1

Fanny … Ardente à la Gaité Montparnasse

Ardent comme le désir qu’elle porte à son fils, désir incestueux, désir maternel, désir œdipien
Ardents comme les coups portés, au coeur et au corps de son fils
Ardente comme la colonie qu’elle quitte pour retrouver ce fils aimé, ce fils haï, ce fils désiré, ce fils repoussé.
Un fils parmi quatre autres enfants.
Un fils unique dans le cœur de sa mère.
Un fils en marge de la société.
Loin des Messieurs de ce monde.
Avec pour seul amour sa mère, et pour seul désir la fuite.
Loin des hommes du monde, recherchant la proximité (et l’argent) des femmes du monde.
Et il y a la sœur, absente de scène, mais omniprésente dans la bouche de la mère et dans celle du fils.
La sœur Mimie, pourtant bien laide.
Porteuse de tous les secrets. D’elle viendront toutes les révélations. Tous les déclins. Toutes les déceptions.
Mademoiselle Marcelle fait pâle figure au milieu de ce portrait de famille. Venue de nulle part, n’allant nulle part. Jamais regardée, jamais consultée. Toujours rabrouée.

Affiche "Des journées entières dans les arbres"

En ce 60e anniversaire de la parution de la nouvelle éponyme de Marguerite Duras, Thierry Klifa fait le pari d’une mise en scène classique, austère, légèrement modernisée grâce aux sonorités d’Alex Beaupain (mais en gardant l’original d’Hervé Vilard !). Et c’est une réussite. Quatre acteurs seulement sur scène, aucune fioriture, la salle est conquise, les spectateurs se prennent même à vouloir eux aussi leur part de choucroute lors du repas familial … Et à rêver d’être les enfants de Fanny Ardant (ou à défaut de prénommer leurs enfants Fanny, en hommage … ). Sa prestance, sa présence, l’incroyable mélodie de sa voix nous entraînent à sa suite tout au long de la pièce, dans les méandres des histoires et des drames familiaux.

Après « Oh les beaux jours » en 2013, avec Catherine Frot, c’est Fanny Ardant dans cette nouvelle version de « Des journées entières dans les arbres » qui relève le défi de reprendre un rôle jusqu’alors complètement acquis à la divine Madeleine Renaud. Et à l’instar de Catherine Frot, ça marche ! Alors, n’attendez plus, courez à la Gaité ! 

Pratique :
Des journées entières dans les arbres
Théâtre de la Gaité Montparnasse, jusqu’au 30 mars 2014
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h30
Tarif : de 20€ à 40€

Avec Fanny Ardant, Nicolas Duvauchelle, Agathe Bonitzer, Jean-Baptiste Lafarge
Texte de Marguerite Duras
Mise en scène de Thierry Klifa
Musique d’Alex Beaupain
Photos : Carole Bellaiche




« Comme un arbre perché », amitié transcendantale

Copyright : Photo Lot
Copyright : Photo Lot

Douze ans après leur dernière dispute, Louis (Francis Perrin) vient rendre visite à Philippe (Patrick Bentley) dans sa chambre d’hôpital. Le second, universitaire et écrivain, a été victime d’un AVC dont la séquelle est un « Locked-In Syndrome ». Cet anglicisme désigne une paralysie totale du corps, mais une pleine conscience de l’esprit. Pour s’exprimer, Philippe bat des cils, un pour oui, deux pour non. D’abord effaré, Louis renoue peu à peu le dialogue avec son ami, jusqu’à la mort.

Francis Perrin est ici presque seul en scène. Le spectacle tient sur ses épaules. Les quelques petits dialogues sont ceux de Louis et la belle infirmière (Gersende Perrin). Philippe, lui, est placé de dos, proche de l’avant-scène. Le public se confond avec le mourant et devient, au même titre que l’alité, l’interlocuteur des introspections de Louis. On assiste à l’évolution du personnage principal devant à son ami immobile tout au long de la pièce. D’abord effrayé, au fil de ses visites il arrive à dépasser la maladie pour considérer le paralysé comme son camarade de toujours. Il partage sa solitude, sa tristesse, ses regrets qui jalonnent une vie déjà bien derrière lui. C’est une histoire sincère, simple et humaine à laquelle on participe émotionnellement.

Sans être pathétique, le texte de Lilian Lloyd allie la tristesse d’une mort imminente et l’humour juif le plus caractéristique, où les moments les plus sombres font naître les meilleures blagues. Des larmes montent, mais une fois sorties des glandes lacrymales, elles peuvent tout aussi bien couler de rire.

Face à « Comme un arbre penché », on pense aussi au « Père » de Florian Zeller avec un autre ancien du Français[1. Francis Perrin est entré à la Comédie-Française en 1972 et il en est parti en 1973] : Robert Hirsch. Cette dernière pièce connait un beau succès public et critique au Théâtre Hébertot depuis 2012. Les deux textes partagent une thématique commune : la chute médicalisée d’un homme vers sa tombe et la réaction de son entourage. Les points de vue divergent, mais des questions d’une importante modernité émergent : la fin de vie, l’intérêt de son accompagnement… En ce sens, « Comme un arbre penché » est une pièce modeste et touchante, mais elle s’inscrit pleinement dans l’un des enjeux politiques de notre époque.




« Le Canard Sauvage », dramatique liberté

Copyright : Elisabeth Carecchio
Copyright : Elisabeth Carecchio

Ce n’est pas le premier Ibsen que monte Stéphane Braunschweig, c’est même plutôt une récurrence dans son travail. À chaque fois, il fait ressortir de ce théâtre toute la modernité qu’il possède 150 ans après son écriture. La traduction certes, mais aussi le décor et les costumes y sont pour beaucoup.

C’est l’histoire d’une retrouvaille entre deux hommes : Gregers et Hjalamar. Le premier apprend que son père paye toute sa vie au second. Il se met en quête de lui montrer que tout cela est un gigantesque mensonge dont il est la victime. Une sorte de Truman Show avant l’heure, qui confronte les idéaux humains avec la réalité la plus sordide, mais sans être dénuée d’une certaine ironie.

Le drame se déroule dans deux espaces, tous deux intérieurs à leur manière. Le premier est un immense écran descendu sur l’avant-scène où Gregers discute avec un père de 8 mètres de haut (on décrypte aisément la symbolique !) ; le second est un intérieur qu’on imagine être celui d’une famille modeste du nord-ouest de l’Europe qui offre une belle profondeur sur le grenier du logement. Un grenier transformé en forêt. La scénographie est très réussie, douce et mobile. Elle est un espace de jeu qui soutient les acteurs à merveille et les place, au besoin, dans un déséquilibre autant mental que physique. En même temps, le décor joue avec la perception du spectateur, en se penchant vers lui, on en étant très proche de l’avant-scène. C’est selon…

Dans cet univers, les comédiens campent des personnages très marqués par leur caractère. Tous sont justes, instables : on perçoit l’indicible dualité des êtres en chacun d’eux, l’étrangeté plane sur leurs êtres, ils sont une sorte de Famille Adams Norvégienne et lumineuse. Parfois, ils peuvent être très drôles. C’est le cas pour Claude Duparfait dans le rôle de Gregers, fils mystique et psychopathe, prêt à ruiner la vie de son ancien ami dans une croisade pour sa vérité. Parfois bouleversants, comme le sont les deux rôles féminins principaux joués par Suzanne Aubert et Chloé Réjon.

Ce spectacle est un vrai drame théâtral moderne, prenant, esthétique et vivant qui fait se rencontrer le pathétique et le sublime. Il remet au cœur du spectateur cette question récurrente de l’humain : ne faut-il pas vivre dans le mensonge pour, à défaut d’être heureux, mener une vie paisible ? Chacun doit pouvoir faire son choix.

Pratique :
Jusqu’au 15 février 2014 au théâtre de la Colline,
15 rue Malte-Brun (75020 Paris)
Le mardi à 19h30. Du mercredi au samedi à 20h30. Le dimanche à 15h30.
Durée du spectacle : 2 h 30
Tarifs : de 14 à 30 euros.
Réservations au 01 44 62 52 52 ou sur www.colline.fr

 




Christian Waldvogel, l’imaginaire appuyé sur la science

Metz, ville d’art contemporain ? Il semble que oui. Au moins, en comparaison des autres villes de province de même taille démographique. Certes, le Centre Pompidou flambant neuf [1. Le Centre Pompidou Metz, construit par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines, a été inauguré en 2010.] est collé à la gare. Si l’on vient seulement pour lui, qu’il soit à Metz ou Strasbourg, le visiteur de passage ne ferait pas la différence. Mais si l’on se promène dans la ville, on ne manque pas d’être frappé par l’émulation qui semble s’être emparée des murs. En plus du musée, l’ancienne cité industrielle est dotée d’un centre d’art et de plusieurs galeries… Un dépliant-agenda, coordonné par un galeriste local, arrive même à fédérer tout ce petit monde en direction du public. Et un samedi en période de soldes, ces lieux sont loin d’être déserts…

Installé en Lorraine en 1982, et depuis une dizaine d’année dans un beau bâtiment du centre historique, difficile de ne pas associer le FRAC à cet éveil des consciences artistiques qui semble aujourd’hui porter ses fruits. L’organisme est pleinement assimilé dans ce tissu urbain et participe activement aux échanges[2. On pense par exemple à l’événement Dress Code qui se tient du 30 janvier au 2 février dans de multiples lieux et qui associe le FRAC au Centre Pompidou. Plus d’informations sur : www.fraclorraine.org/explorez/rencontres/271]. À 100 mètres du musée de la Cour d’Or et 500 de la cathédrale, l’équipe du FRAC fait ressortir l’importance de son ancrage dans un lieu chargé d’histoire[3. Le bâtiment d’accueil, appelé 49 NORD 6 EST, est construit sur des fondations du XIIe siècle.].

Eric Chenal © DR
Eric Chenal © DR

L’art comme un vecteur

Entre ces murs, qu’une cour ouvre sur la ville, l’art est un vecteur « pour dire quelque chose au monde, sur le monde, ou pour le changer ». Sa directrice, la très dynamique Béatrice Josse, y tient particulièrement. Ses positions sont toujours très claires, ici l’art ne se regarde pas : il est tourné vers ceux qui l’observent[4. Le Monde a consacré un beau portrait à Béatrice Josse en 2012. Il est consultable ici : http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/02/25/beatrice-josse-femme-flic-de-l-art-contemporain_1648453_3246.html]. Féministe et militante, elle a marqué à plusieurs reprises l’actualité, notamment grâce au FN local qui ne manque pas une occasion de montrer toute son étroitesse d’esprit en scrutant les expositions de la structure et en communiquant dessus à la moindre occasion. C’est aussi Béatrice Josse qui a acheté Le Divorce de Sophie Calle en 1994, c’est encore elle qui investit dans les œuvres dites « immatérielles », comme les performances d’artistes et les installations temporaires.

L’agenda bien rempli est une preuve supplémentaire du dynamisme de ce lieu. On y relève des visites guidées, des projections, des performances débats, des conférences (appelées ici, « rencontres non diplomatiques ») et même des concerts. Tout ça axé de façon cohérente et réfléchie autour de l’exposition en cours.

En ce moment, et jusqu’au 9 février, le FRAC accueille « Si ce monde vous déplaît… ». L’exposition a été construite à partir d’un souvenir, celui du festival de Science-Fiction de Metz qui a eu lieu entre la fin des années soixante-dix et 1986. L’événement avait pris une ampleur suffisante pour accueillir l’écrivain fou Phillip K. Dick, qui aurait révélé à cette occasion être en contact avec des extraterrestres ! Les ponts entre la science-fiction de l’époque de Blade Runner et celle d’aujourd’hui, les sous-genres de SF atypiques, l’anticipation, autant de sujets qui ont servi de prétexte à l’exposition en cours qui fait une large place à l’œuvre de Christian Waldvogel.

Eric Chenal © ProLitteris
Eric Chenal © ProLitteris

Sortir du monde pour le reconstruire

« Si ce monde vous déplaît… », et bien vous n’avez qu’à en créer un autre ! Voilà le message de l’artiste suisse. Lui propose quelques idées, des solutions, mais sans doute encourage-t-il aussi le public à trouver les moyens de changer le monde comme il le souhaite.

Bien que n’ayant jamais élevé un immeuble, Christian Waldvogel est architecte de formation. Il en a conservé le goût pour la recherche et la documentation. Tout son travail est construit sur des fonds importants. Des ouvrages viennent en témoigner, l’un détaille le projet Globus Cassus, avec lequel il a représenté la Suisse à la Biennale de Venise en 2004. Cette œuvre qui utilise des media multiples (vidéo, maquette, livre…) est une proposition pour recycler la Terre afin d’en construire une autre. Tout ce projet nous est montré de visu, mais l’artiste va jusqu’à en inventer le système politique qui le gouvernerait ! C’est une constante dans son travail : il fouille, creuse, explore, surtout l’Espace dont l’infini ne l’effraie pas.

« L’Espace est mon atelier, la Terre et les autres corps célestes mes matériaux », c’est comme ça que Waldvogel définit son travail. Il mélange la science et l’imaginaire. Mieux : il donne à son imaginaire un poids scientifique en exposant les travaux mathématiques ou physiques qui les accompagnent. Où un artiste n’aurait qu’à nommer une chose pour qu’elle existe, lui préfère créer une sorte « d’imaginaire rationnel » passionnant. Il créé le « Pôle Ouest ». Il est calculé, montré (aux alentours d’Hong Kong) et, à la manière d’un Fabrice Hyber, le public peut suivre le processus de création au moyen des documents affichés à proximité de la création. On apprend, avec passion, mais prudence, n’ayant pas forcément le bagage technique pour comprendre les données affichées. On suit l’artiste, encore ballotté entre ces deux composantes : l’infiniment crédible et l’infiniment rêvé de l’Espace.

Photos, vidéos, sculpture à la forme météorique, les œuvres de Waldvogel partagent une esthétique assez morne, grise. Peut-être en ce sens sont-elles plus scientifiques dans le rendu visuel qu’elles ne le sont dans leur contenu. On ne fait pas la différence entre l’œuvre et la documentation. La documentation fait partie intégrante de l’œuvre, contribuant ainsi à son apparence matérielle, sans faire perdre de force aux idées.

Eric Chenal © ProLitteris
Eric Chenal © ProLitteris

Le rejet de l’anthropocentrisme au profit d’un monde qui se regarde de l’extérieur. Voilà ce que l’on retient de cette visite. Comment sortir de son corps pour définir une autre réalité du domaine du probable ou au moins du possible ? L’œuvre la plus caractéristique en ce sens est « La terre tourne sans moi »  où l’artiste se filme dans un avion supersonique qui, tournant à la même vitesse que la terre en sens inverse, voit la planète effectuer sa rotation sans lui. Partout, on ressent ce désir de vivre dans un espace dont il serait l’artisan.

Lui fait le choix de la noirceur. Sans oublier que la face sombre peut cacher des surprises. Comme ce mythe pythagoricien d’Antichton que Waldvogel met en scène dans une sculpture. Ce conte imagine la Terre tournant autour d’un feu sacré et ayant un pendant qui tournerait à la même vitesse à l’exact opposé d’elle, ne pouvant ainsi jamais la voir, agissant comme un contrepoint à notre planète. C’est là toute l’oeuvre de Christian Waldvogel : un contrepoint artistiquement scientifique qui nous arrache à notre monde pour nous forcer à le recréer.

Pratique : l’exposition se tient jusqu’au 9 février 2014 au FRAC Lorraine, 1 bis rue des Trinitaires, Metz. Informations disponibles sur http://www.fraclorraine.org/.




« Platonov » en queue de pie et au vin rouge

Copyright : Benoit Jeannot
Copyright : Benoit Jeannot

Platonov est une pièce qui pourrait se résumer assez simplement : dans une commune de la Russie rurale où tout le monde s’ennuie, un homme chamboule les habitudes des villageois à tel point que nul ne vivra plus jamais comme avant. Un héros créateur de scandale, critique des pères, provocateur qu’aucune convention n’arrête… Benjamin Porée respecte l’essence de la pièce et nous en propose une lecture très esthétique.

C’est le gigantesque espace des Ateliers Berthier qui sert de cadre au drame. Ce qui frappe avant même le début de la représentation, c’est l’utilisation de la scène par le décor. Cette sensation de profondeur nous habite du début à la fin. Elle est une composante essentielle de la mise en scène[1. Le spectacle a été créé le 11 mai 2012 au Théâtre de Vanves]. Benjamin Porée est lui-même l’auteur de cette scénographie dans laquelle il a orchestré ses acteurs. Le parti pris n’est pas au réalisme : la première action pourrait se situer dans un jardin du sud de la Russie comme dans la cours d’un mas de Provence. Chaque image qui compose les tableaux qui se succèdent est très réussie. La première partie du spectacle est collégiale : jusqu’à une quarantaine d’acteurs viennent occuper le plateau pour le bal. Puis, la cour d’école est occupée par une forêt de balançoires qui descendent du plafond. Enfin, le dénouement se déroule dans le salon du domaine familial, pièce meublée dans une ambiance Belle Époque déglinguée où une immense peinture abstraite fait office de toile de fond. Toutes ces images sont mises en lumière magnifiquement par Marie-Christine Soma, qui, avec ce qu’il semble être une simple ampoule, nous fais basculer de la liesse populaire à la tristesse intime des personnages.

Dans cette succession de décors, les comédiens évoluent et montent en puissance dans leur jeu tout au long du spectacle.

Un démarrage difficile pour une fin réussie

Car dans les premières scènes, les textes sont dit mécaniquement, les personnages (hormis Platonov) ne se démarquent pas les uns des autres, les actions sont molles et manquent de motivation… Mais après peut-être est-ce un choix de Porée pour représenter dans quel ennui ces villageois sont agglutinés. Si tel est le cas, le but est atteint : pendant la première heure, le public s’ennuie autant que les personnages.

Puis, le banquet arrive. D’une manière générale, cette scène bien composée mais manque un peu de folie : c’est très sage. La volonté d’une démarcation générationnelle ne ressort pas. Ici, la révolution des consciences se fait au vin rouge, pas à la vodka. On y voit Platonov comme une sorte de Valmont bas de gamme qui planifie ses conquêtes de la nuit à venir. Tout cela manque de naturel, de distance, et peut-être même d’une certaine grandeur. Néanmoins, on sent un changement à venir, une nouvelle étape de la montée en puissance grâce à la scène où la générale Anna Petrovna se déclare à Platonov.

À partir de cet instant, la suite de la pièce est sans faux-pas. On est véritablement surpris, Sofia Iegorovna (Sophie Dumont) fait enfin ressortir son talent face au héro, Sacha (Macha Dussart) est particulièrement touchante dans l’attente de son mari dont elle ressent la tromperie… Cette lancée se poursuit après l’entracte où la chambre du héros ressemble à la pièce d’un squat. Enfin ! Moins de sagesse, plus d’insalubrité. On gagne véritablement en profondeur de jeu : le contraste d’avec la scène d’exposition est surprenant. On ressent désormais la sensation des personnage : celle de n’être personne et la colère de ne rien pouvoir y changer. On ressent cette douleur dûe à désillusion collective, on partage cette prise de conscience générale de subir une vie de merde qui nous colle  la peau, jusqu’à l’explosion finale.

Ce qui avait commencé comme un cauchemar se termine comme un joli rêve pour le spectateur, et si cette création n’est pas parfaite, elle a le mérite d’être réussie.

Pratique :
Jusqu’au 1er février 2014 aux Ateliers Berthier,
14 boulevard Berthier (75017 Paris).
Du mardi au samedi à 19h00. Le dimanche à 15h
Durée du spectacle : 4 h 30 [avec un entracte de 30 minutes]
Tarifs : de 6 à 30 euros.
Réservations au 01 44 85 40 40 ou sur www.theatre-odeon.eu.




« Une femme, une pipe, un pull » … Drôles de pubs !

« Une femme, une pipe, un pull »
« J’aime ma femme. J’aime la Kronenbourg. Ma femme achète la Kronenbourg par six. C’est fou ce que j’aime ma femme. »
« Babette. Je la lie. Je la fouette et parfois elle passe à la casserole. »

Blagues potaches d’un humoriste en mal de reconnaissance ? Brèves de comptoir entendues dans un relais routier ? Que nenni !
Il s’agit là d’un échantillon (représentatif ? à vous de juger) des coups de pubs qu’a connu notre société durant le dernier siècle.

On dit souvent que la publicité est l
e reflet de notre société, qu’elle met en lumière ses travers, ses préjugés, ses secrets même. Si cela est avéré, alors je vous le demande, dans quelle société vivons-nous ? Et malheureusement, fort est à parier que ces 150 reproductions de publicités sont autant de miroirs de l’esprit de notre société et de son évolution à travers les âges.

Mais rassurez-vous, les quelques extraits sus-cités ne sont en rien exhaustifs de la variété des messages hautement informatifs transmis au travers de cette grosse centaine d’affiches publicitaires. Le sexisme et la mysoginie y sont certes souvent présentes, mais elles y côtoient la provocation (parfois à l’excès, à l’image des campagnes commerciales de Benetton), les détournements d’oeuvres d’art ou de photos de célébrités, la parodie, et les messages prétendûment scientifiques (diverses promesses : grandir en quelques mois de plusieurs centimètres, suppression des rides en 25 minutes, dissolution des poils disgrâcieux en 3 minutes, …).

Vous l’aurez compris, le florilège des 150 publicités proposé dans l’ouvrage « Drôles de pubs » est une véritable plongée dans le passé. Elles retracent l’évolution des mentalités, des moeurs, bref … de nos vies, de celles de nos parents et grands-parents … Bien malin qui saurait dire à quoi ressemblera un ouvrage similaire dans 50 ans !

Publicité Kronenbourg

 

Pratique
Drôles de pubs, aux éditions Larousse
160 pages, broché, 12,90 €
ISBN : 2035896304




Spamalot, c’est Graal docteur ?

Prenez une coupette âgée de 2000 ans, un PEF* au meilleur de sa forme, le film « Sacré Graal », secouez le tout et vous obtenez SPAMALOT à Bobino ou L’adaptation française de la comédie musicale anglaise du même nom, inspirée du film des Monty Python, déjà montée par le même déjanté PEF en 2010, vous suivez ? Vous en voulez encore ? Alors je synthétise : SPAMALOT c’est 18 comédiens, 46 personnages, 180 costumes, plus de 2h de fous rires et un lapin carnivore.

Spamalot2

L’ex-Robin des Bois, fort de son dernier succès cinématographique avec « Les Profs », revêt de nouveau ses collants, sa cotte de maille et arbore une épée flamboyante (au sens propre), entouré par une cour de seconds rôles qui n’ont de second que le nom. En effet, PEF sait s’effacer au profit de ses preux chevaliers, notamment Galahad (ce soir-là Florent Peyre) blond platine hilarant ou d’une dame du Lac tantôt sexy, tantôt acariâtre en mal de notoriété. Même si la table est ronde, les répliques sont saillantes, la légende Arthurienne prend un « sacré » coup et le public en redemande, rien n’est épargné, pas même Monsieur Pokora, c’est dire !

Qui dit comédie musicale dit musical : chaque scène est enrobée avec plaisir et talent par des chanteurs, qui feraient rougir une Céline Dion de fin de tournée, et des danseurs, qui feraient passer « Danse avec les stars » pour une kermesse d’école communale (attention, j’ai une très grande tendresse pour les kermesses !). Les décors, mix entre châteaux, créneaux et cabarets, renforcent cette atmosphère chevaleresquo-dansant. Evidemment, quelques cascades surprendront les moins aguerris, mais que serait une comédie de PEF sans chute de trois mètres de haut ou murs dans la gueule !

Vous l’aurez compris, cette quête de Graal n’est prétexte qu’à une bonne rigolade entre potes mais il ne faut pas s’y tromper, pour que la magie opère la mise en scène doit être tirée au cordeau, et en cela PEF excelle.

Alors, que vous alliez au théâtre une fois par an  ou dix fois par mois, n’hésitez plus et courez applaudir ce Spamalot sauce frenchie. Et à ce qui n’aimeront pas, je conseille Robin des Bois et une cure de Biactol !

 

* Pierre-François Martin-Laval

 

SPAMALOT

Jusqu’au 17 avril 2014
Genre : Comédie Musicale
Bobino / 14 - 20 rue de la Gaité 75014 PARIS
Produit par Daniel Tordjman et Arthur Benzaquen
Adaptation et Mise en scène de Pierre-François Martin Laval
Direction Musicale : Raphaël Sanchez
Chorégraphie : Stéphane Jarny
Décors : Franck Schwartz
Costumes : Jean-Michel Angays
Distribution:
Arthur : Pierre-François Martin-Laval
La Dame du Lac : Gaëlle Pinheiro ou Claire Perot
Galahad : Arnaud Ducret ou Florent Peyre
Robin : Christophe Canard
Bédévère : Pierre Samuel
Lancelot : Philippe Vieux
Patsy : Andy Cocq
L'historien : Laurent Paolini

 




Vivre, par défi ou par dépit

 

Photo : Pierre Dolzani
Photo : Pierre Dolzani

C’est dimanche dans cette ville de l’est de la France. La dernière mine de charbon a fermé. Elle sera désormais un parc d’attractions. De cet événement naissent neuf histoires (qu’on imagine parmi tant d’autres) qui vont se dérouler devant nous. Neuf « tranches de vies » dans un pays sinistre, délabré, oublié par le monde moderne et le capitalisme financier. « Entre-temps j’ai continué à vivre » expose les blessures des habitants de cette bourgade. Mais la pièce montre aussi comment la vie suit son cours, que ce soit par désir ou par dépit.

Deux sœurs se retrouvent, l’une est partie de sa ville natale depuis longtemps. Elle ne s’est pas donnée la peine d’accompagner son père, mutilé par la poussière âcre des galeries, jusque dans sa tombe. L’autre le lui reproche et refuse de voir en elle une personne qu’elle aime. D’anciens collègues se retrouvent, parlent d’histoires d’amour, de vieilles rancœurs en sortent… Ces espèces de contes qui pourraient nous faire penser à des « Strip-tease » des années quatre-vingt-dix sont soutenues par des comédiens au jeu très réaliste (bien que la scénographie propose un décalage : c’est une sorte de carré pentu trônant au cœur de la scène dont les acteurs font tour à tour un mur, une pente de jogging ou le sol d’une chambre).

Mais attention, ce n’est pas qu’une suite de sombres drames auxquels nous assistons. Le texte contient de nombreuses touches d’humour et de cynisme, de l’amour raté et une mise en dérision des conventions sociales dans lesquelles sont souvent représentées (et caricaturées) les classes populaires.

Entre chaque scène, la lanterne rouge de l’ancienne mine scintille, comme un fantôme, un souvenir obscur qui a marqué l’âme des personnages au fer et qui plane au dessus de leur vie, inexorablement. Et nous, spectateurs, on explore les souvenirs comme les mineurs des galeries, à la recherche d’une matière pour se réchauffer, ou dédramatiser.

 Pratique :
Jusqu’au 2 février 2014 dans la salle Rouge du Lucernaire,
53 rue Notre-Dame-des-Champs (75006 Paris).
Du mardi au samedi à 21h30. Le dimanche à 17h
Durée du spectacle :1 h 10
Tarifs : de 15 à 30 euros.
Réservations au 01 45 44 57 34 ou sur www.lucernaire.fr.

 




Bonne nouvelle, Frédérick Sigrist refait l’actu !

Un soir d’hiver. Le Funambule Théâtre à Montmartre.
Et funambule, Frédérick Sigrist en est un.
Pas de filet de secours.
Une heure et demie de numéro d’équilibriste.
Droite, gauche, et même centre.
Tout le paysage politique y passe.
Et personne n’est épargné !

Humoriste.
Acteur.
Imitateur.
Sportif (si si!).
Mime.
Il nous dévoile toutes ses personnalités.
Et même un peu de son intimité.
Sa famille (réelle et politique).
Ses amis (très peu en politique).
Ses origines (méfiez-vous des évidences).

Des sketchs qui s’enchaînent.
Le rythme ne retombe pas.
Les zygomatiques s’affolent.
Et finalement perdent prise.
Trop c’est trop.
Impossible de résister.
Le fou rire est libéré.
Lâché dans la nature.
A peine le temps de reprendre son souffle.
Que déjà le rire revient.
Seule accalmie possible : le tomber de rideau.

Une heure et demie a passé.
Pas un instant le rire n’a cessé.
(Bon, ça c’est pour la rime.
En fait, quelques instants par ci par là.
Pour la bonne santé de son public.)

Déjà des moments cultes en tête.
Qu’on se prend à répéter à la sortie.
Et qu’on se surprend à répéter des jours après.
« On me dit que … »

On me dit que ce monsieur ira loin !

Pratique
Frédérick Sigrist refait l’actu
Théâtre : Funambule Montmartre
Tous les vendredis et samedis à 20h.
Tarifs : entre 11,50€ et 20,50€
Réservations : www.funambule-montmartre.com et par téléphone : 01.42.23.88.83

 

Frédérick Sigrist - Affiche du spectacle

 

 




Benjamin Barou-Crossman : « L’avant garde, c’est un acteur et un texte ! »

 

Benjamin Barou-Crossman / Photo : Hadrien Volle
Benjamin Barou-Crossman / Photo : Hadrien Volle

Benjamin Barou-Crossman est un jeune acteur et metteur en scène, né en 1983. Il a étudié à l’école du Théâtre National de Bretagne (Rennes) de 2006 à 2009. Il dirige actuellement Mireille Perrier dans « Jeu et théorie du duende » de Federico Garcia-Lorca au théâtre des Déchargeurs jusqu’au 21 décembre 2013.

Arkult.fr : Dans votre travail, il y a une sorte de fil rouge que vous appelez la « culture gitane ». On la retrouve sous plusieurs aspects dans vos créations. On pense à cette mise en scène de textes d’Alexandre Romanès au Conservatoire de Montpellier en 2012, mais aussi au spectacle que vous présentez actuellement aux Déchargeurs : Jeu et théorie du duende. Vous n’êtes pas ce qu’on peut appeler un gitan de naissance[1. Les parents de Benjamin Barou-Crossman, Jean-Pierre Barou et Sylvie Crossman sont les fondateurs de la maison d’édition « Indigène », connue notamment pour avoir été à l’origine de la diffusion du texte de Stéphane Hessel, « Indignez-vous! ».], alors comment s’est établi le lien entre cette culture et vous ?

Benjamin Barou-Crossman : Pour comprendre ce lien, il faut revenir à mon enfance. Petit, j’ai beaucoup voyagé avec mes parents vers des sociétés non-occidentales car ma mère était correspondante au Monde [2. Sylvie Crossman a été envoyée spéciale à Sydney.]. J’ai été en contact avec les Aborigènes en Australie, les Navajos aux États-Unis, entre-autre… Sans être ethnologues ou anthropologues, mes parents se sont passionnés pour l’art Aborigène. Ils ont été les premiers en France à monter des expositions à Paris et à Montpellier sur ce type d’art[3. L’exposition Peintres aborigènes d’Australie s’est tenue du 25 novembre 1997 au 11 janvier 1998 dans la Grande Halle de la Villette à Paris.]. Dans cette culture, vie et art sont inextricablement liés : l’art peut soigner par exemple. Enfant, dans certaines cérémonies, j’ai pu observer une théâtralité, avec de la mise en scène, de la mise en danger… En fait, tout ce que j’aime voir dans le théâtre était déjà là.

Comment cela vous est-il revenu dans votre vie d’adulte ?

Lorsque je suis revenu en France et après mes études au TNB, quand j’ai commencé à travailler à Paris, il me manquait ce lien entre art et vie. Il me manquait l’aspect humain dans le travail de la scène, celui du risque, de la chaleur, du partage, de la dépense… Je me suis mis en quête de tout cela, et c’est dans la culture gitane que je me suis retrouvé.

Était-ce par hasard au coins d’une rue ? En rencontrant un travail en particulier ?

C’est grâce aux petits haïku écrits par Alexandre Romanès parus chez Gallimard, ces textes m’ont profondément touché : j’y voyais le monde de mon enfance, le partage. Cette société qui ne laisse pas autant de place à l’argent. Dans cette culture, la monnaie n’est pas une valeur, c’est l’humain qui prime. Contrairement aux occidentaux et comme dans la société aborigène, la société gitane est matriarcale, et tous les membres sont des créateurs, des artistes.

Est-ce la liberté qui  vous attire chez les gitans ? Comme un moyen de soigner le monde moderne ?

Bien sur, il y a un lien a établir pour ça entre eux et l’Occident. Par la suite, j’ai rencontré Alexandre Romanès, nous nous sommes liés d’amitiés et je me permet de penser que c’est grâce à nos valeurs communes. Chez lui je retrouvais des éléments de mon histoire qui, je pense, me permettent de m’inscrire dans une continuité logique.

Etes-vous allé plus loin qu’une rencontre ? Vous-êtes vous immergé dans cette culture ?

Oui. J’aime leur idée de la famille, qui est élargie, collective. On est pas dans un schéma père, mère, fils, fille : c’est ouvert. Peut-être que celui qui remplira le rôle du père, sera l’oncle ou l’ami. Du côté occidental, c’est difficile d’avoir des rapports sains avec ses parents, il y a toujours une mémoire, une névrose, que la famille élargie permet de résoudre. J’y ai retrouvé la théâtralité, je crois que dans mon théâtre, et c’est ce à quoi je tend, j’aime l’excès. Et à la fois j’aime aussi l’épure totale, les plateaux vides où le spectateur a la possibilité de penser, de rêver, de s’interroger, car surtout il ne faut pas dire au spectateur ce qu’il faut penser. Cette liberté permet de ramener le spectateur à son intelligence, alors que malheureusement le monde moderne n’a de cesse par de multiples attraits de faire en sorte qu’on ne pense plus par nous même, pourtant c’est capital si l’on veut être heureux.

La liberté fait partie intégrante de votre travail, est-ce le seul aspect que vous intégrez ? Comment la culture gitane devient-elle outil d’interrogation ?

Je l’intègre aussi dans le rapport scène-salle. Au cirque Romanès, il n’y pas de différenciation. Comédiens et spectateurs ne font qu’un, donc il n’y pas un qui sait et l’autre qui ne sait pas. Ensemble, tous partagent une expérience. Cette dimension est importante dans mon travail. Dans Jeu et théorie du duende, la salle reste allumée un long moment au début du spectacle. À un instant donné, Mireille vient dans la salle, elle s’intègre au public. Je lui demande d’être au service du poète, donc de ne pas faire sentir aux spectateurs que « c’est comme ça qu’il faut penser », parce que cela nous éloigne de lui. On s’interroge ensemble, c’est comme ça qu’on avance.

En somme, c’est une expérience commune où chacun évolue ?

Par le biais du poétique, on atteint le politique. Et ce n’est surtout pas par une démonstration du politique qu’on atteint le politique. Dans ce type de travail ça finit toujours par les bons d’un côté et les méchants de l’autre, or notre monde est beaucoup plus nuancé. Dans Jeu et théorie du duende, Lorca relie malheur et bonheur, il relie mort et vie. Tout les jours on renaît. Il relie aussi les cultures, l’Espagne de Garcia-Lorca c’est l’Espagne arabo-andalouse, c’est l’Espagne du mélange, c’est ce qui rendait fou les phalangistes et les franquistes ! Le spectateur peut trouver avec ce texte une résonance avec ce qui se joue aujourd’hui dans un monde où les peuples sont séparés, les âges sont séparés. Alors que non ! Je peux avoir des amis de 90 ans et d’autres de 20. Je n’ai pas envie d’entretenir un racisme de l’âge ou des cultures. Je repense à la phrase de Montaigne : « un honnête homme est un homme mêlé »[6. Montaigne, Les Essais, Livre III, Chapitre IX].

Benjamin Barou-Crossman / Photo : Hadrien Volle
Benjamin Barou-Crossman / Photo : Hadrien Volle

 

Comment as-tu rencontré le texte de Garcia-Lorca ?

C’est un texte que Stanislas Nordey nous a fait lire lorsque j’étudiais au TNB. Il m’avait déjà bouleversé. Ensuite, Mireille Perrier m’a mis en scène dans un spectacle en 2012[7. « J’habite une blessure sacrée », voir notre critique ici]. En cadeau de première, elle m’a offert Jeu et théorie du duende. J’y ai vu comme un signe. Je ne crois pas en la fatalité, mais je pense que les choses les plus fortes de notre vie adviennent car on est disponible et ouvert. Cela n’est pas de l’ordre de la volonté, du « je veux, je veux ». Quand on veut trop quelque chose, on finit par s’en priver. On ne contrôle pas ce qui nous arrive et là ça s’est fait naturellement.

Qu’est que le duende ?

Le duende c’est le feu sacré, la flamme, le supplément d’âme. Quelque chose que la technique n’apportera jamais, ou alors au moyen d’une technique tellement maîtrisée que, à un moment, on peut atteindre ce feu. Mais c’est quelque chose qui ne se répète jamais, d’imprévu et d’imprévisible. Là aussi est le lien avec la culture gitane. Les gitans sont dans la vie, dans l’instant. S’ils ont envie de chanter à minuit, ils chantent ! Il n’y a pas de cadre qui les enferme, ça peut être ça le duende. Chez Garcia-Lorca, c’est aussi ce qui m’a beaucoup touché. C’est moi qui le lit ainsi, mais il me semble que le duende sublime la douleur du poète. La joie se reconquiert à chaque instant et pour cela, il faut aller la chercher au fond des tripes. Donc cela remue, cela fait mal, il peut donc il y avoir de la douleur dans le duende. Je repense à cette phrase de Genet : « on est pas artiste sans qu’un grand malheur s’en soit mêlé »[6. Jean Genet, Le Funambule.]. Je pense ici à Garcia-Lorca, ce n’est pas de l’ordre de ma petite histoire personnelle, pour ça il y a la psychanalyse !

Mais chaque metteur en scène met un peu de lui à travers le texte de l’auteur…

Inconsciemment, peut-être, mais la base du théâtre reste le texte et l’acteur.

Ce n’est pas un peu réactionnaire que de penser encore cela aujourd’hui ?

Bien sur que non ! L’avant-garde dans nos années c’est un acteur et un texte. Aujourd’hui on met de l’image et de la vidéo de partout. Je milite pour un retour à l’essentiel. Sinon qu’ils aillent faire du cinéma ou des performances ! Les grandes histoires du théâtre viennent à la base du texte et de l’acteur non ? Le fait de ne pas imposer d’image ça n’empêche pas d’intégrer de l’imaginaire au spectacle. Le metteur en scène est au service du texte, c’est là où il existe le plus.

À propos de l’existence du metteur en scène, vous remerciez Claude Régy dans la feuille de salle. Lui connait bien la formule « un acteur et un texte ». Quelle est sa contribution à votre travail ?

Il m’a conseillé, m’a reçu chez lui pour parler de mise en scène. L’un des premiers textes qu’il ait monté c’est justement un Garcia-Lorca : Doña Rosita. À ce propos il m’a dit, « qu’est-ce que j’étais naïf à l’époque » (rires). Il a vraiment la sagesse des gens qui se sont construit leur expérience en osant.

Quels outils retenez-vous de Régy pour votre travail ?

Qu’il faut oser se planter ! Se lancer pleinement car entre deux eaux, tu es mort. Qu’il faut aller au bout de ce tu penses comme étant juste. Il m’a aussi rappelé que l’un des défauts des jeunes metteurs en scène, c’est que l’on veut trop montrer qu’on existe au moyen d’artifices qui font perdre de vue l’essentiel. Enfin, il m’a appris une chose importante en matière de direction d’acteur : tu ne peux pas faire faire à ton acteur quelque chose qu’il ne veut pas faire. Car même si tu le force, il le fera mal, consciemment ou non il y aura toujours une gêne dans sa façon de jouer ce moment là. C’est important d’entretenir le dialogue avec le comédien, celui-ci peut t’emmener sur un terrain que tu n’aurais peut-être pas soupçonné et que cela te semble juste. Il faut avoir l’humilité de se déplacer soit.

Pratique : Jeu et théorie du duende de Federico Garcia-Lorca. Au théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, 75001 Paris. Du mardi au samedi à 19h30. Durée : 1h15. Tarifs : entre 10 et 24 euros.




30 ans du FRAC Champagne-Ardennes : une odyssée souterraine

 

Pommery

Jack Lang a créé les FRAC [1. Fonds Régional d’Art Contemporain] en 1982. Celui de Champagne-Ardenne a été doté deux ans plus tard, en 1984. Nous fêtons donc cette année ses 30 ans. Trois décennies d’acquisitions, de travaux d’artistes nationaux et internationaux, de manifestations à destination du public… Trois décennies qui sont « compilées » en une belle exposition, magnifiée par un cadre pour le moins étonnant : les caves de la maison Pommery [2. C’est la 11e fois que les caves Pommery accueillent une manifestation en ses murs, chacune est baptisée « Experience Pommery », l’occasion de se renouveler à chaque fois. Pour cette nouvelle aventure, Pommery a ouvert un nouvel espace d’exposition sur son site].

Ce lieu a été aménagé au XIXe siècle par la veuve Jeanne-Alexandrine Pommery. À elles seules, elles méritent la visite… En bas d’un escalier gigantesque qui nous fait descendre à plusieurs dizaines de mètres sous terre, les galeries se succèdent. Lorsque l’on est si profondément enfoui, on entend et on voit différemment. Et même si ce sont seulement quelques centaines de mètres de ce dédale mystérieux [3. Il y a en tout 18 kilomètres de souterrains] qui accueillent les œuvres, l’ambiance est magique, habitée par les diverses formes d’art qui tiennent compagnie aux hauts-reliefs d’époque XIXe.

Trente ans, trente œuvres. Il y a de la vidéo, de la sculpture, diverses créations sonores et visuelles qui n’entrent dans aucun standard, des installations. Un argument général est tout de même proposé au départ, il est d’inspiration homérique : l’Odyssée. La commissaire d’exposition, Florence Derieux, a voulu insister sur le côté aventurier des FRAC. Sur son aspect découvreur et conservateur de talents. Néanmoins, pour le public, le plaisir de la visite est comme celui d’une lecture agréable : rien de trop éprouvant et à la fin, il ne reste que la passion et le plaisir.

Pommery

Les créations sont bien visibles, la place est laissée à chacune, qu’elles habitent seule un grand espace ou qu’elles soient plusieurs dans une pièce de taille réduite. On joue, on cherche, on découvre, enfants dans une chasse aux trésors spéléologiques. On incarne tour à tour un Ulysse, un Indiana Jones au milieu du temps, entre poussière et modernité, des mondes s’ouvrent.

On s’arrêtera sans doute sur Purple Box de Anna Blessman & Peter Saville, sorte de monde dans un monde, une philosophie de la vie moderne où tout est lié. Ou plus loin on observera Stoning de  Latifa Echakhch, prix Marcel Duchamp 2013, qui offre ici une pièce subtile, troublante de résonances diverses, de Jimmie Durham aux intifadas contemporaines…

Ce périple ne manque pas d’amuser, de questionner sur notre monde, dans un espace souterrain. C’est peut-être finalement en prenant distance (que ce soit vers le bas ou vers le haut), que les solutions visuelles apparaissent. Aux artistes, comme aux visiteurs.

pommery4

Le site Pommery se trouve à 10 minutes de la gare de Reims (à 115 km de Paris).
Visites du 1er novembre au 31 mars, tous les jours de 10h à 17h, jusqu’à 18h en été.
Fermé le 25/12 et du 1/01 au 3/01 inclus.
Tarif de la visite, à partir de 12 euros. Gratuit pour les moins de 10 ans. 




« Zelda et Scott » tiédissent le La Bruyère

Jean-Paul Bordes, Sara Giraudeau, Julien Boisselier
Jean-Paul Bordes, Sara Giraudeau, Julien Boisselier

C’est dans cette ambiance New Yorkaise des années 20 (fantasmée !) que débute « Zelda et Scott », une pièce écrite par Renaud Meyer sur des bases biographiques, qui nous propose de vivre l’amour tourmenté, vécu par les époux Fitzgerald. [1. Pour rappel, Scott Fitzgerald est notamment l’auteur du roman Gatsby le magnifique, qui bien qu’adapté aujourd’hui par Hollywood, n’a pas été un grand succès en son temps.]

Cette histoire de couple pourrait être un parfait drame. Mais la richesse de la pièce présentée au théâtre La Bruyère ne réside malheureusement pas dans sa construction : elle est basique, suit l’ordre très chronologique et ne ménage pas beaucoup de « coups de théâtres », tout n’est que progression. Tant bien même que si l’on ignore l’histoire de Zelda et Scott, la fin est assez prévisible. Le texte est forcément dans cette lignée, bien qu’on puisse être surpris de temps à autres : quelques phrases surgissent, mais restent des « bons mots » épars…

Néanmoins, on a un léger plaisir à partager cette vie, celle si classique du poète et de sa muse, puisque la légende veut que ce soit Zelda qui ait inspiré à Scott son premier succès, L’envers du Paradis. Ensemble, ils profitent de cette gloire à plein régime au rythme des cuites, des drogues et des mondanités. Ils jouent à se faire peur comme des enfants dans ce monde d’adulte qui brille de mille feux. Zelda est simple, fait la naïve, exagère son personnage de provinciale et Scott en est fou.

Ernest Hemingway vient faire ici le pendant raisonnable à la spirale autodestructrice du couple. Découvert par Fitzgerald, l’auteur en devenir n’est pas l’homme sombre qui se décrit en filigrane dans Pour qui sonne le glas. Dans Zelda et Scott, il est celui qui a la tête sur les épaules, celui qui tient la corde en haut du puits et que Fitzgerald refuse d’attraper. Jean-Paul Bordes campe son personnage peut-être de façon un peu trop monolithique, face aux nuances dans la détresse incarnée de Julien Boisselier. Dommage.

Enfin, le spectacle est accompagné par un live band très conventionnel qui occupe bien son rôle de soutient. Quoi de plus évident pour accompagner l’aventure de l’écrivain qui représente l’ère du jazz ? Mais cela ne suffit pas à l’histoire pour nous faire sentir (physiquement !), l’Amérique de ces années. Zelda et Scott sont trop propre dans la première partie ! Heureusement, la seconde sent un peu plus le tabac et le whisky. La violence, la déchirure y sont bien visible.

La déchéance, la désolation, la mort, sont là. Trop tardivement, trop brutalement sans doute. C’est donc un spectacle tiède que nous sert ici Renaud Meyer. Une tiédeur qui étonne tant l’histoire qu’elle illustre fut sulfureuse.

« Les Liaisons Dangereuses », texte et mise en scène de Renaud Meyer, au Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère, 75009 Paris. Durée : 1h40 (avec entracte). Plus d’informations et réservations sur www.theatrelabruyere.com

 




Delanoë, la libération… Enfin ?

Delanoë

Yves Jeuland nous a habitués à mettre son service au talent de la politique française [1. Il a réalisé, entre autres, « Camarades, il était une fois les communistes français » (2004), « Un village en campagne » (2008), « Le Président » (2010). Ce dernier porte sur la campagne de Georges Frêche pour conquérir la région Languedoc-Roussillon.], la livrant telle qu’elle est aux yeux du spectateur, souvent cruelle et manipulatrice. Avec « Delanoë libéré », c’est un autre exercice auquel se consacre le réalisateur, puis qu’ici, il se donne une place (corps et voix) au casting. Il est installé avec Bertrand Delanoë dans un studio de tournage (bien que toujours de dos), et c’est lui qui mène l’entretien avec celui qui, en mars 2014, portera le titre (honorifique!) d’ancien maire de Paris.

Le contexte est intéressant : le maire socialiste (le premier à Paris depuis 1 siècle !) ne se présentera pas à sa succession [2. La candidate du Parti Socialiste est une « lieutenant » de Bertrand Delanoë, Anne Hidalgo.], il est « libéré » d’engagements futurs et peu donc dresser une sorte de bilan. Une « sorte », car ce n’est pas un bilan politique qu’il faut s’attendre à voir ici, encore moins un bilan de mandat. Quel intérêt à dresser ce dernier pour soi-même si ce n’est pas pour être réélu ? C’est donc un bilan humain qui s’écrit pendant ce film, comme le récit d’une vie, d’un homme, de ses souvenirs, avant son retrait de la vie publique.

Jeuland n’en est pas à son premier documentaire où Delanoë a un rôle important. Il y a douze ans, il tournait un film baptisé « Paris à tout prix ». Diffusé en deux épisode sur Canal+, il montrait tout de la bataille que les candidats se livraient entre eux pour l’Hôtel de Ville. Ce documentaire s’arrête sur la proclamation des résultats. La caméra était restée à l’entrée, elle a attendu patiemment la sortie. C’est d’ailleurs avec plusieurs images de ce premier documentaire que s’ouvre « Delanoë libéré ».

Filmé de trois-quarts on voit monsieur le maire regarder les images, on profite ainsi de ses réactions. Il donne l’apparence d’un homme simple, au regard fatigué, sans être agacé, qui est assis face à nous. Fait rare pour un homme politique : il s’exprime en bon français, dans cette voix grave de fumeur de cigarillos couronnée d’une légère intonation de dandy, que même l’auditeur occasionnel lui connaît. On le voit en ami de Lionel Jospin, admirateur de Gaston Defferre, inséparable de Dalida… Cette dernière qui l’accompagnait dans les rues du 18e arrondissement au soir de sa première élection en tant que député pour fêter la victoire en 1981.

C’est un vieux combattant qui porte maintenant un regard façonné par la maturité et l’expérience sur sa propre vie. Une naissance à Bizerte en Tunisie, son mai 68 à Rodez, sa montée à Paris quand il avait 24 ans et les engagements menés alors. Il parle des leçons données par ses parents, qui n’ont pas connu son ascension brillante. L’occasion pour lui de revenir sur l’un de ses grands combats face à lui-même : contre l’orgueil, un vieux démon dont il donne l’image de s’être complètement libéré aujourd’hui. Il commente aussi son coming-out, réalisé à fin des années quatre-vingt dix et se félicite du fait qu’aujourd’hui « le maire de Paris soit homosexuel, et que tout le monde s’en foute ! ». Il assume son célibat, ou plutôt, sa liberté encore une fois, confessant que jamais « [il] ne veut se priver d’une affection naissante ». La liberté, véritable luxe de cet homme sans téléphone portable, peut-être…

Il y a aussi une certaines douleur et peut-être un peu de regret quand il revient sur ses échecs internes du parti Socialiste. Fataliste, il commente : « c’est que cela ne devait pas arriver ». Douleur également, mais philosophie aussi, quand il repense à la tentative d’assassinat dont il a été victime à l’Hôtel de Ville ce samedi soir de 2002, lors de la première édition des Nuits Blanches, il dira qu’il « se peut que cela [lui] ai apporté un peu de sagesse ».

Enfin, la question de savoir, pourquoi il s’arrête là ? Alors qu’il aurait tout a fait pu être réélu si cela l’avait intéressé ? [3. Bertrand Delanoë avait annoncé dès son élection qu’il n’exercerai que deux mandats à la tête de Paris.] Delanoë répond qu’il a « admiré deux grands maires : Defferre et Chaban-Delmas, et que ces deux ont fait quelques mandats de trop ». Il préfère donc penser à l’après mars 2014, imaginant sa vie entre « voyages, plage et copains », sans pour autant écarter toute possibilité de responsabilité politique, disant en substance que si on lui confiait une « mission », il ne la refuserait peut-être pas…

Comme à son habitude, Yves Jeuland et son équipe ont le génie pour faire voir l’humanité dans le héros et comment celui-ci arrive, d’une certaine manière, à nous le faire aimer. Ils construisent une histoire autour de ce sujet qui ne semble pas forcément évident au départ. Et pourtant, on comprend tout. On s’intéresse à chaque minute du film même si on ne connaît pas grand chose de l’homme au départ [4. C’est le cas de l’auteur de cet article.]. Le mélange entre images d’archives, interview et clins d’œil musicaux (chers à Jeuland) donne un bel équilibre à l’ensemble, on ne relève pas de longueurs ou de détail qui viendrait en gâcher l’harmonie.

Ce documentaire mérite l’attention du spectateur amateur ou non de jeux de pouvoirs. Il offre l’image intéressante d’un homme politique peut-être un peu plus vrai que les autres ? Assurément vrai, car (volontairement) libéré !

« Delanoë libéré » sera diffusé le 18 octobre sur France 3 à 23h10




Un « bois lacté » traversé par un fleuve d’émotions

© Pascal GELY
© Pascal GELY

Avec « Le bois lacté », Dylan Thomas signait une pièce poétique [1. La pièce a été créée pour la radio en 1952]. Les mots y sont utilisés pour créer un imaginaire qui transporte le lecteur/spectateur comme un fleuve drague une multitude d’objets. On est pris dans le courant de la journée d’un village Nord-Américain où 63 personnages (jouées par 7 acteurs), laissent à voir leur intimité jusque dans ses méandres les plus profondes. Le texte, difficile au premier abord, est dit de façon claire. Il ne faut pas chercher à comprendre à tout prix : les images parlent d’elles-mêmes et, pour nous aider, celles-ci se succèdent dans une structure temporelle et spatiale bien définie.

Chacun des protagonistes décrit son existence, donne son regard sur lui-même dans des situations simples, récurrentes. Tantôt dans une diction narrative, tantôt vivant l’action. Il n’y a pas d’ordre d’importance entre eux. Tous égaux face à la vie ! Chacun ses rêves, ses relations… L’une est maniaque, seule dans sa grande maison, l’autre est alcoolique et il vit une histoire physique avec une jeune femme dans la forêt. L’un tente depuis des années de tuer sa femme, l’autre voit l’amour quand il regarde le village chaque matin. Finalement on est ensemble, mais chacun dans son monde et chacun dévoile son jardin secret.

Stephan Meldegg réussi là une prouesse de mise en scène en faisant jouer cette galerie de personnages sur la (toute) petite scène du théâtre de Poche. La plupart du temps, tous les comédiens sont sur le plateau. Parfois, seul l’un d’entre eux déclame, parfois ils s’animent tous ensemble pour créer une ambiance propice à soutenir la narration : équipage d’un navire, troupeau de chèvre, pilliers de comptoirs, visite touristique… Ce parti prix d’occupation de l’espace ressert d’autant plus l’attention autour des mots.

Finalement, c’est un véritable conte qu’il nous est proposé de vivre dans ce « Bois lacté », une histoire au long cours qui prendra qui veut bien se laisser happer, un moment où il y a autant d’émotions à vivre que de personnages à rencontrer.

Pratique : Jusqu’au 8 décembre 2013 au théâtre Poche-Montparnasse, 75 bd du Montparnasse, 75006 Paris – Réservations par téléphone au 01 45 44 50 21 ou sur www.theatredepoche-montparnasse.com / Tarifs : entre 10 € et 35 €.

Durée : 1 h 30

Texte : Dylan Thomas

Mise en scène : Stephan Meldegg

Avec : Rachel Arditi, Jean-Paul Bezzina, Sophie Bouilloux, Attica Guedj, César Méric, Jean-Jacques Moreau, Pierre-Olivier Mornas




L’École des Femmes, leçon acide à La Tempête

Laura Mariani
Laura Mariani

En montant les grands auteurs classiques (essentiels ?) du théâtre français, le metteur en scène prend un risque. Le risque de montrer quelque chose de déjà (trop ?) vu ou encore celui de vouloir sortir des codes au détriment de l’essence de la pièce. Comme à son habitude [1. Philippe Adrien a mis en scène de nombreuses pièces classiques, pour la liste complète, se référer au site du théâtre de La Tempête], Philippe Adrien ne tombe pas dans un mauvais piège et son École des Femmes respecte le texte tout en lui donnant une résonance moderne.

Le spectacle se déroule dans un décor raffiné, champêtre où la teinte majeure est le gris. Les personnages ont quitté le XVIIe français où ils sont nés pour être transposés dans une toute fin de XIXe siècle morne et un peu angoissante.

Inutile de revenir en détail sur les enjeux du drame, mais l’École des Femmes trouve encore aujourd’hui une véritable raison d’être entendu. Philippe Adrien fait ressortir toute l’horreur de la situation où Arnolphe a voulu sculpter – par l’éducation – une femme (Agnès) selon ce qu’il attendait d’elle, pour pouvoir ensuite l’épouser. Ainsi, il se protégerait de tous les travers (supposés) de la féminité. Une brillante critique du patriarcat moderne en somme, amplifiée par la scénographie où cohabitent une salle de torture et les plaines brumeuses de l’arrière pays [2. La scénographie est de Jean Haas].

Les acteurs sont tous juste, parfois drôles, dans leurs rôles respectifs, notamment Patrick Paroux, campant Arnolphe, qui fait de ce personnage un homme entre Panisse et Louis de Funès, avec quelque touche bouleversante qui laissent voir un égoïsme sans limite au milieu d’une douleur sincère : celle du rejet de sa personne par Agnès, au profit du jeune Horace.

Bien sur, l’amour triomphe dans une scène de fin collégiale en forme de tableau à la Courbet, et l’on quitte la salle, conquis, heureux d’avoir aussi bien entendu le texte de Molière, soutenu par ces ambiances féeriques, oniriques et pourtant très simples dont Adrien a le secret.

Pratique : Jusqu’au 27 octobre 2013 au théâtre de la Tempête, La Cartoucherie de Vincennes – Réservations par téléphone au 01 43 28 36 36 ou sur www.la-tempete.fr/ / Tarifs : entre 12 € et 18 €.

Durée : 2 h

Texte : Molière

Mise en scène : Philippe Adrien

Avec : Raphaël Almosni, Vladimir Ant, Gilles Comode, Pierre Diot, Joanna Jianoux, Valentine Galey, Pierre Lefebvre, Patrick Paroux.