Louise et Adam viennent de se séparer : elle est partie à Montréal, lui est resté à Paris. Débute alors une correspondance jalonnée d’embuches. C’est l’échange d’un ancien couple bourgeois – un psychanalyste et une avocate –, trouvant un nouveau souffle dans la rupture. D’abord ordinaire, la conversation mute en un échange sur l’amour et le désir. Ils se questionnent : existe-t-il un élixir d’amour ? Une technique imparable pour qu’une personne s’éprenne d’une autre ? Pour Adam, la réponse est oui : il s’agit du transfert psychanalytique. D’ailleurs, il va éprouver cela sur une collègue de Louise récemment mutée à Paris. Débute alors un jeu de manipulation où quelques coups bas sont permis. Mais la fin est courue d’avance : c’est exactement celle que vous imaginez.
La richesse réside-t-elle dans le texte ? Non, pas plus que dans les enjeux de ces Liaisons dangereuses édulcorées dans une époque où plus rien ne choque. Les dialogues enchaînent les poncifs sur le cynisme en amour : « sexe et amour sont deux territoires », « n’as-tu jamais pensé à te marier ? – On n’entre pas en prison de son plein gré ! », ou encore « les femmes aiment l’amour, les hommes le font ». Ambiance grinçante mais formules désuètes (« as-tu pris, un amant ? », insistons sur la pause avant le mot « amant » dans la réplique lorsqu’elle est dite sur scène, qui n’en fait que mieux ressortir la platitude). On ne peut pas nier la présence de quelques formules élégantes, comme « il y a des choses qu’il faut éprouver pour en avoir le goût, le café, la cigarette ou la solitude ».
Eric-Emmanuel Schmitt incarne un satyre libidineux sympathique. Il s’appelle Adam, c’est dire si l’auteur a voulu que le personnage – aujourd’hui incarné par lui – se prenne pour le centre du monde. Il est pourtant un misogyne ordinaire accepté comme tel par son interlocutrice, et c’est là que c’est dérangeant. Elle lui pardonne à la fin car il quitte sa carrière pour la rejoindre ; mais renie-t-il pour autant ce qu’il est ?
Ce n’est pas dans le jeu d’acteur que nous trouverons les réponses. Lorsque Schmitt écrit sur sa tablette tactile, nul n’aimerait être la place de cette dernière, tant il n’écrit pas mais montre plutôt qu’il écrit, fracassant l’écran. Cela donne un aspect caricatural à la manière d’écrire, comme si tout résidait dans le geste et non pas dans l’action qu’il opère. Une métaphore intéressante lorsqu’on connaît le premier métier de celui qui évolue devant nous. Lorsque Louise communique avec lui, là aussi il n’écoute pas. Il se mime en train d’écouter. Malgré tout, il faut avouer qu’il est parfois captivant car charismatique, il connaît son texte et doit avoir une certaine idée de ce que doivent être ses personnages.
Marie-Claude Pietragalla n’est pas plus à l’aise dans son corps. Les gestes qu’elle effectue semblent dictés comme une chorégraphie. Prise ainsi dans une incarnation automatique, elle est froide et manque d’humanité : rien ne la touche mais cela ne la rend pas effrayante.
On regrette aussi que rien ne soit laissé à l’imagination du public : les silences sont ponctués par les sons Apple à chaque envoi ou réception d’un message. Les échanges sont trop brefs, l’attente n’est pas laissée au désespoir ou à l’inquiétude, mais à l’énervement et la jalousie : « oh, pourquoi ne me réponds-tu pas ? ». Encore une fois, cela manque de ressenti, c’est frontal : tout est montré, rien n’est vécu.
Ce n’est pas non plus le décor qui nous subjugue : deux tables, un banc et une photo de Montréal en fond de scène. Cela pourrait tout aussi bien le décor de Inconnu à cette adresse.
On n’ira pas voir « Elixir d’Amour » pour rêver, ni pour être surpris, encore moins pour voir une vision progressiste de la relation homme-femme. Alors finalement, pourquoi y va-t-on ? Pour voir Eric-Emmanuel Schmitt et Marie-Claude Pietragalla dans un jeu plat et linéaire. Si l’on passe, dans les jours qui viennent, devant le théâtre Rive-Gauche comme un spectateur esseulé et que quelqu’un vous donne une place, alors allez-y… Mais la représentation est trop pleine de ficèles grossières où l’émotion tente d’être provoquée par la force, alors que nos âmes n’aiment pas la contrainte. Cette promesse d’un « Elixir d’Amour » n’est finalement, qu’un banal sérum physiologique.
Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr
« L’Elixir d’Amour » de Eric-Emmanuel Schmitt, mise en scène de Steve Suissa, avec Eric-Emmanuel Schmitt et Marie-Claude Pietragalla, jusqu’au 15 mars au Théâtre Rive-Gauche, 6 rue de la Gaité, 75014, Paris. Durée : 1 h 15. Plus d’informations et réservations sur www.theatre-rive-gauche.com
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