L’Iliade, cette épopée dont on parle si souvent et qu’on a si peu lue, aurait été écrite par Homère autour de 800 avant notre ère. Quinze mille trois cent trente-sept vers en hexamètres dactyliques, vingt-quatre chants, presque autant de noms et de héros pour raconter six jours d’une bataille qui a opposé les Grecs et les Troyens, qui a divisé l’Olympe pendant plus de dix ans : tel est le texte. Un texte si riche pour raconter une guerre à l’origine si banale, à savoir deux disputes côté mortels, l’une entre Achille et Agamemnon qui a enlevé Chryséis puis Briséis, l’autre entre Ménélas et Pâris qui a enlevé Hélène, la femme de ce dernier. Côté divinités, l’origine du conflit n’est pas moins triviale. Zeus le numéro un de l’Olympe voudrait soutenir les Troyens, mais c’était sans compter sur sa femme Héra qui soutient les Grecs et va le trahir par l’entremise de Poséidon. Alors une belle dispute de couple éclate.
Tout ça pour ça ? C’est en tout cas ce que l’adaptation et mise en scène de Pauline Bayle donne à voir. Grâce à une troupe de cinq comédiens aussi talentueux que survoltés incarnant à tour de rôle quantité de personnages, le texte s’éclaircit pour un résultat plus que bluffant.
Surprenant, voilà comment qualifier le début de la pièce qui commence non pas sur scène mais dans le hall du théâtre de Belleville. Dès le départ, le public est pris à parti par Charlotte Van Bervesselès dans le rôle d’Achille qui voit et désigne dans le public des chefs de guerre venus avec leurs bateaux, un public emmené presque malgré lui au combat qui aura lieu sur scène. S’ensuit la découverte d’un décor qui mise sur l’essentiel, c’est-à-dire cinq chaises, quelques seaux posés ça-et-là et deux panneaux accrochés symétriquement sur le mur du fond, avec pour rappel sur chacun la liste des personnages les plus illustres liés aux camps grec et troyen. La mise en scène qui se veut didactique et réduite à un décor minimal n’en reste pas moins éloquente, comme lorsque le simple fait de retourner les chaises suffit à créer un rempart indiscutablement infranchissable aux yeux de tous. Aussi, les jeux de lumières permettent une lecture claire de l’espace divisé en deux plans, servant toujours une double narration savamment mise en scène.
En effet, comment passer du monde des mortels au monde des dieux, du récit au combat ? Pauline Bayle entend y répondre de deux manières. D’abord, par un renvoi du texte homérique à l’essence même du théâtre : la tragédie et la comédie. Un renvoi manifesté par une opposition entre le monde divin comique qui donne à voir des dieux capricieux tissant le destin des hommes, vivant eux, dans un monde tragique. Ensuite, la mise en scène dépouillée est extrêmement efficace pour signifier les moments de récit et de combat grâce à un recours au sable, à l’eau et à de la peinture rouge. Les tableaux créés et l’utilisation de l’espace par les comédiens, vêtus de noir et misant sur un minimum d’accessoires, sont non seulement esthétiques mais très efficaces. Deux éponges pressées pour faire couler le sang, quelques seaux d’eau jetés à la figure d’Achille pour signifier la mer agitée, des paillettes dorées comme armure, un cercle de sable tracé au sol en guise d’arène de combat : tout fonctionne. Portés par une énergie communicative, les jeunes comédiens parviennent incroyablement bien à restituer la trame des chants de l’Iliade, en s’en faisant les acteurs et commentateurs. Tour à tour et avec une rapidité déconcertante, ils réussissent à émouvoir et faire rire aux éclats. Notamment quand Héra en bikini rouge, jouée par Florent Dorin, demande des conseils séduction à une Aphrodite aux airs de Blondie. Ou quand Poséidon vole la foudre de Zeus : un micro avec lequel il se met à raper de l’hexamètre homérique avec une époustouflante facilité.
Pauline Bayle parvient à proposer une adaptation du texte homérique surprenante, intelligente et convaincante, l’Iliade ainsi résumée à ce qu’elle est : dix ans de conflits et de sang « tout ça pour une seule fille ! ».
« L’Iliade », d’Homère, adaptation et mise en scène de Pauline Bayle, jusqu’au 7 février au Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur www.theatredebelleville.com/.
Du même auteur ...
- [Théâtre] Avignon/IN : Grensgeval, la crise des réfugiés sous des flots d'images et de mots - July 21st, 2017
- [Théâtre] Avignon/IN : L’Antigone japonaise de Satoshi Miyagi - July 8th, 2017
- [Théâtre] Une Mouette qui nous prend au vol et s'abat sur nous - March 20th, 2017
- [Opéra] Billy Budd au Teatro Real, éclatante plongée dans les abîmes du mâle - February 22nd, 2017
- [Théâtre] Juste la fin du monde au Théâtre de Verre - December 29th, 2016