Lorsqu’Harold Pinter écrit L’Amant en 1962, il s’affirme comme porteur des angoisses contemporaines du couple. La pièce en un acte raconte l’histoire de Sarah et Richard, mariés depuis près de dix ans, croyant avoir tous deux trouvé leur équilibre dans l’infidélité. Si le discours tenu par les personnages est marqué par une franchise désinvolte et empreint d’une sexualité débridée, l’adaptation qu’en propose Marie-Aline Cresson peine à restituer ces ingrédients chers à Pinter.
Dans un cadre réduit à un canapé et des panneaux de carton rappelant l’esthétique de Sempé, Laure Portier et Sébastien Rajon incarnent le duo des mariés sans cesse coupés par des noirs musicaux, bonds temporels dans les journées des personnages. Si la première entrée en scène laisse présager un jeu monocorde mais néanmoins marqué par des échanges comiques en raison de l’attitude flegmatique des comédiens et de la voix de Richard, le spectacle ne décolle pas. Dans cet intérieur s’enchainent de manière brouillée les scènes de retrouvailles du couple et leurs moments passés avec leur amant respectif. Là encore, le jeu des acteurs n’évolue pas d’une scène à une autre, si bien que l’on comprend qui incarne qui seulement arrivés au bout d’une scène.
Pour les amateurs de Pinter toutefois, le texte est là et l’orgueil des personnages au regard de leur soit disant détachement vis-à-vis de l’adultère est bien présent. Mais alors que tout le drame tourne autour de la jalousie et de la sexualité, on regrette que les personnages ne soient pas érotisés et restent englués dans un jeu plat qui n’explore pas davantage les parts sombres de chacun. L’âme de la pièce, qui pourrait être résumée par cette célèbre phrase de Proust sur la jalousie qui n’est autre que cette « angoisse qu’il y a à sentir l’être qu’on aime dans un lieu de plaisir où l’on n’est pas », réside seulement dans les scènes où Sarah et Richard se retrouvent assis sur le canapé à feuilleter des magazines cherchant à savoir s’ils pensent l’un à l’autre lorsqu’ils sont avec leur amant. Ces scènes, bien que cantonnées aux mots, ont tout à voir de cette angoisse.
En somme, si les ingrédients sont là, la mise en scène de Marie-Aline Cresson manque de chien, les acteurs ne dégagent rien de sexuel, l’œuvre de Pinter reste, à regrets, cantonnée à des mots quand le public attendrait des actes, car l’adultère n’est-il pas d’abord un acte avant d’être un discours, un mensonge ou un aveu ?
L’Amant, de Harold Pinter, mise en scène de Marie-Aline Cresson, avec Laure Portier et Sébastien Rajon
Festival d’Avignon, Théâtre L’Albatros, 29, rue des Teinturiers, 84000 Avignon, 04 90 86 11 33, jusqu’au 30 juillet, 20h30, durée 1h15.
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