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Mailles à l’envers – Marlène Tissot

La cruauté de la vie n’épargne pas la narratrice de cette histoire, une petite tête blonde. Sous la plume d’une enfant, d’une adolescente et d’une jeune adulte, les faits les plus cruels et révoltants sont parfois bien peu de choses.

Naïveté de l’écriture, innocence de l’enfance, la vie et ses méandres apparaissent comme un concours de circonstances perdu d’avance.
De l’ivresse alcoolique du père  à la débauche amoureuse de la mère : la cellule familiale de la narratrice est en perpétuelle mitose, perpétuelle séparation reproduisant à l’infini le même cauchemar.

La violence du quotidien la frappe de plein fouet. Toutes les violences y passent : verbales, physiques, psychologiques. C’est trop pour une seule et même personne, surtout quand cette jeune personne sort tout juste de l’enfance ou de l’adolescence.

Extrait 1 :
« C’était pas de la jalousie que j’avais au fond du ventre. Pour ça, il aurait fallu de l’amour. Et l’amour, j’y étais réfractaire. Mon coeur dormait dans un congélateur. Mais la fidélité avait un je-ne-sais-quoi d’essentiel à mes yeux. Le genre de truc un peu étrange, un peu magique, auquel j’avais besoin de croire. »

Marlène Tissot nous emmène, vous l’aurez compris, dans un récit fort, dont on ne peut sortir indemne. Dans ce premier roman, elle jongle entre les âges de sa narratrice, entre ses souffrances, ses peurs, ses espoirs, aussi maigres soient-ils.
L’écriture est à l’image de celle qui écrit son journal : crue, amère et directe. Parfois un peu trop directe d’ailleurs, où l’on regrette alors le choix de l’auteure de se fondre complètement dans la peau de son personnage, s’attacher à un langage se voulant enfantin / adolescent, et s’y retrouver comme coincée.

Une traversée de la souffrance humaine (hélas) ordinaire.
Poignant. Saisissant.

Extrait 2 :
« J’ai obtenu mon bac. Haut la main, avec un putain de mention. Val était recalée. Apparemment, elle s’en foutait. On s’est bu un jus au bistrot d’à côté. Puis elle m’a raccompagnée. Rocade. Cent quarante kilomètres à l’heure. Sa rage un peu plus appuyée sur l’accélérateur. Sirotant les feux rouges comme des grenadines. Bercée par le cri du moteur, je me suis remise à espérer un accident. Un truc violent, rapide, définitif. Histoire de clore le chapitre en beauté. Mais j’étais pas seule dans la carlingue. »

 

Mailles à l’envers, de Marlène Tissot
Editions Lunatique
www.editions-lunatique.com
156 pages
Date de parution : février 2012

 




Savages – Le mythe des bons sauvages ?

Deux jeunes entrepreneurs babacools et beaux gosses, à la tête d’un business florissant de marijuana, sont confrontés à un cartel mexicain.

Si belle que soit la gueule (cassée) de l’ancien marine Taylor Kitsch (Chon) et si intello botaniste que soit Aaron Johnson (Ben)… les rebondissements ne se feront pas trop attendre.

En effet, qui dit narcotrafic dit… gros fusils qui font pam-pam, mallette pleine de biftons, rendez-vous au milieu du désert (avec des gros 4X4) et du sang qui gicle… en finalité.

Alors, qui sont donc les sauvages ? Nos gentils entrepreneurs beach boy ou les vilains narco mexicains?!

Savages, le dernier film d’Oliver Stone, est doté en substance des ingrédients habituels des films de ce réalisateur multi-oscarisé : une intrigue bien ficelée, de la testostérone et des bigs stars américaines. Mais contrairement à JFK ou World Trade Center ou encore son reportage sur la Palestine Persona non grata on ne retrouve pas dans ce film les sujets polémiques qui lui sont chers. Nous avons affaire à un film d’action un vrai, un sympa… mais pas plus que ça.

Ce qui est chouette :

Une esthétique californienne lumineuse avec une B.O punchy.

Le héros de Kick Ass Aaron Johnson qui a bien grandi et pris du poil de la bête!

Un trio amoureux pimenté, sulfureux et intriguant. 2 hommes pour une femme, la rayonnante Blake Lively.

Benicio Del Toro en mécréant moustachu, sans scrupules est parfaitement répugnant dans le rôle de Lado. Il est aussi repoussant dans ce rôle qu’il pouvait être fascinant dans celui du Che, c’est dire.

Ce qui est très bof :

Elena la « daronne de la drogue » très haute couture et qui a une haute opinion d’elle-même, est interprétée par Salma Hayek qui nous laisse de marbre.

Le flic véreux et bedonnant porte les traits de John Travolta. Rien de « greasant » John a pris un coup de vieux radical mais reste assez fun.

Une fois le décor posé et l’intrigue lancée, ce film est comme un train (pas un TGV en plus) on sait pertinemment quelles gares il va desservir et ça n’est pas parce que le réalisateur propose deux fins que l’issue en est plus inattendue.

Si Oliver Stone, du haut de ses 66ans, a déjà prouvé qu’il savait se lâcher et bien là il ne nous convainc pas… dommage ça aurait pu être vraiment (plus) drôle.

Enfin, l’apologie totale de la drogue douce (et moins douce) à base de scènes très poétiques et de culture massive laisse de même planer quelques petites questions…

Le film est une adaptation cinématographique du best-seller homonyme de Don Winslow, un bon divertissement en somme mais trop « mou du genou » pour passer dans la catégorie bijou. Savages n’est qu’un petit brillant sur le côté de la couronne de Monsieur Oliver Stone. Il y a tout de même de quoi éclairer un dimanche après-midi...

 

Réalisé par : Oliver Stone

Scénarisé par : Shane Salerno

Avec : Blake Lively, Aaron Johnson,Taylor Kitsch, Salma Hayek, Benicio Del Toro, John Travolta.

 




Merlin enregistre la « Dernière bande »

Copyright : Brigitte Enguerand

Bon, quand on va voir Samuel Beckett, on sait que le metteur en scène devra nicher son travail au milieu des didascalies originales. Les ayants droits de l’auteur n’autorisant que l’on monte l’une de ses œuvres uniquement si elle est respectée à la virgule près.

Cette « Dernière bande » a donc les traits communs (outre le texte) de toutes les autres. Krapp (Serge Merlin) va commencer par manger une banane, puis en mordra une seconde avant de la jeter. Il va aussi « fouiller dans la pile de bobines » ou encore « se lever brusquement pour partir derrière un rideau, duquel on va entendre un bruit de vaisselle qu’on cogne ».

La possibilité de mise en scène et de différentiation par rapport aux autres versions est donc ailleurs, mais dans le travail d’Alain Françon elle ne saute pas aux yeux. Ici, Serge Merlin est excellent, il respecte parfaitement le souhait de l’auteur. Faire de Krapp un vieil homme qui enregistre sa dernière bande (audio). C’est le même rituel à chaque anniversaire. Ce soir là, après avoir écouté la bande de ses 39 ans, il en prend une nouvelle au fond du tiroir (comme indiqué dans les didascalies), et il s’énerve contre celui qu’il a été, se reproche la perte du bonheur affectif, hurle dans le micro sa noire solitude. Beckett a instauré un décalage volontaire dans le personnage, ce qui ne le rend ni touchant ni énervant, juste seul, c’est tout. Il est même plus drolatique que triste, difficile à cerner.

Et Serge Merlin est cela. Plongé dans un beau décor (toujours très respectueux des didascalies : un bureau au centre, l’obscurité tout autour…), les lumières (de Joël Hourbeigt) sont très belles, rebondissant dans les orbites et les rides de l’acteur. C’est en elles que réside la beauté de la pièce. Françon, lui, en faisant cette mise en scène, a voulu donner à cette pièce l’essence que son auteur lui a originellement insufflée. Le résultat est donc fidèle et nul doute que Beckett en serait ravi. Sauf que l’écrivain a disparu en 1989…

Espérons qu’un jour nous verrons le monde moderne s’accaparer cette pièce si elle n’était pas prisonnière de ses indications de texte. Vous l’aurez compris, cette « Dernière bande » est très réussie, mais la plume de Beckett continue de vieillir dans un monde qui (bien évidemment) a changé.

Pratique : Actuellement au théâtre de l’Oeuvre, 55 rue de Clichy (75009, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44 53 88 88  ou sur www.theatredeloeuvre.fr / Tarifs : entre 10 € (- de 26 ans) et 30 € (plein tarif) – Du mardi au dimanche.

Durée : 1 h 05

Mise en scène : Alain Françon

Avec :  Serge Merlin

 




Murat met en scène Arditi dans « Comme s’il en pleuvait » à l’Edouard VII

Bruno (Pierre Arditi) et Laurence (Evelyne Buyle) habitent dans le 15e arrondissement de Paris. Leur vie est celle de petits bourgeois, simple et sans prétention. Un soir, Bruno rentre de l’hôpital où il est anesthésiste et trouve 100 euros sur la table. Le lendemain, 1400 euros apparaissent comme par magie au même endroit. Et leur chance ne compte pas s’arrêter en si bon chemin…

Cette comédie contient tous les ressorts du théâtre de divertissement : un couple auquel le public s’identifie aisément, des personnages annexes qui sont des caricatures (de voisins et autre femmes de ménage espagnole), et enfin, il est montré que le rêve une fois réalisé n’est pas toujours si rose.

Bruno devient fou de tout ce fric, sa femme panique à l’idée de se retrouver riche. Quand il revient d’une journée de shopping, des dizaines de sacs griffés des plus grandes marques jonchent le sol autour du canapé. Manifeste du droit au bonheur, qui montre que l’argent n’y contribue que modestement, « Comme s’il en pleuvait » porte un message semblant naïf mais il est bien conduit par le texte de Sébastien Thiéry. Comment renie-t-on nos idéaux pour un costume Dior ? 

On rit, la pièce est rythmée, le couple moderne Arditi – Buyle fonctionne très bien et nous mène à une chute complètement inattendue à la Ionesco après de multiples rebondissements qui nous tiennent en haleine pendant toute la pièce. Un bon moment en compagnie du malheur des autres, en somme.

Pratique : Actuellement au théâtre Edouard VII, place Edouard 7 (9e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 47 42 59 92  ou sur www.theatreedouard7.com / Tarifs : entre 20 € et 53 €.

Durée : 1 h 30

Texte : Sébastien Thiéry

Mise en scène : Bernard Murat

Avec :  Pierre Arditi, Evelyne Buyle, Gilles Gaston-Dreyfus, Véronique Boulanger.




May Day – La rencontre

Maud Naïmi, la voix du duo May Day s’est prêtée au jeu et a répondu longuement à la petite question posée par Arkult.

Parce qu’après avoir écouté en boucle leur premier album Somewhere to be Found, ça nous turlupine…

[Arkult] May Day / Votre 1er album est-il un appel à l’aide ou un appel au rêve et au voyage ?

[Maud] « Ni l’un ni l’autre, à vrai dire. D’abord « May Day » ne vient initialement pas du SOS international, c’est bien May Day en deux mots, comme le premier mai. Le projet était solo au départ, et on a conservé son nom initial. J’ai toujours eu une affection particulière pour le mois de mai durant lequel le hasard fait qu’il m’arrive souvent quelque chose de bien. Donc l’idée au fond était peut-être d’attirer les bonnes ondes.

Ensuite, et surtout, au commencement, j’ai enregistré les premières démos guitare/voix des premières chansons (dont celles de « Meet My Love », notre premier EP) avec un MD (MiniDisc) et M et D sont les deux consonnes de mon prénom, donc je cherchais – bêtement – quelque chose qui tournerait autour de ces deux lettres.

May Day s’est imposé pour les raisons pré-citées. Si c’était aujourd’hui, comme j’enregistre les démos que j’envoie à Julien sur mon iPhone, peut-être qu’on s’appellerait iayPay!

Pour en revenir à « Somewhere to be Found », il a été écrit quasi intégralement en dehors de chez moi (dans un avion au-dessus de l’Atlantique, dans des trains, des métros, à la campagne, chez mes parents, …) mais je ne l’ai réalisé qu’a posteriori, et qu’en me rendant compte que toutes les chansons avaient un dénominateur commun: la notion d’appartenance.

J’englobe là-dedans les liens humains, ceux qu’on crée, ceux qu’on souhaite, ceux qu’on fuit, ceux qui se brisent, ou bien la famille, le foyer, la maison, comme la quête personnelle de chacun, donc en résumé : ce de quoi on est fait, ce qui nous habite. Pour moi, la résultante est plus complexe qu’un appel au voyage ou au rêve, quoique les deux soient apparemment bénéfiques, dans mon cas, à la création. Malgré ça, « Somewhere to be Found » n’est pas un album concept, il ne raconte pas nos dernières vacances et n’a pas non plus volonté à inciter à une chose ou une autre. Les chansons sont toutes différentes, évoquent des histoires et des situations différentes, des personnes toutes différentes, et ont été réalisées comme telles, chacune avec leur individualité. Et comme nous sommes tous différents, j’aime à penser que chacun préfèrera une chanson de l’album parce que la musique et /ou le texte lui parleront plus que les autres, oui, peut-être en le faisant rêver ou en le faisant voyager. Dans sa globalité, ce disque ne sert pas un but unique, même si pour moi, oui, c’est un album mobile, écrit en mouvement. Il sera toujours reçu différemment selon où l’on est, où l’on va et le chemin qu’on prend. Mais s’il pouvait avoir un pouvoir, celui que j’aimerais qu’il ait c’est celui d’accompagner les gens, là où ils sont, là où ils vont, sur leur chemin à eux. »

May Day que vous aviez découvert ici ou alors que vous allez découvrir bien vite car une interview comme celle-ci vous aura forcément intrigué, n’est-ce pas?!




« Vous n’avez encore rien vu » – Cet étrange objet du cinéma

Un O.C.N.I., Objet Cinématographique Non Identifié.
C’était mon premier Alain Resnais. Ne vous attendez donc pas à des parallèles à répétition, des analogies avec ses précédents films, une analyse systématique de l’évolution de son style et de sa pensée dans le temps …

Non, vraiment, rien de tout ça. Simplement cet étrange sentiment qui gagne le spectateur tout au long de la séance. L’ennui guette, il sent qu’il aurait une place attitrée dans un tel film, personne n’oserait la lui contester. Et pourtant il guette, mais ne trouve pas l’occasion de s’immiscer dans la tête du spectateur. Car ce que nous propose Alain Resnais dans son film est une véritable performance artistique, un coup magistral tant dans l’histoire du cinéma que du théâtre.

Imaginez plutôt voir se représenter devant vous deux (voire trois) écoles du théâtre, autour d’une seule et même pièce, Eurydice de Jean Anouilh. Forcément, l’envie primaire est à la comparaison, « le théâtre classique est quand même plus fidèle », « les mises en scène modernes sont vraiment spéciales » … Vous savez ce même « spécial » utilisé par Xavier Dolan dans Laurence Anyways … Ce « spécial » passe-partout et pourtant tellement signifiant, synonyme de rejet, de dégoût.

Puis une fois la comparaison rapidement épuisée de son sens et de son intérêt, surgissent l’intérêt et la complémentarité. Il n’y a clairement pas une unique vision d’une même pièce, ni d’une même mise en scène. On touche alors à l’épineuse question de la liberté laissée à l’acteur par son metteur en scène. Et de ce que le metteur en scène recevra de la part de ses acteurs pour enrichir sa mise en scène, et la rendre unique.

Car c’est bien là l’essence de la pièce. Prétexte pris du décès d’un metteur en scène les ayant réunis par le passé pour jouer Eurydice, 14 acteurs se retrouvent en huis clos dans une cérémonie orchestrée par le majordome du défunt pour donner leur point de vue sur une mise en scène moderne de cette même pièce.

Formidable mise en abyme du jeu théâtral. Bouleversants hommages à ses acteurs, jouant leur propre rôle.
Mais jusqu’où est-ce le rôle pensé par le metteur en scène, et où commence la personnalité de l’acteur ?
Mention toute particulière et très personnelle pour quatre d’entre eux : Pierre Arditi, impressionnant, Michel Robin,  touchant,  Mathieu Amalric, inquiétant et Sabine Azéma, saisissante.

 

Réalisation : Alain Resnais et Bruno Podalydès (pour la captation Eurydice par la Troupe de la Colombe)
Scénario : Laurent Herbiet, Alex Reval1, d’après Eurydice (1942) et Cher Antoine ou l’Amour raté (1969) de Jean Anouilh
Musique : Mark Snow

Distribution:
Sabine Azéma : Eurydice 1
Anne Consigny : Eurydice 2
Pierre Arditi : Orphée 1
Lambert Wilson : Orphée 2
Mathieu Amalric : monsieur Henri
Michel Piccoli : le père
Anny Duperey : la mère
Denis Podalydès : Antoine d’Anthac
Jean-Noël Brouté : Mathias
Hippolyte Girardot : Dulac
Michel Vuillermoz : Vincent
Andrzej Seweryn : Marcellin
Michel Robin : le garçon de café
Gérard Lartigau : le petit régisseur
Jean-Chrétien Sibertin-Blanc : le secrétaire du commissaire

La troupe de la Colombe
Vimala Pons : Eurydice
Sylvain Dieuaide : Orphée
Fulvia Collongues : la mère
Vincent Chatraix : le père
Jean-Christophe Folly : monsieur Henri
Vladimir Consigny : Mathias
Laurent Ménoret : Vincent
Lyn Thibault : la jeune fille et le garçon de café
Gabriel Dufay : le garçon d’hôtel

 




« La Mouette » et « Oncle Vania » mettent le turbo

Ces deux mises en scène de Christian Benedetti avaient eu tellement de succès au Théâtre Studio d’Alfortville que l’Athénée les reprend pour une quinzaine de jours en alternance avant le départ de la troupe en tournée. La Mouette et Oncle Vania méritent l’engouement qu’elles ont engendré ces dernières années.

La Mouette dure 1 h 45, Oncle Vania 1 h 20. Cette brièveté n’est pas due à une découpe à la faux dans les phrases de Tchekhov, mais à un rythme vertigineux dans lequel nous plonge l’équipe. Pas le temps de s’ennuyer ! Dans les deux pièces, les personnages bondissent sur scène et parlent et piaillent jusqu’aux limites de l’inaudible (sans jamais s’y fourvoyer). Et afin de ne perdre personne en route, Benedetti a installé de longs moments de silence (parfois jusqu’à une minute) afin que chacun reprenne son souffle avant de repartir de plus belle.

Chaque comédien se plie au jeu sans le faire au détriment de la construction du personnage. Ils sont tous excellents. La doyenne, Isabelle Sadoyan (Marina dans Oncle Vania) en est la preuve (très!) vivante. On reste bouche bée par tant de maîtrise et d’humanité dans l’interprétation de chaque rôle. Chacun y allant de sa petite pointe de folie contenue, ou non … puisque la limite est franchie avec talent par Florence Janas dans La Mouette et Pierre Banderet dans Oncle Vania. Pour autant, la ruralité, l’esprit provincial des pères, l’idéalisme face au pessimisme (La Mouette), l’ennuie et la dureté de la vie poussant à un cynisme extrême (Oncle Vania) sont très présents et visibles dans les deux mises en scène.

Deux sujets différents et pourtant les deux pièces marchent avec force dans ces deux mises en scène très proches l’une de l’autre. Place est laissée à une scène presque vide. Quelques chaises, une petite estrade, quelques draps et la vodka font l’affaire. Un samovar indique le salon (Oncle Vania) et un tissu pendu sur un cadre indique la scène de théâtre (La Mouette).

Ce théâtre qui est utilisé dans son ensemble. Le hors champ est partie intégrante de la création. Et par ce procédé, le spectateur se sent au cœur de l’intrigue collégiale tchekhovienne. Grandiose.

Pratique : Jusqu’au 13 octobre (en alternance) au théâtre de l’Athénée, Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau (75009, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53 05 19 19 ou sur http://www.athenee-theatre.com / Tarifs : entre 12 € et 32 €.

Mise en scène : Christian Benedetti

Avec :  La Mouette : Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Christophe Caustier, Philippe Crubézy, Marie-Laudes Emond, Laurent Huon, Florence Janas, Xavier Legrand, Jean Lescot (ou Jean-Pierre Moulin) et Nina Renaux. Oncle Vania : Pierre Banderet, Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Philippe Crubézy, Laurent Huon, Florence Janas, Judith Morisseau, Isabelle Sadoyan.

Tournée :

La Mouette

  • Du 12 novembre au 1er décembre 2012, Théâtre-Studio (en alternance avec Oncle Vania), Alfortville
  • Du 11 au 13 décembre 2012 au NEST-Théâtre, centre dramatique national de Thionville
  • Le 11 janvier 2013 au théâtre Jean-Marais, Saint Fons
  • Les 14 et 15 janvier 2013 au théâtre Gérard-Philippe, Champigny-sur-Marne
  • Du 23 au 25 janvier 2013 à la Scène Nationale de Cavaillon
  • Le 26 janvier 2013 au Centre culturel La Ferme des Communes, Serris
  • Le 1er février 2013 à Ermont-sur-Scènes, Ermont
  • Le 2 février 2013 au Centre culturel des Portes de l’Essonne, Juvisy-sur-Orge
  • Du 5 au 9 février 2013 au Théâtre des Deux-Rives, centre dramatique régional de Rouen
  • Le 12 février 2013 au Tanit Théâtre / La Filature, Lisieux
  • Le 15 février 2013 au théâtre de Fontainebleau
  • Le 12 mars 2013 au théâtre de la Place, Andrézieux-Bouthéon
  • Le 2 avril 2013 au théâtre de Rungis
  • Le 4 avril 2013 au théâtre du Cormier, Cormeilles-en-Parisis
  • Le 19 avril 2013 au Centre culturel Aragon-Triolet, Orly
  • Du 20 au 23 avril 2013 au théâtre de l’Ouest-Parisien, Boulogne Billancourt

Oncle Vania

  • Du 12 novembre au 1er décembre 2012 au Théâtre-Studio (en alternance avec La Mouette)
  • Du 24 au 27 octobre 2012 au théâtre de Beauvaisis – Scène nationale de l’Oise, Beauvais



May Day May Day

« Il est libre Max, y en a même qui disent qu’ils l’ont vu voler », oubliez immédiatement la pub vantant les patchs nicotinés pour fumeurs invétérés.
Amis rêveurs et penseurs voici un son, que dis-je, une invitation qui vous séduira.
Somewhere to be found, le premier album de May Day s’adresse au petit prince qui roupille au fond de votre esprit d’urbain-hyperactif.
Mélancoliques ou pêchues, les chansons du duo sentent les grands espaces de l’Ouest Américain ou les plaines de l’Aubrac.
Natures, Maud Naïmi et Julien Joubert nous offrent de bien belles pistes, propres à l’envol.
Leur liberté discrète tatouée dès leur premier EP (Meet my love) semble désormais imprimée sur un large tissu aux motifs fleuris et liberty.

Après quelques notes on les imagine bien tous deux sur une petite scène mal éclairée d’un bar californien crasseux des années 50.
Surannée et presque désuète leur musique est romantique et poétique.
Conçu comme un voyage, fait de nouveaux départs « Start Again I » et « II » pour mieux rentrer à la maison « Home ». C’est la playlist d’un automne lumineux et rêveur.

Le clip délirant de Home dans lequel des septuagénaires (n’en disons pas plus, il ne faut vexer personne) participent à un houleux triathlon de bilboquet, lutte romaine, jeux de dés bien arrosés…

Sans vouloir passer l’album au peigne fin, gros coup de cœur pour « Closer », moitié pop, moitié rock et suffisamment original pour avoir l’anatomie d’un tube.
Punchy « Gone » qui illustre parfaitement ce choix du duo d’opter pour des protagonistes attachants et un brin paumés.
Etrange « White Knight » qui évoque la B.O de Titanic par le langoureux appel hypnotique de Maud dont la voix est « sirènesque ».
Triste berceuse que « Lullaby » qui semble entrer en résonance avec une détresse assumée et onirique.
On peut rester assez hermétique à l’association cuivres-voix de « Out of my mind » ou la dureté de « Temper », trop rugueux.
Mais quand Bettina Kee A.K.A Ornette se (re)met au piano dans « Broken Glass », alors là ça y est, on sort les grands mouchoirs.

Le 8 Octobre 2012, vous pourrez vous faire votre propre idée, puisque l’album sera dans les bacs.

 

En savoir plus sur May Day :

Le site pour tout savoir.

Le site pour tout écouter.

Le site pour tout acheter.




« La barque le soir », difficile de ne pas sombrer

Claude Régy est un grand metteur en scène. Découvreur de texte, de talents, il cherche à pousser le théâtre dans de profonds retranchements pour en faire sortir une énergie nouvelle, au delà des mots et du geste. Il aime que le spectateur laisse aller son imagination.

« La lecture de La Barque le soir m’a beaucoup frappé. L’écriture y est très différente de celle des romans antérieurs de Tarjei Vesaas. D’œuvre en œuvre, son écriture n’a cessé de se chercher, de se transformer ; elle ne s’est jamais fossilisée dans un « style ». On a l’impression que pour lui, chaque œuvre nécessitait l’invention d’une nouvelle langue ».

Cette citation est de Claude Régy, extraite d’un entretien retranscris dans le dossier de présentation du spectacle. Mais le format de « La barque le soir » était connu d’avance : un texte dit de façon monocorde. Un comédien fixe (Yann Boudaud), esquissant quelques mouvements pour entraîner vers le haut les mots qu’il distille. Très peu de lumière, un trait furtif sur le visage du comédien. Et du silence, beaucoup de silence, une dizaine de seconde entre deux idées parfois. Où est le renouveau ? Comment ne pas croire à la « fossilisation dans un style ? » de la part de Régy ?

Ces procédés qui ont révolutionnés leur temps (le metteur en scène les utilise depuis des dizaines d’années), ont-ils encore un écho moderne aujourd’hui ? Tout ce qu’il se passe sur scène est connu du public averti, il n’y a plus de surprise.

D’un côté sont réunis les passionnés, connaisseurs du personnage, convaincus avant même d’entrer dans le théâtre et qui apprécieront la prestation quoi qu’il arrive. Comme lorsqu’on va déguster son plat favori : on ne le découvre plus, mais le plaisir est là à chaque fois. Et puis il y a les autres, ceux qui sont dans l’attente de voir du neuf, ou qui (cela peut arriver) ne connaissent pas bien le travail de Claude Régy, ou tout simplement qui y sont hermétique. Pour ceux-là, le voyage s’avère difficile.

Ici le texte est une métaphore de la vie qui s’arrête, sombre et vivote encore un peut à la surface de la rivière du monde. Elle respire péniblement à travers le comédien, touche le fond puis remonte… Les mots sont poétiques mais difficile. Notre imagination a non seulement le temps de naître entre les phrases, mais elle a également le temps de nous échapper. Cette sensation est d’ailleurs assez étrange, le temps ne semble pas long durant la pièce, ce n’est pas l’ennui qui apparaît, c’est juste notre esprit qui s’en va. On pense au week-end, à nos lectures ou bien à la vie en général, comme lorsqu’on est assis dans une rame de métro. « La barque le soir » est un excellent moment de lâcher prise, où notre esprit peut complètement divaguer. Certain font de la médiation, d’autre regardent du Claude Régy.

Yann Boudaud chuchote les mots comme un mourant. Ou plutôt comme quelqu’un que l’on interroge pendant son sommeil et qui répond la bouche à demi-ouverte, pensant ne parler qu’à soit-même. Souvent même, on n’entend pas des pans entiers de textes, ce n’est pas très grave car pendant ce temps, notre imagination occupe le vide.

Cette expérience pourrait s’avérer intéressante. Seulement si nous (le spectateur peut sensible à toute cette mise en scène), ne nous sentions pas prisonnier du sanctuaire dans lequel nous installe le créateur. Avant même le début du spectacle, il est interdit de parler, et durant la représentation, on n’ose à peine bouger de peur de gêner le cérémonial. Le comble : on se sent pris au piège.

Claude Régy est un homme important dans le théâtre Français, un artiste de génie. Mais qui dans cette création semble être arrivé à une limite. Réduit à faire ce que le public qui le connaît attend de lui, comme de la bonne cuisine, délicieuse pour ceux qui l’aime, mais qui n’a plus rien de surprenante.

Pratique : Dans le cadre du Festival d’Automne, jusqu’au 3 novembre au théâtre de l’Odéon (Petite salle des Ateliers Berthiers), 38 boulevard Berthier (17e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44 85 40 40 ou sur www.festival-automne.com/ / Tarifs : entre 14 € et 30 € (plein tarif) – Relâche le lundi.

Durée : 1 h 20

Texte : Tarjei Vesaas (édité chez « Corti »)

Mise en scène : Claude Régy

Avec :  Yann Boudaud, Olivier Bonnefoy, Nichan Moumdjian

Tournée :

  • Du 13 au 24 novembre 2012 au Théâtre National de Toulouse et Théâtre Garonne
  • Du 5 au 8 décembre 2012 à la Comédie de Reims
  • Du 18 au 25 janvier 2013 au CDDB – Théâtre de Lorient
  • Du 6 au 15 février 2013 au Centre Dramatique National d’Orléans-Loiret-Centre



« L’enfant », terrible drame rural

Copyright : Guillaume Lavie

 

Pour imaginer cette création, Carole Thibaut s’est installée en résidence à Saint-Antoine l’Abbaye, commune de l’est de la France en 2009. Un village comme il en existe des milliers. A partir de témoignages reçus, elle crée son décor, une fiction où elle dénonce à quel point l’immobilisme des « honnêtes gens » (au sens auquel l’entendait Brassens), peut conduire aux pires horreurs. Ce texte est le premier volet d’un vaste projet baptisé « Les communautés territoires ».

L’Enfant – Drame rural part d’une métaphore biblique, celle de la destruction de Sodome (qui a été détruite, non pas pour le péché de sodomie qu’on y pratiquait comme il est courant de l’entendre, mais pour le mauvais traitement fait à des étrangers de passages, contrairement à la coutume antique de l’hospitalité). Ici, un enfant est abandonné de bon matin au pied de la ferme la plus isolée d’un village de l’Isère. Ses occupants (une idiote et son père) ne peuvent le garder et le confient au maire, qui le confie à sa sœur qui demande à sa femme de ménage d’en prendre soin. Au final, l’enfant se trouve à nouveau chez l’idiote, qui s’enfuira avec lui pour éviter qu’on ne le lui prenne de nouveau.

Tout au long de l’intrigue, on suit l’Enfant de main en main, le spectateur entre donc dans chaque foyer. Se retrouve du bon côté de la porte pour observer ce qu’il se déroule dans le salon des habitants, dans leur intimité, jusque dans les moindres détails du mobilier… Comment peuvent-ils être monstrueux au point de ne pouvoir garder un bébé quelques heures ? Finalement l’Enfant est prétexte à une fresque effroyable par sa vérité. On est effaré de ce que peut faire l’humain par égoïsme ordinaire. Et bien que ce thème paraisse évident, la façon dont il est montré est particulièrement étonnante.

De belles lumières, un dispositif scénographique ingénieux (qui ressemble à celui de « Ma chambre froide » de Pommerat) et une bande son nous plaçant dans un espace temps radicalement bouleversant font de ce drame un portrait qui semble terriblement réel. Monstrueusement réel. Sans pour autant tomber dans le réalisme gorgé de larmes et d’angoisses. Carole Thibaut a créé un monde dans l’écriture, elle arrive très bien à le faire rejaillir théâtralement, avec une pincée de cynisme grinçant bienvenue.

La création dure 2 h 15, et pourtant elle s’arrête au bon moment, à aucun instant cela ne semble long. Et elle réussit la prouesse de ne pas tomber dans la tragédie sanglante inutile. En choisissant de faire narrer la fin du drame à l’Enfant, elle ne se préoccupe pas de faire mourir chacun de ses personnages, elle se contente juste de nous montrer leur chute, leur vie en somme.

Les acteurs sont tous excellents dans ces rôles, bien marqués et, une fois de plus, tellement crédibles. Ce drame rural ne touche pas que ses protagonistes. Il est affreusement universel.

Pratique : Jusqu’au 27 octobre au théâtre la Tempête, La Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ-de-Manoeuvre (75012, Paris) – Réservations par téléphone au 01 43 28 36 36  ou sur www.la-tempete.fr/ / Tarifs : entre 12 € (étudiants, chômeurs) et 18 € (plein tarif) – Du mardi au dimanche.

Durée : 2 h 15

Texte et mise en scène : Carole Thibaut

Avec :  Marion Barché, Thierry Bosc, Eddie Chignara, Sophie Daull, Emmanuelle Grangé, Donatien Guillot, Fanny Santer, Boris Terral.

Tournée :

  • Le 8 novembre, ATP de Millau
  • Le 10 novembre, ATP de Dax
  • Le 13 novembre, ATP d’Aix-en-Provence
  • Le 14 novembre, ATP d’Avignon
  • Le 16 novembre, ATP de l’Aude, Pennautier
  • Le 20 novembre au théâtre Roger Barrat, Herblay
  • Le 22 novembre, ATP d’Uzès
  • Le 24 novembre, ATP de Nîmes
  • Le 27 novembre, ATP d’Epinal
  • Le 30 novembre à l’Apostrophe, Scène Nationale de Cergy-Pontoise
  • Le 8 janvier, ATP d’Orléans
  • Le 18 janvier, ATP de Roanne
  • Le 22 janvier, ATP de Poitiers
  • Le 1er février à la Ferme de Bel Ebat, Théâtre de Guyancourt
  • Le 16 avril, ATP de Lunel
  • Les 27 (ou 28) juillet au festival « Textes en l’air » de Saint-Antoine l’Abbaye



« L’Italienne », on ne badine pas avec le théâtre

ITALIENNE. Si ces 4 syllabes vous emmènent dans la péninsule chère à Jules César vous êtes dans le vrai. Cependant si l’image mentale qui se projette dans votre ciboulot est celle d’une jeune femme au corps glabre, au teint halé, aux vêtements bien taillés et aux lunettes vissées sur un petit nez mutin, vous êtes loin, très loin de la vérité. Le pire dans tout ça, c’est que vous ne comprendrez le titre de cette pièce qu’une fois à la moitié de la représentation. C’est là un bien faible risque à prendre car lorsqu’on se rend au théâtre du Funambule on est certain de passer une plaisante soirée.

Dans dans « L’Italienne » de Eric Assous, on parle d’amour. Exit le mélo dégoulinant pour les coeurs d’artichauts ou le règlement de compte à « O.K. Corral ».  Au centre de « L’Italienne » un couple, deux acteurs et une pièce dans la pièce.

Après le Théâtre du funambule c’est La Comédie St Michel qui accueille le duo à partir du 21 Septembre et pour 4 mois du vendredi au samedi à 20h.

Astrid Pinker​ a le regard qui tue et Muriel, son personnage tire la première. Ses talons claquent et son talent se démarque malgré son âge tendre.

Eric Rolland a le charme rassurant de la quarantaine et la verve claire. Malgré un coeur grenadine, Franck, son personnage, a la dent dure contre son ex, Muriel. Lui qui hier encore était banquier a bien fait de quitter les financiers avides pour les saltimbanques indolents.

David Garcia, tapi dans l’ombre de la salle observe les ébats et débats des personnages. Il a la piquante appréhension du metteur en scène qui guette les réactions du public.

A l’issue de la représentation, nous avons échangé dans l’atmosphère feutrée d’un bar accueillant de la Butte.


[Stef-Arkult] Pour jouer une rupture, est-ce qu’on pioche dans son vécu ou on hésite parce que ça fait trop mal ?

ER : Je ne suis pas un fana de la méthode acteur studio où on se fait du mal pour faire remonter des trucs et exprimer des sentiments sur scène. J’ai vécu des choses comme ça et quand je l’ai lu ça m’a rappelé des souvenirs mais quand je joue ce texte, ça ne fait plus appel à moi. Peut-être qu’un jour, un metteur en scène me le demandera mais ça n’est pas la façon dont nous a fait travailler David Garcia.

[Nous commandons : des liquides houblonnés pour les comédiens, un café-long-tardif pour le metteur en scène]

AS : On arrive à ressentir des émotions au fur et à mesure du jeu parce qu’on se met dans une situation bien particulière donc je suis un peu de l’avis d’Eric. Y a plein d’acteurs qui te diront « à tel moment j’ai pleuré parce que j’ai pensé à ma grand-mère » ou je ne sais quoi… Y en a.
Moi je suis plutôt dans une énergie de jeu et dans un sentiment.


[Stef-Arkult] Comment est-ce que vous définiriez la pièce, est-ce une tragédie ou une comédie ?

AS : On a eu beaucoup de mal à la classer cette pièce. Y en a qui disent comédie sentimentale sans pour autant restreindre à un truc de nénette. En tous cas je ne pense pas qu’on puisse parler d’un drame parce qu’il y a de l’espoir !

ER : Bref, c’est pas « Nuit Blanche à Seattle », je n’irais pas voir ça au ciné alors je ne le jouerais pas non plus.
Ca n’est pas un truc à l’eau de rose, ni les dialogues ni les rapports entre les deux personnages aussi bien quand ils s’aiment que quand ils se déchirent. Les gens sortent plutôt avec la banane et ils ne pleurent pas. [Regards amusés entre Astrid et Eric]… Quoi que si, une fois on a vu pleurer un spectateur mais c’est rare, c’est très rare.
Et ça c’est aussi la touche de David car l’ouverture finale de la pièce n’est pas dans le texte d’Eric Assous. Et, avec une telle ouverture, chacun comprend ce qu’il veut.

DG : Du point de vue du metteur en scène, la pièce est conçue comme une suite d’accidents de la vie, subies par un homme. Et à la fin l’homme s’apprête peut-être à faire subir ce qu’il a vécu, c’est la roue qui tourne. Le futur de la pièce pourrait donc être l’histoire de Lorraine [nouvelle compagne de Franck] qui dirait que son mec est parti avec quelqu’un.

AS et ER : L’italienne 2… le retour! [rires]


[Stef-Arkult] J’avais une petite appréhension en venant vous voir parce le sujet des disputes et des séparations n’est pas hyper marrant …

ER : Je vois ce que tu veux dire, mon personnage le dit aussi, c’est pas original.

[Stef-Arkult] Oui voilà, alors qu’apportez-vous de neuf à cette grande thématique ?

AS : Je pense que l’originalité vient du parti pris, choisi par David,  qui est de monter cette pièce d’une manière cinématographiée.  Du coup on n’est pas dans le « too much » des sentiments. Les scènes de disputes ont été raccourcies et nous avons essayé un maximum de mettre de l’humour même là où c’était triste.
Évidemment je ne peux pas trouver la pièce chiante, puisque je joue dedans mais je la trouve surtout très actuelle et tout le monde peut s’y retrouver.

[Nous trinquons et c’est bien la première fois que je trinque avec une personne qui boit un café…]

ER : Il y a une grande originalité dans la forme.
Il y a des flashback. On ne sait pas où on se situe : dans la pièce que nos personnages vont interpréter ou dans leur vie.
Moi je n’ai jamais vu ça au théâtre, c’est un jeu original et très cinéma.

[Je conviens que la pièce est conçue comme des poupées russes et que ça me rappelle « Mulholand drive » car ici aussi c’est dans le détail des accessoires de Muriel qu’on arrive à distinguer le théâtre dans le théâtre…]

ER : Malgré le thème vu et revu, la pièce est originale les gens s’attachent au personnage même à ceux qui sont très durs.

DG : Choisir un thème assez couru c’est aussi l’occasion de voir comment des comédiens arrivent à trouver de la finesse de jeu.
Je suis très dans le fait de déclencher un sentiment tout de suite. On voit rarement ça au théâtre. Mais dans cette petite salle c’est possible quand le spectateur est tout proche.
Etant donné que ça parle de théâtre j’aurai pu faire une énième pièce sur le thème de Tchekhov en reprenant les fameux personnages de « La Mouette » : Nina et Trigorine. C’est ce qui m’est venu à l’esprit en premier, car se sont des figures qu’on travaille beaucoup dans le théâtre contemporain.
Mais j’ai essayé d’être dans un théâtre cinématographique plus à la new-yorkaise, à l’américaine. Je préfère donc des David Mamet à des Olivier Py. Pour ce genre de théâtre en tout cas.


[Stef-Arkult] Une question à propos d’Eric Assous. Il a en ce moment 3 pièces à l’affiche à Paris, qu’est-ce que ça fait de travailler pour un « serial auteur » ?

ER : Il nous a donné la chance de jouer cette pièce et je le bénis tous les jours. Il ne nous connaissait pas. Je l’ai contacté en juin pour lui dire que j’avais monté une pièce de lui au Cours Florent. Eric Assous m’a alors dit qu’il avait donné les droits de la pièce qu’on travaillait au cours Florent à une autre compagnie. Mais durant ce coup de fil nous avons sympathisé et à la fin il m’a dit qu’il avait une seconde pièce, « L’Italienne ». Nous sortions un peu de nulle part, enfin du cours Florent pour ma part et Astrid l’année précédente, et surtout, on n’était pas connu.
[Le Cours Florent qui est tout de même l’Ecole privée de formation de l’acteur la plus reconnue en France…]
Contre toute attente Eric Assous m’a dit « si vous la voulez elle est pour vous, elle a failli être montée 2 ou 3 fois mais ça ne s’est jamais concrétisé ». Moi j’aimais déjà beaucoup cet auteur. J’avais lu et vu plusieurs de ses pièces dont « L’illusion conjugale ». Évidemment j’étais ravi.

Nous n’avions pas du tout calculé de se retrouver à côté de gens comme Jean-Luc Moreau, son metteur en scène attitré. A la rentrée il y avait donc « L’italienne » coincée entre « Mon meilleur copain » et « Les conjoints » [voir bas de pages Infos complémentaires] mais nous ne jouons pas dans la même cour, ni dans les même théâtres et surtout on n’a pas les mêmes moyens. N’empêche qu’on a eu de super critiques, d’excellents papiers dans les journaux. Finalement, l’alchimie fonctionne.
Eric Assous a d’ailleurs vu et aimé ce que nous avons fait avec David Garcia. C’était un vrai challenge !


[Stef-Arkult] Si je résume, Eric Assous vous a donné la pièce et vous a laissé monter votre projet ?

DG : Ah oui tout à fait, il nous a donné le texte et nous a laissé maîtres.
Par exemple je voulais un écart d’âge mais différent de celui qui est écrit. Je voulais le décaler, nous avons pris un écart entre une comédienne d’une vingtaine d’année et un acteur qui a la quarantaine. Le rapport est différent.

AS : Ça passe très bien du coup lorsque mon personnage raconte ses premières expériences et son court métrage. La petite jeunette en peu écervelée et naïve qui sort un peu tout ce qui lui passe par la tête, c’est plus crédible.


[Stef-Arkult] Contrairement à ton personnage, Astrid, as-tu passé une audition ?

AS : Ben non en fait, on a déjà travaillé ensemble tous les trois. Je n’étais pas à Paris, Eric Rolland a pensé à moi, il m’a envoyé le texte, je l’ai lu et j’ai dit « banco ».

[C’est donc aussi une histoire de copains … des copains qui ont du talent]


[Stef-Arkult] Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour 2012 ?

AS : Le succès de « L’Italienne » jusqu’à 2013 en France et à l’étranger !

[Eric et David acquiescent sourire au coin des lèvres]


Le public alangui par d’autres récits de passions éculées ne sera pas déçu. Cette Italienne n’est pas une douche froide. La pièce sonne juste et ça n’est pas uniquement à mettre au crédit d’une Bande Originale qui nous embringue avec les deux comédiens jusqu’à l’issue finale. La pièce est différente, elle amène son petit quelque chose. Sans être « boulevard » elle amuse et sans être trop cérébrale elle innove et embryonne une charmante réflexion sur les idylles, jouée avec beaucoup de tendresse et de complicité…


« L’Italienne » au théâtre, La Comédie St Michel
95 Boulevard Saint-Michel

75005 PARIS

01.55.42.92.97

Le Vendredi et le Samedi à 20h. Durée 1h20.

Distribution :

Mise en scène : David Garcia

Avec : Astrid Pinker (Muriel) et Eric Rolland (Franck)

Compagnie de théâtre : Les petits joueurs

Facebook : http://www.facebook.com/LesPetitsJoueurs

 

Informations complémentaires :

  • « Mon meilleur copain » d’Eric Assous, mis en scène par Jean-Luc Moreau avec Dany Brillant, Roland Marchisio, Muriel Huet Des Aunay, Juliette Meyniac et Aude Thirion au Théâtre des Nouveautés à Paris.
  • « Les conjoints » d’Eric Assous mis en scène par Jean-Luc Moreau avec Anne Loiret, José Paul, Anne-Sophie Germanaz au Théâtre Tristan Bernard.

 

 




Hawaï Burger – Bon appétit

Kamehameha vous évoque,

1/ Le cri sauvage des supers guerriers de Dragon Ball Z,

2/ L’hymne de la coupe du monde de football Waka-Waka interprété par Shakira,

3/ Un médicament générique aux obscurs propriétés,

4/ Le souverain d’une île paradisiaque du pacifique.

 

Il fallait bien sûr penser à sa majesté Kamehameha Ier roi d’Hawaï au début du XIXeme siècle.

Hawaï doit son nom à son souverain mais l’histoire de l’île reste indéniablement liée à la gastronomie (île Sandwich). Le groupe français Hawaï Burger demeure donc dans la thématique.

Car, si certains dansent le Mia, d’autre dansent le hula. Aloha! Bienvenue à Hawaï, couronnes de fleurs et surfeurs.

Aux premières notes de « Spring Break », EP d’un jeune groupe parisien, on a du sable blanc entre les orteils. Déserté le morne béton. Oubliée la maussaderie. It’s fresh, so fresh.

Leur nom : Hawaï Burger

Charlotte et Paul. Puis Charlotte, Paul et Kevin. Et enfin, Charlotte, Paul, Kevin et Yann constituent ce groupe.

Ils ont pris le caractère volcanique de l’île et le saignant de la viande du hamburger pour créer quelque chose de frais, spontané et de novateur.

Charlotte au chant et aux claviers (synthé, mélodica, glockenspiel etc..) est la carte pop du groupe avec une formation classique (au violoncelle),

Paul au chant et à la guitare est la carte électro,

Kevin est à la deuxième guitare, c’est la carte rock progressif,

Yann à la basse, dernier arrivé du groupe, est quant à lui l’ultime carte très rock.

Est-ce l’air du grand large et ses alizés bienfaiteurs que leur rock transporte ?
En tous cas, ce carré d’as pop folk a de quoi nourrir l’espoir que cette collaboration produise du beau et bon son.

Voici de quoi exciter l’appétit des amateurs de nouveaux talents. Les Inrocks, au travers de leur « Lab » ont mis le grappin sur ces djeunes plein d’avenir.

Si vous n’avez rien contre le sucré-salé, un groupe au nom du célèbre sandwich américain à base d’ananas, à déguster sans modération ?!

Voici quelques notes de « Spring break ».

Voici le clip de « New Skin » réalisé par Swoon Productions.

 

Pour en savoir plus sur Hawaï Burger :

Le Facebook du groupe  : http://www.facebook.com/HawaiBurger?ref=hl

Leur page Soundcloud: http://soundcloud.com/hawaiburger

L’adresse mail: burgerhawai@gmail.com



Jacques Lassalle nous emmène « Loin de Corpus Christi »

Copyright : Marc Ginot

La création de « Loin de Corpus Christi », pièce de Christophe Pellet mise en scène par Jacques Lassalle est inédite. Inédite parce que montée une fois à la Comédie de Genève, mais aussi par son format, son contenu, sa forme… Tout commence lorsqu’une passionnée de cinéma tombe sous le charme d’un acteur à la Cinémathèque Française, elle va partir à sa recherche… Ne se contentant pas d’intégrer du cinéma dans le théâtre, elle bouscule les frontières entre ces deux arts par une problématique difficile. 

Tout d’abord, en soulignant la différence d »importance du personnage face à l’Histoire. Bertolt Brecht et Richard Hart vivent dans le même Hollywood qui voit se produire la montée du macchartysme après la Seconde Guerre mondiale. Le premier personnage existe encore dans la mémoire collective, le second est presque oublié après quatre films. En interrogeant ce fait, Christophe Pellet questionne également notre obsession de l’image, du désir qu’elle nous procure et l’occupation de notre esprit par un acteur, son visage, ou le corps d’une héroïne de jeux vidéos.

Sur ces idées est écrite une pièce complexe qui nous fait jongler d’une époque à l’autre, en 1946, 1989, 2005 et 2025, mais pas forcément dans cet ordre… Jacques Lassalle a fait le choix du réalisme pour dépeindre ces espaces chronologiques. Dans un décor qui est une salle de cinéma, on fait des bonds dans le siècle, guidés par des panneaux dactylographiés sur le fronton de l’écran, comme dans un film muet. Les années changent mais le cadre reste, ces sièges rouges… Tout au plus quelques draps viendront les recouvrir…

Une étrange atmosphère

Divisée en deux parties distinctes (l’une d’1h20, l’autre d’1h), la pièce nous invite à suivre Anne Wittgenstein (Sophie Tellier). Passionnée de cinéma elle partage le coup de foudre qu’elle a eu pour Richard Hart avec son vieux professeur de cinéma, Pierre Ramut (Bernard Bloch), clin d’oeil amical au critique de cinéma toujours en activité, Pierre Murat. Il la met en garde, faisant référence au Portrait de Jennie de William Dieterle. Ce film où un peintre croise un soir une jeune fille dans un parc, la fait vivre dans une toile, et par mégarde, la ressuscite. Où se situent rêve et réalité ?

Ces discussions maître-élève sont une belle leçon de cinéma, qui ne laissent pas pour autant les non-initiés sur le bord du chemin. Bloch est touchant et humain dans ce rôle, sa disciple semble troublée, mais aussi follement amoureuse de ce nouveau visage inconnu. Léger bémol cependant, dans son jeu, Sophie Teillier vire parfois un tantinet groupie, on a l’impression qu’elle essaye de se convaincre de son amour, c’est gênant. 

On sent sur toute la pièce un voile de mystère, d’étrangeté. Des fantômes planent au-dessus de nos têtes. C’est d’ailleurs comme une apparition qu’arrive Richard Hart (Brice Hillairet), pour son premier rendez-vous à la MGM en 1946. Il est comme nous l’a décrit Anne Wittgenstein : absent, aérien, nous faisant douter de sa propre existence… Il a 20 ans, vient de Corpus Christi au Texas et appréhende la vie de Los Angeles, ses excès. Dans ce monde irréel créé par Jacques Lassalle, on est forcément questionné sur comment le cinéma nous absorbe, nous capte et nous plonge dans des sensations inconnues.

Aliénation par l’image

L’Histoire nous fait rester sur terre, la chasse aux communistes fait rage outre-atlantique. Richard Hart, faible d’esprit, gamin du « deep south », devient un informateur du gouvernement et cause la fuite de quelques uns des gens qui l’ont approché de trop près : Norma Westmore (Marianne Basler), Julie Arzner (Annick Le Goff), toutes deux excellentes dans leurs rôles respectifs. Bertolt Brecht (Bernard Bloch) est aussi conduit à s’échapper avec elles.

Puis on revient à notre époque, Anne a subi quelques épreuves qui l’ont conduite à abandonner Richard Hart.

Et vient Berlin-Est, Norma Westmore s’y est réfugiée depuis 25 ans, on vit avec elle la chute du Mur. La question de Richard, de l’image, la hante. Morritz, son amant d’aujourd’hui a les mêmes traits que son amour d’hier. Le jeune homme s’avère n’être en fait qu’un informateur de la Stasi. Toujours cette question de l’image, de l’espionnage et du jeu de dupe. Qui sont ces gens qui nous obsèdent et pourtant nous détruisent ?

Toute la pièce est une critique poétique de l’aliénation à l’écran, qui nous donne l’illusion de vivre dans un monde libre. Alors que sans cesse les spectres du passés montrent que ce n’est pas le cas, le mal n’est pas forcément où le plus gros doigt le pointe. La terreur ne règne pas là où on hurle le plus fort qu’elle existe. Et si « Loin de Corpus Christi » était le cri d’un désir de liberté ?

Avec une conclusion réussie, Jacques Lassalle propose une version compréhensible de cette pièce complexe, un pari qui n’était pas gagné d’avance.

Pratique : Jusqu’au 6 octobre 2012 au théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses (18e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 42 74 22 77 ou sur www.theatredelaville-paris.com / Tarifs : entre 15 € (jeune) et 26 € (plein tarif).

Durée : 2 h 20 (avec entracte)

Texte : Christophe Pellet (édité chez L’Arche)

Avec :  Marianne Basler, Annick Le Goff, Sophie Tellier, Tania Torrens, Julien Bal, Bernard Bloch, Brice Hillairet

Tournée :

  • Du 10 au 19 octobre 2012 au Théâtre des 13 Vents – Centre Dramatique National du Languedoc-Roussillon, Montpellier
  • Le 13 décembre 2012 au Préau – Centre Dramatique Régional de Basse-Normandie, Vire
  • Du 26 au 30 mars 2013 aux Célestins – Théâtre de Lyon



Doris Darling – Bitch volée

Con-vaincu ! (Merci pour l’inspiration …)
Le spectateur est convaincu par deux heures de spectacle saisissantes, prenantes, entraînantes sur ces cons vaincus dans leurs désirs de gloire, de gains et de notoriété.

Car l’histoire que nous propose Ben ELTON est tout à fait actuelle.
Elle dépeint les tribulations d’une journaliste à scandale (donc à succès) et ses difficiles rencontres et relations dans le milieu du « showbiz ». Producteur prometteur, gigolo rigolo mais idiot, assistante assistée, comptable affable mais guère jovial. Voici dressé le plan de table de cette véritable Cène, avec dans le rôle du Messie une Doris Wallis affublée de tenues extravagantes et d’un caractère démoniaque, comme en témoigne la magnifique affiche de la pièce.

L’histoire s’enchaîne sans accroc, avec ses rebondissements, inattendus mais pas excessifs, avec ses intermèdes, souvent surprenants.
Ces mêmes intermèdes qui confèrent à la représentation le titre de véritable spectacle vivant, bien plus que de banale pièce de théâtre. Musique, vidéo et danse sont parfaitement choisies et maîtrisées pour garantir une cohérence d’ensemble et un véritable plaisir pour le spectateur. Une délectation. Le plaisir du spectateur décuple devant le foisonnement de bons mots, les zygomatiques paniquent devant tant de facéties, les gorges se déploient pour laisser libre court aux fous rires incontrôlables.

La mise en scène est juste, le décor magistral et parfaitement et complètement utilisé par les acteurs. Pas de superflu. Même ce gigantesque escalier central en forme d’escarpin (non vous ne rêvez pas, un escalier en forme de chaussure à talon aiguille!) est parfaitement à sa place, et apporte une réelle touche d’originalité et d’authenticité au spectacle.

Tout cela est bien sûr porté par les 5 acteurs de la pièce. Une Marianne Sergent qui n’est pas sans rappeler Josiane Balasko dans ses heures des Bronzés, tant par la richesse de son vocabulaire que par cette sympathie naturelle qu’elle inspire aux personnes qui l’entourent. Avec dans le rôle de Thérèse (du Père Noël est une ordure), si l’on veut poursuivre la comparaison, Amélie Etasse, qui nous démontre tout son talent d’actrice dans cette pièce (comprenne qui pourra). Yannick Laurent, Eric Prat et Thierry Lopez complètent ce quinté de choc.

Le thème, tout à fait contemporain pour cette pièce créée en 1991, n’a rien perdu de sa causticité. La starisation à outrance, les excès du « showbiz », les nouvelles guerres « de Cent Ans » entre journalistes et vedettes, princesses ou autres personnalités plus ou moins éphémères. Tout y passe. Portrait d’une société en mutation, en quête de valeurs, d’identité et de modèles, Doris Darling met le doigt là où ça fait mal, et n’hésite pas à s’y attarder, et à le tourner et retourner dans la plaie.

Même si le message final, qui pourrait s’apparenter à une formule telle que « Tout est mal, qui finit bien », semble quelque peu bisounoursien, tout est excusé tant le chemin qui y mène est bien construit. Pas un spectateur n’abandonne sur la route. Tous avancent tête baissée, s’en remettant aveuglément aux comédiens et à la mise en scène. A raison.

Et quand le spectacle s’achève, on ose à peine s’avouer que les frasques de Doris n’auront été que trop courtes. Car le reconnaître  ne serait-ce pas admettre que l’on cautionne malgré tout ce modèle ?

 

 

Traduction, adaptation et mise en scène : Marianne Groves
«Silly cow», une comédie de Ben Elton

Actuellement au Théâtre du Petit Saint-Martin
17 rue René Boulanger, 75010 Paris
Du mardi au vendredi à 21h
Le samedi à 16h30 et 21h
Le dimanche à 16h
Durée : 1h45 sans entracte

avec Marianne Sergent, Amélie Etasse, Yannick Laurent, Eric Prat, Thierry Lopez.
Scénographie : Gilles Touyard
Lumières : Orazio Trotta
Vidéo : groupe Razmar
Conception sonore : Madame Miniature
Stylisme : Blandine Vincent
Maquillages : Guillaume Bellu
Coiffures et perruques : Jérôme Caron
Chorégraphies : Esther Linley
Coordination physique : U-Men Stunt

 




Plongeon dans le coeur de la « Démocratie » au théâtre 14

Copyright : Photo Lot

Sous le nom de « Démocratie », le théâtre 14 fait revivre l’un des plus grand scandale politique du 20e siècle : « L’affaire Guillaume », du nom d’un proche assistant du chancelier Willy Brandt qui était en réalité espion de la Stasi. L’intrigue se déroule à la charnière des années soixante.

Le public est invité à découvrir une version théâtralisée de ce drame passionant, signée de l’auteur britannique, Michael Frayn (à qui l’on doit également Copenaghe). Cette retranscription romancée ne perd pas pour autant son intêret historique certain. Sur scène, pour tout décor, des tables et des chaises en ferronnerie, malléables à souhait par les acteurs. Elles forment tantôt un grand bureau, tantôt plusieurs petites pièces, voir un coin de bistro ou un train. La délimitation des espaces et des époques est (très bien) faite par des jeux de lumières. En fond de scène, le Mur, alors construit en 1961.

C’est dans ce Mur que Willy Brandt va s’acharner à ouvrir une brèche, sans savoir que la Russie soviétique est au courant de ses moindres gestes par le biais de Gunter Guillaume. Officiellement syndicaliste, brave type, un peu gigoteur, il est agaçant par son côté groupie naïve. Alain Eloy campe très bien ce personnage. Comme Jean-Pierre Bouvier EST Willy Brandt. Tous les autres protagonistes incarnent à merveille leurs rôles, avec une mention spéciale pour le directeur des lieux, Emmanuel Dechartre, qui joue un Helmut Schmidt complexe et manipulateur effroyable, affirmant que « la démocratie doit être contrôlée ».

Ce monde ainsi dépeint est terrible, on y voit les rouages d’une démocratie d’après-guerre qui fait face tant bien que mal aux luttes intestines qui rongent l’intérieur du parti au pouvoir. Une histoire qui ressemble en de nombreux points au fonctionnement du Parti Communiste Chinois aujourd’hui… C’est dire le chemin parcouru.

En suivant Brandt et Guillaume, on vit une campagne, assiste aux tentatives de coalition, partage les doutes du candidat sur lui même, lui-même envers son équipe. Mais aussi les interrogations du parti à propos de Guillaume qui sera surveillé étroitement pendant de longs mois sans que jamais ne puisse être prouvée sa culpabilité. C’est lui-même qui finira par avouer, tiraillé entre sa fidélité à l’Allemagne de l’Est, son épouse, sa vie d’avant, et cette Allemagne qu’il construit corps et âme aux côtés de Willy Brandt, personnage profondément charismatique et pourtant méprisant à l’égard du petit peuple dont Gunter fait parti.

 « L’Affaire Guillaume » peut sembler complexe et difficile au premier abord. Mais les choix faits dans l’adaptation donnent à voir une histoire simplifiée de ses aspects administratifs, pour ne pas dire abrupts, elle insiste sur la relation entre cette poignée d’hommes de pouvoir. Le public est guidé, accompagné à chaque minute par un dispositif de flashbacks centrés sur Guillaume. On le voit raconter son épopée à un agent de la Stasi (qui s’invite parfois directement dans le bureau du Chancelier), et à d’autre moment le syndicaliste plonge dans ses souvenirs. La mise en scène de Jean-Claude Idée, est juste et précise, soutenant avec élégance la dizaine d’hommes qui incarnent les dirigeants, souvent tous sur scène en même temps, sans pour autant être au même point de l’Histoire. Durant toute l’intrigue, il y a si peu de sorties, que lorsqu’un personnage quitte le plateau, un vide se créé. Ces personnages de tout âge dessinent l’ossature générationelle du pouvoir.

Le monde décrit dans « Démocratie » est excessivement masculin (il n’y a que des hommes sur scène). Aucune douceur ni aucune finesse féminine viens tempérer les ardeurs et les concurrences permanentes qu’entrainent invariablement la concentration de testostérone. Cris, haussements de voix, échanges musclés, petites manipulations ponctuées de rires gorgés de nicotine. Tout est très bien décrit, rythmé, jusqu’à la chute (sans suspens) de Willy Brandt. L’homme qui était récompensé d’un prix Nobel de la Paix en 1971, se retrouve en 1974, tournant dans son bureau, ne parlant plus que de « falaises et de pistolets »…

Cette pièce est un conte moderne riche, prenant et peu tendre avec l’envers du décor de ce qui nous est souvent décrit comme le meilleur système politique au monde. Courrez, prenez de l’élan et jetez-vous avec lui dans l’une de ses chutes.



Pratique : Mardi, vendredi et samedi à 20 h 30. Mercredi et jeudi à 19 h. Matinée le samedi à 16 h. Jusqu’au 27 octobre au théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier (14e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 45 45 49 77. Informations complémentaires sur theatre14.fr / Tarifs : entre 11 € et 25 €.

Durée : 1 h 40

Texte : Michael Frayn (traduit par Dominique Hollier)

Mise en scène : Jean-Claude Idée

Avec :  Jean-Pierre Bouvier, Alain Eloy, Frédéric Lepers, François Sikivie, Frédéric Nyssen, Freddy Sicx, Emmanuel Dechartre, Xavier Campion, Alexandre Von Sivers, Jean-François Guilliet