À l’apparition du trait tant attendu sur le test de grossesse, Chloé est en joie. Elle hurle, danse, exulte : comme elle le désirait, la voilà enceinte. Elle a eu ce qu’elle voulait. Oui, mais après ?
« C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde » raconte ce qui suit le test de grossesse. On apprend (ou on revit, pour certaine), le passage d’un monde à l’autre. De l’insouciance à l’angoisse et l’enfermement. Largement autobiographique (ou plutôt, centré sur leur expérience et celle de leur entourage), les deux personnages sont deux comédiennes et jeunes mamans. Tout commence forcément par l’exclusion du projet en cours : après avoir informé le metteur en scène qu’elle est enceinte, l’actrice ne peut – selon lui – plus jouer. Puis il y a les visites chez le médecin, qui prescrit, interdit, rabote dans tout ce qui peut faire plaisir à la mère : « pour le bien de l’enfant ». Puis c’est au tour de la gourou new-age de distiller ses précieux conseils : pas de péridurale, manger son placenta et huile essentielle de pépins de raisin sur les reins aux premières contractions… » Et comme si la vie n’était pas assez compliquée ainsi, il y a les textes. Toutes ces femmes, Simone de Beauvoir en tête, qui ont donné leur avis sur ce qu’est être mère. Pour, contre, où donner de la tête ? Comment ne pas devenir folle, comment ne pas perpétuer le mythe psychanalytique : « il n’y a rien de pire qu’une mère » dans cette ambiance contradictoire ?
Spectacle tragique ? Non, miroir du monde. Sur le plateau, Tiphaine Gentilleau et Chloé Olivères exorcisent ce qu’elles ont vécu, avec intelligence et universalité. À la manière de Molière modernes, les Filles de Simone (du nom du collectif qu’elles constituent avec Claire Frétel, qui les met en scène) nous envoient à la figure toute l’absurdité du traitement infligé aux futures mères, allant contre leur instinct. On ne cesse de rire face à tant de gravité contrastée par le jeu délirant des deux comédiennes.
Outre un spectacle rassurant pour les futures mamans, « C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde » est un manifeste pour plus de justice sociale vis-à-vis des femmes. Une pièce qui montre à quel point le monde peut-être déjanté face au naturel. Une pièce qui transforme tellement notre regard de spectateur, qu’au sortir du théâtre, on ne peut voir le monde comme tel.
« C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde », création collective des Filles de Simone : Claire Fretel, Tiphaine Gentilleau, Chloé Olivères. jusqu’au 31 octobre au Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008, Paris, puis en tournée. Durée : 1h15. Plus d’informations et réservations sur theatredurondpoint.fr/
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