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« Trois petits cochons » déjantés à la Comédie Française

Les Trois Petits Cochons, adapté très librement du conte populaire par Marcio Abreu et Thomas Quillardet fait partie de ces (rares) spectacles jeunesse à offrir aux parents une joie ne se limitant pas seulement aux rires de leur progéniture, tous en redemandent. Ce monde déjanté et cartoonesque, où le loup balaye les maisons avec son souffleur de feuille est tellement barré par moment qu’il fait rire les plus récalcitrants.

Rarement il est donné de voir une famille de petits cochons aussi humaine. La mère-truie (Bakary Sangaré) dirige avec bonheur sa fratrie joyeuse (Julie Sicard, Stéphane Varupenne et Marion Malenfant), jusqu’au jour où le boucher-loup (Serge Bagdassarian) vient l’emmener, et que la petite famille se retrouve orpheline, contrainte à faire le tour du monde en quête d’un nouvel abri.

Commence alors un long périple, voyage initiatique, où malheureusement, à chaque étape, avant l’arrivée, un petit cochon sera mangé par le grand méchant loup. Découverte d’un monde inconnu plein de dangers.

Les moments d’excitations contrastent avec les instants chaleureux. La création d’ambiance est incroyable. Les temps de fuite entraînent le public dans l’excitation, et les instants de calme dans les maisons nous reposent de ces courses effrénées.

Si sur scène, les petits cochons ont la « saudade » de leur ancienne vie, pour le public c’est une vision complètement nouvelle du conte qui s’offre, et c’est excellent.

 

 Pratique : Jusqu’au 30 décembre au studio-théâtre de la Comédie-Française, Carrousel du Louvre, Paris. Réservations par téléphone au 0825 10 16 80 ou sur www.comedie-francaise.fr/. Tarifs : entre 8 € et 18 €.

Durée : 1 h

Mise en scène : Thomas Quillardet

Avec :  Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Stéphane Varupenne, Marion Malenfant.

 




Gran Kino – 1989 – Rencontre

1989, premier album de Gran Kino est pour le moins original. Le principe : réunir des artistes aux horizons des plus divers (un douanier hongrois, un MC d’Atlanta, Calexico, Clare – de Clare and the Reasons) autour d’une année, 1989, et de leurs souvenirs.

Rencontre avec Robin Genetier (guitare, basse, clavier) : 

Arkult (A) : 1989. Des souvenirs dans toutes les mémoires. Et vous, quel souvenir marquant de cette année 1989 ?

Gran Kino (GK) : Le souvenir que j’ai le plus en tête pour cette année est celui de l’exécution de Ceausescu le 26 décembre. Je me souviens du contexte, des personnes avec qui j’étais et de l’ambiance de cette fin de décennie… Les images de ces deux corps gisants, avec une image brouillée, une sorte de pression entourant tout cela, ma famille devant cette télé qui rend cette situation presque comme une fiction… Un drôle de moment pour finir une année si forte.

A : Quel tournant pour la culture européenne et mondiale a signifié pour vous cette année bien particulière ?

GK : Le Mur de Berlin est certainement le plus grand tournant pour la culture européenne & mondiale … On découvre alors les pays de l’Est, on va voyager, apprécier la « nostalgique architecture soviétique »… D’un seul coup – ou presque – c’est comme si on cassait un barrage entre deux eaux stagnantes : l’Ouest découvre les musiques de l’Est, les volontés artistiques qui se sont battues et développées sous la dictature communiste … Tandis qu’à l’Est, les populations vont être confrontées au mur de la pop culture, qui en cette fin des années 80 est surpuissante.

A : 1989. Berlin. La Chute du Mur. Quelle est votre vision de la « berlinisation » actuelle de la scène culturelle française et européenne, plus de 20 ans après ?

GK : Nous avons eu la chance d’aller de nombreuses fois à Berlin pour jouer, visiter, observer, écouter et acheter des disques … Il paraît que cette ville est la ville la plus appréciée des artistes américains & européens, c’est surement dû à l’Histoire qui survole toujours les quartiers de cette cité, à la gentillesse de sa population, au sentiment de liberté qui règne dans ces rues immenses où au final peu de gens vivent. On sait ce qu’on en ramène, mais l’applique-t-on vraiment ailleurs ? On aime l’électro berlinoise, l’énergie de ses soirées, l’implication artistique des ces habitants mais je ne suis pas sûr qu’on puisse un jour répéter cela chez nous, comme nous avons su le faire avec la culture américaine, et c’est pas plus mal. C’est beau des endroits qui gardent leurs spécificités, leur propre « odeur ».

A : Quels pourrait être la prochaine année / les prochains déclencheurs susceptibles d’inspirer de telles réactions / initiatives ?

GK : Un jour, un journaliste m’a dit : alors vous allez faire 1990 ? 1991 ? … Même si dans chaque pays, il y a toujours un évènement marquant, je ne suis pas sûr que toutes les années aient une « importance » sur l’entièreté du globe comme ça peut être le cas avec 1989.

Bien évidemment 1968, ça serait aussi intéressant de travailler sur 2011 – avec les révolutions dans les pays du Maghreb – ou même plus précisément sur la crise de 1929 en faisant un pont avec maintenant … Il y a des thèmes à collaboration tout autour de nous, il suffit de trouver l’angle de réflexion, et d’étudier correctement le sujet. C’est en même temps plus simple et plus dur que de faire un album plus « conventionnel » : plus simple car l’histoire est là, et il suffit de creuser pour en avoir d’autres et alors d’avancer sur l’imaginaire entourant chaque événement mais aussi plus compliqué car chacun d’entre nous vit ces moments, les connaît, les appréhende, et il faut donc ni se tromper, ni trop extrapoler, ni soustraire la vérité à l’Histoire.

A : Quels sont vos projets pour le futur ?

GK : En plus du projet 1989, qui nous prend encore du temps à travers la tournée en France & à l’étranger, mais aussi des nouvelles compositions qui restent à venir dans le spectacle, nous avons plusieurs idées/projets en cours d’écriture et de réalisation.

Le principal projet nous vient d’Afrique du Sud, où après avoir tourné là-bas pendant 1 semaine en septembre dernier, nous nous sommes vu proposer une collaboration avec divers artistes sur 2 projets distincts. Tout d’abord à Durban, avec des rappeurs zoulous qui seront en France en juin prochain, et avec qui nous allons faire des titres et partir en tournée. Ensuite au Cap, on s’est vu offrir la possibilité de travailler avec des artistes chanteurs / musiciens / danseurs locaux sur l’importance de Nelson Mandela pour l’Afrique du Sud, son arrivée au pouvoir en 1994 et aussi les couleurs du drapeaux … Un énorme projet avec des A/R entre les deux pays, un documentaire, un album, une tournée à l’automne 2013 et peut être même les 20 ans de la présidence de Madiba en 2014 à Pretoria.

Il y’a d’autres projets plus « officieux » et qui nécessitent qu’on avance encore discrètement. Je pense que tout sera toujours orienté vers des collaborations avec des artistes étrangers ou de styles différents du nôtre, ou vers des recherches musicales nouvelles.

A :  Un petit mot pour les lecteurs d’Arkult ?

GK : Je recherche des musiciens / chanteurs suisse allemand pour un projet futur, et si vous en connaissez hésitez pas à m’orienter ! Ecrivez à awordtogk[at]gmail[dot]com … Sinon, merci d’avoir pris le temps de lire, de découvrir Gran Kino et son projet 1989. J’espère qu’il retiendra votre attention, et que vous comprendrez que ce projet est une histoire et que cet album n’est pas une compilation mais une suite d’histoires comme un recueil de nouvelles.

 

Gran Kino
Sara de Sousa : chant, piano, orgue, xylophone
Charlie Doublet : chant, saxophones, clavier
Morgan Arnault : batterie, choeurs
Robin Genetier : guitare, basse, clavier

Site Web : http://www.grankino.com
Site Bandcamp : http://www.1989.bandcamp.com
1989 sur iTunes : https://itunes.apple.com/fr/album/1989/id564788149

 




Hip-hop et capoeira pour « Roméo et Juliette »

 

Copyright : Rictus

Cette semaine, Paris a accueilli le dernier spectacle en date de David Bobee. Créé à la biennale de la danse de Lyon en septembre, le metteur en scène y propose un « Roméo et Juliette » dans un décor solaire aux accents orientaux.

Bien évidemment, pendant tout le spectacle, la danse et l’expression corporelle, sont aussi importantes que le texte de Shakespeare. Les affrontements entre Montaigu et Capulet se font en hip-hop et en capoeira. Le duel entre Tybalt et Mercutio est particulièrement brillant dans le genre et leurs fantômes, magiques. Le cirque et la musique ponctuent le spectacle et laissent ainsi le temps au spectateur de respirer pendant les 2h45 que dure la représentation (sans entracte).

Cette approche très physique de la pièce laisse apparaître de belles scènes, véritables tableaux. L’utilisation de l’espace monumental est remarquable. On aperçoit parfois ce que cette histoire aurait pu donner visuellement si elle s’était déroulée dans l’Alhambra de Grenade.

Et cela n’empêche pas certains acteurs, très théâtraux d’être excellents. C’est le cas notamment du Prince (Thierry Mettetal), Benvolio (Marc Agbedjidji) et de la nourrice (Veronique Stas), très drôle. Mercutio (Pierre Bolo) dans son personnage aux accents hip-hop jusqu’au bout des ongles est aussi intéressant dans son registre. D’autres font plus parler leur corps, comme Tybalt (Pierre Cartonnet). Et le duo Grégory / Samson (Edward Aleman / Wilmer Marquez) donne un numéro de cirque à couper le souffle au cœur du spectacle.

Mais la pièce pêche un peu au niveau des rôles principaux. Le Roméo (Mehdi Dehbi) et la Juliette (Sara Llorca) manquent de profondeur chacun dans leur personnage, et surtout, c’est leur relation qui manque de sensualité. A l’exception de la scène du balcon où le duo fonctionne plutôt bien, il est difficile de croire à leur amour. L’émotion décrite n’est pas vécue par les personnages.

David Bobee fait néanmoins ressortir de cette interprétation moderne un drame contemporain. La traduction a été revue, laissant entendre la crudité de certains passages. Sont visibles pendant la pièce quelques questions de notre époque, la pression des pères, qui donnent à voir des humains voulant tout, tout de suite et sans passion, « les plaisirs violents connaissent des morts violentes »

Pratique : Jusqu’au 23 novembre au théâtre National de Chaillot, 1 place du Trocadéro (75116, Paris). Réservations par téléphone au 01 53 65 30 00 ou sur http://theatre-chaillot.fr/. Tarifs : entre 8 € et 33 €.

Durée : 2 h 45

Mise en scène : David Bobee

Avec :  Mehdi Dehbi, Sara Llorca, Veronique Stas, Hala Omran, Jean Boissery, Pierre Cartonnet, Edward Aleman, Wilmer Marquez, Radouan Leflahi, Serge Gaborieau, Pierre Bolo, Marc Agbedjidji, Alain d’Haeyer, Thierry Mettetal

Tournée :

  • Le 27 novembre 2012 au théâtre municipal TCM, Charleville-Mézieres
  • Les 12 et 13 décembre 2012 au théâtre de l’Agora, Scène nationale, Évry
  • Du 19 au 21 décembre 2012 à La Filature, Scène nationale de Mulhouse
  • Du 15 au 18 janvier 2013 au Lieu Unique, Nantes
  • Du 23 au 26 janvier 2013 au CNCDC, Châteauvallon
  • Les 31 janvier et 1er février 2013 au Granit, Scène nationale de Belfort
  • Les 7 et 8 février 2013 au Manège, Scène nationale de Maubeuge
  • Du 12 au 15 février 2013 au théâtre de Caen
  • Le 19 février 2013 à la Scène nationale 61, Flers
  • Du 26 au 28 février 2013 au Carré – Les Colonnes, St-Médard-en-Jalles
  • Les 14 et 15 mars 2013 à l’Hippodrome, Scène nationale de Douai
  • Du 19 au 22 mars 2013 à la Comédie, CDN de Béthune
  • Les 26 et 27 mars 2013 au Carreau, Scène nationale de Forbach
  • Le 4 avril 2013 à l’Avant Seine, Colombes
  • Les 14 et 15 mai 2013 au TAP, Scène nationale de Poitiers

 




Un roman épistolaire prémonitoire

Inconnu à cette adresse, la force époustouflante d’un roman épistolaire fictif et prémonitoire.

D’un côté de l’atlantique Max Eisenstein de l’autre Martin Schulse. Leur correspondance débute, lorsque l’exil de Martin aux Etats-Unis prend fin en 1932. Max reste sur le sol américain pour affaire et Martin retourne en Allemagne avec sa femme et ses fils. Partenaires dans la vie professionnelle (co-gérants d’une galerie d’art) et amis dans la vie privée et presque beau-frère c’est donc très naturellement que débute leurs échanges. Échanges très libre au cœur desquels la famille, leur patrie l’Allemagne et le rôle qu’ils tiendront dans sa re-construction.

 

La force du roman de Kressman Taylor réside dans le fait qu’en quelques mots on est totalement plongé dans l’intimité des deux acolytes. En quelques lettres on devient le témoin muet de leurs échanges. Ancêtre de la télé réalité, les recueils épistolaires en partagent la dynamique principale, le voyeurisme. On partage les moments les plus intimes des correspondants, petits bonheurs ou grands malheurs. Embarqué avec eux dans la projection malheureusement visionnaire de Taylor de la montée du nazisme. Le roman terminé un an avant que la guerre n’éclate prend ainsi une sombre résonance prophétique.

 

La force de l’adaptation sur scène de Michèle Levy-Bram est que ce qu’on perd dans l’intimité feutrée du papier on le gagne en interactivité et en fulgurance. La mise en scène est conçue comme un match. Deux bureaux douillets éclairés successivement et c’est les yeux rivés à la scène que le regard passe de gauche à droite et de droite à gauche. La balle, la lettre. Le filet, l’océan. Le rythme des échanges permet aux duos successifs interprétant Martin et Max* de poser chaque mot et de monter en intensité dans leur jeux. Qui dit match dit gagnant et perdant mais ici le but n’est pas les honneurs et une belle coupe en cristal le but c’est la vie et les échanges n’en seront que plus décisifs.

 

Quand deux histoires personnelles rencontre la grande Histoire, voici une occasion percutante d’aborder autrement le sujet de la seconde guerre mondiale.

 

* les duos interprétant les deux personnages de Max et Martin au Théâtre Antoine :

  • Janvier : Gérard Darmon et Dominique Pinon
  • Février : Thierry Frémont et Nicolas Vaude
  • Mars : Thierry Lhermitte et Patrick Timsit
  • Du 4 Septembre au 29 Septembre : Richard Berry et Franck Dubosc
  • Du 2 Octobre au 3 Novembre: Stéphane Guillon et Pascal Elbé
  • Du 6 Novembre au 1° Décembre: Jean-Paul Rouve et Elie Semoun

 

Pratique : Jusqu’au 1er décembre au théâtre Antoine, 14 boulevard de Strasbourg (75010 Paris)
Réservations par téléphone au 01.42.08.77.71 ou sur http://www.theatre-antoine.com/
Tarifs : entre 19€ et 36 € – Du mardi au samedi à 19h00

Durée : 1 h 00

Mise en scène : Michèle Lévy-Bram et Delphine de Malherbe

 




« Zéro s’est endormi ? », mais ne fait pas rêver

 

Copyright : Michael Stampe

On se souvient aisément des mises en scène de Christophe Lindon, fines et oniriques, dans de belles scénographies. On pense notamment à « L’Alouette » et à « Pensées Secrètes », toutes deux du cru 2012. On apprécie ce soin apporté au décor, toujours présent dans « Zéro s’est endormi », nouvelle création qui a vu le jour fin septembre à Champigny-sur-Marne et qui est donnée depuis le 5 novembre à Paris.

On y retrouve la vidéo sur écrans multiples, la scénographie pleine de surprises, les projections baignant la scène dans des atmosphères aquatiques ou nostalgiques… Mais habituellement, Christophe Lidon choisit des textes qui méritent un tel dispositif, ce qui n’est pas le cas de celui-ci, signé Valérie Alane. Le résultat est donc mitigé.

Zéro (Bernard Malaka) dort tous le temps. Depuis des années il n’a pas passé plus d’un quart d’heure éveillé. Un jour il trouve tout de même le temps de répondre à une petite annonce. Oui car malgré son état d’hibernation permanente, il trouve le temps de lire le journal : les incohérences sont légion dans la pièce, ce qui est compréhensible puisqu’elle se déroule dans l’univers du rêve, mais ce n’est pas suffisant.

Cette annonce, donc, a été passé par une femme, Alice (Valérie Alane), qui est à la recherche de personnes qui accepteraient de laisser photographier leurs rêves : elle en a le pouvoir, avec son appareil photo magique. L’expérience se déroule bien, jusqu’à ce que des personnages « tombent » du rêve de Zéro, et commencent à interagir avec le monde, un monde limité à la chambre du (z)héros.

Les éléments de la vie du protagoniste s’empilent alors. On le voit lui, plus jeune (ou comme il aurait voulu être). On aperçoit sa sœur (fictive), qui accouche régulièrement de chansons. Le médecin de famille est devenu facteur, le père (absent) un meurtrier, et Zéro le fils caché de Carl Gustav Jung, éminent psychanalyste, contemporain de Freud.

Toute l’histoire semble une pièce de théâtre jeunesse (mal) transposée au monde des adultes. Comme des enfants qui répètent ce que disent leurs parents sans y faire jouer le sens critique, prenant les idées entendues ici ou là dans le foyer familial et répétées dans une cour d’école. Valérie Alane ne va pas au fond des choses, elle se contente de les évoquer : on parle « un peu » d’inconscient. Zéro a été « un peu » abusé par son père adoptif, qui a probablement mis le feu dans l’immeuble de Carl Jung, Zéro a eu une mère « un peu » castratrice aussi, Zéro a souffert d’être un fils unique. Il y a une tentative de reconstruire l’inconscient en permettant au monde entier de voir le rêve (fantasme ultime !). Mais c’est globalement ennuyeux et le surplace est palpable.

Il y a aussi l’appel aux mythes, des références à Icare, Thésée, Ariane et le Minotaure. Il ne manque plus qu’Oedipe et Homer Simpson : cela n’apporterait rien de plus au manque de clarté de la pièce mais ça pourrait être drôle. Malheureusement le mélange de psychanalyse et d’onirisme ne prend pas, car c’est ici que le bât blesse : la pièce ne prend pas partie pour l’un ou l’autre. Zéro s’est endormi, nous aussi.

Pratique : Jusqu’au 9 décembre au théâtre Artistic Athévains, 45 rue Richard Lenoir (75011, Paris)
Réservations par téléphone au 01 43 56 38 32 ou sur www.artistic-athevains.com
Tarifs : entre 10 € et 30 € – Les mardi (20 h), mercredi, jeudi (19 h) vendredi et samedi (20 h 30), samedi et dimanche (16 h).

Durée : 1 h 30

Mise en scène : Christophe Lidon

Avec :  Valérie Anne, Denis Berner, Sarah Biasini, Marie-Christine Danède, Sylvain Katan, Bernard Malaka




Au festival Premiers Pas, on « Vie de grenier »

Jusqu’au mois de décembre à la Cartoucherie de Vincennes se déroule le festival « Premiers Pas ». Occasion offerte à de jeunes compagnies de présenter une première création sur la scène du théâtre du Soleil. Parmi les six spectacles, « Vie de grenier » est donné par la troupe des EduLchorés; ce travail collectif mêle théâtre, musique et danse.

Grand-mère Simone vient de mourir. Ses (nombreux) petits enfants sont venus débarrasser les meubles, ranger ses dernières affaires. Qui prend quoi ? La destination du contenu de cette caverne d’Ali Baba ne fait pas l’unanimité, certains veulent vendre tout, immédiatement, d’autres veulent se plonger dans les souvenirs. Les fantômes qui habitent ces objets vont aider ces jeunes gens à faire les choix justes en embarquant les descendants (et les spectateurs) dans un voyage entre les époques vécues par cette grand mère qui peut être celle de tout un chacun.

De cette idée qui peut sembler naïve au départ, naît en fait une manière élégante et fraîche d’interroger la relation avec les époques intimes qui nous ont précédés. Comment la jeunesse réagit-elle face à la mort, face à l’héritage ? Comment chacun vit-il le manque causé par la perte d’un être, et surtout : comment vider un grenier peut-il devenir une véritable thérapie collective, un travail de mémoire ?

On partage la vie d’horloges, livres et tapisseries, qui chacun offre ses souvenirs et ses surprises. Le spectacle est bien mené, les comédiens apportent chacun dans leur jeu une vue différente sur cette vie qui subsiste après la mort.

La mise en scène, la création lumière sont pleines d’idées et d’entrain, bien que la précision côtoie parfois un peu le fouillis (qu’on mettra sur le compte de la fougue inhérente à la jeunesse). Une mention particulière également pour la musique originale, jouée sur scène par un quatuor à cordes.

Les EduLchorés nous font vivre un beau voyage, un rêve pétri dans la poussière et les souvenirs, qu’ils partagent aisément avec le public, un beau présage en vue des créations futures.

Pratique : Du 6 au 15 décembre au théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes
Réservations par téléphone au 01 43 74 24 08 ou sur http://taftheatre.fr/ – Tarifs : entre 10 € et 15 €.

Durée : 1 h 30

Mise en scène : Emma Pasquer

Avec : Laura Périnet-Marquet, Claire Frament, Elise Pierre, Aurey Vernichon, Juliette Quillevere, Clémence Viandier, Claire Duchêne, Estelle Pasquer, Tristan Lhomel, Alexandre Goldinchtein, Matilde Vilaça.

 




« Le Retour » de Pinter à l’Odéon


Luc Bondy présente sa mise en scène de la pièce d’Harold Pinter, « Le Retour » (The Homecoming) jusqu’au mois de décembre au théâtre de l’Odéon. C’est sa première « grande » création depuis sa nomination à la tête de l’établissement.

La pièce du dramaturge anglais raconte le retour, après six ans sans nouvelles, du fils préféré de la famille dans le foyer qui l’a vu naître. Quand il pousse la porte du grand appartement, rien n’a changé. D’ailleurs sa chambre est toujours prête à l’accueillir. Ce huis-clos très masculin questionne sur l’emprise de la famille, comment on s’en différencie, comment celle-ci nous construit. La place du père, des enfants et surtout, de la mère, femme merveilleuse puis putain deux phrases plus bas… Cette femme qui a mis au monde les trois fils du chef de famille, ou cette femme qui accompagne le fils prodigue en visite, et qui fera elle-même le choix de ne plus repartir.

L’intrigue se déroule dans un très beau décor (de Johannes Schütz), un appartement aux grand volumes, un peu délabré, qui semble tout droit sortie des Sims. À l’intérieur évoluent les personnage. Placés au gré des besoins, de la cuisine, au salon ou dans la caravane du garage, où qu’ils soient, on voit tout. Cet espace convient à la mise en scène élégante de Luc Bondy, très centrée sur le génie de chaque acteur.

Car c’est sur eux que tient le drame, l’interprétation pure donne lieu à d’excellents moments. Tout particulièrement de la part de Micha Lescot, personnage un débile léger, égocentrique, je-m’en-foutiste aux pulsions meurtrières est particulièrement brillant. Les relations entre les protagonistes sont aussi claires et bien travaillées. Le fils dominé par sa femme. Le père et le frère liés par une relation comme celle qui lie César et Panisse chez Pagnol : un mélange de concurrence, d’émotion virile et de taquinerie.

Tous ces personnages qui vivent dans une nostalgie refoulée de la mère, de la femme. Toutes les autres ne sont que des « putes vérolées ». C’est d’ailleurs ce chemin que prendra la belle-fille…

Malgré quelques petites longueurs, cette première de Luc Bondy dans sa nouvelle maison est un joli spectacle, qui mérite un large détour, ne serait-ce que pour la belle performance des comédiens. 

Pratique : Jusqu’au 23 décembre au théâtre de l’Odéon-Europe, place de l’Odéon (6e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44 85 40 40 ou sur www.theatre-odeon.fr/ / Tarifs : entre 6 € et 34 € – Du mardi au samedi à 20 h. Dimanche à 15 h.

Durée : 2 h 20 (entracte compris)

Mise en scène : Luc Bondy

Avec : Bruno Ganz, Louis Garrel, Pascal Greggory, Jérôme Kircher, Micha Lescot, Emmanuelle Seigner

 




Charlotte de Turckheim : « Une lolita d’un certain âge »

Charlotte de Turckheim est revenue pour Arkult sur son rôle de Kathy, « lolita d’un certain âge », qu’elle incarne dans « Que faut-il faire de Mister Sloane »

On vous voit peu au théâtre, c’est une volonté de votre part ?

Depuis 20 ans, je joue mes one-woman-show sur scène, ajoutez-ça au cinéma, ça ne me laissait plus le temps pour le théâtre. Sachez qu’en général, je joue mes spectacles 1 an à Paris puis 3 ans en tournée, donc chaque spectacle me prend 4 ans, ajoutez-y la préparation et on arrive à 5. J’ai fais trois spectacle, ça fait 15 ans !

J’ai la chance d’avoir beaucoup de succès avec mes one-woman-show, j’ai adoré les jouer dans toute la France. Mais c’est vrai qu’on ne parle de vous que la première année parce que vous êtes à Paris. Une fois en province, ça n’intéresse plus les médias. Les gens ont l’impression que vous n’êtes pas là, alors que vous êtes « sur le terrain », si j’ose l’expression !

Vous avez arrêté les one-woman-show ?

Oh non ! J’y reviendrai certainement un jour. Mais là, j’avais envie de jouer avec d’autres gens. Je me régale à me retrouver dans les loges avec les acteurs, on s’entend tous super bien. J’avais envie de partager les moments forts, les joies, les peines. Surtout sur un spectacle comme ça que certains adorent et d’autres détestent. On en rigole ensemble, on se soutient, c’est extra.

Comment avez-vous rencontré Michel Fau qui vous met en scène ?

Je l’ai rencontré il y 20 ans. On jouait « Le Misanthrope » de Molière à Nice. Je m’étais vachement bien entendue avec lui, j’avais adoré sa folie, sa liberté, son insolence… On s’est entendu comme larron en foire. On était moyennement heureux dans ce spectacle car on était assez contrains, c’était pas un endroit où on pouvait exprimer une folie. C’était difficile…

C’est marrant, parce que je m’aperçois… Je viens de la grande époque du café-théâtre, et j’avais un peu minimisé l’influence que ça aurait tout au long de ma carrière. Quand j’ai démarré, je ne voulais pas jouer du boulevard, ni du classique. Dans ce milieu, on voulait faire exploser les codes. À l’époque, le Café de la Gare, c’était tout ce que j’aimais ! C’était génial ! Et Coluche, le Splendid… Ils faisaient un théâtre que je n’avais jamais vu. Après cette époque, je me suis retrouvée dans une grosse structure subventionné où il fallait aller faire des courbettes à la mairie, je rentrais dans un monde très pyramidal, conventionnel, ce n’était pas mon truc. J’avais décidé qu’après ce « Misanthrope », je ferais mes spectacles toute seule !

Pour en revenir à Michel Fau, comment vous êtes vous retrouvé aujourd’hui pour travailler sur la pièce de Joe Orton ?

On a le même agent, Jean-François Gabard. Plusieurs fois je lui ai dit que si je retournais au théâtre, ce n’était pas pour faire le premier boulevard venu, et que je n’accepterais de jouer dans un boulevard que s’il est mis en scène par Michel Fau.

C’était donc un désir de votre part de travailler avec lui.

Exactement. Du coup, c’est Jean-François qui a dit à Michel Fau, « Tu sais, Charlotte a très envie de jouer avec toi », et Michel Fau m’a proposé cette pièce.

Comment vous l’a-t-il présenté ? Vous connaissiez Joe Orton ?

Je ne connaissais pas Joe Orton, et quand il me l’a donné à lire, il a dit à notre agent, « elle ne va pas accepter ». Il pensait que je ne voudrais pas le rôle, c’est vrai qu’il ne me met pas beaucoup en valeur…

Vous pouvez nous présenter ce personnage de Kathy ?

Je pense que c’est une nana qui a entre 40 et 50 ans… Ou plutôt sans âge puisqu’elle tombe enceinte. Mais comme tout est un peu irréel… Ne mettons pas d’âge, l’idée de l’âge me vient parce qu’elle tombe enceinte. Mais est-elle vraiment enceinte ? Elle est assez folle pour se faire croire qu’elle l’est. Disons, une femme plus toute jeune, ni toute vieille. C’est une lolita d’un certain âge qui séduit un espèce de jeune homme mi-ange mi-demon qu’elle met aussi sec dans son lit. Ce qui rend le frère abominablement jaloux. Kathy est à la fois la grande gagnante et la grande perdante de la pièce.

On pourrait appliquer cette phrase au frère aussi…

Oui, sauf que dans l’histoire il y a une seule certitude, celle que Sloane est mon amant. Il n’y a aucune certitude concernant l’autre côté. Et dans le fond le frère n’assume pas vraiment son homosexualité alors que moi j’assume totalement d’être une cougar. Je passe à l’acte !

La situation de Kathy est plutôt inconfortable, et comme vous le disiez le rôle ne vous met pas particulièrement en valeur. Pourquoi l’avoir accepté ?

Je savais qu’avec Michel je pourrais aller très très loin dans le personnage, tout en étant protégée.

Protégée ?

Je savais que ça allait être bien, je savais que ça allait me plaire. Même si « bien » ça ne veut rien dire, car il y a des gens qui détestent la pièce.

Vous ne pensez-pas que si des gens détestent cette pièce, c’est probablement en partie à cause du traitement que subi votre personnage ?

Vous voulez le fond de ma pensée ? Je pense que les gens qui n’aiment pas cette pièce, sont des gens qui ont des zones d’ombre en eux. Je vois des gens qui sont tellement choqués et exaspérés en sortant ! Ça reste du théâtre tout de même, c’est pas si grave… Mais il y en a qui ne sont pas prêt à entendre des choses aussi dérangeantes sur la sexualité, sur la violence et sur la manipulation…

Vous n’avez aucune difficulté à subir autant de violence chaque soir sur scène ?

Honnêtement, si… Je fais des cauchemars toutes les nuits, d’enfants morts ou d’enfants qu’on me confie et que j’oublie dans des piscines, des gosses défenestrés… C’est dingue. Kathy a eu un enfant, il est mort ou il a été adopté, on ne sait pas.

Vous habitez complètement votre rôle…

Je m’aperçois que ça me remue beaucoup. Je suis très contente d’être sur scène, mais la folie de ces personnages remue terriblement. Je suis très fragile en ce moment, très fatiguée. Physiquement aussi, moi qui suis une lève tôt, je ne me lève pas un seul matin avant 11 heures. Ce n’est pas un rôle qu’on peut jouer avec de la technique, il faut être complètement dedans, on ne peut pas s’économiser, quand on a un peu trop confiance ça ne marche pas. Si je rentre en scène et que je ne suis pas au maximum de l’hystérie contenue, ce n’est pas bon. La première réplique, « voilà le salon », il faut que le public voit toutes les questions qui me passent par la tête « je vais me le faire ? Il va rester ? J’ai tellement envie »… Si je me contente de dire « voilà le salon » comme Jacqueline Maillan, ça ne marche pas. C’est incroyable.

Vous arrêtez « Que faut-il faire de Mr Sloane » le 31 décembre. Avez d’autres projets au théâtre en 2013 ?

Non je fais ça et c’est tout. Je me mets très à fond dans ce que je fais, et là, j’en ai pour six mois à me remettre d’un rôle pareil !

Voir notre critique de « Que faire de mister Sloane ? »

 

 




« Que faire de Mister Sloane ? », une folie à la Comédie des Champs Elysées

Que faire de mister Sloane ? Ce jeune éphèbe mystérieux qui débarque pour louer une chambre dans cette maison au milieu d’une décharge ? On parle de « faire », comme si Sloane n’était qu’objet de fantasme. Pour une femme (qu’il met enceinte) et pour le frère, c’est bien le cas. Sans oublier le père, témoin d’un meurtre de Sloane il y a quelques années et dont la cécité grandit chaque jour, qui vient compléter ce quatuor de folie. Chacun joue sa partition pour mener le spectateur au cœur de sa folie.

Cette pièce est le premier succès de Joe Orton, un auteur anglais au destin terrible disparu au milieu du XXe siècle. La perversion, le sexe et la vulgarité s’y mélangent allègrement. Une pensée toute particulière pour Charlotte de Turckheim qui en est la principale cible et victime. D’ailleurs, elle doit profondément donner de sa personne durant tout le spectacle : parfois en nuisette, coiffée comme une anglaise des années Folles, elle se fait copieusement insulter par son frère. Rendu dingue par la jalousie, il ira jusqu’à hurler, « mais regardez-là ! On dirait une pute qui recherche l’extase ! ». Elle a juste peur d’avoir fait quelque chose de mal, comme une enfant injustement grondée. D’ailleurs, tous les personnages ont des réactions d’enfants pas sages.

Voilà pour la teneur de la pièce.

Le mauvais goût anglais y est poussé à son maximum (on y cuisine du jambon bouilli) et de l’exagération extrême jaillit un rire franc. Certes on a envie de prendre Charlotte de Turckheim en pitié. Elle, cougar de banlieue gênée, aime que son jeune amant (qui profite de sa générosité) l’appelle « Maman ». Les quiproquos et les scènes équivoques ajoutent beaucoup de force à ce cadre burlesque. Sans oublier les costumes (créés par David Belugou) qui donne l’air à chaque acteur de sortir de l’imagination de Lewis Carroll. Michel Fau dans le rôle d’un Eddy aux manière de grande folle christique, illuminée et miséricordieuse est totalement déjanté.

 « Que faire de mister Sloane » peut être une pièce douloureuse pour le spectateur embarrassé de pitié. Mais si l’on fait fi de toute morale et de toute considération, se contentant de jouir avec perversion de cette situation terrible, alors le rire ponctue notre souffle.

 Pratique : Jusqu’au 31 décembre à la Comédie des Champs Elysées, 15 avenue Montaigne (75008, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53 23 99 19 ou sur www.comediedeschampselysees.com / Tarifs : entre 10 € et 39 € – Du mardi au samedi à 21 h. Matinée le samedi à 16 h.

Durée : 2 h

Mise en scène : Michel Fau

Avec :  Charlotte de Turckheim, Gaspard Ulliel,  Michel Fau et Jean-Claude Jay.




En route pour « Néoplanete »

Avec « Néoplanète », le hongrois Árpád Schilling nous plonge littéralement au milieu d’un monde qui change, où l’expérience de l’exil est le point commun des habitants qui restent. Voulu comme un véritable voyage, le contenu déroute, forcément, mais il ne manque pas de trouver sa cible. Les spectateurs partent par rang entiers durant toute la pièce, à contrario, le public qui reste jusqu’au bout est aisément conquis.

Árpád Schilling utilise la vidéo, beaucoup. De très belles images forment un film où les héros de la scène apparaissent parfois à l’écran pour continuer l’histoire. Il y a du cirque aussi, de la corde et de la barre verticale, mélangée à la danse. Une intrigue (n’ayant pas grand intêret) prend forme à un moment, puis s’arrête, c’est décousu. Le public réagit lui, beaucoup, car il est invité à le faire. Un Rom (authentique) vient sur scène, une traductrice hongroise permet à ceux qui le souhaitent d’avoir une discussion avec lui, sur ses conditions de vie et sur les raisons qui l’ont poussé à partir. Beaucoup plus tard dans la pièce, deux autres Roms, à peine adolescents, viennent se prêter au jeu des questions dans un français impeccable. Symboles du non-retour, de la nécessité de partir.

On oscille, entre la curiosité, l’ennuie, le désir d’en savoir plus. On succombe à la beauté des images, on partage l’attente des personnages dans des situations qu’ils n’avaient pas prévues, ou souhaitées…

Pour tenter d’en donner une idée concrète (bouh! Le vilain mot), « Néoplanète » est une sorte de work-in progress où les personnages réfléchissent à des solutions pour pouvoir partir, avec qui partir et quels sont les choix qui conduisent à préférer ce départ, ou cette personne comme accompagnatrice.

Bel exemple de lâcher-prise, ce spectacle est loin d’être évident, mais (chose importante) le public scolaire le soir de la représentation à laquelle nous assistions était aux anges d’avoir vu un théâtre au langage simple, posant les problématiques de notre époque, mêlant les genres et les surprises. Excellent baromètre de la scène que celui de la génération en cours de construction…

Pratique : Jusqu’au 26 octobre au théâtre national de Chaillot, 1, place du Trocadero (16e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53 65 30 00 ou sur theatre-chaillot.fr/ / Tarifs : entre 8 € et 33 € – Du mardi au vendredi à 20 h 30.

Durée : 2 h 30 (sans entracte)

Mise en scène : Arpad Schilling

Avec : Cristiana Reali, Rasha Bukvic, Léopoldine Serre, Monique Chaumette et Grétel Delattre, Estelle Dore, Bérangère Gallot, Jean-Yves Gautier, Martin Loizillon, Sandrine Molaro, Sophie Nicollas, Nicolas Pujolle, Herrade Von Meier.

 




Pauline Bureau montre ses « Modèles »

Après sa création en 2011 au Nouveau Théâtre de Montreuil, « Modèles » s’installe jusqu’en novembre au Rond-Point. Cette pièce signée Pauline Bureau est le fruit d’un travail d’écriture collective effectué par la metteur en scène et les actrices elles-mêmes, mêlé de textes de Pierre Bourdieu, Marguerite Duras ou Virgine Despentes. Les femmes sont-elles vraiment l’égal des hommes ?

Celles qui posent la question étaient gamines dans les années quatre-vingt. Officiellement, elles ont les mêmes droits que leurs homologues masculins, elles ont toujours eu la possibilité de voter et de travailler… Mais dans « Modèles », elles parlent également de tout ce qu’on ne leur avait pas dit : de la maîtresse de maison à celle qui s’est faite violer et à qui on dit qu’elle ne s’en remettrai jamais. Des hommes, ces héros, dès qu’il mettent les pieds dans un supermarché, pendant que leurs épouses jouent à Cendrillon chez elles, d’ailleurs, elles en sont ravies ! Pendant 1 h 45, on grandit avec elles, elles nous guident par leurs expériences, parodiant ce qu’on attend d’elles.

Le féminisme actuel, pilier de cette création, est évoqué de façon poétique et ingénieuse, peu guerrière, jamais frontale. L’approche humoristique et sincère fonctionne. Leurs histoires, qu’elles soient tristes ou heureuses, nous passionnent. Naturellement, l’évidence des mots employés suffiraient à gommer la notion « d’avortement de confort » de la pensée des êtres obtus qui imaginent que cela peut exister.

Il est difficile, d’autant plus pour un individu masculin, d’imaginer le foyer comme une prison. Encore plus difficile pour la société d’imaginer la Femme comme étant encore asservie par son mari en 2012. Et pourtant, les questions évoquées dans « Modèles » font mouche et posent de justes bases de réflexions.

La mise en scène soutient finement le propos. Que les mots soient déclamés face au public sur un plateau nu, au milieu d’une cuisine ou bien à quelques mètres de hauteur, en studio. La force du spectacle réside dans le jeu des cinq actrices qui s’incarnent en donnant l’impression de jouer des rôles. Moment magique où on ne sait plus trop si c’est la femme ou la comédienne qui nous parle. On s’en fiche : c’est passionnant. 

Pratique : Jusqu’au 10 novembre au théâtre du Rond-Point, 2bis av. Franklin D. Roosevelt (8e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.theatredurondpoint.fr / Tarifs : entre 11 € et 30 € – Du mercredi au samedi à 21 h. Dimanche à 15 h 30.

Durée : 1 h 45

Mise en scène : Pauline Bureau

Avec : Sabrina Baldassarra, Laure Calamy, Sonia Floire, Gaëlle Hausermann, Marie Nicolle (musicien live : Vincent Hulot)

 




« J’habite une blessure sacrée », cure de réalité

Nelson Mandela accède au pouvoir puis est obligé de céder aux règles du commerce international. Dans son propre pays, il ne peut pas reprendre leurs immenses terres aux Afrikaners pour nourrir un peuple qui a faim. Son programme politique ne peut être mis en place.

L’OMC, déesse de l’ultra-libéralisme veillant au bon déroulement des transactions entre les pays, obéit a des règles écrites par l’Occident. L’Afrique doit pourtant s’y conformer.

125 000 paysans se sont donné la mort en Inde entre 2000 et 2007, incapables d’entretenir leurs champs devenus stériles à cause des pesticides utilisés pour faire pousser les OGM.

En 1989, l’Exxon Valdez s’échoue en Alaska : la marée noire qui en découle est une catastrophe. Toujours en 1989, les 70 000 km² de côte du delta du Nigeria sont défoncés par le pétrole extrait dans le pays par des sociétés occidentales. Personne n’en parle.

En Haïti, on mélange des herbes et de la boue pour faire des gâteaux. Les Haïtiens appellent cette nourriture : le biscuit dur.

Evo Moralès, premier président d’origine amérindienne de Bolivie est élu en 2006. La première mesure de son mandat : renégocier les contrats de production gazière et pétrolière avec les multinationales afin d’en faire profiter le peuple Bolivien.

Pendant ce temps en Occident, on se travestit en boite de nuit et on danse sur des rythmes effrénés après avoir passé une journée à boursicoter. Le videur à l’entrée raconte son expérience : « Je suis obligé en un très court laps de temps, de juger la maximisation du profit probable selon le look du client qui se présente à la porte ».

C’est ce paradoxe, poussé aujourd’hui à son paroxysme (et plus encore) que tente de montrer « J’habite une blessure sacrée » de Mireille Perrier. Une histoire adaptée de « La Haine de l’Occident » de Jean Ziegler. Moment court mais intense. Du théâtre conscient au service du monde et de sa mémoire où l’action est montrée du point de vue de ceux qui la vivent.

Ils sont quatre acteurs pour jouer des dizaines de personnages. Les costumes sont pendus aux quatre coins de la scène pendant que les intrigues se déroulent dans un cercle tracé au moyen de tuiles brisées. A l’intérieur se dessine un portrait du grand méchant Occident dans de courtes sceynettes. Le travail d’adaptation est impressionnant car le résultat est profondément théâtral. Les éclairages et la mise en scène sont chargées d’une belle esthétique. Baignant la scène en pleine lumière lors de discours, dans la pénombre de la fumée et des cadavres le 11 septembre 2001.

Lorsqu’on participe à une expérience comme celle-ci (car c’est une expérience, on ne subit pas ce qu’il se passe sur scène, on y participe), on ne ressort pas indemne ou la tête vide. Les questions fusent, la plus importante reste : qui sommes-nous, humains ?

Un spectacle étonnant, essentiel. Espérons qu’il ne soit pas qu’un prêche pour convaincus : il faut montrer cette réalité au plus grand nombre, surtout quand c’est si bien fait. 

 

Pratique : Jusqu’au 31 octobre à la Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud (75011, Paris) – Réservations par téléphone au 01 47 00 25 20 ou sur www.maisondesmetallos.org / Tarifs : entre 10 € et 14 € – Du mardi au vendredi à 20 h. Samedi à 19 h, matinée le dimanche à 16 h.

Durée : 1 h 20

Mise en scène : Mireille Perrier

Avec : Benjamin Barou-Crossman, Stéphanie Farison, Joël Hounhouénou Lokossou, Mireille Perrier




Leçon de corruption par « Volpone ou le renard »

L’argent rend fou, ceux qui n’en n’ont pas comme ceux qui l’amassent, c’est ce que voulait montrer Benjamin Jonson dès 1606 dans sa plus célèbre pièce, « Volpone ou le renard ». Ce personnage, sorte d’Harpagon britannique, est doté d’un goût prononcé pour le jeu de dupe. Roland Bertin, retraité de la Comédie-Française, l’incarne avec beaucoup de justesse, de talent et de finesse.

Les courtisans s’aglutinent au chevet de celui-ci, se faisant passer avec la complicité de son valet (Nicolas Briançon) pour mourant. On assiste à un grand bal des faux-culs, plein de fausseté et de stratagèmes, chacun y va de ses présents pour se faire coucher sur le testament. Empoisonnement, tentative de fiançailles, étranglement et prostitution s’installent à merveille dans ce beau décor de théâtre composé de coffres forts sur deux étages, offrant la possibilité d’une mise en scène dynamique et créative. Une mention particulière pour Grégoire Bonnet, incarnant un Corvino à la gestuelle d’agent immobilier maniaque.

Texte noir, acide, sombre et profondément cynique, Volpone a été ré-adapté par Briançon lui même. Mordant, tordant, on entend chaque syllabe et l’humour qui s’en dégage est incisif et proprement irrésistible. Les propos dessinent une image de l’argent comme étant un tuteur, cultivateur de désir, idée décrite avec de belles allégories et autres métaphores. On y voit aussi clairement le pouvoir des gens de l’ombre (ici, le valet), dirigeant à la baguette le jeu voulu par son maître, et auquel ce dernier se fera prendre par excès de gourmandise.

Tant il est vrai que la pièce dénonce ce que le genre humain peut faire pour l’argent, elle est aussi un tableau sans complaisance de ce que sont prêtes à faire les riches personnes pour s’amuser et se sentir exister. Volpone qui apparaît en Michou (le bleu en moins) en début d’acte 2 pour n’être pas reconnu des gens dans la rue, illustre la futilité à merveille. Il est aussi effroyablement crédible lorsqu’il joue les vieux pervers lubriques avec la femme d’un autre et presque bouleversant quand il se retrouve sans fortune face à la seule personne en qui il avait confiance.

L’argent donne tous les droit aux riches, puisqu’avant son déclin, le vieil animal sera au cœur d’un procès qu’il gagnera avec toute l’aisance que permet une bourse bien pleine aux yeux d’une justice aussi corrompue que l’âme humaine. Grandiose !

Enfin, Nicolas Briançon a fait le choix d’un final légèrement différent de la pièce originale, une conclusion diabolique, bien emmenée après deux heure de jeu très prenantes.

 

Pratique : Actuellement au théâtre de la Madeleine, 19 Rue de Surène (8e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 42 65 07 09 ou sur www.theatremadeleine.com / Tarifs : entre 17 € et 54 €.

Durée : 2 h 05

Texte : Ben Jonson

Mise en scène : Nicolas Briançon

Avec :  Roland Bertin, Nicolas Briançon, Anne Charrier, Philippe Laudenbach, Grégoire Bonnet , Pascal Elso, Barbara Probst, Matthias Van Khache et Yves Gasc

 




Lee Jeffries, le photographe illusionniste

Les mots de Bukowski sonnent juste pour expliquer la démarche artistique du photographe Lee Jeffries. Cet artiste originaire de Manchester a commencé par photographier des manifestations sportives avant de se tourner vers la photographie sociale. 

« Quand je sortirai, j’attendrai un moment et puis je reviendrai ici, je reviendrai et je regarderai de l’extérieur et je saurai exactement ce qui se passe de l’autre côté et là, devant ces murs, je vais me jurer de ne plus jamais me retrouver derrière. »  

 

La légende veut qu’il ait volé son premier portrait à une jeune SDF blottie dans son sac de couchage. Honteux d’avoir pris la fuite avant qu’elle ne s’indigne, il serait revenu sur ses pas pour lui parler et aurait changé par la même occasion sa perception de ceux qui devinrent ses modèles de prédilection : les sans-abris. Passer de l’autre côté et là, devant ces murs, jurer de ne plus jamais me retrouver derrière. Rendu célèbre par la chaîne de magasins Yellow Corner, qui vend des reproductions de ses photographies à des tarifs raisonnables, Lee Jeffries jure aujourd’hui qu’il n’oublie pas la dimension humaine de son travail: « J’ai fait un effort pour apprendre à connaître chacun des sujets avant de leur demander leur permission de faire leur portrait. » 

 

Finalement, ils sont des centaines à avoir été immortalisés par le maître. Il a fait des rides et de la crasse sa spécialité. Sur son compte Flickr, on peut les observer en série. Ils ont les ongles sales, le nez tordu, des barbes jaunies mais ils sont beaux. En grand illusionniste, Lee nous donne à voir les hommes des marges et en fait des princes. Avec son Canon EOS 5D, il parvient à mettre en lumière toute la noirceur des rues. Il laisse aux modèles leurs filets de bave, leurs sourires édentés et le droit de fumer et nous rappelle par la même occasion que le beau est partout où l’on veut bien le chercher.

 

 

Devant son objectif, les vieilles femmes se changent en madones et les soûlards ressemblent à de beaux marins. Mais la véritable métamorphose, c’est en chacun de nous qu’elle s’effectue. Le tour de magie, c’est le message que l’œil envoie au cerveau, demandant de faire fi de tout préjugé pour ne plus voir que l’éclat des êtres vivants qui nous entourent. La perfection des marges, la splendeur là où personne ne l’attend. C’est là tout le génie du photographe qui bouscule notre perception du réel et nous fait passer de l’autre côté du mur.

 

 




Guillermo Calderon met en scène le travail de mémoire chilien

Villa + Discurso sont en fait deux pièces politiques du chilien Guillermo Calderon. L’une est une discussion entre descendantes de victimes de la Villa Grimaldi. Lieu de torture sous la dictature de Pinochet. Celles-ci ont pour mission de réfléchir à l’avenir du lieu. L’autre met en scène les mêmes actrices, où elles jouent toutes les trois le rôle de Michelle Bachelet, présidente du Chili entre 2006 et 2010. Le lien physique n’est pas étranger entre les deux textes : Michelle Bachelet a elle-même été détenue dans la Villa Grimaldi.

 Travail de mémoire

Autour d’une table, elles viennent de se rencontrer. Et pourtant ces trois jeunes filles doivent trouver que faire de cet ancien palais de l’horreur qu’a incarné la « Villa ». Créer un lieu de mémoire ? Détruire ces murs qui ont vu les pires souffrances ? Le vote à bulletin secret n’a rien donné, l’une a voté blanc et les deux autres ont voté pour des options différentes. Elles essayent alors de trouver une solution par la discussion.

Des paroles, il y en a malheureusement un peu trop dans cette pièce. Créée à l’origine pour être jouée dans les lieux de torture du Chili, la mise en abîme est écartée sur les planches d’un théâtre. Les échanges sont longs et très argumentés. Pas forcément passionnants, on a vite la sensation que ça tourne en rond. Les mêmes réflexions reviennent sans cesse. On assiste à une bataille de sophistes. L’une veut créer un musée d’art contemporain au grenier, l’autre veut équiper un sous-sol de Macs pour que des vidéos sur les vies des victimes défilent.

Certes, par ces mots, elles interrogent le travail de mémoire difficile au Chili où la justice est loin d’avoir été rendue. Comment respecter celles de ceux qui ont disparu et comment préserver les prochaines générations de telles horreurs. Travail nécessaire outre-Atlantique, mais processus déjà bien connu en Europe, notamment à cause de la guerre de 39-45. Ici les héroïnes tâtonnent. L’approche choisie par Calderon est très naïve, celle d’enfants qui réfléchissent au passé de leurs parents.

Il y a peu d’action, la mise en scène est statique, c’est une réunion autour d’une table, les verres d’eau qui s’empilent sont le temps qui passe. A tour de rôle, elles vont aux toilettes et les deux restantes tentent de savoir qui a voté blanc lors des premières minutes de la pièce. Elles tentent de se manipuler, chacune y met de sa vie personnelle pour convaincre les autres jusqu’à ce qu’elles se rendent compte qu’elles ont un terrible point commun…

Les adieux d’une politique

Une brève transition plus tard et nous voilà face à trois visages qui ne sont qu’un seul personnage, celui de Michelle Bachelet. Un carré de lumière sur scène délimite le pupitre. Un verre d’eau est posé au sol, comme un outil indissociable du bon fonctionnement du disours. Michelle sont là, face à nous, et là, l’exercice est sublime. Si on peut piquer du nez pendant la première partie, la seconde nous tient en haleine avec force.

La présidente a décidé de ne pas suivre son discours écrit pour faire ses adieux au pays, elle veut se laisser aller. Exprimer librement les trois faces de sa personnalités, trois visages et une multitude d’expressions possibles. En pratique et sur scène, ça donne des croisements de phrases, parfois l’une commence, l’autre hésite et la dernière tranche. D’autre fois, c’est dit à l’unisson. C’est excellent et on voit là tout le talent de ces jeunes actrices.

Elles sont une femme politique rêvée : sincère, cordiale, mais avec ses travers, en un mot, humaine (enfin!). On l’imagine aisément partageant notre vie. Un peu pessimiste, surtout réaliste, drôle bien sûr.

Finalement, Villa + Discurso c’est une première partie éprouvante, une seconde captivante. Peut-être un peu longue, un peu trop de gauche aussi (les personnages se déclarent comme tels toutes les trois phrases), mais c’est un travail intéressant qui mérite, si ce n’est de l’intérêt, une belle curiosité.

Pratique : Dans le cadre du Festival d’Automne, jusqu’au 19 octobre au théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses (18e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53451717 ou sur www.festival-automne.com/ / Spectacle en espagnol surtitré en français.

Durée : 2 h 15

Texte et mise en scène : Guillermo Calderon

Avec :  Francisca Lewin, Macarena Zamudio, Carla Romero