Liaisons Dangereuses : des rires sans les larmes

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Copyright : Brigitte Enguerand
Copyright : Brigitte Enguerand

Dès le lever de rideau, Cécile Volange bondit sur scène telle une gamine écervelée. Le ton du parti pris de Christine Letailleur est ainsi donné : Choderlos de Laclos, mis ainsi en dialogues, ressemblera davantage à du Marivaux qu’à du Machiavel. La metteure en scène ira jusqu’à faire « claquer les portes » lorsque le Chevalier Danceny court après Cécile. Des lettres reformulées en sentences dans le but de faire rire le public. « Les Liaisons dangereuses » deviennent drôles, et seulement drôles, dénuées de perversité. Le paroxysme du non-sens est atteint lorsque Valmont, pénétrant Cécile de force, dira à celle qui le repousse « mais ce n’est pas ma main qui est en vous, c’est moi-même ! », devant des spectateurs hilares.

Merteuil et Valmont semblent être deux nobles dont la vengeance est prétexte à l’amusement et à la rigolade. La dimension perverse est occultée, tout ne paraît que futilité dans leur univers où, pourtant, la question du rapport au monde est capital – on l’entend dans la référence incessante faite aux fameuses « réputations » que les deux méchants héros entretiennent.

Vincent Perez ressemble à un jet-setter snob et amusé de rien, rendu ridicule par son costume. Aucune finesse dans son jeu, chacune de ses apparitions sur scène s’accompagne de postures exagérées et d’une voix guturale, cliché du dragueur arrogant en ruth. Cela jusque dans la dernière demi-heure de la pièce où de graves violons viennent soutenir sa chute inévitable de la façon la plus pathétique qui soit. Était-il incapable de jouer sa déchéance sans cet artifice sonore ringard ? À vouloir faire des personnages détachés de leurs émotions, Christine Letailleur en fait des grotesques, il ne manque que les masques pour faire de la (mauvaise) comedia.

Seule Dominique Blanc parvient, malgré des enjeux dramatiques si réduits, à utiliser son immense talent pour faire naître les fêlures dans l’âme de Merteuil, notamment par la lettre où elle explique ses choix de femme forte et libre. Madame Tourvel aussi joue juste, elle est la seule qui semble ressentir des émotions réelles et non pas mondaines.

Bien sûr, Christine Letailleur reste une incroyable créatrice d’images, notamment au moyen de la lumière. Le spectacle est forcément esthétique et fait ressortir des contrastes splendides entre la couleur des costumes et le sombre de la scénographie, support parfait aux jeux d’ombres et lumières. Mais l’esthétique ne vient pas au secours de l’approche superficielle de l’histoire.

Ces « Liaisons dangereuses » ne franchissent pas la barrière du rire et nous font grâce des larmes, mais n’est-ce pas un équilibre entre les émotions que devrait nous produire une histoire si profonde ? En voulant casser les codes et déconnecter l’œuvre de sa morale, Letailleur compose un spectacle attendu et finalement assez classique. Ce n’est pas ennuyeux, mais déplorable de voir un roman ainsi vidé de sa substance. Dépoussiérer ou adapter un texte n’a jamais été synonyme de destruction.

« Les Liaisons Dangereuses », adaptation et mise en scène de Christine Letailleur, d’après Choderlos de Laclos, jusqu’au 18 mars au Théâtre de la Ville, 2 place du Châtelet, 75004 Paris. Durée : 2h50. Plus d’informations et réservations sur www.theatredelaville-paris.com

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