Avignon 2015 – Un « Roi Lear » à demi-fou

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Copyright : Christophe Raynaud de Lage

Sur l’immense plateau de bois, Edmond (Nâzim Boudjenah) tourne en moto autour de Cordélia (Laura Ruiz Tamayo), petite ballerine qui semble tout droit sortie d’une boîte à musique. Ainsi, par cette image, Olivier Py inscrit dès les premières secondes sa mise en scène, comme un espace où se mêlent les contrastes. Des contrastes qui s’avèrent en fait, refléter du non-choix, d’un clair parti-pris.

La dualité est la source même de l’histoire où deux intrigues se mêlent l’une et l’autre. Le roi Lear (Philippe Girard) décide de se séparer de ses biens avant sa mort ; il les partage entre ses filles lors qu’un concours d’éloquence. Mais le père connaît une immense déception lorsque sa préférée, Cordélia, garde le silence dans le temps de son discours. Un silence censé refléter la vérité, s’opposant aux discours faux et intéressés de ses deux sœurs. Lear explose alors de colère et la petite Cordélia devient une sorte de Cendrillon, reniée par sa famille, moquée par ses sœurs. Elle est finalement contrainte à l’exil. Les richesses paternelles partagées, les deux aînées s’empresseront de chasser le père qui en deviendra fou.

En parallèle, Edgar (Matthieu Dessertine) et Edmond établissent la nécessité de tuer leur propre père, Gloucester (Jean-Marie Winling), pour s’emparer de ses biens. Ces rois qui perdent le pouvoir ne sont plus en capacité d’exiger quoi que ce soit et sombrent peu à peu dans la folie.

D’un côté, Py donne à son « Roi Lear » un aspect très intellectuel avec un parti-pris allégorique fort dans le silence de Cordélia. Le théâtre étant le reflet du monde, on relie cet acte à l’Occident qui n’agit plus pour tenter de le changer. Une phrase du texte, placardée avec d’immenses néons sur le mur du Palais des Papes indique : « Ton silence est une machine de guerre ». Un autre mot-néon occupe une place importante dans la scénographie : « Rien », à l’image de l’action de ceux qui peuvent agir pour rendre le monde plus juste et qui détournent le regard.

De l’autre, Py s’essaye au Grand-Guignol. On lit des inspirations de Vincent Macaigne, Thomas Jolly, eux aussi ayant proposé une lecture très moderne – et ô combien réussie – de l’œuvre de Shakespeare. Malheureusement, arracher les yeux de Gloucester à la petite cuillère pour faire gicler le sang, jeter des sceaux de matière fécale et utiliser un tuyau pour transformer le plateau en des champs de boue, ne suffisent pas à inscrire ce spectacle au même niveau de réussite que ces lectures violentes et modernes d’autres drames shakespeariens. En voyant deux hommes nus se rouler dans la fange accompagnés d’un pianiste sur scène, on voit aussi l’esthétique de (la) merde de Rodrigo Garcia : vulgaire et dépassée…

Copyright : Christophe Raynaud de Lage
Copyright : Christophe Raynaud de Lage

Néanmoins, quelques très belles images apparaissent de temps à autre. On pense notamment au roi Lear, trahi, évoluant au milieu d’une arène dont ses mauvaises filles et leurs maris sont les spectateurs hilares. Mais aussi au moment du coup d’état conduit par Edmond et son armée qui, ici, prend l’apparence d’un groupe de terroristes cagoulés munis de kalachnikovs.

Olivier Py est ainsi victime, de ne pas vouloir prendre une seule direction et de la suivre. Ce Roi Lear n’est ni vraiment drôle, ni tout à fait dramatique. Il est donc finalement assez tiède, et la progression de la folie du roi est bien sage. A trop tenter de la montrer, celle-ci ne prend pas corps et le public reste à l’écart.

Vouloir à la fois jouer sur la grandiloquence des acteurs et les effets visuels achèvent de nous perdre. Lorsque des moments d’action se créent, ils s’estompent vite pour retomber sur le jeu – mitigé – des acteurs. Cela donne lieu à des instants très dynamiques, mais qui se terminent avec des morts à la Marion Cotillard dans « The Dark Knight Rise ».

Enfin, la division s’opère sur la traduction de Py lui-même qui, pourtant, ajoute un intérêt nouveau au texte. Certains y entendent de la vulgarité, quand d’autres y entendent une adaptation de Shakespeare au monde moderne : il est peu probable en effet, qu’il ait lui-même écrit « ouille, ouille, ouille, j’ai la nouille qui me chatouille » ou bien « le diable m’honore le cul », hurlé par un Edgar nu, au bord de la folie noire, et se tapant les fesses avec violence. Ces choix, il faut le souligner, ne trahissent pas forcément l’intention première de l’auteur qui jouait aussi et surtout devant la populace anglaise du début du XVIIe siècle. Des personnes qui n’étaient pas nécessairement rompues aux phrases soutenues.

Malgré le plaisir – amusé – que les initiés auront de voir Philippe Girard nu, le spectacle est long, pesant et finalement assez fade. Py réussit la prouesse de faire du roi Lear, une alternance de moments forts et d’ennuis pesants. Nous n’aurions jamais pensé écrire ça à propos d’Olivier Py il y a quelques jours, mais n’est pas Thomas Jolly ou Vincent Macaigne qui veut…

« Le Roi Lear » de William Shakespeare. Mise en scène d’Olivier Py, jusqu’au 13 juillet dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes (Festival d’Avignon), puis en tournée durant la saison 2015-2016. Durée : 2h40. Plus d’informations et réservations sur www.festival-avignon.com.

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