Le Suicidé est une pièce de Nicolaï Erdman écrite en 1928, puis censurée par le régime stalinien en 1932. L’auteur ne l’aura jamais vue montée. En 2011, mise en scène par Patrick Pineau, elle a été créée le soir d’ouverture du 65ème festival d’Avignon. Le public a pu découvrir que sous ce titre dramatique se cache une pièce drôle et intelligente.
Sur la scène des Carrières de Boulbon, la scénographie est faite de quatre blocs, qui composent les pièces d’un appartement collectif de l’ère soviétique. Aux premières minutes de la pièce, l’un d’entre eux s’ouvre et laisse apparaître un décor coloré et soigné. Sur le lit, un homme ne dort pas, il a faim…
Dès le dialogue initial, les mots servent une situation qui s’inverse aussi soudainement qu’elle a démarré : le mari veut manger, réveille sa femme pour qu’elle s’occupe de lui, et finalement se retrouve très vite à empêcher cette dernière de se lever pour qu’elle lui prépare un repas. Ce type de rebondissements fait de contradictions revient à de nombreuses reprises dans le texte, et ils sont, dans la mise en scène de Pineau, valorisés par un jeu d’acteur où la réaction des comédiens face aux mots est rapide et provoque de vifs changements d’expressions, tordants !
Ces mêmes mots se suivent tout en dissension, et ne sont pas étrangers aux drôles de relations qui nouent les personnages. Quand Maria Loukianovna pense que son mari, Sémione Sémionovitch, va passer à l’acte et se suicider parce qu’il se sent un moins que rien, le moment où elle confie son inquiétude à sa mère (la brillante Anne Alvaro), puis à son voisin, veuf depuis peu, sont des situations d’un comique rare.
Comique, pour nous public. Mais lorsque la belle-mère Sérafima Illinitchna essaye de faire rire son beau-fils pour éviter qu’il n’attente à sa vie, ses blagues font chou blanc. Par cet humour osé, l’auteur a réussi à faire ressortir le contexte politique qui le cernait, et le metteur en scène à nous en faire sentir l’écho évident que l’Histoire a sur la situation politique actuelle dans le monde occidental. Les personnages réduits à vivre dans des petites boîtes se questionnent sur leur désespoir, le travail à la sauce stakhanoviste et leur envie de voir changer les choses.
Leur principal espoir, ils le voient en Sémione Sémionovitch, cet homme pensant se tuer. Tour à tour l’intelligentsia russe, le représentant des commerçants, la femme jalouse ou le pope défilent à sa porte pour le convaincre de rejeter la faute sur le pouvoir en place, justifiant qu’« à notre époque, ce qu’un vivant peut penser, seul un mort peut le dire » et ajoutant « les gens qui se tuent aujourd’hui n’ont pas d’idées et ceux qui ont des idées ne meurent plus pour elles ». Chacun tente d’appâter le défunt, lui promettant un enterrement en première classe comme d’autres dans le monde actuel promettent quarante vierges contre un attentat-suicide.
Les situations improbables et drôles continuent de ponctuer l’action. Notamment au moment où le futur suicidé fait part de ses doutes sur la mort, c’est un sourd-muet qui l’écoute.
En seconde partie se met en place un banquet à la Tchekhov, scène de groupe où une quinzaine de comédiens sont sur scène et ça fonctionne plutôt pas mal. C’est l’occasion pour le « Suicidé » d’un dernier repas, il est 10 heures, à midi il devra se tuer. Condamné à mort par des idées. Léger bémol, car malgré la force du message qui prend tout son aspect concret, on ressent quelques longueurs et mollesse dans les interventions des personnages.
La pièce se termine avec les mêmes armes que l’introduction, faisant se côtoyer messages et situations extravagantes avec une touche d’absurde : le mort se réveille, et tous sont paniqués. La mise en scène de masse est très bien menée et sert à merveille l’ultime action comique. Un « Suicidé » bien vivant et réussi assurément.
Après Avignon, il vous sera possible d’assister au spectacle aux endroits suivants :
2011
- 17 et 18/11 à la Maison de la Culture de Bourges
- 23 et 24/11 à l’Espace Malraux / Scène nationale de Chambéry
- Du 29/11 au 3/12 au théâtre Vidy-Lausanne
- Du 6 au 9/12 à la MC2:Grenoble
- 12 et 13/12 au théâtre de Villefranche
2012
- Du 6 au 10/01 et du 12 au 15/01 à la MC93 Bobigny
- Du 17 au 21/01 à la Scène nationale de Sénart
- Du 24 au 28/01 au théâtre La Piscine de Châtenay-Malabry
- 31/01 au théâtre de l’Agora d’Evry
- 4/02 au théâtre Louis Aragon / Scène conventionnée de Tremblay
- 7 et 8/02 au Volcan / Scène nationale du Havre
- 11/02 au théâtre Jean Arp à Clamart
- Du 15 au 23/02 au théâtre du Nord à Lille
- Du 29 au 4/03 aux Célestins / Théâtre de Lyon
- Du 7 au 17/03 au Grand T à Nantes
- 20 et 21/03 au théâtre de l’Archipel à Perpignan
- 27/03 au théâtre de la Colonne à Miramas
- 30 et 31/03 au CNCDC Châteauvallon
Distribution
mise en scène Patrick Pineau
traduction André Markowicz
collaboration artistique Anne Perret, Anne Soisson
scénographie Sylvie Orcier
musique et composition sonore Nicolas Daussy, Jean-Philippe François
lumière Marie Nicolas
costumes Charlotte Merlin, Sylvie Orcier
accessoires Renaud Léon
avec Anne Alvaro, Louis Beyler, Nicolas Bonnefoy, Hervé Briaux, David Bursztein, Catalina Carrio Fernandez,
Laurence Cordier, Nicolas Daussy, Florent Fouquet, Nicolas Gerbaud, Aline Le Berre, Manuel Le Lièvre,
Renaud Léon, Laurent Manzoni, Babacar M’Baye Fall, Charlotte Merlin, Sylvie Orcier, Patrick Pineau
Et pour visionner (ou revisionner) la pièce, diffusée dimanche 10 juillet sur Arte:
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par l’édition suivante :
Nikolaï Erdman / Angelina Stepanova, un amour en exil
Correspondance inédite 33-35, adaptation de Lara Suyeux, trad. Evy Vartazarmian
qui vient de paraître chez TriArtis
et a été mis en lecture au Festival de la Correspondance de Grignan 2011.