« L’atelier en plein air » : Conter la Normandie contre vents et marées
Un vent de liberté souffle sur la Normandie et ses plages de galets, tantôt embrumées ou baignées de clarté. Des falaises d’Étretat aux ports de pêches de Dieppe ou Honfleur, le musée Jacquemart André revient sur l’avènement du plein air dans la peinture impressionniste et ses influences anglaises manifestes. Si les maîtres sont au rendez-vous, de belles découvertes enrichissent cette exposition de qualité ; tel est le cas de l’artiste Charles Pécrus dont la postérité est certes plus confidentielle, mais qui occupe une place de choix dans le développement de ces ateliers à ciel ouvert. Si le contexte historique sert de prélude, la démarche géographique qui lui succède, permet une approche plus sensible des grandes villes normandes. Un parcours plein de charme, porté par une muséographie réussie aux tonalités naturelles et apaisantes.
En 1880, Claude Monet s’exclamait : « Mais je n’ai jamais eu d’atelier et je ne comprends pas qu’on s’enferme dans une chambre. Pour dessiner, oui. Pour peindre, non ». Ce plaidoyer en faveur d’une peinture sur le motif et en plein air, cristallise les enjeux d’une révolution picturale née en Angleterre, et qui influencera les peintres de l’avant-garde française dès 1820. Aux œuvres éthérées et lumineuses d’un Richard Parkes Bonington ou d’un William Turner, le mouvement impressionniste doit en effet beaucoup : les aquarelles Lillebonne ou La Seine près de Tancarville peintes par Turner et exposées ici, dévoilent l’intérêt majeur que l’école anglaise portait à la Normandie, et à son atmosphère si particulière. Symbole de cet engouement, la ferme Saint-Siméon – ouverte en 1825 dans la ville d’Honfleur, devient un haut lieu de rassemblement artistique : Eugène Boudin, Gustave Courbet, Frédéric Bazille ou James Abbott Whistler pour ne citer qu’eux, sont autant de peintres qui s’y côtoient, et dont les échanges mèneront à l’élaboration d’une esthétique nouvelle.
Par la force des choses, la Normandie et ses plages deviennent l’endroit de villégiature par excellence, l’incarnation même de la mondanité. Toute la haute bourgeoisie s’y presse pour profiter de l’air marin et flâner Sur les planches de Trouville, telles que les peignait Monet en 1870. Dès lors, les pêcheurs de crevettes et les marins reprisant leurs filets, n’ont plus le monopole de ces paysages aux accents d’iode et d’embruns ; les kiosques à musique et les casinos fleurissent peu à peu dans le panorama normand. Les estivants aisés aiment aussi miser leur fortune tout en se divertissant ; dans La course de gentlemen, Edgar Degas saisit cet instant qui précède la chevauchée dans l’hippodrome, alors que les paris sont ouverts. De cette évolution sociale, les peintres savent tirer parti : galvanisée par ses nouveaux loisirs balnéaires, la riche population parisienne qui boudait les scènes de plage – dont le genre fut initié par Boudin dès 1862, devient la principale clientèle de ces productions.
De ports en falaises, le parcours prend des allures de flânerie ; on déambule au cœur de Dieppe – qui fut la première des stations balnéaires, du Havre ou de Cherbourg, où l’effervescence portuaire achève de supplanter la vision romantique d’une mer tempétueuse à l’écume brûlante. Les peintres tels Camille Pissarro dans L’avant-port de Dieppe, esquissent des foules de silhouettes qui foisonnent sur les digues et qui se mêlent aux navires arrimés. La même agitation transparaît dans les toiles de Charles Pécrus que l’exposition n’hésite pas à mettre en avant ; cette diversité du regard, qui ne s’attache pas seulement aux grandes figures de l’impressionnisme, est d’ailleurs l’une des grandes forces de « L’atelier en plein air ». Boudin quant à lui, préfèrera vouer sa palette à la lumière, aux variations célestes des côtes de la Manche ; et Berthe Morisot se consacrera à l’étude de la perspective dans des compositions aux vues plongeantes.
Dans son écrin de craie blanche, usée par les éléments, la côte d’Albâtre offre aussi une multitude de motifs pour ces peintres épris de nature. Face à ces abruptes falaises, ils resteront fascinés par les changements de luminosité, les nuances du ciel ou de l’eau qui évoluent au rythme des marées. Cette recherche de l’éphémère se retrouve dans la toile Falaises à Varengeville de Monet, où les couleurs s’entrelacent et les contours se font évanescents.
A travers ce parcours riche de plus de quarante œuvres, la Normandie dévoile ici tout son éclat, et l’on comprend pourquoi les artistes aimaient tant y installer leur chevalet. Alliant diversité naturelle des paysages, patrimoine architectural précieux et douceur de la vie au grand air, les villes balnéaires normandes restent aujourd’hui encore, une destination très prisée. Et si l’exposition prend des allures de promenade séduisante, elle n’en exclut pas pour autant, la qualité du discours et la richesse intellectuelle : une part de rêve et de lumière dans la grisaille parisienne.
Thaïs Bihour
« L’atelier en plein air » – L’exposition se tient jusqu’au 25 juillet 2016 au Musée Jacquemart André. Plus d’informations sur http://www.musee-jacquemart-andre.com/