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Hip-hop et capoeira pour « Roméo et Juliette »

 

Copyright : Rictus

Cette semaine, Paris a accueilli le dernier spectacle en date de David Bobee. Créé à la biennale de la danse de Lyon en septembre, le metteur en scène y propose un « Roméo et Juliette » dans un décor solaire aux accents orientaux.

Bien évidemment, pendant tout le spectacle, la danse et l’expression corporelle, sont aussi importantes que le texte de Shakespeare. Les affrontements entre Montaigu et Capulet se font en hip-hop et en capoeira. Le duel entre Tybalt et Mercutio est particulièrement brillant dans le genre et leurs fantômes, magiques. Le cirque et la musique ponctuent le spectacle et laissent ainsi le temps au spectateur de respirer pendant les 2h45 que dure la représentation (sans entracte).

Cette approche très physique de la pièce laisse apparaître de belles scènes, véritables tableaux. L’utilisation de l’espace monumental est remarquable. On aperçoit parfois ce que cette histoire aurait pu donner visuellement si elle s’était déroulée dans l’Alhambra de Grenade.

Et cela n’empêche pas certains acteurs, très théâtraux d’être excellents. C’est le cas notamment du Prince (Thierry Mettetal), Benvolio (Marc Agbedjidji) et de la nourrice (Veronique Stas), très drôle. Mercutio (Pierre Bolo) dans son personnage aux accents hip-hop jusqu’au bout des ongles est aussi intéressant dans son registre. D’autres font plus parler leur corps, comme Tybalt (Pierre Cartonnet). Et le duo Grégory / Samson (Edward Aleman / Wilmer Marquez) donne un numéro de cirque à couper le souffle au cœur du spectacle.

Mais la pièce pêche un peu au niveau des rôles principaux. Le Roméo (Mehdi Dehbi) et la Juliette (Sara Llorca) manquent de profondeur chacun dans leur personnage, et surtout, c’est leur relation qui manque de sensualité. A l’exception de la scène du balcon où le duo fonctionne plutôt bien, il est difficile de croire à leur amour. L’émotion décrite n’est pas vécue par les personnages.

David Bobee fait néanmoins ressortir de cette interprétation moderne un drame contemporain. La traduction a été revue, laissant entendre la crudité de certains passages. Sont visibles pendant la pièce quelques questions de notre époque, la pression des pères, qui donnent à voir des humains voulant tout, tout de suite et sans passion, « les plaisirs violents connaissent des morts violentes »

Pratique : Jusqu’au 23 novembre au théâtre National de Chaillot, 1 place du Trocadéro (75116, Paris). Réservations par téléphone au 01 53 65 30 00 ou sur http://theatre-chaillot.fr/. Tarifs : entre 8 € et 33 €.

Durée : 2 h 45

Mise en scène : David Bobee

Avec :  Mehdi Dehbi, Sara Llorca, Veronique Stas, Hala Omran, Jean Boissery, Pierre Cartonnet, Edward Aleman, Wilmer Marquez, Radouan Leflahi, Serge Gaborieau, Pierre Bolo, Marc Agbedjidji, Alain d’Haeyer, Thierry Mettetal

Tournée :

  • Le 27 novembre 2012 au théâtre municipal TCM, Charleville-Mézieres
  • Les 12 et 13 décembre 2012 au théâtre de l’Agora, Scène nationale, Évry
  • Du 19 au 21 décembre 2012 à La Filature, Scène nationale de Mulhouse
  • Du 15 au 18 janvier 2013 au Lieu Unique, Nantes
  • Du 23 au 26 janvier 2013 au CNCDC, Châteauvallon
  • Les 31 janvier et 1er février 2013 au Granit, Scène nationale de Belfort
  • Les 7 et 8 février 2013 au Manège, Scène nationale de Maubeuge
  • Du 12 au 15 février 2013 au théâtre de Caen
  • Le 19 février 2013 à la Scène nationale 61, Flers
  • Du 26 au 28 février 2013 au Carré – Les Colonnes, St-Médard-en-Jalles
  • Les 14 et 15 mars 2013 à l’Hippodrome, Scène nationale de Douai
  • Du 19 au 22 mars 2013 à la Comédie, CDN de Béthune
  • Les 26 et 27 mars 2013 au Carreau, Scène nationale de Forbach
  • Le 4 avril 2013 à l’Avant Seine, Colombes
  • Les 14 et 15 mai 2013 au TAP, Scène nationale de Poitiers

 




« Zéro s’est endormi ? », mais ne fait pas rêver

 

Copyright : Michael Stampe

On se souvient aisément des mises en scène de Christophe Lindon, fines et oniriques, dans de belles scénographies. On pense notamment à « L’Alouette » et à « Pensées Secrètes », toutes deux du cru 2012. On apprécie ce soin apporté au décor, toujours présent dans « Zéro s’est endormi », nouvelle création qui a vu le jour fin septembre à Champigny-sur-Marne et qui est donnée depuis le 5 novembre à Paris.

On y retrouve la vidéo sur écrans multiples, la scénographie pleine de surprises, les projections baignant la scène dans des atmosphères aquatiques ou nostalgiques… Mais habituellement, Christophe Lidon choisit des textes qui méritent un tel dispositif, ce qui n’est pas le cas de celui-ci, signé Valérie Alane. Le résultat est donc mitigé.

Zéro (Bernard Malaka) dort tous le temps. Depuis des années il n’a pas passé plus d’un quart d’heure éveillé. Un jour il trouve tout de même le temps de répondre à une petite annonce. Oui car malgré son état d’hibernation permanente, il trouve le temps de lire le journal : les incohérences sont légion dans la pièce, ce qui est compréhensible puisqu’elle se déroule dans l’univers du rêve, mais ce n’est pas suffisant.

Cette annonce, donc, a été passé par une femme, Alice (Valérie Alane), qui est à la recherche de personnes qui accepteraient de laisser photographier leurs rêves : elle en a le pouvoir, avec son appareil photo magique. L’expérience se déroule bien, jusqu’à ce que des personnages « tombent » du rêve de Zéro, et commencent à interagir avec le monde, un monde limité à la chambre du (z)héros.

Les éléments de la vie du protagoniste s’empilent alors. On le voit lui, plus jeune (ou comme il aurait voulu être). On aperçoit sa sœur (fictive), qui accouche régulièrement de chansons. Le médecin de famille est devenu facteur, le père (absent) un meurtrier, et Zéro le fils caché de Carl Gustav Jung, éminent psychanalyste, contemporain de Freud.

Toute l’histoire semble une pièce de théâtre jeunesse (mal) transposée au monde des adultes. Comme des enfants qui répètent ce que disent leurs parents sans y faire jouer le sens critique, prenant les idées entendues ici ou là dans le foyer familial et répétées dans une cour d’école. Valérie Alane ne va pas au fond des choses, elle se contente de les évoquer : on parle « un peu » d’inconscient. Zéro a été « un peu » abusé par son père adoptif, qui a probablement mis le feu dans l’immeuble de Carl Jung, Zéro a eu une mère « un peu » castratrice aussi, Zéro a souffert d’être un fils unique. Il y a une tentative de reconstruire l’inconscient en permettant au monde entier de voir le rêve (fantasme ultime !). Mais c’est globalement ennuyeux et le surplace est palpable.

Il y a aussi l’appel aux mythes, des références à Icare, Thésée, Ariane et le Minotaure. Il ne manque plus qu’Oedipe et Homer Simpson : cela n’apporterait rien de plus au manque de clarté de la pièce mais ça pourrait être drôle. Malheureusement le mélange de psychanalyse et d’onirisme ne prend pas, car c’est ici que le bât blesse : la pièce ne prend pas partie pour l’un ou l’autre. Zéro s’est endormi, nous aussi.

Pratique : Jusqu’au 9 décembre au théâtre Artistic Athévains, 45 rue Richard Lenoir (75011, Paris)
Réservations par téléphone au 01 43 56 38 32 ou sur www.artistic-athevains.com
Tarifs : entre 10 € et 30 € – Les mardi (20 h), mercredi, jeudi (19 h) vendredi et samedi (20 h 30), samedi et dimanche (16 h).

Durée : 1 h 30

Mise en scène : Christophe Lidon

Avec :  Valérie Anne, Denis Berner, Sarah Biasini, Marie-Christine Danède, Sylvain Katan, Bernard Malaka




Au festival Premiers Pas, on « Vie de grenier »

Jusqu’au mois de décembre à la Cartoucherie de Vincennes se déroule le festival « Premiers Pas ». Occasion offerte à de jeunes compagnies de présenter une première création sur la scène du théâtre du Soleil. Parmi les six spectacles, « Vie de grenier » est donné par la troupe des EduLchorés; ce travail collectif mêle théâtre, musique et danse.

Grand-mère Simone vient de mourir. Ses (nombreux) petits enfants sont venus débarrasser les meubles, ranger ses dernières affaires. Qui prend quoi ? La destination du contenu de cette caverne d’Ali Baba ne fait pas l’unanimité, certains veulent vendre tout, immédiatement, d’autres veulent se plonger dans les souvenirs. Les fantômes qui habitent ces objets vont aider ces jeunes gens à faire les choix justes en embarquant les descendants (et les spectateurs) dans un voyage entre les époques vécues par cette grand mère qui peut être celle de tout un chacun.

De cette idée qui peut sembler naïve au départ, naît en fait une manière élégante et fraîche d’interroger la relation avec les époques intimes qui nous ont précédés. Comment la jeunesse réagit-elle face à la mort, face à l’héritage ? Comment chacun vit-il le manque causé par la perte d’un être, et surtout : comment vider un grenier peut-il devenir une véritable thérapie collective, un travail de mémoire ?

On partage la vie d’horloges, livres et tapisseries, qui chacun offre ses souvenirs et ses surprises. Le spectacle est bien mené, les comédiens apportent chacun dans leur jeu une vue différente sur cette vie qui subsiste après la mort.

La mise en scène, la création lumière sont pleines d’idées et d’entrain, bien que la précision côtoie parfois un peu le fouillis (qu’on mettra sur le compte de la fougue inhérente à la jeunesse). Une mention particulière également pour la musique originale, jouée sur scène par un quatuor à cordes.

Les EduLchorés nous font vivre un beau voyage, un rêve pétri dans la poussière et les souvenirs, qu’ils partagent aisément avec le public, un beau présage en vue des créations futures.

Pratique : Du 6 au 15 décembre au théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes
Réservations par téléphone au 01 43 74 24 08 ou sur http://taftheatre.fr/ – Tarifs : entre 10 € et 15 €.

Durée : 1 h 30

Mise en scène : Emma Pasquer

Avec : Laura Périnet-Marquet, Claire Frament, Elise Pierre, Aurey Vernichon, Juliette Quillevere, Clémence Viandier, Claire Duchêne, Estelle Pasquer, Tristan Lhomel, Alexandre Goldinchtein, Matilde Vilaça.

 




« Le Retour » de Pinter à l’Odéon


Luc Bondy présente sa mise en scène de la pièce d’Harold Pinter, « Le Retour » (The Homecoming) jusqu’au mois de décembre au théâtre de l’Odéon. C’est sa première « grande » création depuis sa nomination à la tête de l’établissement.

La pièce du dramaturge anglais raconte le retour, après six ans sans nouvelles, du fils préféré de la famille dans le foyer qui l’a vu naître. Quand il pousse la porte du grand appartement, rien n’a changé. D’ailleurs sa chambre est toujours prête à l’accueillir. Ce huis-clos très masculin questionne sur l’emprise de la famille, comment on s’en différencie, comment celle-ci nous construit. La place du père, des enfants et surtout, de la mère, femme merveilleuse puis putain deux phrases plus bas… Cette femme qui a mis au monde les trois fils du chef de famille, ou cette femme qui accompagne le fils prodigue en visite, et qui fera elle-même le choix de ne plus repartir.

L’intrigue se déroule dans un très beau décor (de Johannes Schütz), un appartement aux grand volumes, un peu délabré, qui semble tout droit sortie des Sims. À l’intérieur évoluent les personnage. Placés au gré des besoins, de la cuisine, au salon ou dans la caravane du garage, où qu’ils soient, on voit tout. Cet espace convient à la mise en scène élégante de Luc Bondy, très centrée sur le génie de chaque acteur.

Car c’est sur eux que tient le drame, l’interprétation pure donne lieu à d’excellents moments. Tout particulièrement de la part de Micha Lescot, personnage un débile léger, égocentrique, je-m’en-foutiste aux pulsions meurtrières est particulièrement brillant. Les relations entre les protagonistes sont aussi claires et bien travaillées. Le fils dominé par sa femme. Le père et le frère liés par une relation comme celle qui lie César et Panisse chez Pagnol : un mélange de concurrence, d’émotion virile et de taquinerie.

Tous ces personnages qui vivent dans une nostalgie refoulée de la mère, de la femme. Toutes les autres ne sont que des « putes vérolées ». C’est d’ailleurs ce chemin que prendra la belle-fille…

Malgré quelques petites longueurs, cette première de Luc Bondy dans sa nouvelle maison est un joli spectacle, qui mérite un large détour, ne serait-ce que pour la belle performance des comédiens. 

Pratique : Jusqu’au 23 décembre au théâtre de l’Odéon-Europe, place de l’Odéon (6e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44 85 40 40 ou sur www.theatre-odeon.fr/ / Tarifs : entre 6 € et 34 € – Du mardi au samedi à 20 h. Dimanche à 15 h.

Durée : 2 h 20 (entracte compris)

Mise en scène : Luc Bondy

Avec : Bruno Ganz, Louis Garrel, Pascal Greggory, Jérôme Kircher, Micha Lescot, Emmanuelle Seigner

 




Charlotte de Turckheim : « Une lolita d’un certain âge »

Charlotte de Turckheim est revenue pour Arkult sur son rôle de Kathy, « lolita d’un certain âge », qu’elle incarne dans « Que faut-il faire de Mister Sloane »

On vous voit peu au théâtre, c’est une volonté de votre part ?

Depuis 20 ans, je joue mes one-woman-show sur scène, ajoutez-ça au cinéma, ça ne me laissait plus le temps pour le théâtre. Sachez qu’en général, je joue mes spectacles 1 an à Paris puis 3 ans en tournée, donc chaque spectacle me prend 4 ans, ajoutez-y la préparation et on arrive à 5. J’ai fais trois spectacle, ça fait 15 ans !

J’ai la chance d’avoir beaucoup de succès avec mes one-woman-show, j’ai adoré les jouer dans toute la France. Mais c’est vrai qu’on ne parle de vous que la première année parce que vous êtes à Paris. Une fois en province, ça n’intéresse plus les médias. Les gens ont l’impression que vous n’êtes pas là, alors que vous êtes « sur le terrain », si j’ose l’expression !

Vous avez arrêté les one-woman-show ?

Oh non ! J’y reviendrai certainement un jour. Mais là, j’avais envie de jouer avec d’autres gens. Je me régale à me retrouver dans les loges avec les acteurs, on s’entend tous super bien. J’avais envie de partager les moments forts, les joies, les peines. Surtout sur un spectacle comme ça que certains adorent et d’autres détestent. On en rigole ensemble, on se soutient, c’est extra.

Comment avez-vous rencontré Michel Fau qui vous met en scène ?

Je l’ai rencontré il y 20 ans. On jouait « Le Misanthrope » de Molière à Nice. Je m’étais vachement bien entendue avec lui, j’avais adoré sa folie, sa liberté, son insolence… On s’est entendu comme larron en foire. On était moyennement heureux dans ce spectacle car on était assez contrains, c’était pas un endroit où on pouvait exprimer une folie. C’était difficile…

C’est marrant, parce que je m’aperçois… Je viens de la grande époque du café-théâtre, et j’avais un peu minimisé l’influence que ça aurait tout au long de ma carrière. Quand j’ai démarré, je ne voulais pas jouer du boulevard, ni du classique. Dans ce milieu, on voulait faire exploser les codes. À l’époque, le Café de la Gare, c’était tout ce que j’aimais ! C’était génial ! Et Coluche, le Splendid… Ils faisaient un théâtre que je n’avais jamais vu. Après cette époque, je me suis retrouvée dans une grosse structure subventionné où il fallait aller faire des courbettes à la mairie, je rentrais dans un monde très pyramidal, conventionnel, ce n’était pas mon truc. J’avais décidé qu’après ce « Misanthrope », je ferais mes spectacles toute seule !

Pour en revenir à Michel Fau, comment vous êtes vous retrouvé aujourd’hui pour travailler sur la pièce de Joe Orton ?

On a le même agent, Jean-François Gabard. Plusieurs fois je lui ai dit que si je retournais au théâtre, ce n’était pas pour faire le premier boulevard venu, et que je n’accepterais de jouer dans un boulevard que s’il est mis en scène par Michel Fau.

C’était donc un désir de votre part de travailler avec lui.

Exactement. Du coup, c’est Jean-François qui a dit à Michel Fau, « Tu sais, Charlotte a très envie de jouer avec toi », et Michel Fau m’a proposé cette pièce.

Comment vous l’a-t-il présenté ? Vous connaissiez Joe Orton ?

Je ne connaissais pas Joe Orton, et quand il me l’a donné à lire, il a dit à notre agent, « elle ne va pas accepter ». Il pensait que je ne voudrais pas le rôle, c’est vrai qu’il ne me met pas beaucoup en valeur…

Vous pouvez nous présenter ce personnage de Kathy ?

Je pense que c’est une nana qui a entre 40 et 50 ans… Ou plutôt sans âge puisqu’elle tombe enceinte. Mais comme tout est un peu irréel… Ne mettons pas d’âge, l’idée de l’âge me vient parce qu’elle tombe enceinte. Mais est-elle vraiment enceinte ? Elle est assez folle pour se faire croire qu’elle l’est. Disons, une femme plus toute jeune, ni toute vieille. C’est une lolita d’un certain âge qui séduit un espèce de jeune homme mi-ange mi-demon qu’elle met aussi sec dans son lit. Ce qui rend le frère abominablement jaloux. Kathy est à la fois la grande gagnante et la grande perdante de la pièce.

On pourrait appliquer cette phrase au frère aussi…

Oui, sauf que dans l’histoire il y a une seule certitude, celle que Sloane est mon amant. Il n’y a aucune certitude concernant l’autre côté. Et dans le fond le frère n’assume pas vraiment son homosexualité alors que moi j’assume totalement d’être une cougar. Je passe à l’acte !

La situation de Kathy est plutôt inconfortable, et comme vous le disiez le rôle ne vous met pas particulièrement en valeur. Pourquoi l’avoir accepté ?

Je savais qu’avec Michel je pourrais aller très très loin dans le personnage, tout en étant protégée.

Protégée ?

Je savais que ça allait être bien, je savais que ça allait me plaire. Même si « bien » ça ne veut rien dire, car il y a des gens qui détestent la pièce.

Vous ne pensez-pas que si des gens détestent cette pièce, c’est probablement en partie à cause du traitement que subi votre personnage ?

Vous voulez le fond de ma pensée ? Je pense que les gens qui n’aiment pas cette pièce, sont des gens qui ont des zones d’ombre en eux. Je vois des gens qui sont tellement choqués et exaspérés en sortant ! Ça reste du théâtre tout de même, c’est pas si grave… Mais il y en a qui ne sont pas prêt à entendre des choses aussi dérangeantes sur la sexualité, sur la violence et sur la manipulation…

Vous n’avez aucune difficulté à subir autant de violence chaque soir sur scène ?

Honnêtement, si… Je fais des cauchemars toutes les nuits, d’enfants morts ou d’enfants qu’on me confie et que j’oublie dans des piscines, des gosses défenestrés… C’est dingue. Kathy a eu un enfant, il est mort ou il a été adopté, on ne sait pas.

Vous habitez complètement votre rôle…

Je m’aperçois que ça me remue beaucoup. Je suis très contente d’être sur scène, mais la folie de ces personnages remue terriblement. Je suis très fragile en ce moment, très fatiguée. Physiquement aussi, moi qui suis une lève tôt, je ne me lève pas un seul matin avant 11 heures. Ce n’est pas un rôle qu’on peut jouer avec de la technique, il faut être complètement dedans, on ne peut pas s’économiser, quand on a un peu trop confiance ça ne marche pas. Si je rentre en scène et que je ne suis pas au maximum de l’hystérie contenue, ce n’est pas bon. La première réplique, « voilà le salon », il faut que le public voit toutes les questions qui me passent par la tête « je vais me le faire ? Il va rester ? J’ai tellement envie »… Si je me contente de dire « voilà le salon » comme Jacqueline Maillan, ça ne marche pas. C’est incroyable.

Vous arrêtez « Que faut-il faire de Mr Sloane » le 31 décembre. Avez d’autres projets au théâtre en 2013 ?

Non je fais ça et c’est tout. Je me mets très à fond dans ce que je fais, et là, j’en ai pour six mois à me remettre d’un rôle pareil !

Voir notre critique de « Que faire de mister Sloane ? »

 

 




« Que faire de Mister Sloane ? », une folie à la Comédie des Champs Elysées

Que faire de mister Sloane ? Ce jeune éphèbe mystérieux qui débarque pour louer une chambre dans cette maison au milieu d’une décharge ? On parle de « faire », comme si Sloane n’était qu’objet de fantasme. Pour une femme (qu’il met enceinte) et pour le frère, c’est bien le cas. Sans oublier le père, témoin d’un meurtre de Sloane il y a quelques années et dont la cécité grandit chaque jour, qui vient compléter ce quatuor de folie. Chacun joue sa partition pour mener le spectateur au cœur de sa folie.

Cette pièce est le premier succès de Joe Orton, un auteur anglais au destin terrible disparu au milieu du XXe siècle. La perversion, le sexe et la vulgarité s’y mélangent allègrement. Une pensée toute particulière pour Charlotte de Turckheim qui en est la principale cible et victime. D’ailleurs, elle doit profondément donner de sa personne durant tout le spectacle : parfois en nuisette, coiffée comme une anglaise des années Folles, elle se fait copieusement insulter par son frère. Rendu dingue par la jalousie, il ira jusqu’à hurler, « mais regardez-là ! On dirait une pute qui recherche l’extase ! ». Elle a juste peur d’avoir fait quelque chose de mal, comme une enfant injustement grondée. D’ailleurs, tous les personnages ont des réactions d’enfants pas sages.

Voilà pour la teneur de la pièce.

Le mauvais goût anglais y est poussé à son maximum (on y cuisine du jambon bouilli) et de l’exagération extrême jaillit un rire franc. Certes on a envie de prendre Charlotte de Turckheim en pitié. Elle, cougar de banlieue gênée, aime que son jeune amant (qui profite de sa générosité) l’appelle « Maman ». Les quiproquos et les scènes équivoques ajoutent beaucoup de force à ce cadre burlesque. Sans oublier les costumes (créés par David Belugou) qui donne l’air à chaque acteur de sortir de l’imagination de Lewis Carroll. Michel Fau dans le rôle d’un Eddy aux manière de grande folle christique, illuminée et miséricordieuse est totalement déjanté.

 « Que faire de mister Sloane » peut être une pièce douloureuse pour le spectateur embarrassé de pitié. Mais si l’on fait fi de toute morale et de toute considération, se contentant de jouir avec perversion de cette situation terrible, alors le rire ponctue notre souffle.

 Pratique : Jusqu’au 31 décembre à la Comédie des Champs Elysées, 15 avenue Montaigne (75008, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53 23 99 19 ou sur www.comediedeschampselysees.com / Tarifs : entre 10 € et 39 € – Du mardi au samedi à 21 h. Matinée le samedi à 16 h.

Durée : 2 h

Mise en scène : Michel Fau

Avec :  Charlotte de Turckheim, Gaspard Ulliel,  Michel Fau et Jean-Claude Jay.




En route pour « Néoplanete »

Avec « Néoplanète », le hongrois Árpád Schilling nous plonge littéralement au milieu d’un monde qui change, où l’expérience de l’exil est le point commun des habitants qui restent. Voulu comme un véritable voyage, le contenu déroute, forcément, mais il ne manque pas de trouver sa cible. Les spectateurs partent par rang entiers durant toute la pièce, à contrario, le public qui reste jusqu’au bout est aisément conquis.

Árpád Schilling utilise la vidéo, beaucoup. De très belles images forment un film où les héros de la scène apparaissent parfois à l’écran pour continuer l’histoire. Il y a du cirque aussi, de la corde et de la barre verticale, mélangée à la danse. Une intrigue (n’ayant pas grand intêret) prend forme à un moment, puis s’arrête, c’est décousu. Le public réagit lui, beaucoup, car il est invité à le faire. Un Rom (authentique) vient sur scène, une traductrice hongroise permet à ceux qui le souhaitent d’avoir une discussion avec lui, sur ses conditions de vie et sur les raisons qui l’ont poussé à partir. Beaucoup plus tard dans la pièce, deux autres Roms, à peine adolescents, viennent se prêter au jeu des questions dans un français impeccable. Symboles du non-retour, de la nécessité de partir.

On oscille, entre la curiosité, l’ennuie, le désir d’en savoir plus. On succombe à la beauté des images, on partage l’attente des personnages dans des situations qu’ils n’avaient pas prévues, ou souhaitées…

Pour tenter d’en donner une idée concrète (bouh! Le vilain mot), « Néoplanète » est une sorte de work-in progress où les personnages réfléchissent à des solutions pour pouvoir partir, avec qui partir et quels sont les choix qui conduisent à préférer ce départ, ou cette personne comme accompagnatrice.

Bel exemple de lâcher-prise, ce spectacle est loin d’être évident, mais (chose importante) le public scolaire le soir de la représentation à laquelle nous assistions était aux anges d’avoir vu un théâtre au langage simple, posant les problématiques de notre époque, mêlant les genres et les surprises. Excellent baromètre de la scène que celui de la génération en cours de construction…

Pratique : Jusqu’au 26 octobre au théâtre national de Chaillot, 1, place du Trocadero (16e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53 65 30 00 ou sur theatre-chaillot.fr/ / Tarifs : entre 8 € et 33 € – Du mardi au vendredi à 20 h 30.

Durée : 2 h 30 (sans entracte)

Mise en scène : Arpad Schilling

Avec : Cristiana Reali, Rasha Bukvic, Léopoldine Serre, Monique Chaumette et Grétel Delattre, Estelle Dore, Bérangère Gallot, Jean-Yves Gautier, Martin Loizillon, Sandrine Molaro, Sophie Nicollas, Nicolas Pujolle, Herrade Von Meier.

 




Pauline Bureau montre ses « Modèles »

Après sa création en 2011 au Nouveau Théâtre de Montreuil, « Modèles » s’installe jusqu’en novembre au Rond-Point. Cette pièce signée Pauline Bureau est le fruit d’un travail d’écriture collective effectué par la metteur en scène et les actrices elles-mêmes, mêlé de textes de Pierre Bourdieu, Marguerite Duras ou Virgine Despentes. Les femmes sont-elles vraiment l’égal des hommes ?

Celles qui posent la question étaient gamines dans les années quatre-vingt. Officiellement, elles ont les mêmes droits que leurs homologues masculins, elles ont toujours eu la possibilité de voter et de travailler… Mais dans « Modèles », elles parlent également de tout ce qu’on ne leur avait pas dit : de la maîtresse de maison à celle qui s’est faite violer et à qui on dit qu’elle ne s’en remettrai jamais. Des hommes, ces héros, dès qu’il mettent les pieds dans un supermarché, pendant que leurs épouses jouent à Cendrillon chez elles, d’ailleurs, elles en sont ravies ! Pendant 1 h 45, on grandit avec elles, elles nous guident par leurs expériences, parodiant ce qu’on attend d’elles.

Le féminisme actuel, pilier de cette création, est évoqué de façon poétique et ingénieuse, peu guerrière, jamais frontale. L’approche humoristique et sincère fonctionne. Leurs histoires, qu’elles soient tristes ou heureuses, nous passionnent. Naturellement, l’évidence des mots employés suffiraient à gommer la notion « d’avortement de confort » de la pensée des êtres obtus qui imaginent que cela peut exister.

Il est difficile, d’autant plus pour un individu masculin, d’imaginer le foyer comme une prison. Encore plus difficile pour la société d’imaginer la Femme comme étant encore asservie par son mari en 2012. Et pourtant, les questions évoquées dans « Modèles » font mouche et posent de justes bases de réflexions.

La mise en scène soutient finement le propos. Que les mots soient déclamés face au public sur un plateau nu, au milieu d’une cuisine ou bien à quelques mètres de hauteur, en studio. La force du spectacle réside dans le jeu des cinq actrices qui s’incarnent en donnant l’impression de jouer des rôles. Moment magique où on ne sait plus trop si c’est la femme ou la comédienne qui nous parle. On s’en fiche : c’est passionnant. 

Pratique : Jusqu’au 10 novembre au théâtre du Rond-Point, 2bis av. Franklin D. Roosevelt (8e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.theatredurondpoint.fr / Tarifs : entre 11 € et 30 € – Du mercredi au samedi à 21 h. Dimanche à 15 h 30.

Durée : 1 h 45

Mise en scène : Pauline Bureau

Avec : Sabrina Baldassarra, Laure Calamy, Sonia Floire, Gaëlle Hausermann, Marie Nicolle (musicien live : Vincent Hulot)

 




« J’habite une blessure sacrée », cure de réalité

Nelson Mandela accède au pouvoir puis est obligé de céder aux règles du commerce international. Dans son propre pays, il ne peut pas reprendre leurs immenses terres aux Afrikaners pour nourrir un peuple qui a faim. Son programme politique ne peut être mis en place.

L’OMC, déesse de l’ultra-libéralisme veillant au bon déroulement des transactions entre les pays, obéit a des règles écrites par l’Occident. L’Afrique doit pourtant s’y conformer.

125 000 paysans se sont donné la mort en Inde entre 2000 et 2007, incapables d’entretenir leurs champs devenus stériles à cause des pesticides utilisés pour faire pousser les OGM.

En 1989, l’Exxon Valdez s’échoue en Alaska : la marée noire qui en découle est une catastrophe. Toujours en 1989, les 70 000 km² de côte du delta du Nigeria sont défoncés par le pétrole extrait dans le pays par des sociétés occidentales. Personne n’en parle.

En Haïti, on mélange des herbes et de la boue pour faire des gâteaux. Les Haïtiens appellent cette nourriture : le biscuit dur.

Evo Moralès, premier président d’origine amérindienne de Bolivie est élu en 2006. La première mesure de son mandat : renégocier les contrats de production gazière et pétrolière avec les multinationales afin d’en faire profiter le peuple Bolivien.

Pendant ce temps en Occident, on se travestit en boite de nuit et on danse sur des rythmes effrénés après avoir passé une journée à boursicoter. Le videur à l’entrée raconte son expérience : « Je suis obligé en un très court laps de temps, de juger la maximisation du profit probable selon le look du client qui se présente à la porte ».

C’est ce paradoxe, poussé aujourd’hui à son paroxysme (et plus encore) que tente de montrer « J’habite une blessure sacrée » de Mireille Perrier. Une histoire adaptée de « La Haine de l’Occident » de Jean Ziegler. Moment court mais intense. Du théâtre conscient au service du monde et de sa mémoire où l’action est montrée du point de vue de ceux qui la vivent.

Ils sont quatre acteurs pour jouer des dizaines de personnages. Les costumes sont pendus aux quatre coins de la scène pendant que les intrigues se déroulent dans un cercle tracé au moyen de tuiles brisées. A l’intérieur se dessine un portrait du grand méchant Occident dans de courtes sceynettes. Le travail d’adaptation est impressionnant car le résultat est profondément théâtral. Les éclairages et la mise en scène sont chargées d’une belle esthétique. Baignant la scène en pleine lumière lors de discours, dans la pénombre de la fumée et des cadavres le 11 septembre 2001.

Lorsqu’on participe à une expérience comme celle-ci (car c’est une expérience, on ne subit pas ce qu’il se passe sur scène, on y participe), on ne ressort pas indemne ou la tête vide. Les questions fusent, la plus importante reste : qui sommes-nous, humains ?

Un spectacle étonnant, essentiel. Espérons qu’il ne soit pas qu’un prêche pour convaincus : il faut montrer cette réalité au plus grand nombre, surtout quand c’est si bien fait. 

 

Pratique : Jusqu’au 31 octobre à la Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud (75011, Paris) – Réservations par téléphone au 01 47 00 25 20 ou sur www.maisondesmetallos.org / Tarifs : entre 10 € et 14 € – Du mardi au vendredi à 20 h. Samedi à 19 h, matinée le dimanche à 16 h.

Durée : 1 h 20

Mise en scène : Mireille Perrier

Avec : Benjamin Barou-Crossman, Stéphanie Farison, Joël Hounhouénou Lokossou, Mireille Perrier




Leçon de corruption par « Volpone ou le renard »

L’argent rend fou, ceux qui n’en n’ont pas comme ceux qui l’amassent, c’est ce que voulait montrer Benjamin Jonson dès 1606 dans sa plus célèbre pièce, « Volpone ou le renard ». Ce personnage, sorte d’Harpagon britannique, est doté d’un goût prononcé pour le jeu de dupe. Roland Bertin, retraité de la Comédie-Française, l’incarne avec beaucoup de justesse, de talent et de finesse.

Les courtisans s’aglutinent au chevet de celui-ci, se faisant passer avec la complicité de son valet (Nicolas Briançon) pour mourant. On assiste à un grand bal des faux-culs, plein de fausseté et de stratagèmes, chacun y va de ses présents pour se faire coucher sur le testament. Empoisonnement, tentative de fiançailles, étranglement et prostitution s’installent à merveille dans ce beau décor de théâtre composé de coffres forts sur deux étages, offrant la possibilité d’une mise en scène dynamique et créative. Une mention particulière pour Grégoire Bonnet, incarnant un Corvino à la gestuelle d’agent immobilier maniaque.

Texte noir, acide, sombre et profondément cynique, Volpone a été ré-adapté par Briançon lui même. Mordant, tordant, on entend chaque syllabe et l’humour qui s’en dégage est incisif et proprement irrésistible. Les propos dessinent une image de l’argent comme étant un tuteur, cultivateur de désir, idée décrite avec de belles allégories et autres métaphores. On y voit aussi clairement le pouvoir des gens de l’ombre (ici, le valet), dirigeant à la baguette le jeu voulu par son maître, et auquel ce dernier se fera prendre par excès de gourmandise.

Tant il est vrai que la pièce dénonce ce que le genre humain peut faire pour l’argent, elle est aussi un tableau sans complaisance de ce que sont prêtes à faire les riches personnes pour s’amuser et se sentir exister. Volpone qui apparaît en Michou (le bleu en moins) en début d’acte 2 pour n’être pas reconnu des gens dans la rue, illustre la futilité à merveille. Il est aussi effroyablement crédible lorsqu’il joue les vieux pervers lubriques avec la femme d’un autre et presque bouleversant quand il se retrouve sans fortune face à la seule personne en qui il avait confiance.

L’argent donne tous les droit aux riches, puisqu’avant son déclin, le vieil animal sera au cœur d’un procès qu’il gagnera avec toute l’aisance que permet une bourse bien pleine aux yeux d’une justice aussi corrompue que l’âme humaine. Grandiose !

Enfin, Nicolas Briançon a fait le choix d’un final légèrement différent de la pièce originale, une conclusion diabolique, bien emmenée après deux heure de jeu très prenantes.

 

Pratique : Actuellement au théâtre de la Madeleine, 19 Rue de Surène (8e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 42 65 07 09 ou sur www.theatremadeleine.com / Tarifs : entre 17 € et 54 €.

Durée : 2 h 05

Texte : Ben Jonson

Mise en scène : Nicolas Briançon

Avec :  Roland Bertin, Nicolas Briançon, Anne Charrier, Philippe Laudenbach, Grégoire Bonnet , Pascal Elso, Barbara Probst, Matthias Van Khache et Yves Gasc

 




Guillermo Calderon met en scène le travail de mémoire chilien

Villa + Discurso sont en fait deux pièces politiques du chilien Guillermo Calderon. L’une est une discussion entre descendantes de victimes de la Villa Grimaldi. Lieu de torture sous la dictature de Pinochet. Celles-ci ont pour mission de réfléchir à l’avenir du lieu. L’autre met en scène les mêmes actrices, où elles jouent toutes les trois le rôle de Michelle Bachelet, présidente du Chili entre 2006 et 2010. Le lien physique n’est pas étranger entre les deux textes : Michelle Bachelet a elle-même été détenue dans la Villa Grimaldi.

 Travail de mémoire

Autour d’une table, elles viennent de se rencontrer. Et pourtant ces trois jeunes filles doivent trouver que faire de cet ancien palais de l’horreur qu’a incarné la « Villa ». Créer un lieu de mémoire ? Détruire ces murs qui ont vu les pires souffrances ? Le vote à bulletin secret n’a rien donné, l’une a voté blanc et les deux autres ont voté pour des options différentes. Elles essayent alors de trouver une solution par la discussion.

Des paroles, il y en a malheureusement un peu trop dans cette pièce. Créée à l’origine pour être jouée dans les lieux de torture du Chili, la mise en abîme est écartée sur les planches d’un théâtre. Les échanges sont longs et très argumentés. Pas forcément passionnants, on a vite la sensation que ça tourne en rond. Les mêmes réflexions reviennent sans cesse. On assiste à une bataille de sophistes. L’une veut créer un musée d’art contemporain au grenier, l’autre veut équiper un sous-sol de Macs pour que des vidéos sur les vies des victimes défilent.

Certes, par ces mots, elles interrogent le travail de mémoire difficile au Chili où la justice est loin d’avoir été rendue. Comment respecter celles de ceux qui ont disparu et comment préserver les prochaines générations de telles horreurs. Travail nécessaire outre-Atlantique, mais processus déjà bien connu en Europe, notamment à cause de la guerre de 39-45. Ici les héroïnes tâtonnent. L’approche choisie par Calderon est très naïve, celle d’enfants qui réfléchissent au passé de leurs parents.

Il y a peu d’action, la mise en scène est statique, c’est une réunion autour d’une table, les verres d’eau qui s’empilent sont le temps qui passe. A tour de rôle, elles vont aux toilettes et les deux restantes tentent de savoir qui a voté blanc lors des premières minutes de la pièce. Elles tentent de se manipuler, chacune y met de sa vie personnelle pour convaincre les autres jusqu’à ce qu’elles se rendent compte qu’elles ont un terrible point commun…

Les adieux d’une politique

Une brève transition plus tard et nous voilà face à trois visages qui ne sont qu’un seul personnage, celui de Michelle Bachelet. Un carré de lumière sur scène délimite le pupitre. Un verre d’eau est posé au sol, comme un outil indissociable du bon fonctionnement du disours. Michelle sont là, face à nous, et là, l’exercice est sublime. Si on peut piquer du nez pendant la première partie, la seconde nous tient en haleine avec force.

La présidente a décidé de ne pas suivre son discours écrit pour faire ses adieux au pays, elle veut se laisser aller. Exprimer librement les trois faces de sa personnalités, trois visages et une multitude d’expressions possibles. En pratique et sur scène, ça donne des croisements de phrases, parfois l’une commence, l’autre hésite et la dernière tranche. D’autre fois, c’est dit à l’unisson. C’est excellent et on voit là tout le talent de ces jeunes actrices.

Elles sont une femme politique rêvée : sincère, cordiale, mais avec ses travers, en un mot, humaine (enfin!). On l’imagine aisément partageant notre vie. Un peu pessimiste, surtout réaliste, drôle bien sûr.

Finalement, Villa + Discurso c’est une première partie éprouvante, une seconde captivante. Peut-être un peu longue, un peu trop de gauche aussi (les personnages se déclarent comme tels toutes les trois phrases), mais c’est un travail intéressant qui mérite, si ce n’est de l’intérêt, une belle curiosité.

Pratique : Dans le cadre du Festival d’Automne, jusqu’au 19 octobre au théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses (18e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53451717 ou sur www.festival-automne.com/ / Spectacle en espagnol surtitré en français.

Durée : 2 h 15

Texte et mise en scène : Guillermo Calderon

Avec :  Francisca Lewin, Macarena Zamudio, Carla Romero

 

 




Merlin enregistre la « Dernière bande »

Copyright : Brigitte Enguerand

Bon, quand on va voir Samuel Beckett, on sait que le metteur en scène devra nicher son travail au milieu des didascalies originales. Les ayants droits de l’auteur n’autorisant que l’on monte l’une de ses œuvres uniquement si elle est respectée à la virgule près.

Cette « Dernière bande » a donc les traits communs (outre le texte) de toutes les autres. Krapp (Serge Merlin) va commencer par manger une banane, puis en mordra une seconde avant de la jeter. Il va aussi « fouiller dans la pile de bobines » ou encore « se lever brusquement pour partir derrière un rideau, duquel on va entendre un bruit de vaisselle qu’on cogne ».

La possibilité de mise en scène et de différentiation par rapport aux autres versions est donc ailleurs, mais dans le travail d’Alain Françon elle ne saute pas aux yeux. Ici, Serge Merlin est excellent, il respecte parfaitement le souhait de l’auteur. Faire de Krapp un vieil homme qui enregistre sa dernière bande (audio). C’est le même rituel à chaque anniversaire. Ce soir là, après avoir écouté la bande de ses 39 ans, il en prend une nouvelle au fond du tiroir (comme indiqué dans les didascalies), et il s’énerve contre celui qu’il a été, se reproche la perte du bonheur affectif, hurle dans le micro sa noire solitude. Beckett a instauré un décalage volontaire dans le personnage, ce qui ne le rend ni touchant ni énervant, juste seul, c’est tout. Il est même plus drolatique que triste, difficile à cerner.

Et Serge Merlin est cela. Plongé dans un beau décor (toujours très respectueux des didascalies : un bureau au centre, l’obscurité tout autour…), les lumières (de Joël Hourbeigt) sont très belles, rebondissant dans les orbites et les rides de l’acteur. C’est en elles que réside la beauté de la pièce. Françon, lui, en faisant cette mise en scène, a voulu donner à cette pièce l’essence que son auteur lui a originellement insufflée. Le résultat est donc fidèle et nul doute que Beckett en serait ravi. Sauf que l’écrivain a disparu en 1989…

Espérons qu’un jour nous verrons le monde moderne s’accaparer cette pièce si elle n’était pas prisonnière de ses indications de texte. Vous l’aurez compris, cette « Dernière bande » est très réussie, mais la plume de Beckett continue de vieillir dans un monde qui (bien évidemment) a changé.

Pratique : Actuellement au théâtre de l’Oeuvre, 55 rue de Clichy (75009, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44 53 88 88  ou sur www.theatredeloeuvre.fr / Tarifs : entre 10 € (- de 26 ans) et 30 € (plein tarif) – Du mardi au dimanche.

Durée : 1 h 05

Mise en scène : Alain Françon

Avec :  Serge Merlin

 




Murat met en scène Arditi dans « Comme s’il en pleuvait » à l’Edouard VII

Bruno (Pierre Arditi) et Laurence (Evelyne Buyle) habitent dans le 15e arrondissement de Paris. Leur vie est celle de petits bourgeois, simple et sans prétention. Un soir, Bruno rentre de l’hôpital où il est anesthésiste et trouve 100 euros sur la table. Le lendemain, 1400 euros apparaissent comme par magie au même endroit. Et leur chance ne compte pas s’arrêter en si bon chemin…

Cette comédie contient tous les ressorts du théâtre de divertissement : un couple auquel le public s’identifie aisément, des personnages annexes qui sont des caricatures (de voisins et autre femmes de ménage espagnole), et enfin, il est montré que le rêve une fois réalisé n’est pas toujours si rose.

Bruno devient fou de tout ce fric, sa femme panique à l’idée de se retrouver riche. Quand il revient d’une journée de shopping, des dizaines de sacs griffés des plus grandes marques jonchent le sol autour du canapé. Manifeste du droit au bonheur, qui montre que l’argent n’y contribue que modestement, « Comme s’il en pleuvait » porte un message semblant naïf mais il est bien conduit par le texte de Sébastien Thiéry. Comment renie-t-on nos idéaux pour un costume Dior ? 

On rit, la pièce est rythmée, le couple moderne Arditi – Buyle fonctionne très bien et nous mène à une chute complètement inattendue à la Ionesco après de multiples rebondissements qui nous tiennent en haleine pendant toute la pièce. Un bon moment en compagnie du malheur des autres, en somme.

Pratique : Actuellement au théâtre Edouard VII, place Edouard 7 (9e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 47 42 59 92  ou sur www.theatreedouard7.com / Tarifs : entre 20 € et 53 €.

Durée : 1 h 30

Texte : Sébastien Thiéry

Mise en scène : Bernard Murat

Avec :  Pierre Arditi, Evelyne Buyle, Gilles Gaston-Dreyfus, Véronique Boulanger.




« La Mouette » et « Oncle Vania » mettent le turbo

Ces deux mises en scène de Christian Benedetti avaient eu tellement de succès au Théâtre Studio d’Alfortville que l’Athénée les reprend pour une quinzaine de jours en alternance avant le départ de la troupe en tournée. La Mouette et Oncle Vania méritent l’engouement qu’elles ont engendré ces dernières années.

La Mouette dure 1 h 45, Oncle Vania 1 h 20. Cette brièveté n’est pas due à une découpe à la faux dans les phrases de Tchekhov, mais à un rythme vertigineux dans lequel nous plonge l’équipe. Pas le temps de s’ennuyer ! Dans les deux pièces, les personnages bondissent sur scène et parlent et piaillent jusqu’aux limites de l’inaudible (sans jamais s’y fourvoyer). Et afin de ne perdre personne en route, Benedetti a installé de longs moments de silence (parfois jusqu’à une minute) afin que chacun reprenne son souffle avant de repartir de plus belle.

Chaque comédien se plie au jeu sans le faire au détriment de la construction du personnage. Ils sont tous excellents. La doyenne, Isabelle Sadoyan (Marina dans Oncle Vania) en est la preuve (très!) vivante. On reste bouche bée par tant de maîtrise et d’humanité dans l’interprétation de chaque rôle. Chacun y allant de sa petite pointe de folie contenue, ou non … puisque la limite est franchie avec talent par Florence Janas dans La Mouette et Pierre Banderet dans Oncle Vania. Pour autant, la ruralité, l’esprit provincial des pères, l’idéalisme face au pessimisme (La Mouette), l’ennuie et la dureté de la vie poussant à un cynisme extrême (Oncle Vania) sont très présents et visibles dans les deux mises en scène.

Deux sujets différents et pourtant les deux pièces marchent avec force dans ces deux mises en scène très proches l’une de l’autre. Place est laissée à une scène presque vide. Quelques chaises, une petite estrade, quelques draps et la vodka font l’affaire. Un samovar indique le salon (Oncle Vania) et un tissu pendu sur un cadre indique la scène de théâtre (La Mouette).

Ce théâtre qui est utilisé dans son ensemble. Le hors champ est partie intégrante de la création. Et par ce procédé, le spectateur se sent au cœur de l’intrigue collégiale tchekhovienne. Grandiose.

Pratique : Jusqu’au 13 octobre (en alternance) au théâtre de l’Athénée, Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau (75009, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53 05 19 19 ou sur http://www.athenee-theatre.com / Tarifs : entre 12 € et 32 €.

Mise en scène : Christian Benedetti

Avec :  La Mouette : Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Christophe Caustier, Philippe Crubézy, Marie-Laudes Emond, Laurent Huon, Florence Janas, Xavier Legrand, Jean Lescot (ou Jean-Pierre Moulin) et Nina Renaux. Oncle Vania : Pierre Banderet, Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Philippe Crubézy, Laurent Huon, Florence Janas, Judith Morisseau, Isabelle Sadoyan.

Tournée :

La Mouette

  • Du 12 novembre au 1er décembre 2012, Théâtre-Studio (en alternance avec Oncle Vania), Alfortville
  • Du 11 au 13 décembre 2012 au NEST-Théâtre, centre dramatique national de Thionville
  • Le 11 janvier 2013 au théâtre Jean-Marais, Saint Fons
  • Les 14 et 15 janvier 2013 au théâtre Gérard-Philippe, Champigny-sur-Marne
  • Du 23 au 25 janvier 2013 à la Scène Nationale de Cavaillon
  • Le 26 janvier 2013 au Centre culturel La Ferme des Communes, Serris
  • Le 1er février 2013 à Ermont-sur-Scènes, Ermont
  • Le 2 février 2013 au Centre culturel des Portes de l’Essonne, Juvisy-sur-Orge
  • Du 5 au 9 février 2013 au Théâtre des Deux-Rives, centre dramatique régional de Rouen
  • Le 12 février 2013 au Tanit Théâtre / La Filature, Lisieux
  • Le 15 février 2013 au théâtre de Fontainebleau
  • Le 12 mars 2013 au théâtre de la Place, Andrézieux-Bouthéon
  • Le 2 avril 2013 au théâtre de Rungis
  • Le 4 avril 2013 au théâtre du Cormier, Cormeilles-en-Parisis
  • Le 19 avril 2013 au Centre culturel Aragon-Triolet, Orly
  • Du 20 au 23 avril 2013 au théâtre de l’Ouest-Parisien, Boulogne Billancourt

Oncle Vania

  • Du 12 novembre au 1er décembre 2012 au Théâtre-Studio (en alternance avec La Mouette)
  • Du 24 au 27 octobre 2012 au théâtre de Beauvaisis – Scène nationale de l’Oise, Beauvais



« La barque le soir », difficile de ne pas sombrer

Claude Régy est un grand metteur en scène. Découvreur de texte, de talents, il cherche à pousser le théâtre dans de profonds retranchements pour en faire sortir une énergie nouvelle, au delà des mots et du geste. Il aime que le spectateur laisse aller son imagination.

« La lecture de La Barque le soir m’a beaucoup frappé. L’écriture y est très différente de celle des romans antérieurs de Tarjei Vesaas. D’œuvre en œuvre, son écriture n’a cessé de se chercher, de se transformer ; elle ne s’est jamais fossilisée dans un « style ». On a l’impression que pour lui, chaque œuvre nécessitait l’invention d’une nouvelle langue ».

Cette citation est de Claude Régy, extraite d’un entretien retranscris dans le dossier de présentation du spectacle. Mais le format de « La barque le soir » était connu d’avance : un texte dit de façon monocorde. Un comédien fixe (Yann Boudaud), esquissant quelques mouvements pour entraîner vers le haut les mots qu’il distille. Très peu de lumière, un trait furtif sur le visage du comédien. Et du silence, beaucoup de silence, une dizaine de seconde entre deux idées parfois. Où est le renouveau ? Comment ne pas croire à la « fossilisation dans un style ? » de la part de Régy ?

Ces procédés qui ont révolutionnés leur temps (le metteur en scène les utilise depuis des dizaines d’années), ont-ils encore un écho moderne aujourd’hui ? Tout ce qu’il se passe sur scène est connu du public averti, il n’y a plus de surprise.

D’un côté sont réunis les passionnés, connaisseurs du personnage, convaincus avant même d’entrer dans le théâtre et qui apprécieront la prestation quoi qu’il arrive. Comme lorsqu’on va déguster son plat favori : on ne le découvre plus, mais le plaisir est là à chaque fois. Et puis il y a les autres, ceux qui sont dans l’attente de voir du neuf, ou qui (cela peut arriver) ne connaissent pas bien le travail de Claude Régy, ou tout simplement qui y sont hermétique. Pour ceux-là, le voyage s’avère difficile.

Ici le texte est une métaphore de la vie qui s’arrête, sombre et vivote encore un peut à la surface de la rivière du monde. Elle respire péniblement à travers le comédien, touche le fond puis remonte… Les mots sont poétiques mais difficile. Notre imagination a non seulement le temps de naître entre les phrases, mais elle a également le temps de nous échapper. Cette sensation est d’ailleurs assez étrange, le temps ne semble pas long durant la pièce, ce n’est pas l’ennui qui apparaît, c’est juste notre esprit qui s’en va. On pense au week-end, à nos lectures ou bien à la vie en général, comme lorsqu’on est assis dans une rame de métro. « La barque le soir » est un excellent moment de lâcher prise, où notre esprit peut complètement divaguer. Certain font de la médiation, d’autre regardent du Claude Régy.

Yann Boudaud chuchote les mots comme un mourant. Ou plutôt comme quelqu’un que l’on interroge pendant son sommeil et qui répond la bouche à demi-ouverte, pensant ne parler qu’à soit-même. Souvent même, on n’entend pas des pans entiers de textes, ce n’est pas très grave car pendant ce temps, notre imagination occupe le vide.

Cette expérience pourrait s’avérer intéressante. Seulement si nous (le spectateur peut sensible à toute cette mise en scène), ne nous sentions pas prisonnier du sanctuaire dans lequel nous installe le créateur. Avant même le début du spectacle, il est interdit de parler, et durant la représentation, on n’ose à peine bouger de peur de gêner le cérémonial. Le comble : on se sent pris au piège.

Claude Régy est un homme important dans le théâtre Français, un artiste de génie. Mais qui dans cette création semble être arrivé à une limite. Réduit à faire ce que le public qui le connaît attend de lui, comme de la bonne cuisine, délicieuse pour ceux qui l’aime, mais qui n’a plus rien de surprenante.

Pratique : Dans le cadre du Festival d’Automne, jusqu’au 3 novembre au théâtre de l’Odéon (Petite salle des Ateliers Berthiers), 38 boulevard Berthier (17e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44 85 40 40 ou sur www.festival-automne.com/ / Tarifs : entre 14 € et 30 € (plein tarif) – Relâche le lundi.

Durée : 1 h 20

Texte : Tarjei Vesaas (édité chez « Corti »)

Mise en scène : Claude Régy

Avec :  Yann Boudaud, Olivier Bonnefoy, Nichan Moumdjian

Tournée :

  • Du 13 au 24 novembre 2012 au Théâtre National de Toulouse et Théâtre Garonne
  • Du 5 au 8 décembre 2012 à la Comédie de Reims
  • Du 18 au 25 janvier 2013 au CDDB – Théâtre de Lorient
  • Du 6 au 15 février 2013 au Centre Dramatique National d’Orléans-Loiret-Centre