Charlotte de Turckheim est revenue pour Arkult sur son rôle de Kathy, « lolita d’un certain âge », qu’elle incarne dans « Que faut-il faire de Mister Sloane »
On vous voit peu au théâtre, c’est une volonté de votre part ?
Depuis 20 ans, je joue mes one-woman-show sur scène, ajoutez-ça au cinéma, ça ne me laissait plus le temps pour le théâtre. Sachez qu’en général, je joue mes spectacles 1 an à Paris puis 3 ans en tournée, donc chaque spectacle me prend 4 ans, ajoutez-y la préparation et on arrive à 5. J’ai fais trois spectacle, ça fait 15 ans !
J’ai la chance d’avoir beaucoup de succès avec mes one-woman-show, j’ai adoré les jouer dans toute la France. Mais c’est vrai qu’on ne parle de vous que la première année parce que vous êtes à Paris. Une fois en province, ça n’intéresse plus les médias. Les gens ont l’impression que vous n’êtes pas là, alors que vous êtes « sur le terrain », si j’ose l’expression !
Vous avez arrêté les one-woman-show ?
Oh non ! J’y reviendrai certainement un jour. Mais là, j’avais envie de jouer avec d’autres gens. Je me régale à me retrouver dans les loges avec les acteurs, on s’entend tous super bien. J’avais envie de partager les moments forts, les joies, les peines. Surtout sur un spectacle comme ça que certains adorent et d’autres détestent. On en rigole ensemble, on se soutient, c’est extra.
Comment avez-vous rencontré Michel Fau qui vous met en scène ?
Je l’ai rencontré il y 20 ans. On jouait « Le Misanthrope » de Molière à Nice. Je m’étais vachement bien entendue avec lui, j’avais adoré sa folie, sa liberté, son insolence… On s’est entendu comme larron en foire. On était moyennement heureux dans ce spectacle car on était assez contrains, c’était pas un endroit où on pouvait exprimer une folie. C’était difficile…
C’est marrant, parce que je m’aperçois… Je viens de la grande époque du café-théâtre, et j’avais un peu minimisé l’influence que ça aurait tout au long de ma carrière. Quand j’ai démarré, je ne voulais pas jouer du boulevard, ni du classique. Dans ce milieu, on voulait faire exploser les codes. À l’époque, le Café de la Gare, c’était tout ce que j’aimais ! C’était génial ! Et Coluche, le Splendid… Ils faisaient un théâtre que je n’avais jamais vu. Après cette époque, je me suis retrouvée dans une grosse structure subventionné où il fallait aller faire des courbettes à la mairie, je rentrais dans un monde très pyramidal, conventionnel, ce n’était pas mon truc. J’avais décidé qu’après ce « Misanthrope », je ferais mes spectacles toute seule !
Pour en revenir à Michel Fau, comment vous êtes vous retrouvé aujourd’hui pour travailler sur la pièce de Joe Orton ?
On a le même agent, Jean-François Gabard. Plusieurs fois je lui ai dit que si je retournais au théâtre, ce n’était pas pour faire le premier boulevard venu, et que je n’accepterais de jouer dans un boulevard que s’il est mis en scène par Michel Fau.
C’était donc un désir de votre part de travailler avec lui.
Exactement. Du coup, c’est Jean-François qui a dit à Michel Fau, « Tu sais, Charlotte a très envie de jouer avec toi », et Michel Fau m’a proposé cette pièce.
Comment vous l’a-t-il présenté ? Vous connaissiez Joe Orton ?
Je ne connaissais pas Joe Orton, et quand il me l’a donné à lire, il a dit à notre agent, « elle ne va pas accepter ». Il pensait que je ne voudrais pas le rôle, c’est vrai qu’il ne me met pas beaucoup en valeur…
Vous pouvez nous présenter ce personnage de Kathy ?
Je pense que c’est une nana qui a entre 40 et 50 ans… Ou plutôt sans âge puisqu’elle tombe enceinte. Mais comme tout est un peu irréel… Ne mettons pas d’âge, l’idée de l’âge me vient parce qu’elle tombe enceinte. Mais est-elle vraiment enceinte ? Elle est assez folle pour se faire croire qu’elle l’est. Disons, une femme plus toute jeune, ni toute vieille. C’est une lolita d’un certain âge qui séduit un espèce de jeune homme mi-ange mi-demon qu’elle met aussi sec dans son lit. Ce qui rend le frère abominablement jaloux. Kathy est à la fois la grande gagnante et la grande perdante de la pièce.
On pourrait appliquer cette phrase au frère aussi…
Oui, sauf que dans l’histoire il y a une seule certitude, celle que Sloane est mon amant. Il n’y a aucune certitude concernant l’autre côté. Et dans le fond le frère n’assume pas vraiment son homosexualité alors que moi j’assume totalement d’être une cougar. Je passe à l’acte !
La situation de Kathy est plutôt inconfortable, et comme vous le disiez le rôle ne vous met pas particulièrement en valeur. Pourquoi l’avoir accepté ?
Je savais qu’avec Michel je pourrais aller très très loin dans le personnage, tout en étant protégée.
Protégée ?
Je savais que ça allait être bien, je savais que ça allait me plaire. Même si « bien » ça ne veut rien dire, car il y a des gens qui détestent la pièce.
Vous ne pensez-pas que si des gens détestent cette pièce, c’est probablement en partie à cause du traitement que subi votre personnage ?
Vous voulez le fond de ma pensée ? Je pense que les gens qui n’aiment pas cette pièce, sont des gens qui ont des zones d’ombre en eux. Je vois des gens qui sont tellement choqués et exaspérés en sortant ! Ça reste du théâtre tout de même, c’est pas si grave… Mais il y en a qui ne sont pas prêt à entendre des choses aussi dérangeantes sur la sexualité, sur la violence et sur la manipulation…
Vous n’avez aucune difficulté à subir autant de violence chaque soir sur scène ?
Honnêtement, si… Je fais des cauchemars toutes les nuits, d’enfants morts ou d’enfants qu’on me confie et que j’oublie dans des piscines, des gosses défenestrés… C’est dingue. Kathy a eu un enfant, il est mort ou il a été adopté, on ne sait pas.
Vous habitez complètement votre rôle…
Je m’aperçois que ça me remue beaucoup. Je suis très contente d’être sur scène, mais la folie de ces personnages remue terriblement. Je suis très fragile en ce moment, très fatiguée. Physiquement aussi, moi qui suis une lève tôt, je ne me lève pas un seul matin avant 11 heures. Ce n’est pas un rôle qu’on peut jouer avec de la technique, il faut être complètement dedans, on ne peut pas s’économiser, quand on a un peu trop confiance ça ne marche pas. Si je rentre en scène et que je ne suis pas au maximum de l’hystérie contenue, ce n’est pas bon. La première réplique, « voilà le salon », il faut que le public voit toutes les questions qui me passent par la tête « je vais me le faire ? Il va rester ? J’ai tellement envie »… Si je me contente de dire « voilà le salon » comme Jacqueline Maillan, ça ne marche pas. C’est incroyable.
Vous arrêtez « Que faut-il faire de Mr Sloane » le 31 décembre. Avez d’autres projets au théâtre en 2013 ?
Non je fais ça et c’est tout. Je me mets très à fond dans ce que je fais, et là, j’en ai pour six mois à me remettre d’un rôle pareil !
Voir notre critique de « Que faire de mister Sloane ? »