Elle se réveille un matin toute habillée dans une chambre d’hôtel. Enseignante quadragénaire du début des années quatre-vingt-dix elle se remémore la passion qu’elle a connu en étant la maîtresse d’un homme, sa rupture, la reprise puis l’extinction… tout ça sur fond de Lambada et de Sylvie Vartan.
Le texte d’Annie Ernaux est débordant de détails précis et universel sur la posture d’attente face à l’être, si ce n’est aimé au moins désiré. Le téléphone qui sonne, l’espérance d’entendre la voix tant souhaitée et la colère ressentie contre l’interlocuteur qui n’est pas celui que l’on espérait être. Enfin, notre avenir qui ne dépasse pas l’horizon du prochain rendez-vous. Passion simple dépeint toutes ces situations dans lesquelles chacun se donne une posture pathétique volontaire, et enfin, lorsqu’elle le voit, elle est incapable d’apprécier le temps présent, obnubilé par son départ forcément trop proche.
Spectateur, on se questionne alors sur la soumission, ou comment les contraintes sont sources d’attente et de désir. Sur l’idéalisation de l’être aimé. On se surprend à accorder une importance certaine à cette histoire banale, mais oh combien plaisante à écouter.
Le sujet traité un nombre incalculable de fois adopte alors un tour prenant. Marie Matheron, seule en scène, est captivante, elle parle d’une voix grave et posée tout en prenant au fur et à mesure de plus en plus distance de son personnage, ce qui a pour effet de dédramatiser cette aliénation dans laquelle elle nous entraîne et de lui donner une pointe d’ironie délicieuse. Peu à peu, son bel amant devient un cadre parmi d’autres, un abruti qui parcourt les Grands Boulevards fiers de siéger dans sa grosse voiture. Enfin, elle en s’en détache, et, avec seulement du plaisir, le public parcours ce chemin sentimental passionné en toute quiétude.
Pratique : Jusqu’au 7 juin au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs (6e arrondissement). Du mardi au samedi à 18h30. Durée : 1h. Réservations sur http://www.lucernaire.fr/ et au 01 45 44 57 34.
Alice, une merveille en ce pays !
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Plus d’un mois a passé depuis la première … et le succès se confirme pour Alice ! Compote de Prod, ça vous rappelle quelque chose ? Ils étaient à l’origine de « Souviens toi Pan » (http://www.arkult.fr/2011/07/le-pays-de-nulle-part-sinvite-a-paris/) et reviennent plus déjantés que jamais dans cette version revue et corrigée de la non moins fameuse histoire de Lewis Caroll.
Humour, excentricité et bonne humeur : voici trois des ingrédients de cette nouvelle recette made by Compote de Prod (avec des vrais morceaux à l’intérieur …).
Imaginez-vous un instant l’héroïne d’une histoire qui évolue au fur et à mesure de vos agissements … Une rencontre avec un chat, qui apparaît et disparaît à son bon vouloir, ce bon vieux matou du Cheshire (Antonio Macipe); un lapin blanc, toujours pressé, toujours en retard et dont la poursuite réserve bien des surprises (Vincent Gilliéron); des conseils proférés par une mystérieuse chenille (Véronique Hatat); la terrible et redoutée Reine de Coeur (Julie Lemas) qui ne souffre aucune contradiction, aucune question ; et enfin le Chapelier Fou (Hervé Lewandowski, qui apparaît aussi en Lewis Caroll lors de la première scène), qui mérite bien son surnom, les rimes sont son domaine, la théine sa drogue, la nourriture son credo.
Alors seulement vous pourrez comprendre la dose qu’il faut de courage à la jeune Alice (interprétée par la remarquable et remarquée Marie Oppert) pour venir à bout de toutes ces aventures. Mais quelle récompense à la fin de ce merveilleux voyage, car c’est bien d’une quête initiatique dont il s’agit ! Passage nécessaire vers une étonnante maturité, celle de comprendre le bonheur d’être un enfant.
Et de maturité, l’équipe de Compote de Prod en fait preuve à l’occasion de ce deuxième spectacle de leur création. Les décors, les paroles, les arrangements, les costumes … que de chemin parcouru depuis « Souviens toi Pan ! », un cap a été franchi, heureusement l’humour et la simplicité demeurent.
Pratique : Les mardi et mercredi, 19h30, au Théâtre Clavel – 3 rue Clavel – 75019 Paris
Plus d’informations sur www.compotedeprod.com
Auteur : Julien Goetz
Artistes : Marie Oppert, Antonio Macipe, Vincent Gilliéron, Véronique Hatat, Hervé Lewandowski, Julie Lemas, Anthony Fabien
Metteur en scène : Marina Pangos
Des bosses et des bulles
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Il a le look René-Charles quand il arpente les sentiers. René-Charles fait du trail, comprendre : de la course à pied en milieux hostiles.
Adieu le goudron, il laisse ça aux « majorettes ». Lui, il s’attaque à des monts et des montagnes, quand il a la forme. Il aime quand ça grimpe, quand il y a du dénivelé positif et qu’il a eu un prix de gros sur le nombre de kilomètres à parcourir.
Au panthéon de R-C : Killian Jornet, Anton Krupicka et Seb Chaigneau. Son Graal c’est l’UTMB (Ultra Trail du Mont Blanc). Le traileur c’est le randonneur 2.0. Un citadin qui, l’été venu, s’attaque à des challenges en altitude. Un montagnard qui a eu envie de faire carburer ses mollets. C’est un peu tous les coureurs.
Le trail est une discipline relativement confidentielle (8 millions de pratiquants en Europe tout de même) et la BD de Matthieu Forichon permet d’en appréhender les codes. Comme toujours, lorsqu’on observe une vraie galaxie avec ses rites, ses fêtes, son jargon, son alimentation… il est forcément très savoureux de le tourner en dérision.
Pour les « finishers » de la 6000D, de la Saintélyon, de la Diagonale des Fous c’est l’occasion de rire de certains excès. Pour les autres, c’est l’occasion d’une immersion avec des sportifs passionnés.
Après avoir trop longtemps mis en exergue uniquement le dépassement de soi, il est bon d’en revenir à la base : courir pour le kif, prendre son pied (minimaliste ou pas).
Bien sûr que c’est exigeant et pénible mais personne ne le ferait s’il n’y avait pas tous le reste : le paysage, les copains et le saucisson aux ravitos. C’est de ça aussi que parle Matthieu Forichon, de cette ambiance bonne franquette, de cette simplicité et de ce partage.
Comme pour Pénélope (Bagieu) ou Margaux (Motin) tout a commencé par un blog aux illustrations humoristiques. Le blog dont René-Charles est le héros (ou l’antihéros) s’appelle Des Bosses et Des Bulles (DBDB). Et il n’y a pas que R-C, on y retrouve toutes les stars du trail. Des stars qui ne sont ni des divas, ni des péteux mais des gens très accessibles malgré leurs performances imposantes.
Le ton et le trait font mouche. René-Charles est attachant. BIM plébiscite du blog !! Un livre ouvre donc la voie « Premières foulées » (Tome 1). Cette BD ne fait pas seulement rire, c’est aussi très beau, léger et aérien comme la course.
Merci à Vincent qui m’a offert Premières Foulées et permis de découvrir les aventures de R-C 🙂
Affreux, terrible, dramatique Tartuffe !
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Luc Bondy fait ici le choix de nous montrer un Tartuffe moderne. Moderne de par son cadre : la pièce se déroule dans le salon d’un grand appartement froid au carrelage en damier noir et blanc (symbolique de la dichotomie de perception dont bénéficie Tartuffe de la part des membres de la famille ?). Moderne aussi de par son caractère : ici, le faux dévot (joué par Micha Lescot) ose et adopte un comportement de cadet de famille mal élevé qui fait tout pour faire punir ses frères et sœurs. Par exemple, lorsque le fils Damis (Pierre Yvon) vient se plaindre du comportement de Tartuffe, celui-ci se mortifie face au père Orgon (Gilles Cohen), et lorsque ce dernier à le dos tourné, Tartuffe fouette le fils de sa cravate. Ce comportement de « sale gosse » dure jusqu’à la fin de la pièce et prend de multiples formes, jusqu’aux dernières minutes du drame où Tartuffe, arrêté par les autorités, pleure comme un enfant à qui on vient de taper sur la main, après qu’il ait été pincé à la tremper dans le pot de confiture.
Ce comportement gestuel abondamment ajouté par Bondy, donne une dimension dramatique presque œdipienne : Tartuffe séduit le père (adoptif) et le conduit de façon perverse à sa perte pour pour pouvoir coucher avec la mère. Sous cet angle, une sensation d’étrangeté nous capte tout au long de la pièce. Les coups accompagnant les paroles déjà chargée de sens font ressortir la dimension profondément dramatique de ce qui est, à l’origine, une comédie satyrique. Tartuffe est ici un monstre, on rit, oui, mais pas de sa personne ou d’Orgon mené en bateau : on rit pour ne pas compatir au supplice qu’endurent les personnages.
Non, tout n’est pas sombre pour autant, le rire est aussi provoqué sincèrement par les gags de mise en scène. Notamment par la présence récurrente d’une servante muette (Léna Dangréaux), craintive et semblant tout faire pour être discrète : c’est admirablement joué et profondément drôle, elle semble créée à partir d’une fusion entre un personnage de Walt Disney et Tim Burton. Dès son entrée en scène, elle nous capte. D’autres artifices s’ajoutent au fil de la représentation : les bondissement de derrière les rideaux ou le peignoir ringard enfilé par Tartuffe lorsque la mère feint de céder à ses avances pour mieux le piéger fonctionnent très bien… Le drame resurgit néanmoins puisque la scène entre le dévot et Elmire (Clotilde Hesme) va jusqu’au viol quand certains metteur en scène se contente d’un baiser. Bondy pousse la pièce jusque dans ses retranchements tragiques.
Ce texte, qui ciblait les dévots qui truffaient alors Versailles à la fin des années 1660, avait fait scandale à sa création car Tartuffe était habillé comme eux. Elle est encore maintenant l’une des pièces les plus justes par son analyse de l’hypocrisie. Aujourd’hui, lorsqu’on écoute ces vers avec notre sensibilité contemporaine, « le ciel » loué par l’antihéros est le système en place, Orgon fait partie des « braves gens », qui ne voient que ce qu’ils ont envie de voir. On pense à ces parents qui laissent sombrer leurs enfants dans les paradis artificiels et qui refusent d’y voir leur part de responsabilité : ici, Orgon détruit sa fille en la promettant à Tartuffe alors qu’elle aime Valère. Peu à peu, on la voit sombrer dans une affliction touchante. À la fin, lorsque l’huissier vient pour saisir la maison, on se demande si Orgon ne va pas aller jusqu’au suicide.
Dans le programme du spectacle, Bondy aborde justement cette question du « voir et ne pas voir » […]. Tartuffe nous interpelle, que choisissons-nous de voir ? Face à quoi, dans la vie moderne, nous masquons nous délibérément la vérité ? Chacun y trouvera sa réponse personnelle, Tartuffe mis en scène comme l’a fait Bondy, s’adresse à tout ceux-là.
Pratique :Le Tartuffe, jusqu’au 6 juin au théâtre de l’Odéon (Salle Berthier, 17e). Horaires et réservations sur www.theatre-odeon.eu et par téléphone au 06 44 85 40 40.
Deconnexion – Le Film
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Je suis en pleine dépression, ma box reste bloquée en étape 3, le « chenillard » me nargue, tourne en rond depuis 48 heures, l’assistance téléphonique m’assure que mon appel va être pris en compte dans moins de 1 250 minutes, je dois réserver mes billets d’avion, payer mes impôts, mes amendes, consulter mes comptes…. Arrgrrhhh je craque et …. Je me réveille. Non tout va bien, l’heure est bien affichée, 06h32, mon débit internet est rapide, mon pouls revient à la normale, je revis. Il devait s’agir d’une réminiscence de la projection du court métrage Déconnexion…
Dans une chambre au décor post apocalyptique résultat de la rencontre entre Valérie Damidot et Marc-Emmanuel, Théo trentenaire pré-pubère n’a qu’une obsession : rester connecté à son monde virtuel, être le roi en son royaume, pouvoir le maîtriser, mais il en est qu’esclave. Echanges de mails, de SMS, de tchats, ponctués de LOL qui prendront tout leur sens à la fin. Théo joue, ment à Léa sa petite amie, dévore pizzas Gang Bang et sites pornos 4 fromages, puis son beauf Tristan l’appel…
Jérémie Prigent et François Rémond auraient pu réaliser un documentaire de trois heures avec témoins floutés et voix off au ton grave sur la dépendance au web et ses effets secondaires, mais ils ont pris le parti d’un court métrage totalement décalé de 13 minutes. Financé via le site participatif KissKissBankBank [dont 90% consacré à ma rétribution pour l’écriture de cet article (c’est que j’ai des frais merde !)]. Ce court métrage à la réalisation soignée et pointue ne laisse place à aucune imperfection, le moindre détail a son importance et plusieurs projections seront nécessaires pour en percevoir les différents niveaux. Vous l’aurez compris le second degré est le fil conducteur de cette production millimétrée. Une mention spéciale pour les participations de Jean-Claude Dreyfus que l’on retrouve avec bonheur dans ce rôle cynique et Allyson Glado dont la tirade (entre autre) restera à jamais gravée dans ma mémoire.
Après tout ça, je retourne à mes travers, mon compte Facebook, check mes tweets, mate les photos sur Instagram, rafraichi mes 18 boites mails, tombe sur un message d’Aurélia de Côte d’Ivoire, raide dingue de moi, m’assure qu’elle m’aime d’amour contre 15 000 € , ou de Guillaume qui me propose des pilules pour gagner 2 cm minimum, c’est que je n’étais pas complexé jusque-là, mais heu ! Quoi ? Comment ? D’ailleurs je ne connais pas de Guillaume et puis y paraît que ce n’est pas la taille qui compte, c’est un « court-métrage ».
Titre : Déconnexion
Court métrage (2014), durée : 13 minutes
Sélectionné au festival Eiddolon (Lens) et au festival international de Binic (Côtes d’Armor)
Prochaine projection : lundi 14 avril 2014 au bar Le Paname (Paris 11ème)
Réalisation : Jérémie Prigent et François Rémond Scénario et dialogues : Jérémie Prigent
Production : Southwind Productions / Ataraxie Productions
Distribution : Nicolas Ullmann (Théo), Dounia Coesens (Léa), Baptiste Lorber (Tristan), Anna Polina (Anna), Jean-Claude Dreyfus (Vendeur de chiens), Allyson Glado (Petra), Karleine (Irina).
« De Watteau à Fragonard, Les fêtes galantes », l’exposition printanière du musée Jacquemart-André contribue à rendre à la peinture du XVIIIe siècle français une place plus importante auprès du grand public.
Rassemblant des prêts nationaux et internationaux, le parcours suit un fil chronologique. La première salle est consacrée à l’inventeur incontesté de la « Fête galante », Antoine Watteau (1684-1721). C’est lui qui est à l’origine du genre. Comme nous l’indique le panneau de présentation, on retrouve dans ses œuvres champêtres « la tradition de la pastorale ». Celle-ci est née en France à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle. Après un déclin dans la seconde moitié du Grand Siècle, elle connaîtra un retour en grâce à la fin du règne de Louis XIV, et ce jusqu’à la chute de l’Ancien Régime. Sérénité et joie sont les sensations vécues face à ces compositions très vertes, telles « L’accordée au village » de Londres ou « La proposition embarrassante » (Fig. 1) de Saint-Pétersbourg. On y voit les relations galantes entre les personnages rassemblés dans ce qu’on qualifie aujourd’hui de pique-nique et où se mêlent gens de qualité et acteurs de théâtres en costume. Mais il y a aussi de l’humour, du mystère… Lorsque l’on observe attentivement, dans les fonds un peu troubles des œuvres, on aperçoit un ou plusieurs couples à l’écart et dont les occupations n’ont pas de rapport avec les autres habitants de la toile. Chaque personnage, chaque situation a ses particularités, ses finesses, à condition que l’on prenne le temps de les regarder : s’arrêter au premier plan d’une fête galante c’est comme penser avoir goûté un biscuit sans avoir ouvert la boite.
Watteau est un inclassable de son époque. Il n’est pas conventionnel : entré à l’Académie comme peintre d’Histoire, il s’y illustre avec ses « Fêtes galantes ». Connu et apprécié de son vivant, il est solitaire et il aura la particularité de ne pas diriger d’atelier, il n’a donc pas eu de disciple à proprement parler. Le genre de la fête galante lui est propre et les artistes du XVIIIe siècle n’auront de cesse de se l’approprier avec, selon nous, moins de génie. À l’exception de Nicolas Lancret et de son lointain suiveur, Jean-Honoré Fragonard.
Nicolas Lancret (1690-1743) justement trouve sa place dès la seconde salle de la visite, en compagnie de Pater et Lajoüe. Ces peintres qui abordent de manière plus libre le thème de la fête galante y ajoutent des « expérimentations érotiques », nous dit le panneau accompagnant le visiteur. On remarque aussi une surface plus importante laissée à l’architecture, notamment dans le « Pavillon architectural avec vue de coucher de soleil et figures décoratives » de Lajoüe. La fête galante trouve ici refuge dans les villes, il y a plus de profondeur perspective, mais certainement moins de mystère. Le thème se fait plus lisible, presque libertin. À côté de Watteau, le travail de Pater se rapproche de l’esquisse, on le remarque notamment dans la « Fête galante avec cavalière ». Pour Pierre-Antoine Quillard, dans « L’île de Cythère », l’humain et la nature paraissent être un amas. Chez Jean-François de Troy, c’est l’inverse : le trait est trop précis, trop vraisemblable. Hormis Lancret, qui sera peut-être la plus belle découverte pour le public (après les héros du titre de l’expo), aucun ne surpasse ni même n’égale le maître et son art. Néanmoins, toute cette salle a le mérite de fait ressortir l’importance que Watteau a eue sur les peintres de sa génération et les suivantes.
Dans le troisième espace, on peut observer quelques dessins de Watteau qui laissent apparaître son processus créatif. Il n’était pas rare que le peintre compose ses toiles en assemblant plusieurs dessins réalisés parfois à plusieurs années d’intervalles. Une « Femme au papillon » prêtée par le Met de New York mérite particulièrement notre attention, tellement elle est fine et troublante. Plus loin, on retrouve deux aquarelles de Watteau ainsi qu’une sanguine.
Dans les deux salles suivantes, un panneau nous apprend qu’au fil du siècle, « la fête galante tend à intégrer des éléments du réel (…) comme autant de clins d’œil aux spectateurs » au moyen de statues ou de portraits par exemple. Une fête galante d’Antoine Pesne n’est qu’un prétexte à un paysage probablement familier de Freienwalde. On remarque, toujours chez Pesne et aussi chez Lancret, l’ajout aux scènes champêtres de visages connus de la période, car outre le fait de nous enseigner certains us et coutumes du XVIIIe siècle, la fête galante en montre désormais des visages. Une très belle toile, peinte autour de 1727-1728, représente Marie-Anne de Camargo, danseuse, qui était alors au sommet de sa gloire dans le Paris de l’époque (Fig. 2).
Dans la sixième salle, les commissaires rapprochent les travaux de Gabriel de Saint-Aubin à la fête galante. Saint-Aubin est connu avant tout pour ses gravures qui représentent la vie aristocratique du XVIIIe siècle : promenades, concerts dans des jardins, spectacles de théâtre. Celui-ci était un témoin de son époque, son travail presque journalistique et la présence de ces gravures présentent l’avantage de rapprocher l’imaginaire des fêtes galantes d’un réel dans lequel se reconnaissait peut-être la noblesse de l’époque…
Enfin, dans les dernières salles, nous arrivons aux travaux de Boucher (1703-1770) et Fragonard (1732-1806). Dans leurs œuvres, on remarque une complexification des sources d’inspirations. On ne représente plus des Parisiens, mais des Européens. On relève la présence de sujets russes, espagnols (« La précaution inutile »). Mais on remarque également ce qui est un formidable retour aux sources de la fin de la Renaissance : la représentation de bergers et de bergères accompagnés de leurs moutons, qui étaient en fait un jeu de travestissement imaginé pour les élites qui regardaient ces toiles. Dans les thématiques, on retrouve également des sujets chers au XVIIe siècle, comme l’Armide, célèbre tragédie de Lully mais aussi de Gluck, contemporain de Boucher qui est l’auteur de la toile exposée ici.
Le point d’orgue de la visite, fin magistrale, c’est le prêt accordé par la Banque de France de « La fête à Saint-Cloud » (Fig. 3), de Fragonard. Ce format immense (211 x 331 cm) est d’une complexité bien différente des prémices inventées par Watteau. La narration multiple séparant plusieurs groupes dans chaque espace, montre une sorte de « paysage social », la place de la nature par rapport aux personnages marque en quelque sorte l’apogée du genre. C’est ce que cette exposition veut nous montrer, et, en ce sens, elle réussit son pari.
Le musée Jacquemart-André contribue à montrer le XVIIIe siècle, peut-être par l’un de ses genres les plus célèbres, mais sous un jour renouvelé. Cette époque a parfois aujourd’hui la réputation de produire une peinture figée et précieuse : les artistes exposés au musée Jacquemart-André font ressortir toute l’erreur que comportent ces idées reçues.
Un regret avant de partir, mais c’est souvent le cas, vu la taille consacrée aux événements temporaires du musée : c’est un peut court. Mais il vaut mieux rester sur sa faim que d’être trop repu. Notons aussi que les panneaux d’expositions insistent trop sur la « galanterie » des œuvres, sur leur légèreté et pas assez sur leur mystère. Aussi, le parallèle avec le théâtre de l’époque aurait pu être plus approfondi.
Infos pratiques :
L’exposition se tient jusqu’au 21 juillet 2014 au musée Jacquemart-André, 158 boulevard Haussmann, 75008 Paris – Métro Saint-Augustin, Miromesnil ou Saint-Philippe du Roule (M9, M13 et M14), RER Charles de Gaulle-Étoile (Ligne A).
Musée ouvert tous les jours de 10h à 18h. Nocturnes lundi et samedi jusqu’à 20h30. Tarifs : 12€/10€. Site internet : www.musee-jacquemart-andre.com
IDA. Celle qui croyait au ciel, celle qui n’y croyait pas.
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Dans la Pologne des années soixante, Anna, une jeune orpheline élevée dans un couvent s’apprête à prononcer ses vœux. A la demande de sa mère supérieure, elle quitte quelques jours son austère couvent pour rencontrer sa tante, dernier « vestige » d’une famille juive décimée pendant la Seconde Guerre mondiale. En réalité, Anna s’appelle Ida Lebenstein et ce patronyme n’est que la première d’une longue liste de surprises. Sa tante, ancienne procureure stalinienne consomme les hommes et les bouteilles de vodka plus vite que sa nièce n’égraine son chapelet. Ensemble, elles vont se rendre dans le village où vivaient les parents d’Ida pour tenter de comprendre ce qui leur est arrivé. Mais ce que découvre Ida sur les routes de campagne polonaises, c’est moins l’histoire de sa famille que la vie hors du couvent …
Beau et minimaliste, le dernier film de Pawel Pawlikowski (mais le premier réalisé depuis son retour en Pologne) tourne autour de trois personnages. Celle qui croyait au ciel, Ida ( Agata Trzebuchowska), est une nonne juive belle et silencieuse qui n’a connu que les murs gris de son couvent. Les prières, les tâches répétitives et les repas silencieux en réfectoire ne semblent pas la déranger. Extraite contre son gré de ce cocon, elle découvre la violence de son histoire familiale et les charmes d’un jeune musicien. Mutique et lumineuse, elle dégage une étrange présence. Celle qui n’y croyait pas (au ciel), sa tante Wanda (Agata Kulesza) est une « juge rouge », de ceux et celles qui envoyaient à la potence « les ennemis du peuple » pendant les années staliniennes de la Pologne. Dure et meurtrie, elle incarne l’ordre et le désordre de ce pays d’après-guerre tout en grisaille. En enchaînant les clopes, les hommes bedonnants et les verres de vodka, elle cherche maladroitement à se soustraire à une vie de souffrance. Comme sa nièce pourtant, elle ne semble pas faite pour vivre une vie « ordinaire ». Quant à Lis ( Dawid Ogrodnik), le jeune musicien de jazz, il incarne à lui seul tout l’avenir de son pays. Seul autre personnage récurent du film, il offre aux deux femmes une alternative et donne à voir une autre Pologne, plus légère, nécessaire, sans passé et sans attache.
Tourné en noir et blanc, ce road movie surprend par sa beauté et son minimalisme. Chaque plan, chaque image est d’une rare perfection. Lukasz Zal, le directeur de la photographie du film s’essayait pourtant au cinéma pour la première fois. Une réussite. Gage de grâce, le noir et blanc semble s’imposer comme la promesse d’une histoire intemporelle. Finalement, l’image est comme l’intrigue, sans superflu et donc sans ennui. Le film de Pawel Pawlikowski est réussi.
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Pratique : Ida, film polonais en salle le 12 février 2014 (1h19min)
Réalisé par Pawel Pawlikowski avec Agata Trzebuchowska, Agata Kulesza et Dawid Ogrodnik dans les rôles principaux.
La nuit des piranhas au Café de la Gare – Triste réalité …
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Bas les masques. Ainsi pourrait-on résumer la pièce qui se joue en ce moment au Café de la Gare. Un lieu chargé d’histoire pour le théâtre et la comédie moderne. Rien de moins que Coluche y a fait ses débuts sur scène. Et, à l’instar de Coluche, les auteurs de « La Nuit des Piranhas » (Philippe et Cédric Dumond) nous offrent leur vision de notre société moderne. Balancée entre révoltes, injustices, jeux de pouvoir et quête de transparence. Les personnages, au prime abord, répondent à des clichés bien définis dans l’imaginaire commun.
Homme politique véreux qui cherche tous les passe-droits possible.
Prostituée, outrageusement maquillée, tombée pour racolage.
Jeune étudiant altermondialiste en quête d’un monde meilleur, d’une fraternité universelle et développant le même amour pour les forces de l’ordre que ses prédécesseurs soixante-huitards.
Maton irascible, petit chef, n’hésitant pas à user de la force pour faire taire toutes les voix qui pourraient remettre en cause ses convictions.
Puis, petit à petit, dans une pièce bien rythmée, aux assauts des manifestants (c’est jour de révolte nationale), les masques tombent. Les préjugés laissent place à des vérités bien inattendues, et parfois au goût tristement amer pour le spectateur, car tellement proches des histoires de notre quotidien. La société dépeinte dans les médias nous apparaît là dans sa désolante simplicité, et ses valeurs parfois douteuses.
Heureusement, la légèreté du ton et l’engagement des acteurs rendent cette vérité plus supportable, et permettent aux spectateurs de mieux s’indigner des travers et des aberrations contemporaines. La Nuit des Piranhas pourrait concourir à de belles récompenses comiques, si ce n’était ce fond de vérité tragique toujours présent dans les textes. Une belle leçon de société moderne, d’humilité et … d’espoir malgré tout !
Pratique : Auteurs : Philippe et Cédric Dumond Artistes : Julie Cavanna, Benjamin Bollen, Bernard Bollet, Hubert Drac Metteur en scène : Hubert Drac Durée : 75 minute
Du mardi au samedi à 19h Adresse : Café de la Gare – 41, Rue du Temple – 75004 PARIS
Le jour où le mur de Berlin n’est pas tombé…
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Et si, le 9 novembre 1989, le mur de Berlin n’était pas tombé, dans quel monde vivrions-nous ? C’est une petite maison d’édition éphémère, les Uchroniques, qui s’est saisie de la question la première. Composée de quinze étudiants de la Sorbonne, elle publie cette semaine un unique beau livre auquel ont collaboré soixante écrivains, artistes, et illustrateurs: Le jour où le mur de Berlin n’est pas tombé – et tous ceux qui suivirent. En oscilliant entre violence, humour et poésie, cette anthologie de témoignages venus d’un monde parallèle fascinant entraine les lecteurs à la découverte de nouveaux pays, de nouveaux ordres politiques, de nouveaux hommes. Richement illustré et bourré d’humour, cet ovni littéraire a retenu notre attention.
Pour comprendre cette uchronie, nous avons rencontré Guillaume Müller (l’un des éditeurs à l’origine du projet) dans la librairie-galerie Le Monte-en-l’air (71 rue de Ménilmontant, Paris) qui déborde d’étudiants à l’occasion du lancement du livre. A croire qu’une révolution se prépare…
La question qui s’impose: qu’est ce que l’uchronie ?
L’uchronie, c’est un genre littéraire affilié à la science-fiction et basé sur le même modèle que « l’utopie ». L’idée est d’altérer ou de modifier un élément du passé et d’en imaginer les conséquences qui auraient pu suivre. Beaucoup d’auteurs se sont essayés à l’uchronie, de Philip K. Dick à Michel Déon en passant par Éric-Emmanuel Schmitt.
Pourquoi avoir choisi le mur de Berlin?
Tous les ans, les étudiants du Master 2 de Lettres Modernes Appliquées de la Sorbonne doivent réaliser un ouvrage dans le cadre de leur formation. Les éditeurs de ce livre et instigateurs du projet ont tous entre 22 et 26 ans. Nous appartenons tous à la génération de l’après chute du Mur. En novembre prochain, nous fêterons les vingt-cinq ans de sa chute. Parmi nous, personne ne l’a vécue mais c’est un événement à partir duquel s’est organisé le monde dans lequel nous vivons. Il est très présent dans notre mémoire collective. Pour nos parents, c’était hier. Pour nous, Berlin est la capitale européenne branchée par excellence. Il nous semblait important de se poser cette question: où en serions-nous si le 9 novembre 1989 s’était déroulé autrement? Cette année, Emmanuel Carrère est le parrain de notre promotion. Il a lui-même écrit un petit essai sur l’uchronie dans lequel il laisse entendre que la démarche est vaine. En réalité, il dit que l’intérêt premier de l’uchronie, c’est la fiction qui peut en jaillir. Revisiter un événement historique est un formidable moteur de fiction.
A quoi ressemble le monde dans votre livre?
A un monde aussi fou que le nôtre. Tous les extraits se valent, ils ont tous leur tonalité. Certains sont très sombres voire totalement décalés; toutes les oeuvres présentes dans le bouquin sont très fortes. Ca nous a beaucoup amusé en tant qu’éditeurs de voir certains personnages revenir régulièrement dans les contributions : Rostropovitch, le violoncelliste qui a improvisé un concert au pied du Mur ou encore David Hasselhoff qui a chanté « Looking for Freedom » sur le Mur. Ils appartiennent à la mémoire collective que nous avons du 9 novembre 1989 mais que seraient ils devenus si le Mur n’était pas tombé ce jour-là ? Il y a une contribution que j’aime beaucoup pour plusieurs raisons. Notre idée, c’était de recueillir des sortes de témoignages bruts de ces mondes parallèles. Diane Ranville a imaginé qu’en 1994, à la suite de ce qu’on a appellé la « Révolution Littorale », certains pays d’Amérique du Sud se sont ligués avec Cuba pour former les Républiques Unies d’Amérique du Sud. On découvre cette nouvelle configuration géopolitique à travers les extraits de trois journaux différents (Granma, The International Herald Tribune et Le Monde) disséminés dans tout le livre, journaux qui traitent la même information mais avec un regard différent à chaque fois. Elle créée quelque chose d’immersif, elle nous livre un instant réaliste et presque palpable du monde parallèle. Et surtout, on sort de Berlin, on voit bien que l’événement uchronique a des répercussions mondiales. Et puis vous avez entendu parler des mouvements contestataires au Vénézuela en ce moment ? Cet extrait montre bien comment notre livre, même si ce n’est que de la fiction est totalement en prise avec l’actualité.
Peut-on y voir un ouvrage « politique »?
Ca a été notre première crainte: tomber dans le jugement de valeur mais je crois que nous nous en sommes bien sortis finalement. Tous nos auteurs et artistes ont contourné le problème grâce à l’humour ou le second degré. Ca donne à l’ouvrage une tonalité plus pop et décalée que prévue. Certains ont décidé de ne pas se concentrer sur Berlin Est/Ouest et nous emmener au Japon, en Amérique du Sud, aux États-Unis ou même sur l’île de la Réunion, le champ des possibles est immense. Et puis c’est poétique aussi et très illustré. La plupart des auteurs que nous avons choisi de publier sont peu connus , ce qui ne les empêche pas d’avoir un grand talent. Lisez-le, c’est un très beau livre…
Pour revisiter l’histoire avec eux:
Le jour où le mur de Berlin n’est pas tombé, Les Uchroniques, 18 euros, 224 p.
– Site internet : lesuchroniques.fr
– Page Facebook : facebook.com/lesuchroniques et Compte Twitter: twitter.com/lesuchroniques
Du 21 au 24 mars 2014, Stand B23 au Salon du Livre de Paris, parc des expositions. Cinq exemplaires uniques reliés par des artistes diplômés de l’école Estienne et spécialisés dans la reliure d’art y seront exposés et proposés à la vente.
« Chat en Poche » à l’Artistic Athévains
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Avec cette mise en scène de « Chat en Poche », Anne-Marie Lazarini contribue à nous interroger sur la difficulté de jouer Feydeau à notre époque. Certes, ce dernier reste un auteur très populaire et visible. Sa puissance comique n’a pas disparu. Mais tout de même… Suffit-il de le mettre en scène dans un beau décor bancal aux tons gris et aménagé de meubles flashy pour rendre ce vaudeville un tantinet moderne ? En ce qui concerne « Chat en Poche », nous n’en sommes pas certains, tellement l’intrigue sue le XIXe siècle et le parti pris de la mise en scène n’est pas clair…
Qui cela amuse-t-il aujourd’hui, d’assister au désarroi d’un riche industriel de la Troisième République qui cherche à acheter sa postérité auprès d’un chanteur d’opéra (Dufosset), et de suivre celui-ci et ses proches dans sa quête (qui sera forcément un échec), pendant que le jeune premier occupe le cœur de toutes les dames de la maisonnée ? Qui est encore diverti par ces quiproquos entre futurs époux, entre Dufosset et ses femmes, sans oublier les maris de ces dernières ?
On ne peut pas dire que l’on ne rie pas : ces personnages qui se retrouvent enfermés dans des situations inextricables dans lesquelles ils se sont mis tout seul est tordante, surtout lorsque l’histoire est remarquablement servie par la performance des acteurs (en particulier Dufosset, interprété par Cédric Colas). Mais la mise en scène d’Anne-Marie Lazarini vogue dans une sorte d’entre deux eaux entre désuétude et modernité. Les acteurs courent, mais ne sont pas dynamiques pour autant.
Néanmoins, on retiendra quelques beaux effets, la sensation d’avoir passé un moment agréable mais avec cette gène d’un spectacle d’un autre temps qui nous revient tout au long de la représentation.
Pratique :
Actuellement au théâtre Artistic Athévains
45 rue Richard Lenoir, 75011 Paris
Les mardi, vendredi, samedi à 20h30. Le mercredi et le jeudi à 19h, et en matinée le samedi à 16h et le dimanche à 15h.
Durée : 1h20
Réservations au 01 43 56 38 32
En apesanteur …
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Avec son nouvel album « 5 », Paris Combo nous embarque dans une bulle de légèreté et de fantaisie, au delà de toute gravité, quand il nous décrit l’amour, ses passions, ses obsessions, ses souvenirs…
A leur musique toujours poétique, rythmée, aérienne que l’on connaît de leurs albums ‘préhistoriques’ selon Belle du Berry, se mêlent, s’intercalent, de nouvelles perspectives musicales glanées au fil de leurs tournées à travers le monde… et les époques.
Paris Combo sera en tournée pour présenter son nouvel album.
Plus d’infos sur www.pariscombo.com
Nouvel album déjà disponible sur iTunes et Amazon
Quelques vidéos :
Des rencontres réelles pleines d’illusions
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Actuellement, Alexis Michalik a le vent en poupe avec son spectacle, « Le Porteur d’Histoire », toujours à l’affiche du Studio des Champs-Élysées. Le jeune auteur ne s’arrête pas sur cette victoire, puisque sa nouvelle création, « Le Cercle des Illusionnistes » est déjà sur les rails à la Pépinière Théâtre depuis la fin du mois de janvier.
« La vie n’est pas un trait, c’est un cercle », nous disent les héros de ce nouveau spectacle. Un cercle qui fait que tous les personnages suivent un chemin et finissent par se rencontrer d’une manière ou d’une autre dans des époques interposées. Robert Houdin, Georges Méliès, Avril, Décembre, tous ces gens de magie passent sur des traces déjà laissées par d’illustres prédécesseurs. On décolle en 1871, on se retrouve en 1984 puis on repart en 1825. Comme ça, naturellement… Voilà ce que nous montre « Le Cercle des Illusionnistes ». Les accidents de la vie qui créent des rencontres, qui changent un homme, provoquent une symbiose, comme par enchantement.
L’ambiance du spectacle est (presque) ouvertement inspirée de « Hugo Cabret », film de Martin Scorcese sorti sur les écrans français en 2011. La musique aussi nous plonge dans cet univers fantasque où chacun retrouve son âme d’enfant. On assiste à une histoire, et les réussites comme les échecs sont ponctués de tours de magie, dont certains ont fait la gloire de leur créateur. La pièce n’exploite pas ces légendes, elle leur rend hommage sous la forme d’un conte poétique où l’aventure humaine n’est pas mise de côté.
Michalik met en scène lui-même sa pièce de manière cyclique, ingénieuse, pleine de bonnes idées et de dispositifs surprenants. Son utilisation de l’espace amuse et touche, fait ressortir ce lien fictif qu’il veut mettre en avant entre ses héros, et du début à la fin le spectateur est emmené comme hypnotisé dans ces péripéties biographiques teintées d’un humour certain.
Pratique : Actuellement à la Pépinière Théâtre
7 rue Louis Le Grand, 75002 Paris
Jusqu’au 29 mars 2014. Du mardi au samedi à 20h30. Matinée le samedi à 16h.
Durée : 1h40
Tarifs : 12/39€
Réservations au 01 42 61 44 16 ou sur www.theatrelapepiniere.com
Girardot et Schneider, un couple évident
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Dans toutes les professions, dans chaque domaine, chez les communautés de passionnés, il y a des problèmes récurrents. Celui des amateurs de Roméo et Juliette, c’est de savoir si le couple de héros va (pour faire court) tenir la route. Selon les mises en scène, on a pu entendre que la différence d’âge était trop grande, que Juliette était trop vieille (dans la pièce, elle est censée avoir bientôt 14 ans), que le courant passait mal entre les comédiens, que ces derniers sont trop inexpérimentés, etc… Bref, de tous les Roméo et Juliette montés ces dernières années (il y a en a au moins un par saison), celui joué par le couple Ana Girardot et Niels Schneider est certes le plus glamour, mais aussi le plus juste et le plus beau.
Nicolas Briançon transpose l’action de la Vérone du XVIe siècle à ce qu’il semble être le monde de la Prohibition des années trente à New York, et où les Montaigu et les Capulet deviennent deux gangs rivaux (sans pour autant nous faire penser aux Sharks et aux Jets) et le Prince le grand parrain. Ce décalage juste, apporte une certaine modernité visuelle à l’action, tout ce monde évolue dans une scénographie en grisaille et la troupe, nombreuse, est bien orchestrée. Elle donne à voir des scènes collégiales (du bal aux bagarres) dynamiques et brûlantes. La mise en scène est truffée de gags et farces qui font mouche, et les moments plus calmes atteignent même une certaine poésie, car un soin particulier a été apporté à chaque tableau et l’effet s’en ressent sur la vue générale que l’on a du plateau.
La relation nouée entre les deux héros est joliment innocente, sincère. On peut avoir quelques difficultés avec la diction de Niels Schneider (il est québécois), mais lorsque les héros tombent amoureux, cela nous paraît une évidence. Les deux comédiens sont pour la première fois au théâtre et inutile ici de chercher une bonne prise comme au cinéma : la magie opère dès qu’ils se tiennent la main. À la fois rêveurs et conscients du monde dans lequel ils vivent, ici, la plus dramatique, mais aussi la plus belle de toutes les histoires d’amour ne perd rien de sa valeur universelle.
Quelques accents volontairement exagérés sur les seconds rôles et leur présence bien mise en valeur par les coupes du texte nous font également remarquer la très belle prestation de la Nourrice (Valérie Mairesse) et de Frère Laurent (Bernard Malaka). Les autres comédiens soutiennent bien l’action, sans faire d’ombre au couple légendaire.
Un Roméo et Juliette qui fonctionne, c’est une représentation où le public espère que Roméo ne tuera pas Tybalt, où l’on espère à chaque fois que le messager du frère Laurent atteindra Mantoue, où l’on prie pour que Juliette se réveille à l’arrivée de Roméo. Même si l’on connaît la pièce par cœur on est happé, et cette version est une totale réussite, parce que tout l’essentiel y est représenté.
Pratique : Actuellement au théâtre de la Porte Saint-Martin
18 boulevard Saint-Martin, 75010 Paris
Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 15h
Durée : 2h15
Tarifs : 10/52 €
Réservations au 01 42 08 00 32 ou sur http://www.portestmartin.com/
Un vent d’anarchie souffle au Montparnasse
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Dans un décor elliptique, minimal, Jean-Claude Idée (véritable passionné de philosophie) raconte et met en scène sa vision d’un Montaigne rongé par le remord de n’avoir respecté la mémoire de La Boétie. Ce dernier hante les rêves du philosophe vieillissant jusqu’à ce celui-ci assume sa trahison mémorielle. À ce duo, Jean-Claude Idée ajoute le personnage de Marie de Gournay, amante (historiquement supposée) de Michel de Montaigne, mais qui dans la pièce est à l’origine d’une seconde jeunesse pour l’homme de lettres.
Les dialogues, toujours unilatéraux (Marie de Gournay ne voit pas La Boétie), et qu’ils soient entre les deux hommes ou entre Montaigne et Marie, sont drôles et ironiques. La langue utilisée est celle de notre siècle, on l’entend bien. La locution difficiles de ces auteurs de la Renaissance française sont laissés dans les livres et la transcription mise en mots par Idée fait ressortir à merveille la pensée des écrivains sans la travestir. Les propos modérés de Montaigne explosent au contact des idées anarchistes de La Boétie, le premier, d’abord pragmatique et froid, se retrouve face à ses propres contradictions.
Nous voyons ici une réflexion sur le pouvoir politique moderne, sur le goût qu’on a pour celui-ci, ses effets. Elle oppose l’ultraconservateur Michel Montaigne — homme conciliant aux accents hollandistes et effrayé par la liberté — et un La Boétie d’extrême gauche, idéaliste, mais sombre, ne se faisant aucune idée sur le genre humain, car « pour construire une société idéale, il faut idéaliser les gens » alors que nous sommes « au monde pour le changer, non pour en jouir ». Et bien que chargé en citations, on ne tombe pas dans une bête paraphrase du Discours sur la Servitude Volontaire, mais dans une réelle confrontation idéologique entre les deux hommes.
Les acteurs sont excellents, naturels, d’une fougue communicative. Marie de Gournay (Katia Miran) est particulièrement juste dans son personnage de femme espiègle et pleine d’espoir juvénile qui brutalise amoureusement le vieux philosophe. La Boétie (Adrien Melin) est doté d’une ironie jouissive qui fait résonner chaque phrase comme une évidence pour le spectateur. Montaigne (Emmanuel Dechartre), d’abord vieux misanthrope, termine la pièce en amoureux transi après être passé par une multitude de nuances intérieures maîtrisées.
« Parce que c’était lui » est une pièce prenante, bien menée et mise en scène dans le souci de la portée du texte. Spectacle littéraire, didactique et compréhensible, on regrette juste que le public parfois somnolant du Petit Montparnasse ne soit peut-être pas le plus à même d’apprécier la valeur révolutionnaire de cette belle création.
Pratique : Actuellement au Petit Montparnasse
31 rue de la Gaîté, 75014 Paris
Du mardi au samedi à 21h – Dimanche à 15 h
Durée : 1h20
Tarifs : 18/32 €
Réservations au 01 43 22 77 74 ou sur http://www.theatremontparnasse.com/
Greenaway, Goltzius et le porno-biblique
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Après avoir mis en scène Rembrandt dans « La Ronde de Nuit » en 2007, Peter Greenaway a décidé de filmer un épisode de la vie du graveur Hendrik Goltzius dans un film éponyme : « Goltzius et la Compagnie du Pélican ».
Goltzius et sa Compagnie sont à la recherche d’un financement pour créer un atelier de gravure à La Haye. Le Magrave d’Alsace, chez qui ils sont de passage, accepte d’ouvrir sa bourse à une condition : qu’ils lui jouent sur scène durant six nuits les gravures érotiques promises en échange de son investissement. Ces dessins ont pour ambition de mettre en scène six tabous sexuels auxquels correspondent six scènes de la bible : le voyeurisme (Adam et Ève), l’inceste (Loth et ses filles), l’adultère (David et Bethsabée), la pédophilie (Joseph et la femme de Putiphar), la prostitution (Samson et Dalila), et enfin la nécrophilie (Salomé et Jean-Baptiste).
Cet épisode de la vie du graveur est complètement fantasmé, sa biographie nous apprend qu’il a eu les moyens d’ouvrir son atelier grâce à son mariage avec une veuve fortunée. Spectateur à la recherche d’un film biographique, fuis !
Peter Greenaway offre ici sa lecture d’un XVIe siècle complètement débauché et où les mœurs des puissants conduisent aux pires horreurs, en ce sens (et en ce sens seulement), il nous fait penser à une version édulcorée de Salò ou les 120 jours de Sodome de Pasolini. Ce jeu qui débute comme une simple farce pornographique se termine dans le sang, et la morale donnée par le personnage de Goltzius est effrayante de modernité. Cette modernité si essentielle au cinéma de Greenaway qui rapproche incessamment l’Histoire à la vie contemporaine. Les clins d’œil à ce sujet sont permanents, volontairement anachroniques, et ils sont flagrants principalement dans l’esthétique du cinéaste.
Chaque scène est un magnifique tableau. Tout le film a été tourné dans un hangar moderne désaffecté. Le réalisateur y installe, selon les scènes, l’ameublement nécessaire à la narration. Le mélange des genres est très réussi et les couleurs chaudes et sombres du XVIe siècle hollandais se marient à ravir avec les poutres métalliques et les perspectives profondes. La prison est également une réussite en matière de décor, elle est une véritable création piranésienne mise en mouvement. Le mélange des temps se ressent aussi dans la musique de Marco Robino, une sorte de baroque aux accents mélancoliques aussi très anachronique. Le film met néanmoins notre culture visuelle à contribution : les scènes sont parfois entrecoupées par la projection d’œuvres de Goltzius, ainsi que de reproductions picturales d’oeuvres de grands maîtres ayant représenté les péchés joués sur scène par la Compagnie du Pélican.
La mascarade est portée par un groupe d’acteurs justes, dont Goltizus (Ramsey Nasr) se démarque particulièrement dans son rôle de narrateur cynique dont chacune des phrases est parsemée d’ironie et d’humour noir. L’illustre compagnie du Pélican devient dans sa bouche « une petite entreprise d’import-export », la représentation des vices par les peintres : une manière puritaine d’exposer leurs fantasmes à tous (et si Greenaway nous exposer ses fantasmes à travers ce film?)… Cru, piquant, subversif, mais finalement assez sage, ce Goltzius de Greenaway est beau, mais pas transcendant.
Pratique : « Goltzius et la Compagnie du Pélican » sortira sur les écrans français le 5 février 2014.