Au début du mois de février, la presse a parlé du Théâtre de Belleville en la personne de son directeur1, Laurent Sroussi. Ancien trader, il a décidé de reprendre cette salle emblématique du quartier en 2011 et d’y établir une programmation dramatique2. Outre l’intérêt que peut susciter cette aventure humaine (le directeur déchire lui-même les billets), c’est le théâtre qu’on y propose qui doit être mis en avant pour que le public y prenne ses habitudes. Une programmation populaire, risquée et exigeante dont « Marguerite et moi » est une belle illustration.
Avant même le début de la représentation, de multiples objets jonchent la scène. Le bruit de la mer se fait entendre en fond, ce fond sonore que Duras aimait plus que tout. Sur ce tapis reposant, serein, Fatima Soualhia-Manet commence à dresser le portrait d’une femme de fer aux idées tranchées. On est dès les premiers instants, et jusqu’à la fin de la pièce, pris dans ce qu’on pourrait appeler un manichéisme durassien. La comédienne n’est pas Duras, elle ne l’incarne pas complètement, elle est simplement un vecteur de ses mots, elle laisse de la distance et l’on n’en entend que mieux la pensée. De cette voix posée, stricte, précise et garnie de silences, elle évoque des sujets aussi variés que son amour de la cuisine, l’alcoolisme ou l’absence de père. Elle esquisse un portrait dur, sévère et souvent contradictoire de l’écrivaine, faisant ressortir le désir anarchisant de cette femme qui, bien qu’aimant la vie, avait aussi le désir de tout détruire.
« On boit parce que dieu n’existe pas » – Marguerite Duras
La matière qui compose les paroles du personnage n’est pas littéraire, mais orale. Constituée à partir d’interviews qui prennent parfois la forme d’interrogatoires. Marguerite-Fatima répond, avec sa foi personnelle, avec ses mots graves, tristes ou drôles, ironiques. L’avantage pour le spectateur c’est qu’il entend tout. Il n’y a pas de recherche littéraire dans les réponses de Duras, elle dit ce qu’elle est et fait en sorte d’être comprise. Cela rend le spectacle didactique, car, bien qu’orienté vers des sujets précis, il donne une image différente de celle véhiculée par l’écriture souvent montrée sur scène. En fait, c’est un bon complément à toute l’actualité durassienne qui occupe les théâtres en cette saison-centenaire3.
On remarquera peut-être une mise en scène un peu disparate, presque superflue. Quelques accessoires viennent compléter le jeu, telle la cigarette non allumée dans la main ou un fauteuil en formica et cela auraient peut-être suffi. Mais finalement, la quantité de matériel symbolique disposée sur le plateau n’empêche pas le personnage d’être libre et c’est là l’essentiel. Il y a quelques saisons, Coralie Seyrig a tenu l’affiche dans « Madame de… Vilmorin »4, qui était aussi un spectacle constitué d’entretiens. Elle était simplement installée sur une méridienne et cela fonctionnait. Fatima Soualhia-Manet a une telle voix et une telle présence scénique, que ces deux attributs suffisent à remplir l’espace.
C’est un personnage froid, sec, à la nostalgie communicative que l’on voit s’exprimer pendant un peu plus d’une heure sur le plateau. Et sans être un recueil de citation, des phrases continuent à résonner dans notre esprit bien après la représentation. C’est la meilleure preuve d’un spectacle réussi.
Pratique :
Actuellement au Théâtre de Belleville (relâches exceptionnelles les 13, 14, 26 et 27 mars)
Reprise du 24 septembre au 11 octobre 2014.
94 Rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris
Du mardi au samedi à 19h15, le dimanche à 20h30
Durée : 1h05
Tarifs : 10, 15 ou 25 €
Réservations au 01 48 06 72 34 ou sur http://www.theatredebelleville.com/
- « Cinq directeurs qui donnent tout pour leur théâtre » à lire sur LeFigaro.fr ↩
- Depuis 1988, on y jouait surtout des opérettes ↩
- On pense à « La Maladie de la Mort » jouée au Vieux-Colombier en janvier, ainsi qu’à la trilogie Duras (Savannah Bay, Le Square et Marguerite et le président) sur la scène de l’Atelier ↩
- Il avait terminé sa course au Lurcernaire pendant la saison 2011-2012. ↩
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