20 ans après la création du spectacle, Gérard Cherqui et Eric Cénat incarnent encore Primo Levi, chimiste, écrivain, survivant d’Auschwitz et Ferdinando Camon, journaliste italien. Les conversations des deux hommes qui ont eu lieu entre 1982 et 1986 à divers endroits de Turin, sont adaptées à la scène sous la forme d’une interview à bâtons rompus. Assis sur des chaises, face au public, la mise en scène épurée de Dominique Lurcel concentre notre attention sur les propos et les émotions des personnages.
De quoi parlent-ils ? 40 ans après l’holocauste, Primo Levi revient sur sa capture dans le Val d’Aoste, sur son arrivée tardive dans les camps sans doute à l’origine de son salut, sur les souvenirs récurrents dans lesdits camps et la distance qu’il prend sur ses traumatismes. Ferdinando Camon l’interroge sur le consentement massif du peuple allemand à l’époque du nazisme, au fait qu’il n’y ait pas eu de forte résistance dans le pays. Mais Levi a pardonné et refuse tout amalgame. Dans ces confrontations régulières avec les Allemands, bien après la guerre, il est en paix, s’abstenant de tout jugement car il est le témoin et non pas le juge. Les hommes échangent aussi sur la croyance ; Primo Levi n’a jamais eu la foi : « il y a eu Auschwitz, il ne peut donc pas il y a voir de Dieu », précise-t-il.
Le récit est précis et fluide, il se fait sur un ton détendu. Primo Levi pourrait parler de la vie, comme de la pluie et du beau temps. Il a le sourire, une sorte d’apaisement vis-à-vis de son vécu. L’ironie et un cynisme bienveillant complètent son caractère. Ferdinando Camon est davantage passionné ; il interroge à la façon d’un journaliste incisif et incarne la vox populi par rapport à l’expérience concentrationnaire, semblant plus marqué par les horreurs que par l’homme qui les a vécues. Ce dernier lui fait la réflexion : « ce devrait être à moi d’être véhément ».
Mais, dans son jeu, Gérard Cherqui fait ressortir une telle sérénité du personnage qu’il incarne que, si Primo Levi parlait comme cela à notre époque, on le penserait sorti d’un ashram. Ses manières de Gandhi, son choix de la paix et l’humour fin nous concentrent sur les faits, sur la vie et non pas sur les seuls sentiments qu’elle nous procure. Ce jeu naturel, simple et fort pour dire la gravité du monde. Un spectacle qui sert pleinement la volonté du survivant qui, selon Fernando Camon, « ne criait pas, car il voulait faire crier ».
« Primo Levi et Ferdinando Camon : Conversations ou Le Voyage d’Ulysse » de Primo Levi et Ferdinando Camon, mise en scène de Dominique Lurcel, les lundis et mardis au Théâtre Essaïon. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur essaion-theatre.com.
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