Il en revient à chaque lecteur de mettre ses images sur une œuvre littéraire. Surtout lorsque c’est une œuvre incontournable que tous (ou presque) ont lu (au moins au lycée). Pourtant, le regard partagé par Emmanuel Daumas dans cette adaptation est juste et plaisante, une bonne raison de redécouvrir Candide.
Le décor est planté dans le salon d’un restaurant des années 20. Des « gens d’expérience », aristocratiques, se mettent à raconter l’histoire de Candide à son avatar contemporain (Laurent Stocker). Cette mise en abîme est une excellente solution qui permet à chaque acteur d’être une part de la multitude de personnages qui composent le conte philosophique. Chacun prend la parole, en fonction du découpage originel bien rythmé et retranscrit. Notons tout de même que le Pangloss joué par Serge Bagdassarian est complètement déchaîné et Julie Sicard fait une Cunégonde érotico-burlesque à tomber.
Outre l’excellente composition dont font preuve les comédiens, et la candeur magique de Laurent Stocker, la mise en scène laisse place à de beaux moments sans paroles. Presque cartoonesques, ces instants ajoutent une touche d’humour supplémentaire bienvenue et ponctuent ce qui pourrait sembler un peu rébarbatif dans le texte.
Le conte n’est pas donné en intégralité. On est loin de la lecture (et c’est tant mieux), mais l’essence, les passages clés sont tous biens visibles et ne devraient pas ennuyer les puristes de Voltaire qui assisteraient au spectacle. Le tour du monde vécu par le héros se fait dans une antichambre cossue. Mais, une fois arrivé au bout, les acteurs sont éprouvés, et nous, spectateurs, avons bien capté le sens et les images. Les effets et les causes…
Pratique : Jusqu’au 3 mars au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli.
Réservations par téléphone au 01 44 58 98 58 ou sur www.comedie-francaise.fr.
Tarifs : entre 6 € et 8 €.
Durée : 1h15
Adaptation/Mise en scène : Emmanuel Daumas
Avec : Claude Mathieu, Laurent Stocker, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Laurent Lafitte
Un Gon-cours de littérature par Jérome Ferrari
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Des destins qui se croisent, des générations qui se mêlent, des familles qui se déchirent. Voici quelques-uns des ingrédients qui ont permis au « chef » Jérôme Ferrari de se voir attribuer le Graal de la littérature française, j’ai nommé le Prix Goncourt millésime 2012.
« Le sermon sur la chute de Rome » nous plonge au coeur de la Corse, entre tradition et modernité, une sorte de salé sucré temporel…
Dans le rôle du salé, la Tradition, incarnée par le vieux Marcel, grand-père d’une famille en décomposition, seul survivant d’une époque en noir et blanc.
Sa mémoire en bandoulière, une photo de ses frères et soeurs encore enfants comme seul témoin d’une époque révolue.
Dans celui du sucré, la Modernité incarnée par Matthieu et Libero, amis depuis l’enfance, naturellement devenus frères de coeur, en quête d’un projet commun.
Et ce projet va se présenter à eux sous une forme inattendue. Un bar de village, tombant en décrépitude au gré des repreneurs successifs, va constituer leur promesse d’avenir commun.
Au fil des pages, la mayonnaise va prendre progressivement, le projet des deux amis va devenir une réalité douce, sucrée, au bon goût de l’été et du soleil corse. Mais tout bon cuisinier vous le dira, il ne faut jamais laisser sa préparation sans surveillance … Au risque de voir tous les efforts réduits à néant.
« Ce que l’homme fait, l’homme le détruit ».
Cet adage tiré du sermon de Saint-Augustin trouve tout son écho dans les pages de Jérôme Ferrari. Tout empire aussi puissant et vaste soit-il semble hélas voué à disparaître sous les ravages de la passion humaine.
Dans son dernier roman, la plume de l’auteur est dense, parfaitement maîtrisée. Elle étouffe le lecteur sous la chaleur et les traditions corses.
La bassesse de l’esprit humain lui répugne. Petit à petit, il étouffe. La vétusté du libre arbitre l’oppresse, l’angoisse, le désarçonne.
La bataille entre générations qui est dépeinte dans ce chef d’oeuvre laisse l’âme en terreur. Cette même terreur dans laquelle il nous avait déjà emmené dans son précédent opus « Où j’ai laissé mon âme ».
Extrait « Dans ce village, les morts marchent seuls vers la tombe – non pas seuls, en vérité, mais soutenus par des mains étrangères, ce qui revient au même, et il est donc juste de dire que Jacques Antonetti prit seul le chemin du caveau tandis que sa famille regroupée à la sortie de l’église sous le soleil de juin recevait les condoléances loin de lui, car la douleur, l’indifférence et la compassion sont des manifestations de la vie, dont le spectacle offensant doit être désormais caché au défunt. »
Le sermon sur la chute de Rome Jérôme Ferrari
Editions Actes Sud
202 pages
ISBN 978-2-330-01259-5
19€
Beigbeder – Sur une banquette du Flore…
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Auteur réussissant à apprivoiser la mélancolie en la métamorphosant en une douce promenade sur la plage. C’est bon comme un mars d’1 m50 (celui qui repart), un buffet à volonté sans pique assiette, une douzaine d’huitres déjà ouvertes et en plus c’est 0 calorie dedans.
Qu’entend-on le plus souvent sur M. Beigbeder ? Un noceur, un dandy, sexuellement obsédé. Que retrouve-t-on le plus souvent dans ses livres ? Des noceurs, des dandys, des nymphomanes dénudées. Voilà nous pourrions nous arrêter là et passer à côté de Frédéric, car son œuvre est, bien entendu, tout autre.
Frédéric Beigbeder, mode d’emploi :
Etape 1 : Commencer par la fin, oui, par son dernier livre Un roman Français non pas parce qu’il est le meilleur (prix Renaudot, tout de même) mais parce qu’il est le plus personnel et sûrement le plus honnête, on découvre l’homme derrière l’écrivain, d’ailleurs chacun de ses livres a quelque chose d’autobiographie ou une « autofiction prospective » comme le décrit Houellebecq.
Citation 1 : « C’est l’histoire d’un garçon mélancolique parce qu’il a grandi dans un pays suicidé, élevé par des parents déprimés par l’échec de leur mariage. »
Etape 2 : Reprendre par le début, la trilogie Marc Marronnier : Mémoires d’un jeune homme dérangé, Vacances dans le coma et L’amour dure trois ans. Une lutte sans fin pour trouver l’amour, le consumer et surtout le perdre, afin de recommencer, dans cet ordre, invariablement. L’empreinte Beigbeder y est déjà forte avec des formules dignes d’Audiard (le père).
Citation 2 : « Vive la drague droguée ! Plus besoin de briller, de dépenser des fortunes, de diner aux chandelles : une gélule et puis au lit ! ».
Citation 3 : « Il me faudra une corde avec un nœud comme ce fromage : bien coulant. »
Citation 4 : « A New York les taxis sont jaunes, à Londres ils sont noirs et à Paris ils sont cons. »
Etape 3 : Enfiler le costume du plus célèbre publicitaire névrosé : Octave Parango, dans 99 F (rebaptisé 14,99€), en oubliant, s’il vous plaît, le film, pour finir dans une Russie en déconstruction dans Au secours Pardon où, après quelques années de prison, Octave confie son errance amoureuse à un prêtre orthodoxe à la Camus dans La Chute et détruit tout puisque plus rien ne peut survivre.
Citation 5 : « Les bombes, je les préfère sexuelles, et les attentats, à la pudeur. »
Etape 4 : Ne passer surtout pas à côté de L’Egoïste Romantique, Octave (encore un !, en musique une octave est l’intervalle séparant deux sons dont la fréquence fondamentale de l’un vaut le double de la fréquence de l’autre, tiens tiens !), cet écrivain « égoïste, lâche, cynique et obsédé sexuel – bref un homme comme les autres » nous partage son journal intime, les jours s’écrèment alternance d’épanchements romantique et de regards lubriques, on se délecte de ses frasques et des ses rencontres.
Citation 6 : « Ce qui serait bien, à présent, pour l’évolution de l’histoire du cinéma, ce serait de tourner un film porno où les acteurs feraient l’amour en se disant « je t’aime » au lieu de « Tu la sens, hein, chiennasse ». Il paraît que cela arrive, dans la vie (L’idéal est d’alterner les deux) ».
Citation 7 : « Les hommes sont toujours entre une ex et une future, car le présent ne les intéresse pas. Ils préfèrent naviguer entre la nostalgie et l’espoir, entre la perte et le fantasme, entre la mémoire et l’attente. Nous sommes toujours coincés entre deux absentes. »
Etape 5 : Voilà votre Frédéric Beigbeder est quasiment monté, tel un meuble Ikea, mais sans douleur. Reste les finitions, avec Windows on The World coincé dans la tour Nord du World Trade Center le matin du 11 septembre, vous n’avez plus que quelques heures à partager avec de parfaits inconnus, à quoi les passons-nous, à qui ou à quoi pense-t-on ?, bilans de vies qui s’achèvent, entrecoupé d’un petit déjeuner au Ciel de Paris en habile parallèle.
Etape 6 : Toujours pas rassasié ? Plonger sans retenu dans Nouvelles sous ecstasy, inventaire hallucinant d’images et d’actes tous plus incontrôlés les uns que les autres sous influences d’ecsta et retours de shoots. On se demande où est la part de réel ce qui libère le propos, le rend plus honnête. A lire et relire sans limite le chapitre : Comment devenir quelqu’un, tout simplement splendide.
Citation 8 : « S’abîmer de manière irréversible le cœur, gâcher sa vie pour quelqu’un, et pleurer, vivement pleurer ! Plus besoin de cachets, ni de fouets, tu seras à la merci de ses yeux et de ses lèvres. En pensant à ses baisers et son parfum, tu auras de nouveau la respiration difficile ».
Citation 9 : « On naît, on meurt, et s’il se passe quelque chose entre les deux, c’est mieux (F. Bacon) ».
Citation 10 : « Il existe une zone de flou artistique entre le célibat dépressif et le mariage ennuyeux : baptisons-la bonheur ».
Encore un peu de souffle ? Dernier inventaire avant liquidation où ce qu’il faudra avoir lu du XXe siècle.
Je laisserai le mot de la fin à Michel Houellebecq : « Frédéric Beigbeder [est] peu à peu devenu une sorte de Sartre des années 2010, ceci à la surprise générale et un peu à la sienne propre, son passé le prédisposant plutôt à tenir le rôle d’un Jean-Edern Hallier, voire d’un Gonzague Saint-Brice. »
Bibliographie non exhaustive
1990 : Mémoire d’un jeune homme dérangé, La Table ronde.(Roman)
1994 : Vacances dans le coma, Grasset. (Roman)
1997 : L’amour dure trois ans, Grasset. (Roman)
1999 : Nouvel sous ecstasy(nouvelle)
2000 : 99 francs(14,99 euros), Grasset. (Roman)
2001 : Dernier inventaire avant liquidation (Essai)
2003 : Windows on the World, Grasset, prix Interallié. (Roman)
2005 : L’Égoïste romantique, Grasset. (Roman)
2007 : Au secours pardon, Grasset. (Roman)
2009 : Un roman français, Grasset, prix Renaudot. (Roman)
Joël Pommerat, le maître de la lumière à l’Odéon
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Comme pour « Ma chambre froide », Joël Pommerat n’utilise pas l’espace conventionnel d’un théâtre. Point de sièges, point de scène. Ces attributs sont remplacés par deux rangées de gradins face à face pour les spectateurs et un espace scénique de plusieurs dizaines de mètres entre les deux comme terrain de jeu(x).
Au sens propre comme au figuré, Pommerat déstructure les codes du théâtre pour les faire entrer dans son univers très particulier. Un monde sombre où les personnages sont parfois de simples volumes de chair sur lesquels se reflète la lumière, la véritable actrice des mises en scène du créateur.
Comme à son habitude, Pommerat créé tout en même temps. La mise en espace, le décor, les jeux lumineux et le texte. Dans « La réunification des deux Corées », pas d’histoire, mais plusieurs tableaux dont le fil conducteur est l’amour et les crises qui l’accompagnent. Pêle-mêle, on y voit un couple lesbien en thérapie conjugale, un mari qui rend visite à sa femme complètement amnésique, deux parents dont l’avis diverge sur le fait que leur fils veuille partir à la guerre…. L’humour peut suivre la gravité, l’ironie succède à la souffrance ou le calme à la colère et l’absurdité la plus totale quand un curé vient expliquer à une prostituée dont il est le client fidèle qu’il se passera désormais de ses services car il a « rencontré quelqu’un ».
Le noir se fait entre chacun des scénarios et lorsque la lumière (toujours magnifique) se rallume, la nouvelle scène apparaît sous nos yeux comme par magie. L’éclairage dessine parfois un soupirail, une boîte de nuit, un parvis d’église où la mariée se prépare à monter les marches ou une rue sombre où un fantôme vient chercher sa promise. On est toujours surpris, émerveillés d’un tableau à l’autre. Pommerat arrive jusqu’à recréer le reflet des feux d’artifice sur le sol d’une ville, et il n’a pas peur de faire venir des auto-tamponneuses sur le plateau pour les besoins d’une scène.
Néanmoins, cette création pèche un peu par la qualité qui varie d’un « sketch » à l’autre. Certains s’étirent trop en longueur, d’autres semblent connaître une fin bâclée … De plus, la justesse des comédiens change d’un personnage à l’autre. Parfois d’une neutralité dérangeante, ils peuvent également se révéler en grand contraste avec ce décor si puissant.
Malgré ce bémol, Pommerat s’inscrit en maître de la création d’ambiance poétique et onirique. Ce spectacle est, et doit être vu, comme une nouvelle grande réussite à mettre sur le compte du metteur en scène, car on quitte la salle comme des enfants quittent un cirque : des étoiles pleins les yeux et la hâte d’y revenir.
Pratique :La réunification des deux Corées
Jusqu’au 3 mars au théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier, au théâtre de l’Odéon, 1 Rue André Suares (75017, Paris). Réservations par téléphone au 01 44 85 40 40 ou sur www.theatre-odeon.eu. Tarifs : entre 6 € et 30 €.
Durée : 1h50
Mise en scène : Joël Pommerat
Avec : Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu.
« Tristesse Animal Noir » à la Colline
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Trop de détails dans le texte
Sensation désagréable
Ce qui nous emmène à la fin du spectacle, qui, bien que jalonnée de mort, est la partie la plus vivante. Les 40 dernières minutes sont prenantes et beaucoup plus dynamiques. En allant voir « Tristesse Animal Noir », prenez votre mal en patience, le meilleur vient à la fin.
Pratique : Jusqu’au 2 février au théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun (75020, Paris).
Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.colline.fr. Tarifs : entre 14 € et 29 €.
Durée : 2h20
Mise en scène : Stanislas Nordey
Avec : Vincent Dissez, Valérie Dréville, Thomas Gonzalez, Moanda Daddy Kamono, Frédéric Leidgens, Julie Moreau, Lamya Regragui, Laurent Sauvage.
À l’Athénée, on « Attend Godot » avec plaisir
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Après « En attendant Godot », à partir du 7 février la même équipe reprendra « Fin de partie » (toujours de Beckett). Les deux pièces partiront ensuite en tournée.
Pratique : Jusqu’au 27 janvier au théâtre de l’Athénée, Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau (75009, Paris).
Réservations par téléphone au 01 53 05 19 19 ou sur www.athenee-theatre.com. Tarifs : entre 7 € et 32 €.
Durée : 2 h 10
Mise en scène : Bernard Lévy
Avec : Gilles Arbona, Thierry Bosc, Garlan Le Martelot, Georges Ser, Patrick Zimmermann
Tournée (En attendant Godot) :
les 10 et 12 janvier 2013 à la Scène nationale de Sénart (77) le 31 janvier 2013 au Salmanazar Théâtre Gabrielle Dorziat, Epernay (51) les 14 et 15 mars 2013 au Théâtre-scène nationale de Narbonne, Narbonne (11) les 19 et 20 mars 2013 à la Scène nationale d’Albi, Albi (81) le 11 avril 2013 à l’ACB-scène nationale Bar-le-Duc, Bar-le-Duc (55) le 19 avril 2013 au Théâtre de Suresnes Jean-Vilar, Suresnes (92)
Pierre Notte réjouit le Rond-Point
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Le théâtre du Rond-Point accueille tout au long du mois de janvier deux spectacles de Pierre Notte. L’un a vu le jour à Avignon en 2011 et avait déjà connu un franc succès au festival OFF. Le second vient d’être créé pour cette saison. Les deux pièces partagent la même distribution, le même auteur et bien qu’elles soient toutes deux différentes, elle mérite tout l’intérêt du spectateur.
La dernière fois, on avait laissé Pierre Notte avec une création un peu ratée au théâtre de La Bruyère. Depuis il y a eu la tournée de son cabaret, « J’existe (Foutez moi la paix) » qui mettait en scène l’auteur et sa sœur dans des chansons légères, osées et intelligentes. Désormais, place doit être faite aux mémoires pour « Sortir de sa mère » et « La Chair des tristes culs ».
« Sortir de sa mère » : Dialogue mère-fils
Dans la première pièce, Pierre Notte est au piano. Tout commence par un dialogue entre lui et sa mère. Une discussion franche et sincère sur la vision que la mère a de ses enfants. Sur ses désirs et son amour, sur le fait d’être une femme. Un échange drôle, touchant, simplement humain qui donnera le ton du reste de la pièce.
On y suit deux jumeaux (Brice et Chloé), de leur conception à leur séparation. Mais aussi la rencontre entre leur père et leur mère, leur vie, leur mort et la vérité sur la naissance des enfants. Le texte est drôle, incisif et mélange habilement humour et poésie, une profondeur derrière une apparente légèreté et la dérision. Les acteurs sont tous les trois très justes dans toute la galerie de personnage qu’ils incarnent. Des icônes aux infirmières en passant par les héros de l’histoire. Ils sont remarquables dans leur voix comme dans leurs gestes et les chorégraphies.
La mise en scène souligne la force des acteurs qui évoluent sur un plateau nu. Ce qui n’empêche pas la vision de quelques jolis tableaux bien soutenus par la lumière magique de Nicolas Priouzeau.
Comme dans chaque spectacle de Notte, les chansons ponctuent l’action. Ce qui ajoute un effet léger, amusant, presque charmant au spectacle. Même si celui-ci traite des questions de sociétés très actuelles : la vieillesse, la maltraitance des personnes âgées, le deuil, l’abandon, la perte de la mémoire…
Ces péripéties nous mène en 1 h 10 à une fin aussi folle qu’inattendue, bien que l’on connaisse l’amour de l’auteur pour les grandes actrices aux airs d’icône…
« La chair des tristes culs » : Folie aux frontière des enfers
La seconde pièce est dotée d’un décor plus fourni, et pour cause : une marchande de crêpes accepte de louer une chambrette à un désespéré pour qu’il mette fin à ses jours. En contrepartie, l’homme lui laissera son corps pour qu’elle puisse créer une nouvelle recette savoureuse à partir de la viande qui le compose. Espérant ainsi donner un peu d’humanité à ses clients qui se font chaque jour plus rares.
Cette pièce est plus sombre, bien qu’aussi très drôle. Sur la scène se côtoient vivants et morts, dans des personnages complètement dingues et magistralement bien incarnés par de jeunes acteurs. La logeuse-marchande de crêpes borderline, dans sa réalité difficile, fait le contrepoids à une greluche briseuse de couples du monde des morts. Le contraste comme le jeu des acteurs est grandiose. Il y a celle qui veut rester en vie, celui qui veut mourir et celle qui est déjà morte. L’affrontement est brillant.
Ces remarques s’ajoutent à celle de la pièce précédente, car il y a aussi des belles chansons, bien interprétées qui ponctuent le drame. Un drame qui ne prend pas la forme à laquelle nous pourrions nous attendre. En effet, le jeune homme après avoir hurlé par la fenêtre du théâtre à l’attention des passants (pour de vrai!) un génial « Je suis une mouette », décide de ne pas mettre fin à ses jours, sauvé par le désir. Mais pour respecter son engagement, il se pèlera le cul jusqu’à en crever… La marchande pourra donc faire tourner sa boutique avec de délicieuses tranches de fesses qui fourreront ses crêpes.
Prenant parfois des airs de pastiches aux envolées lyriques, le texte est toujours excellent. Cru sans être vulgaire. Sombre sans conduire à la déprime. Dans ces deux contes, Pierre Notte est bien là, à son plus haut niveau de génie dans l’écriture, on ne peut que s’en réjouir.
Pratique : Jusqu’au 9 février au théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin D. Roosevelt (75008, Paris).
Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.theatredurondpoint.fr.
Tarifs : entre 13 € et 30 €.
Mise en scène, musique, écriture et jeu : Pierre Notte
Avec : Brice Hillairet, Tiphaine Gentilleau, Chloé Olivères
Non à « Pour un oui ou pour un non » au Lucernaire
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Pour ceux qui découvrent « Pour un oui ou pour un non », ce qui frappe en premier lieu c’est que cette pièce est celle qui a contribué (de façon directe ou non) à la création du plus grand succès dramatique de Yasmina Reza : « Art », en 1994. Comme dans la pièce de Nathalie Sarraute, elle met en scène les meilleurs amis du monde qui remettent toute leur vie commune en question après une intonation condescendante sur l’action de l’autre.
Néanmoins, cet ancêtre théâtral écrit dans le plus pur style « Nouveau Roman » est (textuellement) magnifique. Les mots (et les maux) échangés entre les deux amis volent haut, la joute souligne la nécessité de remettre les compteurs de leur amitié à zéro, après trop de petits détails passés sous silence, comme une cocotte minute de rancoeur qui explose entre de vieux amants.
Malheureusement, dans cette mise en scène, René Loyon nous montre deux intellectuels prise de tête dans une dispute déjà très intellectualisée par l’auteur. Le jeu est mou et mécanique, il y a déjà assez de distance dans la pièce, on attendrait plus de sang dans le comportement physique des deux protagonistes. Il y a ici trop de postures, trop de distance et de pincettes…
Les voix sont monocordes, les gestes mesurés, le tout nous laisse voir une pièce sans nuance. Le texte reste, mais perd en ironie et en passion. La goutte d’eau qui fait déborder le vase ne donne que quelques effluves alors qu’elle devrait être à l’origine d’une cascade.
Si c’est « Pour un oui ou pour un non » ? Pour nous la question ne se pose pas : c’est un non.
Pratique : Jusqu’au 2 février au Lucernaire, 53 rue Notre Dame des Champs (75006, Paris).
Réservations par téléphone au 01 45 44 57 34 ou sur www.lucernaire.fr.
Tarifs : entre 15 € et 25 €.
Mise en scène : René Loyon
Avec : Jacques Brücher et Yedwart Ingey
Les Enfarinés, drôle d’Archipel !
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Théâtre de l’Archipel, Xe arrondissement, un vendredi soir. Une petite salle parisienne comme il en existe tant, à cette particularité près qu’elle fait également office de cinéma.
Mais c’est de théâtre dont nous parlons aujourd’hui. « Les Enfarinés », la nouvelle création de Gracco Gracci, auteur et metteur en scène, se joue jusqu’au 13 janvier 2013 dans cette intimité réconfortante.
En quelques mots, la pièce nous dépeint les déboires d’un couple aux prises avec son fils, adopté, et son père biologique, puissant baron du cartel de la drogue colombien. Sans retour du fils dans son pays natal, le dangereux patriarche s’attachera à liquider le père adoptif.
Trafic de drogue, trafic d’armes, corruption, proxénétisme, tout y passe durant cette heure et demie.
Surprise dès l’entrée en scène des différents comédiens, nous n’en dirons pas plus pour vous la préserver intacte !
S’ensuit une première partie quelque peu poussive, le temps que le décor et l’histoire se mettent en place. Un début où les comédiens semblent surjouer, et usent de ficelles peu convaincantes (la réaction de la salle en témoigne d’elle-même).
Une grande inquiétude émerge alors à l’esprit du spectateur : « Et si ça ne s’améliorait pas dans les scènes suivantes ? » … On entraperçoit alors un long moment de solitude … surtout lorsque l’on se porte garant d’une belle soirée auprès de ses amis !
Mais que nenni ! (Phrase théâtrale pour un revirement de situation théâtral lui aussi)
Un déclic, une réplique, un ou deux tics … et le tour est joué !
La situation s’emballe, le jeu se déride (certains spectateurs rêveraient que ça leur arrive aussi … ), les calembours font mouche (rien à voir avec l’effet du camembert …) !
Tout s’enchaîne du tac au tac, les acteurs maîtrisent la scène et leur jeu, les fous rires retentissent. Les zygomatiques sont alors mises à rude épreuvre, pas de répit possible.
On ne fait plus vraiment attention à l’histoire et à l’intrigue qui se développe devant nous tant les gags des acteurs sont prenants.
Et le plus surprenant reste sans hésitation cet état de doute dans lequel est parfois plongé le spectateur : quid de l’improvisation ? quid de l’écriture ?
En effet, au-delà même des ficelles plutôt « traditionelles » de la comédie (calembours, comique de situation et autres décalages de ton et de langage), ce sont toutes les petites références à cela même qui est en train de se dérouler qui font mouche auprès du spectateur.
Je ne sais s’il s’agit là de « méta-communication » mais ça y ressemble fortement. Les acteurs réagissent autour et à propos même du jeu qu’ils sont en train d’offrir à une salle comblée (à défaut d’être comble) !
Et l’on vient à en faire un rapprochement avec une autre pièce, encore à l’affiche et qui connaît un véritable succès partout en France : « Si je t’attrape je te mort ». A noter d’ailleurs au rang des similitudes entre ces deux pièces, la présence à l’affiche de la désopilante Kim Schwarck. La jeune actrice excelle d’ailleurs dans la propagation du doute entre jeu / mise en scène et dérapage / improvisation / fou rire.
Le dénouement arrive presque trop vite, tant cette seconde partie est jouissive pour le spectateur.
N’allez toutefois pas chercher de message philosophico-subliminal. Pas de morale à se mettre sous la dent (juste un peu de cocaïne peut-être … ). Juste un pur moment de délectation !
Les Enfarinés
Théâtre de l’Archipel, 17 boulevard de Strasbourg, Paris Xe
Jusqu’au 13 janvier 2013
Les jeudis, vendredis et samedis à 21h30 et dimanche à 18h30 http://www.larchipel.net/
Auteur et metteur en scène : Gracco Gracci Distribution : Pascal Barraud, Ariane Gardel, Emmanuelle Graci, Othmane Larhrib, Siewert Van Dijk, Eliott Lerner, Kim Schwarck
Consulting – François Thomazeau
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Vous connaissiez peut-être « Violence des échanges en milieu tempéré » (1), ou encore « Ressources Humaines » (2). Avec « Consulting » de François Thomazeau, c’est un consulting nouvelle génération qui arrive.
Il est bien question de rendre service aux entreprises, d’optimisation des organisations, et de ressources humaines.
Mais les solutions proposées par La Boîte sont radicales, extrêmes et irrévocables. Le sous-titre de ce livre aurait en effet très bien pu être « Les Tontons flingueurs ». Pas de demi-mesure avec les victimes identifiées par La Boîte, il n’est pas question qu’elles en réchappent.
Extrait : « Une détonation exagérée troua la nuit.
Et la mort ne vint pas. Pas la sienne en tous cas. Antoine fixa, incrédule, la gueule noire du pistolet. L’arme tomba dans un bruit sec sur le capot de la BM. Le haut du corps de Gardinier la rejoignit dans un son mat, lourd. Antoine pivota sèchement, rapace aux aguets,vers la direction d’où était parti le coup de feu. L’autre coup de feu. Le tireur était franchement grotesque avec sa pétoire à la main. Une arme de défense pour père de famille. Un fusil à pompe dont le canon avait été scié. Le type reluquait le capot de la BM et la bouillie rougeâtre qui avait remplacé le beau visage régulier de Gardinier. »
Dans le rôle de l’exécutant, un jeune consultant : Antoine Jacob (surprenant non ? … comprenne qui pourra)
La rencontre inattendue avec un fervent syndicaliste, Pascal (au bout du) Rouleau, marque le début d’une folle aventure entre « Les Compères » (autre sous-titre envisageable pour ce polar).
De séquestration en meurtre de sang froid, de légitime défense en chantage avec violence, tout y passe.
La plume de François Thomazeau nous tient en haleine, tout comme la gachette de ses personnages.
Pas question de s’échapper de l’histoire, de fuir devant les chapitres …
Le lecteur suit cette piste infaillible qui le conduira au dénouement de l’histoire.
Consulting, de François Thomazeau
Editions Au-delà du raisonnable
204 pages, 15€
ISBN : 2919174027
Figaro fait un bon mariage
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C’est dans une Andalousie orientalisante (au son de Radio Tarifa !) que nous invite Henri Lazarini à assister au « Mariage de Figaro » pièce phare de Beaumarchais à qui la légende prête les prémices de la Révolution Française.
Mozart l’adaptera (toujours à la fin du XVIIIe siècle), pour en faire son célèbre opéra, « Les Noces de Figaro », œuvre parfois plus connue du grand public que la pièce elle-même, alors que le drame reste d’un intérêt évident aux oreilles du public moderne.
Les acteurs font tout pour cela, jouant le texte classique de manière très audible, les mots sont drôles, fins, bien maîtrisés par chaque acteur. Les relations entre les personnages sont pleines d’ironie, la plus importante (et la plus réussie), celle de Figaro et Suzanne, est d’une pimpante fraîcheur quadragénaire.
Les personnages évoluent dans une mise en scène qui, encore une fois, laisse toute la place au texte et à ses effets. Peu de mouvements (juste ce qu’il faut), pas d’effet de foules, tout juste quelques changements de lumières soutiennent l’intrigue qui n’aurait pas vraiment besoin d’autre chose qu’un plateau nu.
Figaro dans ce personnage de rebelle élégant, impétueux, désinvolte face à son maître, le comte, finalement tourné au ridicule de façon collégiale font mouche auprès du spectateur d’aujourd’hui. L’intelligence des domestiques face au pouvoir despotique est savoureuse. Autre richesse du drame de Beaumarchais : il nous rappelle l’incroyable amusement et source de réflexion qu’un auteur peut tirer de l’opposition homme / femme. Ici montrée par l’extraordinaire variété de sentiments qu’apportent l’opposition de nos différences, cette guerre salutaire qui peut conduire, à la Révolution ?
Pratique : Jusqu’au 13 janvier au Vingtième Théâtre, 7, rue des Plâtrières (75020, Paris). Réservations par téléphone au 01 48 65 97 90 ou sur www.vingtiemetheatre.com. Tarifs : entre 13 € et 25 €.
Mise en scène : Henri Lazarini
Avec : Stéphane Rugraff, Frédérique Lazarini, Denis Laustriat, Isabelle Mentré, Nicolas Klajn et l’Atelier Théâtre de La Mare au Diable
Transe en Danse – Al Kindi et les derviches d’Alep
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[09/12/2012 : Update avec deux nouvelles dates exceptionnelles, les 11 et 12 Décembre à Paris, plus d’informations à la fin de ce billet]
Nouvelle édition des billets à 4 mains entre Pierre et Stef ! Stef prend la plume :
Un homme les yeux clos avec une haute coiffe en poil de chameaux fait la toupie, une paume vers le ciel et l’autre vers la terre. Cet homme est un religieux littéralement un « derviche » c’est même un mendiant du monde ottoman (persan précisément). Il appartient à une confrérie de confession musulmane fondée au Moyen âge par un sultan soufiste: c’est un derviche tourneur. Oui mais pourquoi tournent-t-ils depuis 7 siècles ?
Car par cette danse, ces chants et cette musique instrumentale, le « semà », ils s’abandonnent à Dieu. Car par cette transe mystique ils expriment leur profonde dévotion, ils montent donc au 7eme ciel.
Ils virent et voltent tels les planètes d’un système solaire et s’élèvent vers une transe en danse. La philosophie religieuse qui brille au travers de cette pratique est nommée Tasavvof. Elle invite à la fraternité, à l’amour et à l’union entre les hommes. Cette danse ancestrale se veut un pont vers Dieu mais aussi vers d’autres cultures les grecs anciens (le fait de lever les mains au ciel), le chamanisme d’Asie centrale mais aussi le christianisme.
Revenons quelques instants sur l’exploit physique proche des 7 travaux d’Hercule. A raison d’un tour par seconde environ; avec un axe de rotation fixe, les derviches sont comme vissés sur place sans pour autant sembler ressentir ni tournis, ni déséquilibre : prouesse ! Essayez donc un peu pour voir…
Vous risqueriez de voir des étoiles mais seulement celles d’un étourdissement garanti. En quoi réside leur secret, à part beaucoup de pratique, d’équilibre, d’énergie et 5 fruits et légumes par jour ? Leur secret serait une connexion à de puissantes forces. Si vous faites partie des pragmatiques vous expliquerez leur extraordinaire tournoiement par les champs de torsion du type de ceux décrits par Nicolaï Kozyrev (1). Si vous versez plus facilement dans le mystique, la force des derviches, ne sera pas obscure à vos yeux mais éminemment religieuse.
Hors du temps, portés par les psalmodies du coran qui pourraient tout aussi bien être des mantras ou des chants tribaux, les humbles derviches ensorcellent. Une fois timidement avancés au devant de la scène, tenant leurs longues jupes immaculées telles des premières communiantes, les chrysalides se transforment en papillons. Ils captent la lumière et éclipsent tout, relaxés et rêveurs. On vibre, on frissonne. Trans-œcuménique, trans-générationnel, transcendant, le seul art de la semà unit tout le monde dans une euphorie intacte.
Pierre reprend la main :
Les derviches, ces danseurs incroyables, ces toupies sur pattes …
Vous l’aurez compris, on est transporté, on est transcendé, on est ébloui …
Mais sans musique, tout ça ne serait rien ! Si les derviches tournent autour de leur coeur, comme aimait à le dire Eric-Emmanuel Schmitt dans « Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran », la musique est ce qui fait battre ces coeurs.
La singularité du spectacle auquel il nous a été donné d’assister réside dans le délicieux mélange de deux traditions musicales, parfois ennemies, mais pourtant si belles une fois combinées : l’ensemble instrumental Al Kindi, tout droit venu de Syrie (Alep, Damas notamment), accompagné d’un rebab et d’un muezzin, apportant avec eux les musicalités ottomanes !
Menés par Julien Jâlal Eddine Weiss à la Qânun (cithare orientale), véritable orchestrateur de l’ensemble aux doigts de fée, les musiciens, les chanteurs, les choristes nous présentent et partagent avec nous leurs croyances.
Croyances récitées dans une langue d’ailleurs, incompréhensible, mais pourtant si limpide dans ses tonalités, ses imprécations, ses psalmodies.
La douceur des premiers morceaux laisse progressivement la place au rythme des percussions, qui nous évoquent la vie, ses hauts, ses bas, les joies et les détresses … Cette vie qui va, qui vient, et s’en va. Cette vie qui tourne entre nos mains. Comme tournent ces derviches sur scène.
Et cette envie qui point en notre esprit d’arrêter là le temps qui file.
« Silence, on tourne », rien d’autre. Note
(1) Nicolaï Aleksandrovich Kozyrev (1908-1983) astro-physicien mit en place une théorie sur un champ spiralé qui serait à la base de la croissance par spires d’un coquillage, des muscles du cœur, et de l’ADN notamment.
Direction et création de Julien Jâlal Eddine Weiss
Invités spéciaux de Turquie :
Bekir Buyukbas : Chanteur soliste (muezzin/hafiz)
Mehmet Refik Kaya : Rebab Ottoman
Prochaines dates : 2 concerts exceptionnels au Cabaret Sauvage Mardi 11 et Mercredi 12 Décembre Cabaret Sauvage – Parc de la Villette – Paris 19e
19h30
Plus d’informations sur : http://www.zamzama.net/francais/artistes/ensemble-al-kindi/
Voyez vite les magnifiques Invisibles !
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Tomber amoureuse d’un homme à 77 ans, c’est beau ! Et d’une femme ?
Les Invisibles sont toutes celles et ceux qui n’ont ou n’existent toujours pas aux yeux de la société, de leurs voisins, ou même de leur famille.
Pour quatre minuscules lettres : H-O-M-O.
Ils sont ignorés, de crainte qu’ils ne choquent, ne fassent de scandale en revendiquant haut et fort leurs orientations. Le mouvement soixante-huitard est déjà loin, et pourtant les frontières de la société ont à peine bougé.
Qu’il est surprenant de mettre en regard la rapidité dans l’évolution des technologies qui nous entourent avec l’inertie de notre société et l’inertie des consciences.
L’endroit n’est pas approprié pour des « pour » ou « contre » sur la question du mariage homosexuel.
Il est par contre tout à fait désigné pour présenter ce bijou de cinéma qu’est le documentaire de Sébastien Lifshitz.
Loin de toute impudeur, plein d’humour, de légèreté et de poésie, les portraits et scènes de vie qui défilent devant nos yeux nous font rire, pleurer, espérer tout à la fois.
D’autant plus que le récit est servi par des anonymes, dont beaucoup d’acteurs professionnels pourraient s’inspirer. Ils sont naturels devant la caméra, ne s’encombrent pas de fausse pudeur, et nous embarquent en quelques secondes dans le récit de leurs vies. Des vies qui durent pour la plupart depuis maintenant plus de 70 ans, qui ont connu des hommes, des femmes, des hommes et des femmes, et dont tous sont fiers et heureux.
Une formidable leçon de vie, d’espoir et d’amour !
Réalisation : Sébastien Lifshitz Photographie : Antoine Parouty Durée : 115 minutes Distribution : Yann et Pierre, Bernard et Jacques, Pierrot, Thérèse, Christian, Catherine et Elisabeth, Monique, Jacques
[Homeland] Il est « pas terroriste », il est « pas anti-terroriste »?!
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Ambiance? Agents secrets, marines, Washington D.C, dossiers confidentiels et guerre en Irak. Contexte? Amérique colosse au pied d’argile. Terrorisme? Talon d’Achille. Roux? Héros. Bipolaire? Héroïne.
Homeland est une adaptation d’une série israélienne nommée Hatufim, créée par Gideon Raff. Dans ses épisodes d’une heure environ, elle réunit un casting intéressant pour des personnages complexes et un suspens digne des meilleurs thrillers. L’intrigue s’enracine dans une Amérique déstabilisée sur son sol par le 11 septembre et dans son estime par la piteuse guerre en Irak. La série produite par Showtime en 2011 est réalisée par des experts du genre Howard Gordon (24heure chrono) et Alex Gansa (Entourage).
Ce billet parle de la Saison Une et ne recèle aucune « spoiler » qui puisse gâcher votre plaisir.
« Syndrome de Stockholm » ou paranoïa?
Une des dynamiques fortes de la série est le duo Carrie Mathison (interprétée par Claire Danes) – Nicholas Brody (incarné par Damian Lewis).
L’acteur britannique, Damian Lewis, interprète avec beaucoup de suavité et de mystère, le marine, ex-otage, de retour dans sa mère patrie. Un rôle psychologique et explosif très fort. De plus, « il est pas joli mais il n’ est pas moche non plus » (1), ce qui ne gâche rien!
L’actrice américaine qui s’était illustrée dans Romeo+Juliette avec Di Caprio, Claire Danes, est l’agent de la CIA.
Entre les personnages « testostéronés » Jason Bourne (3) et Jack Bauer(4), elle a, à n’en point douter, une place de choix. Plus féminine, mais aussi plus névrosée, elle n’en demeure pas moins séduisante.
Brody éveille les soupçons de Carrie Mathison, agent de la CIA : elle se lance alors dans une enquête tumultueuse à la limite de la légalité et de l’obsession. « Elle est pas d’accord, elle est passionnée » (1).
Il est terroriste ou il est anti-terroriste?
Le héros (roux donc), n’est certainement pas de la région PACA. Nicholas Brody n’est pas en cloque et là s’arrêtera mon parallèle avec Léa, le personnage de la chanson de Louise Attaque (1).
Libéré miraculeusement après 8ans aux mains d’Al Quaida, il est secret. Il est brisé. Il est perturbé. Il retrouve une famille et un monde qui a bien changé.
Ce rôle lui a valu en 2012 un Emmy Award du meilleur acteur dans une série télévisée dramatique et il avait d’ailleurs déjà été remarqué dans le rôle d’un soldat dans « Frères d’armes »(2) et la série « Life » (3) où il jouait le rôle d’un policier traqué.
Elle est givrée ou clairvoyante?
L’héroïne (bipolaire donc) a elle aussi connue l’Irak et n’en est pas revenue indemne. Monomaniaque et shootée à l’adrénaline, c’est une femme de terrain plutôt qu’une experte en bureautique. Son interprétation athlétique de Carrie Mathison lui a rapportée un Primetime Emmy Award de la meilleure actrice dans une série télévisée dramatique en 2012.
(Finallement) Quoi d’inédit dans cette série?
Le retour du pragmatique Mandy Patinkin, pilier de longues années de la série centrée sur les « sérials killers » Esprit Criminel (5) dans le rôle du mentor de Carrie Mathison, Saul Berenson.
Un suspens dont on avait perdu l’habitude et un soudain regain d’intérêt pour les histoires de terroristes…
Mais, parce que Carrie et Nicholas sont finalement des petites mains, la fin de la saison introductrice ouvre un sur une théorie du complot et fini du coup, un peu en « eau de boudin » en cassant totalement le rythme (excellent) instauré au fil des 12 épisodes.
On attend de voir ce que réserve aux spectateurs la seconde saison (déjà disponible).
Réalisateurs : Howard Gordon et Alex Gansa Diffusion US : Showtime Diffusion française : Canal + Casting:
Carrie Mathison (Claire Danes), Nicholas Brody (Damian Lewis), Jessica Brody (Morena Baccarin), David Estes (David Harewood), Mike McClone (Diego Klattenhoff), Chris Brody (Jackson Pace), Dana Brody (Morgan Saylor), Saul Berenson (Mandy Patinkin).
(1) Chanson « Léa » du groupe Louise Attaque.
(2) Frères d’Armes (Band of Brothers en version originale) est une mini-série américano-britannique, en dix épisodes d’environ une heure chacun, créée par Tom Hanks et Steven Spielberg diffusée sur HBO.
(3) Life, série de Rand Ravich diffusée sur NBC ou Damian Lewis jouait le rôle d’un policier incarcéré pour meurtre puis blanchi.
(4) Jason Bourne est le héros de la trilogie de romans de Robert Ludlum (poursuivie par Eric Van Lustbader) interprété sur grand écran par Matt Damon.
(5) Jack Bauer est le personnage central de la série télévisée « 24 heures chrono » créé par Joel Surnow et Robert Cochran incarné par Kiefer Sutherland sur le petit écran.
(6) Esprit Criminel (Criminal Minds) est une série télévisée américaine, créée par Jeff Davis et diffusée sur le réseau CBS.
La rébellion de Kim Nguyen
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Ce film aux allures de documentaire est un chef d’oeuvre. N’ayons pas peur des mots. Réalisé par un cinéaste canadien quasiment inconnu de ce côté de l’Atlantique (Kim Nguyen), il devrait sortir ce mercredi dans quelques (trop) rares salles de cinéma françaises. Prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Berlin, la jeune Rachel Mwanza incarne une enfant-soldat inoubliable.
Le scénario est tristement classique: des rebelles déferlent sur un petit village africain et kidnappent de jeunes enfants pour en faire des soldats. Pour s’assurer qu’ils ne chercheront pas à revenir sur leurs pas, ils les contraignent aux pires atrocités. La fidélité par le sang. Si on s’attend à voir autant de drames dans la vie d’un enfant-soldat, la vitalité dont elle fait preuve pour survivre, s’allier et aimer le bébé qu’elle porte est une heureuse surprise.
Mais plus que l’histoire, c’est le sentiment d’authenticité qui donne au film toute sa valeur. On le doit, bien sûr, aux acteurs amateurs que Kim Nguyen a « trouvé » dans les rues de Kinshasa et qui campent des personnages plus vrais que nature. Mais surtout à une méthode de tournage originale qui laisse aux acteurs la possibilité de rester naturels et spontanés. Les scènes leur ont été présentées jour après jour sans que l’ensemble du scénario ne soit divulgué. Libéré de l’histoire, les acteurs ont laissé libre cours à leur imagination pour construire leurs personnages. L’ensemble donne au spectateur l’impression magique d’observer une tranche de vie plus vraie que nature.
De l’art brut au cinéma.
Date de sortie en France: 28 novembre 2012
Interdit aux moins de 12 ans – Durée du film: 1h30
Réalisé par Kim Nguyen, avec Rachel Mwanza, Alain Lino Mic Eli Bastien, Serge Kanyinda…