaudage !). Une lutte galante, peu ambitieuse, qui n’a rien de « pré-Révolutionnaire » comme on peut le lire parfois, mais qui existe ; et ce combat entre maître et esclave, cet inversement de situations après que patrons et valets se soient échoués sur une île est très bien orchestré.
Jeremy Lopez incarne l’Arlequin goguenard et parfaitement désinvolte envers un maître (Stéphane Varupenne) calme et d’un sang froid tout aristocratique face aux attaques verbales de son subordonné. Jennifer Decker, Cléanthis, passe du rôle de la gourde ingénue à l’imitatrice parfaite d’une maîtresse (Catherine Sauval) coquette, hypocrite et faussement légère, en une phrase, avec un contraste saisissant. Cette maîtresse qui, comme son alter ego masculin, mord la poussière en silence, toujours au bord des larmes. La justesse du jeu de Cléanthis, cette façon de passer de la servante avinée à l’incarnation de l’élégance même est particulièrement excellente.
Mais ces esclaves se repentent de cette nouvelle situation aussi vite qu’ils s’en sont réjouis. Ils refusent cette émancipation brutale pour retrouver au plus vite leur ancienne (et ingrate) situation. Pendant le déroulement de la comédie, on se surprend à avoir de l’empathie pour les maîtres, pourtant coupables de mille maux aux dires des serviteurs. Cette pièce se contente de ridiculiser les maîtres sans pour autant prendre la défense de leurs esclaves.
Tout cela, Jungers le montre très bien, en faisant ressortir toute la profondeur et le talent de cette très belle distribution.
Pratique :
L’île des Esclaves au studio de la Comédie-Française (Carrousel du Louvre), jusqu’au 13 avril.
Durée : 1h.
Réservations : 0825 10 1680 ou www.comedie-francaise.fr [Complet]
Du même auteur ...
- [Critique-Théâtre] « Aigle à deux têtes » pour acteurs sans direction - February 2nd, 2017
- [Théâtre] Irina Brook veut faire « voyager ceux qui ne bougent pas » - February 1st, 2017
- [Critique-Théâtre] Feuilleton théâtral : semaine n° 50 - December 19th, 2016
- Feuilleton théâtral : semaine n°48 - December 5th, 2016
- Feuilleton théâtral : semaine n°47 - November 28th, 2016