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« Frontières » sans limites à NAVA

 



Le festival NAVA (Nouveaux Auteurs dans la Vallée de l’Aude) est un monde dans un monde. Une poignée de pèlerins qui s’intéressent aux plumes du théâtre, présentes et futures, au milieu de nulle part, dans un de ces magnifiques paysages français.


À l’intérieur de la programmation 2011, il y a eu une œuvre qui sera considérée un jour comme « de jeunesse » d’un auteur résolument nouveau : Régis de Martrin-Donos, aujourd’hui âgé de 23 ans. Baptisée « Frontières », c’est la première mise en espace établie à partir de ce texte.


Quels mots ! Et quels comédiens !


Dans le cadre splendide du château de Serre, une chaise attend l’acteur. Le jour s’éteint peu à peu, et, entre chien et loup, le Fils (Sylvain Dieuaide) s’installe. La folie se lit dans son regard, une psychose évidente se confirme sur le visage dès les premiers mots de sa mère (Raphaëline Goupilleau), plutôt marâtre. Elle s’évertue à descendre son fils plus bas que terre, secouant la mémoire du grand frère modèle comme une cloche au-dessus du crâne de sa dernière progéniture tout en l’habillant des pieds à la tête. L’habillant de mots, l’habillant d’insultes, l’habillant pour l’hiver en somme.


« Plus je te regarde et plus tu es laid » lance-t-elle. Comme la mère d’H.P. Lovecraft à son fils. Quand on sait dans quelle folie ce rejet maternel a plongé l’écrivain, on ne peut pas se retenir d’imaginer le pire pour ce garçon qui évolue face à nous. Heureusement, il ne se laisse pas brimer sans réagir. On assiste à sa première rébellion envers celle qui l’a mis au monde. Il lui dit qu’il veut sortir, faire sa vie, savoir qui il est, partir à la Guerre.
La folie s’exprime enfin. Le Fils est un humain avec des airs de mutant, ou de zombie, aucune importance… Il arrive désormais à sortir le monstre que sa mère a enfanté avec lui.


Sylvain Dieuaide offre une interprétation juste, nous faisant par là-même oublier qu’il tient un texte en main. Lorsqu’on suit le fil de son parcours en 2011, il a joué dans « La Coupe et les Lèvres » d’Alfred de Musset mis en scène par Jean-Pierre Garnier, une œuvre collective où seul le groupe avait sa place, et le seul souvenir marquant que pouvait laisser le comédien était qu’il jouait du piano. Puis il a interprété Jean-Louis dans « Perthus » de Jean-Marie Besset, mis en scène par Gilbert Désveaux. Un rôle très bien incarné mais où il n’était pas le héros. Dans « Frontières », il est ce héros, il habite ce Fils, il est fou et nous emmène sans efforts dans sa folie transcendante.


Lorsqu’enfin, il s’échappe, c’est pour tomber sur le balai du gardien de l’immeuble (Yves Ferry), qui finit de dessiner ce monde rédhibitoire aux yeux du jeune homme. Une terre dévastée où la guerre entre Nord et Sud fait rage. « C’est trop tôt pour voir le monde » ou encore « Tu n’as pas le droit ! » lui serine-t-il. Cet échange (comme le reste de la pièce) est magnifiquement mis en espace par Benjamin Barou-Crossman, le gardien et le fils s’installant dans un jeu de chat perché dominant /dominé très esthétique.


Il s’avère au moment de partir que cet homme est le père que le Fils n’a jamais connu. C’est l’auteur qui prend un coup d’avance sur le spectateur en faisant se poser la question au personnage avant qu’elle n’arrive à notre esprit. Et cette brillante prise de court sur le public n’est qu’un petit rubis échappé de ce texte qui, entier, est couronné de joyaux.


La troisième scène représente le Fils complètement fanatique, ayant traversé des déserts entiers pour rejoindre le front à pied, il rencontre un déserteur (Stefan Delon). Cet homme le met face à ce qui habite souvent la jeunesse : la fougue, la naïveté, la sensation d’être invincible quand on sort enfin à la découverte du monde. Lorsque l’on s’évade « du rêve de ses parents », que se passe-t-il ?


Refusant de tuer le soldat, Le Fils repart et expérimente. Il tente de vivre la vie dont il rêvait, et finalement, se retrouve nez à nez avec sa mère, la Guerre est finie, mais il souffre de n’avoir pu se battre. Et c’est dans les derniers mots que naît l’évidence, avec une phrase particulièrement forte, d’un Fils aux ailes coupées adressée à celle qui l’a mutilé : « J’ai compris que mon seul ennemi c’était toi, je te déclare la guerre ».


Quand un jeune auteur met ces mots sur du papier, et que d’excellents comédiens les incarnent aux yeux d’un public unanime, on aurait tendance à s’interroger sur ce qui a poussé Régis de Martrin-Donos à écrire cela, à sa vie, à ses blessures. Mais lorsque l’on vit ce moment de théâtre intense dans un festival si singulier, alors on ne peut qu’imaginer le futur et ce qu’on pourra encore découvrir de cet écrivain à la plume si brillante. On ne sort pas du spectacle rassasié, non, on sort conquis et avide de découvrir la suite.


La seconde pièce de Régis de Martrin-Donos, « Un garçon sort de l’ombre » sera créée lors de la saison 2011-12 du CDN des Treize Vents à Montpellier du 27 octobre au 4 novembre. La mise en scène sera signée Jean-Marie Besset, et Stefan Delon y tiendra de nouveau l’affiche.


Plus d’informations : http://www.theatre13vents.com




Jacques Air Volt: « C’est la musique qui décide »


Une après-midi d’été, aux Tuileries. La rumeur ambiante, la terre qui entre dans les ballerines, un coca avec glaçons. Je rencontre Jacques Air Volt, de son vrai nom Denis. En plus de parler, on a joué aux chaises musicales. En une heure de discussion, on a changé quatre fois de tables, chassés par la pluie, les parasols qui ploient sous l’eau, le bruit, le manque de place. L’été est pourri, moi j’vous dis. Heureusement qu’il y a la musique, et son EP à se mettre dans les oreilles, Attendre. Rencontre.


Tu t’appelles Denis mais joues sous le nom de Jacques Air Volt. Tu nous racontes son histoire ?


Jacques Air Volt est arrivé il y a 5 ans. En fait on commençait à monter avec des copains Le monstre de papier, un court métrage avec des personnages en papier. J’avais fait la musique de ce clip, et je devais trouver un nom. JAV vient de là. En fait, et c’est une exclu attention, Air Volt c’est Voltaire à l’envers, je trouvais que ça sonnait bien.


Ensuite, j’ai voulu continuer l’histoire avec une chanteuse qui s’appelle Harmony Baudou. On a fait un duo à partir d’un morceau que j’ai écrit. On a fait pas mal de cafés concerts avec toujours un décor en papier, on s’amusait sur le côté théâtral des choses.


Puis des musiciens sont venus, ce qui a mené à Première Bande, qui est composé de chansons enregistrées ces dernières années.


Mais alors pourquoi avoir fait le choix de sortir un EP après un premier album ?


Parce que je pense qu’aujourd’hui il vaut mieux sortir quatre/cinq titres que treize. Je trouve que cela correspond plus aux attentes des gens. Sur un album, j’ai souvent du mal à tout écouter. Je préfère m’arrêter uniquement sur les morceaux que je préfère. Les Beatles, à cette époque là, sortaient des singles de quelques titres. Et je trouve que ça correspond bien à ce qu’on attend aujourd’hui.


Tu as mis un an à produire cet EP. Un perfectionnisme lié à un grand respect de la musique ?


Je pense que si on veut faire une bonne musique, il faut y passer beaucoup de temps. Je cherche vraiment à faire quelque chose qui soit un peu différent. C’est peut être un peu audacieux. C’est surtout dur, il faut du temps, trouver les arrangements, chercher les bons mots… Du coup pour faire un album il m’aurait fallu peut être trois ans. Sur 4 titres avec 2 intros j’ai mis 1 an depuis la première prise de guitare !


Tu as toujours fonctionné comme cela ?


En fait, quand j’ai voulu faire cet EP, j’ai eu la chance et le confort de travailler dans un très bon studio, avec du temps, donc je me suis dit que j’allais le prendre. Je ne voulais pas que les chansons arrivent posées, mais faire ce que je veux, tout m’autoriser, quitte à détruire les chansons, à les transformer, les déstructurer. C’est ce qu’on a réussi à faire. C’était un de mes rêves d’enregistrer dans ces conditions là, et on y est arrivés.


Tu parles de déstructurer. Et c’est vrai que quand on t’écoute, on ne peut que remarquer des ruptures dans l’harmonie des morceaux.


Je pense que tu fais allusion à la dernière chanson, Dernière Division, qui passe du jazz à la pop. Le but était de figurer la mort et la vie. C’est l’histoire de quelqu’un qui marche dans le cimetière du pere Lachaise, qui figure la vie et qui regarde des petites filles limite en train de danser sur des tombes. Ca c’est la pop. Et la mort est figurée par le jazz, avec cette espèce de saxophone qui crie, qui est un peu dissonant. Je me suis amusé avec ça en créant des ruptures, de grandes oppositions que j’ai ressenties en me baladant dans le cimetière.


C’est vrai qu’on a l’impression que tu accordes autant d’importance à la musique qu’aux paroles. Comme si chacun était porteur d’un sens vraiment distinct, et qu’il n’y en a pas un pour accompagner l’autre.


Oui, ils sont à la fois parallèles et liés par le sens. En fait j’essaie de faire que la musique illustre les mots au maximum, qu’elle leur donne un sens. En fait dans le processus de création les deux s’entremêlent. La musique peut aussi nourrir les paroles, même si c’est souvent le contraire. Mais je veux qu’à un moment les deux se rencontrent, que ce soit cohérent, que ça crée un univers réel, un monde.


En écoutant les textes, on n’a pas l’impression que tu racontes des histoires mais que tu délivres des touches, des images…


En fait c’est plus des descriptions, des questionnements. Ce n’est en effet pas des histoires complètes, il n’y a pas forcément de chute. Parce que j’aime bien qu’on puisse interpréter, qu’on puisse trouver un autre sens. Ou s’imaginer autre chose. J’aime bien les textes à double lecture. Dans ce disque là il y en a peut-être moins, mais j’aime que cela reste onirique. J’essaie que le sens soit donné par la musique. Qu’elle donne le ton du texte. Parce qu’un texte on peut l’interpréter de dix manières différentes, donc peut être que c’est la musique qui décide. Comme si le texte se reflétait dans la musique.


Tu as un côté un peu mutin et désinvolte, et en même temps mélancolique. Est-ce que c’est une dualité sur laquelle tu veux jouer ou est-ce que c’est plutôt naturel ?


Je n’ai pas trop l’impression de jouer avec, ça vient spontanément. C’est assez sincère. Dans la création, ça vient des influences. J’aime autant Nick Drake que Rage Against the Machine. Les propos sont différents, on ne l’aborde pas avec la même énergie ! Je n’aime pas trop les disques où tout est sur le même temps, ça m’ennuie. Si on prend Grace de Buckley, on passe de chansons presque monastiques à des trucs violents. C’est super, du coup on a envie de réecouter le disque. De toute façon je pense que les disques qu’on réecoute sont ceux qui sont contrastés. Aussi bien dans les propos que dans la musicalité.


Et d’ailleurs qui t’inspire ?


La chanson française pour les textes et la mélodie : Gainsbourg, Bashung, Léo Ferré, Brel, en passant par Higelin, Jacques Dutronc, Arthur H. Et pour le côté anglo-saxon, Radiohead, les Pink Floyd, Nick Drake, Jeff Buckley à fond…


Jeff Buckley et Nick Drake, ça s’entend !


Ca me fait plaisir, ça ! Nick Drake, je l’ai connu à 15 ans, grâce à une cassette que mon frère avait rapportée de l’armée. Il était inconnu, on a commencé à le chanter plus tard grâce à une pub Volkswagen qui reprenait l’un de ses titres ! Ce qui est triste, c’est qu’il s’est suicidé après une longue dépression, sans avoir jamais connu le succès. Il y a dix ans, sa soeur a écrit sur Internet que si cette pub avait été faite avant sa mort, et qu’il s’était senti reconnu, peut-être qu’il ne se serait pas tué. Alors moi je trouve ça quand même terrible !


Je crois qu’il avait une grande frustration, c’est de pas pouvoir jouer en concert, ça le paralysait. Du coup il en a fait très peu. Comme il tournait pas, il pouvait pas se faire vraiment connaître. Il voyait tous les mecs qui jouaient, comme Neil Young, et pas lui. Il jouait dans sa chambre !


Or chanter comme il fait, avec des paroles et des notes qui ont l’air simples mais qui en fait sont super sophistiquées, c’est très dur ! Moi j’ai jamais vu un mec jouer du vrai Nick Drake. Les gens reprennent mais ils simplifient.


Je te demandais tes influences parce qu’on t’en attribue un sacré paquet. Tu trouves qu’elles sont justes ?


Je trouve surtout ça super, ça veut dire que j’ai quand même un peu réussi mon pari de faire une musique étonnante, un peu audacieuse. Je suis assez fier en toute humilité !


Ca rejoint l’image du perfectionniste. A partir du moment où tu considères qu’un morceau est terminé c’est que tu en es fier, que tu considères qu’il correspond à ce que tu souhaites ?


Pour cet EP là, oui complètement. Le but était d’aller vraiment jusqu’au bout d’une destruction. On a réenregistré je sais pas combien de fois les parties, on coupait, on collait. C’était génial. C’est la première fois que j’ai pu aller jusqu’au bout. Jusqu’au bout de quelque chose sans savoir où on allait ! Je savais juste que j’allais faire quatre titres.


Tu as grandi auprès de musiciens et d’artistes. Est-ce que tu as dû du coup te poser la question : est-ce que je peux faire autre chose que de la musique ?


Je ne me suis jamais posé la question, c’est vrai ! Ah si je voulais être agriculteur à un moment. J’aurais bien aimé être sur mon tracteur. Mais ça n’a pas duré longtemps car un de mes frères m’a dit que quand je serai grand tout serait robotisé, que ce serait des robots qui s’occuperaient de tout. Ca m’a détruit mon rêve et j’ai vraiment pleuré quand, en 6ème, une prof a demandé ce que je voulais faire comme métier plus tard. Je ne savais pas quoi écrire, alors je me suis mis à chialer. Elle m’a demandé pourquoi, je lui ai répondu que c’était parce que je ne pouvais plus devenir agriculteur, à cause des machines. Donc j’ai fait de la musique !


Attendre. Jacques Air Volt. Believe/Zimbalam. Disponible en digital.


Crédits photo: Valérie Archeno


Mathilde Cristiani




Hamlet Rock’n’Trash

Mélangez un crucifix à un préfabriqué, une enseigne lumineuse et quelques machines à café. Ajoutez-y un château gonflable, des coups de feu et une banane habillant un acteur. Secouez, et vous voilà dans l’écrin du Hamlet à la sauce Macaigne, rebaptisé pour l’occasion, « Au moins j’aurais laissé un beau cadavre ». Trois heures trente qui ne laissent pas rigide.


Dès les premières minutes, les hurlements et les insultes fusent entre Hamlet-fils et Claudius habillé du fruit cité précédemment. Oui, c’est bien une banane géante qui habille le fratricide. Ce costume et le dialogue irréel qui s’installe entre les deux hommes donnent le ton de toute la première partie : décalé, surprenant, vif, mais aussi un peu en force dans le jeu et un tantinet grossier, le texte étant parfois du Shakespeare, et à d’autres moments de l’authentique phrasé de pilier de comptoir.


Parfois, le public est interpellé, brusqué, arrosé (évitez les premiers rangs et les places côté escalier !), les images violentes fusent et servent bien certains passages de l’histoire, en particulier celui où Hamlet-fils est choqué par le remariage précipité de sa mère. Il s’en réfugie dans la tombe de son père, prend son cadavre dans ses bras, questionne le spectre paternel (ici, furet empaillé)… Bagarre, fruits qui volent, chaises que l’on casse, on voit tout. Rien n’est suggéré, et l’attention du spectateur est captée par l’excitante question : jusqu’où vont-ils aller ?


« Regarde toutes ces vieilles connes [le public], tu crois pas qu’elles ont été jeunes et belles comme toi ? » questionne Laërte à l’adresse de sa soeur. Cette phrase précède la nuit de noces érotiques entre Gertrude et Claudius, dont la couche nuptiale est la tombe du défunt frère/mari Hamlet Ier : de symboles et d’actions chocs, le spectacle foisonne. On se surprend même à sursauter et sentir d’agréables sueurs froides quand Hamlet-fils surgit une tronçonneuse à la main. Le juste milieu est trouvé, et sans jamais dépasser les limites, on se retrouve à rire, on se gausse de ce grand guignol de haute voltige dont le décalage est le mot d’ordre. Une première partie forte, violente et très drôle.


L’entracte offerte au public laisse à Hamlet le temps d’écrire « La souricière des traîtres », pour montrer à Claudius, son nouveau beau-père, qu’il connait la vérité sur le meurtre du roi.


Malheureusement, le second départ contient un peu plus de longueurs. Les acteurs semblent avoir du mal à passer de l’énergie explosive nécessaire à cette mise en scène, à la finesse requise pour certains passages du texte. Ceci a pour effet de casser le dynamisme impulsé aux débuts. Et puis ça hurle, ça ne s’arrête jamais de hurler, mais les gestes accompagnent moins cette colère. Dommage, car malgré cela, certains effets de scène sont bluffants et beaux dans le sens esthétique du terme, ils agissent comme une alternance entre de belles performances artistiques et des passages s’éternisant par un jeu d’acteur incertain.


D’après ce qu’il se dit, quelques soirs de rôdage ont aidé la troupe à trouver ses marques, et à emmener le public dans cet Hamlet qui, c’est certain, ne peut être imaginé avant d’être vu !


Après Avignon, il vous sera possible d’assister au spectacle aux endroits suivants :


2011


  • Du 2 au 11/11 au théâtre national de Chaillot (Paris)
  • Du 16 au 25/11 à la MC2:Grenoble


2012


  • Du 5 au 6/01 à la Filature / Scène nationale de Mulhouse
  • Du 11 au 12/01 à l’Hippodrome-Scène nationale de Douai
  • Du 18 au 20/01 au centre dramatique national d’Orléans/Loiret/Centre
  • Du 25 au 27/01 au Lieu unique (Nantes)
  • 8/02 au théâtres de la Ville de Luxembourg
  • Du 14 au 15/02 au Phénix / Scène nationale de Valence


Distribution


mise en scène, conception, adaptation Vincent Macaigne
scénographie Benjamin Hautin, Vincent Macaigne, Julien Peissel
concepteur son Loïc Le Roux
lumière Kelig Le Bars
artisanat Marie Ben Bachir


avec Samuel Achache, Laure Calamy, Jean-Charles Clichet, Julie Lesgages, Emmanuel Matte, Rodolphe Poulain, Pascal Rénéric, Sylvain Sounier

 




Le Pays de Nulle Part s’invite à Paris

Un grain de génie et beaucoup de folie dans « Souviens-toi Pan ». Cette comédie musicale se base sur l’histoire bien connue de Peter Pan.

Peter où l’enfant qui ne voulait pas vieillir mais qui célèbre pourtant ses 100 ans et inspire cette année de nombreuses pièces.

La troupe mi professionnelle mi amateur menée par Julien Goetz nous offre une interprétation ingénieuse et fidèle au mythe. De la danse, du chant, de la débrouillardise et un grand bol de féérie !


Dans un enchaînement bien huilé de scènes réjouissantes, on retrouve Peter, Wendy, Jean, les enfants perdus, la fée Clochette et bien sûr les pirates du Pays de Nulle part emmenés par le Capitaine au célèbre crochet.


Peter Pan (Antonio Macipe) est hyper expressif et exotique. Venu du Venezuela ce jeune chanteur habite la scène faite de « bric et de broc » de fond en comble. Wendy (Joe Marshall) est particulièrement grâcieuse et sa douceur consacre des moments d’une émotion parfaite. Dans cet univers coloré, bien pensé et sans aucun temps mort on déplore le rôle trop en retrait d’une enfant perdue : Poussière (Mélanie Duchesne). Cette candidate de la « Nouvelle Star » belge (« Pour la Gloire » sur RTBF) est surprenante avec une voix rocailleuse de chanteuse pop-rock. Dans ce groupe d’enfants perdus très attachants, Jean le jeune frère de Wendy (Ludovic Fert) joue et danse de façon exhubérante et jubilatoire. Son interprétation délicieusement décalée est hilarante.


Mention spéciale, du côté des méchants pirates, au duo formé par le Capitaine Crochet  (Ralph Folio) et son acolyte Mouche (Julie Lemas). En parfaite osmose, ces deux chanteurs apportent une touche exquise de second degré et une présence scénique digne de show man !



Seul bémol, le rôle pour le moins énigmatique de Nicolas Tatossian jouant le narrateur de ce flash-back des protagonistes de « Souviens-toi Pan » . Il se murmure en coulisse que les apparitions de ce nouveau personnage seraient en pleine évolution.


Quelques pépites musicales vous resteront en tête de longues heures durant. La chanson Bienvenue  au refrain entraînant « Tic tac au taquet » ainsi que Kéo l’hymne des enfants sauvages sont des petits bijoux du genre. Les chorégraphies sont ciselées et donnent envie de prendre part à la danse.

Orchestration efficace et belle part à la danse : la clé d’une bonne soirée !

Qui a dit qu’on ne pouvait pas faire rêver sans être Stage Entertainement (Le roi Lion, Mamma mia…) ?


Ils ont voulu redonner vie à une pièce jouée en 2006 devant une salle comble et comblée à Evry et ils ont bien fait. Leur envie et leur plaisir de jouer sont communicatifs, on est accueillis en amis dans un cocon de bonne humeur. Voila une troupe qui a une âme, du chien, du professionnalisme et surtout un petit quelque chose qui nous entraîne et les emmènera loin!


En ce moment en représentation au Théâtre Clavel. Pour en savoir plus, rendez-vous sur : http://www.souvienstoipan.com/


Distribution :

Compositeur: Julien Goetz

Chorégraphe/Metteur en scène: Gregory Pennaneach et Rita Lalle

Auteur: Patrick Bernard

Production /Promotion : Julien Iscache


Avec Nicolas Tatossian, Joe Marshall, Ludovic Fert, Antonio Macipe, Julie Lemas, Mélanie Duchesne, Raphaëlle Raimon, Maud Abeloos, Maëva Clamaron et Ralph Folio.

 




Quand souvenirs et oubli s’entremêlent …

« Le Goût des pépins de pomme » s’ouvre à la lecture des dernières volontés d’une grand-mère qui pourrait être la nôtre: « Clair comme de l’eau de roche tel était le testament de Bertha – une douche froide en vérité. Les valeurs mobilières étaient de peu de valeur, les pâturages de la pénéplaine d’Allemagne du Nord n’avaient d’attrait que pour les vaches, de l’argent il n’y en avait guère, et la maison était vieille. » Une plongée dans l’Allemagne contemporaine et une famille haute en couleur.


Entre stupeur et enchantement, la jeune héritière s’expose à une psychothérapie involontaire. En effet, en acceptant ce legs, Iris entame une flânerie dans un jardin buissonnant et sauvage qui ouvre un portillon vers un passé tumultueux et non sans surprises. Trois générations de femmes, trois époques, des mœurs qui évoluent mais des pommes, encore et toujours présentes.


Iris est le personnage principal du « Goût des pépins de pomme » mais je n’ai pas ressenti pour elle une excessive proximité. Son rôle est comme dilué dans les événements du passé. Je l’ai d’avantage vue comme une clé de lecture de douloureuses cicatrices ou comme un témoin silencieux qui nous permet de nous glisser dans cette famille, plutôt que comme un personnage attachant et charismatique. Elle est tenaillée par d’angoissantes histoires d’enfants revenant en écho à ses oreilles d’adultes, tant et si bien qu’on a parfois envie de la bousculer. La galerie de personnages familiaux qui s’ouvre derrière elle, réhausse la tonalité en étant subtilement mystérieuse.


Quelle ironie, la maladie d’Alzheimer est la pierre d’achoppement de la mémoire commune de cette famille allemande. Avec une prodigieuse délicatesse poétique, Katharina Hagena décrit sans détours cette maladie dont le nom n’est pourtant jamais évoqué.




L’auteure

Ce roman intimiste traduit de l’allemand par Bernard Kreiss (« Der Geschmack von Apfelkernen » dans la langue de Goethe) a une musicalité qui lui est propre. Il fait vibrer en chacun la nostalgie des nuits d’été. Un roman dans lequel on flotte paisiblement même s’il traite entre autres de la mort, de l’homosexualité, de la maladie et de l’oubli.

Délicieusement narratif et parsemé de pépins, Katharina Hagena nous confie ici un premier roman à l’humour pince-sans-rire très british. Elle enseigne à ce jour les littératures anglaise et allemande à l’université de Hambourg, et fera sans aucun doute les beaux jours de la littérature allemande.



Extraits

« Tante Inga portait de l’ambre. De longs colliers de pierres d’ambre polies dans lesquelles on distinguait de minuscules insectes. Nous étions convaincues qu’ils secoueraient leurs ailes et s’envoleraient à l’instant même où la coque de résine viendrait à se briser. Le bras d’Inga était cerclé d’un gros bracelet jaune laiteux. Si elle portait ces bijoux faits d’une matière soustraite à la mer, ce n’était pourtant pas pour rester dans la note de sa chambre aigue-marine et de sa robe sirène mais, comme elle le disait, pour des raisons de santé. Bébé déjà elle envoyait à quiconque s’avisait de la caresser une décharge électrique, à l’ époque à peine perceptible, certes, mais l’étincelle était bel et bien là, et la nuit notamment, quand Betha lui donnait le sein, elle avait droit à une brève décharge, presque comme une morsure, ensuite seulement le nourrisson se mettait à téter. Elle n’en parla à personne, pas même à Christa, ma mère, qui avait alors deux ans et sursautait chaque fois qu’elle touchait sa sœur. » [1]


« Les mains de ma grand-mère passaient sur toutes les surfaces lisses : tables, armoires, commodes, chaises, télévision, chaîne stéréo ; elles essuyaient ces choses, constamment en quête de miettes, de poussière, de stable, de restes de nourriture. […] C’était un symptôme de la maladie, tout le monde le faisait ici, avait dit à ma mère une aide soignante de la maison de retraite – le « home », comme cela s’appelait chez nous. Un établissement cauchemardesque. D’un côté, tout était organisé de manière pratique et fonctionnelle, d’un autre côté, c’était un lieu peuplé de corps qui, chacun à sa manière et à différents degrés, avaient, avaient été délaissés par leurs esprits. » [2]


[1] Katharina Hagena « Le gout des pépins de pomme », éditions Anne Carrière (2010) p.43

[2] Katharina Hagena « Le gout des pépins de pomme», éditions Anne Carrière (2010) p.149

 

 




Vivement la guerre …

Soyons provocateurs !
Oui, vivement la guerre, ou plus précisément, vivement que la guerre soit déclarée. N’allez pas y voir là des velléités belliqueuses, mais bien une réelle curiosité cinématographique.

« La Guerre est déclarée » est en effet le titre du second long métrage de Valérie Donzelli (qui avait signé « La reine des pommes », sorti en salles en 2010), et largement remarqué à l’occasion du dernier festival de Cannes.


Une histoire d’amour. Ordinaire. Avec joies et peines.
L’apparition de l’enfant, puis de la maladie. Et le combat du quotidien, le combat au quotidien, le combat contre le quotidien.


Et c’est bien tout ce chapelet d’émotions qui nous assaille à l’écoute de la BO du film.
Une bande originale pour le moins originale, où Vivaldi côtoie Jacques Higelin, et des créations originales interprétées par les deux acteurs principaux du film : Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm.


Musique classique, nouvelle scène française, musique électro … Un tel ecclectisme dans une bande originale (8 extraits pour le moment, sur 18 morceaux pour la Bande Originale dans son intégralité) laisse présager toute la complexité des personnages, des émotions véhiculées tout au long du film, des contradictions, des personnalités, … bref, de la vie dans ce qu’elle a de plus basique, et paradoxalement aussi de plus complexe.


Alors, oui, vivement la guerre …
Au cinéma le 31 août. A suivre !


Bande originale disponible sur les plateformes de téléchargement depuis le 11 juillet.
Plus d’informations sur www.laguerreestdeclaree.com





Les titres à rallonge ont quelque chose de fascinant


Le titre est copieux et l’histoire est truculente.  « Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates » est un recueil de lettres écrites au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.


Leur point commun ? Juliet, jeune romancière fantasque, utopiste qui décide de farfouiller dans les cendres encore chaudes du passé.


Leur thème ? L’île de Guernesey et ses habitants.



Si on a pu attifer la guerre d’adjectifs tels que « drôle » ou «froide » celle des Guernesiais est incongrue. Avec cet ouvrage on ne ressasse pas, on ne retrace pas une énième fois les horreurs de 39-45, on découvre un nouveau genre de résistants. Le témoignage des insulaires fournit un nouveau point de vue sur cette guerre au sujet de laquelle on a déjà beaucoup lu. Ils aiment la littérature, la grande, et aussi la petite depuis longtemps ou depuis peu mais c’est une fenêtre vers l’extérieur. Isolés et têtus ils le sont, mais ils ne sont pas dépourvus d’auto-dérision et d’amour.


On commence par esquisser un sourire et à s’enticher de Juliet et de ces fameux correspondants. Puis, on pouffe en parcourant les récits ubuesques des indociles de cette île. Puis, on rit à gorge déployée de leur ingéniosité et surtout de leur profonde humanité. Et enfin, on a la cornée humide en éprouvant la dureté de la guerre. Même les plus coriaces ne résisteront pas et verseront une petite larme, dans le métro, sur la plage ou où qu’ils se trouvent, tant on s’attache aux personnages.



Les auteures :


Mary Ann Shaffer et Annie Barrows ont la plume tendre et l’humour insolite. Tante et nièce à la ville, elles nous livrent une bien belle histoire, ni « nian-nian » ni intello, tout bonnement pétillante et profondément touchante.

Restée coincée contre son gré à Guernesey, Mary Ann Shaffer nous communique au travers de ces pages iodées son affection géographico-littéraire pour l’île. Mary Ann ne vivra malheureusement pas suffisamment longtemps pour savoir à quel point son œuvre eut du succès. Éditrice, bibliothécaire puis libraire elle décède en 2008 peu de temps après avoir su que leur roman serait publié.

Annie Barrows, écrivain pour enfants insuffle au roman un peu de la magie qui manque parfois au quotidien.

Ce récit épistolaire ne souffre certainement pas des maux habituels propres à cet exercice.


Cela faisait longtemps qu’une ribambelle de personnages de roman ne vous avait pas manqué comme un vieux groupe d’amis?

Alors, si ça n’est pas encore fait, faites connaissance avec ces amateurs éclairés de rognures et vous sentirez à nouveau le vertige de la dernière page.


Extraits


[1} « 21 Janvier 1946

Cher Sidney,

Voyager en train de nuit est redevenu un bonheur ! Finies les attentes de plusieurs heures dans les couloirs, finis les stationnements en voie de garage pour laisser la place à un train militaire ; et par-dessus tout, finis, les rideaux tirés du couvre feu. Toutes les fenêtres des habitations étaient allumées et j’aime me remettre à espionner, ça m’a tellement manqué pendant la guerre. J’avais l’impression que nous étions transformés en taupes, cavalant dans des tunnels séparés.»

 

[2]  «  5 Avril 1946

Chère Juliet,

Vous devenez insaisissable. Cela ne me plaît guère. Je ne veux aller au théâtre avec personne d’autre que vous. J’essaie juste de vous déloger de votre appartement. Dîner ? Thé ? Cocktail ? Balade en mer ? Soirée dansante ? A vous de choisir. Je suis à vos ordres. Je me montre rarement aussi docile, ne gâchez pas cette opportunité de m’amadouer.

A vous,

Mark »

 

[3]  « 31 Mai 1946

Chère Miss Ashton,

Miss Pribby m’a dit que vous vous intéressiez à notre récente expérience de l’occupation de Guernesey par l’armée allemande, d’où cette lettre.

Je suis un homme discret et, néanmoins, au contraire de ce que prétend ma mère, j’ai connu mon heure de gloire. […] Je suis siffleur et pendant la guerre je me suis servi de ce talent pour mettre l’ennemi en déroute. »

 

[1] Mary Ann Shaffer & Annie Barrows, « Le Cercle des amateurs des épluchures de patates », NIL p25

[2] Mary Ann Shaffer & Annie Barrows, « Le Cercle des amateurs des épluchures de patates », NIL p149

[2] Mary Ann Shaffer & Annie Barrows, « Le Cercle des amateurs des épluchures de patates », NIL p256




Un vivant « Suicidé » au 65ème festival d’Avignon

Le Suicidé est une pièce de Nicolaï Erdman écrite en 1928, puis censurée par le régime stalinien en 1932. L’auteur ne l’aura jamais vue montée. En 2011, mise en scène par Patrick Pineau, elle a été créée le soir d’ouverture du 65ème festival d’Avignon. Le public a pu découvrir que sous ce titre dramatique se cache une pièce drôle et intelligente.


Sur la scène des Carrières de Boulbon, la scénographie est faite de quatre blocs, qui composent les pièces d’un appartement collectif de l’ère soviétique. Aux premières minutes de la pièce, l’un d’entre eux s’ouvre et laisse apparaître un décor coloré et soigné. Sur le lit, un homme ne dort pas, il a faim…


Dès le dialogue initial, les mots servent une situation qui s’inverse aussi soudainement qu’elle a démarré : le mari veut manger, réveille sa femme pour qu’elle s’occupe de lui, et finalement se retrouve très vite à empêcher cette dernière de se lever pour qu’elle lui prépare un repas. Ce type de rebondissements fait de contradictions revient à de nombreuses reprises dans le texte, et ils sont, dans la mise en scène de Pineau, valorisés par un jeu d’acteur où la réaction des comédiens face aux mots est rapide et provoque de vifs changements d’expressions, tordants !

Ces mêmes mots se suivent tout en dissension, et ne sont pas étrangers aux drôles de relations qui nouent les personnages. Quand Maria Loukianovna pense que son mari, Sémione Sémionovitch, va passer à l’acte et se suicider parce qu’il se sent un moins que rien, le moment où elle confie son inquiétude à sa mère (la brillante Anne Alvaro), puis à son voisin, veuf depuis peu, sont des situations d’un comique rare.


Comique, pour nous public. Mais lorsque la belle-mère Sérafima Illinitchna essaye de faire rire son beau-fils pour éviter qu’il n’attente à sa vie, ses blagues font chou blanc. Par cet humour osé, l’auteur a réussi à faire ressortir le contexte politique qui le cernait, et le metteur en scène à nous en faire sentir l’écho évident que l’Histoire a sur la situation politique actuelle dans le monde occidental. Les personnages réduits à vivre dans des petites boîtes se questionnent sur leur désespoir, le travail à la sauce stakhanoviste et leur envie de voir changer les choses.


Leur principal espoir, ils le voient en Sémione Sémionovitch, cet homme pensant se tuer. Tour à tour l’intelligentsia russe, le représentant des commerçants, la femme jalouse ou le pope défilent à sa porte pour le convaincre de rejeter la faute sur le pouvoir en place, justifiant qu’« à notre époque, ce qu’un vivant peut penser, seul un mort peut le dire » et ajoutant « les gens qui se tuent aujourd’hui n’ont pas d’idées et ceux qui ont des idées ne meurent plus pour elles ». Chacun tente d’appâter le défunt, lui promettant un enterrement en première classe comme d’autres dans le monde actuel promettent quarante vierges contre un attentat-suicide.


Les situations improbables et drôles continuent de ponctuer l’action. Notamment au moment où le futur suicidé fait part de ses doutes sur la mort, c’est un sourd-muet qui l’écoute.


En seconde partie se met en place un banquet à la Tchekhov, scène de groupe où une quinzaine de comédiens sont sur scène et ça fonctionne plutôt pas mal. C’est l’occasion pour le « Suicidé » d’un dernier repas, il est 10 heures, à midi il devra se tuer. Condamné à mort par des idées. Léger bémol, car malgré la force du message qui prend tout son aspect concret, on ressent quelques longueurs et mollesse dans les interventions des personnages.


La pièce se termine avec les mêmes armes que l’introduction, faisant se côtoyer messages et situations extravagantes avec une touche d’absurde : le mort se réveille, et tous sont paniqués. La mise en scène de masse est très bien menée et sert à merveille l’ultime action comique. Un « Suicidé » bien vivant et réussi assurément.


Après Avignon, il vous sera possible d’assister au spectacle aux endroits suivants :


2011

  • 17 et 18/11 à la Maison de la Culture de Bourges
  • 23 et 24/11 à l’Espace Malraux / Scène nationale de Chambéry
  • Du 29/11 au 3/12 au théâtre Vidy-Lausanne
  • Du 6 au 9/12 à la MC2:Grenoble
  • 12 et 13/12 au théâtre de Villefranche

2012

  • Du 6 au 10/01 et du 12 au 15/01 à la MC93 Bobigny
  • Du 17 au 21/01 à la Scène nationale de Sénart
  • Du 24 au 28/01 au théâtre La Piscine de Châtenay-Malabry
  • 31/01 au théâtre de l’Agora d’Evry
  • 4/02 au théâtre Louis Aragon / Scène conventionnée de Tremblay
  • 7 et 8/02 au Volcan / Scène nationale du Havre
  • 11/02 au théâtre Jean Arp à Clamart
  • Du 15 au 23/02 au théâtre du Nord à Lille
  • Du 29 au 4/03 aux Célestins / Théâtre de Lyon
  • Du 7 au 17/03 au Grand T à Nantes
  • 20 et 21/03 au théâtre de l’Archipel à Perpignan
  • 27/03 au théâtre de la Colonne à Miramas
  • 30 et 31/03 au CNCDC Châteauvallon


Distribution


mise en scène Patrick Pineau
traduction André Markowicz
collaboration artistique Anne Perret, Anne Soisson
scénographie Sylvie Orcier
musique et composition sonore Nicolas Daussy, Jean-Philippe François
lumière Marie Nicolas
costumes Charlotte Merlin, Sylvie Orcier
accessoires Renaud Léon


 
avec Anne Alvaro, Louis Beyler, Nicolas Bonnefoy, Hervé Briaux, David Bursztein, Catalina Carrio Fernandez,
Laurence Cordier, Nicolas Daussy, Florent Fouquet, Nicolas Gerbaud, Aline Le Berre, Manuel Le Lièvre,
Renaud Léon, Laurent Manzoni, Babacar M’Baye Fall, Charlotte Merlin, Sylvie Orcier, Patrick Pineau


Et pour visionner (ou revisionner) la pièce, diffusée dimanche 10 juillet sur Arte:





Vous n’êtes pas prêt d’oublier Aliide Truu…


Dressons rapidement le tableau. En toile de fond, des territoires ruraux et bucoliques piétinés sans détour, tour à tour par l’Allemagne d’Hitler puis l’URSS de Staline. Au milieu, des Estoniens et des Estoniennes qui survivent, luttent, se révoltent ou s’inclinent. C’est l’histoire d’une rencontre, une histoire de famille mais avant tout, l’histoire d’un pays balte: l’Estonie. Il plane sur ces pages l’ombre d’un autre monde, le bloc de l’Est. Rien de bien réjouissant en somme… Cependant ce livre est une petite merveille.


L’écriture de Sofia Oksanen est brutale. On n’entre certainement pas dans l’histoire comme on entrerait dans une maison de famille douillette où l’on retrouve ses chaussons. On doit s’accrocher aux personnages, on se heurte à leurs destins chaotiques, on se bat pour recoller aux bribes de l’histoire de l’après-guerre. Et puis, avant qu’on ait eu le temps de s’en rendre compte, on est coincé dans le terrible engrenage invisible qu’on croyait pourtant propre aux polars.


La narration est alternée et décapante, moitié à l’Est moitié à l’Ouest. Les chapitres ont des titres à rallonge aussi évocateurs que « C’est toujours la mouche qui gagne », ou « Aliide avale un lilas à cinq pétales et tombe amoureuse », ou encore « Un passeport, ça se met dans la poche intérieure ».


Aliide et Zara, des prénoms pas communs, pour des héroïnes peu conventionnelles. Ces deux femmes que deux générations séparent ont en commun un destin bouleversé par la folie des hommes. Leur rencontre est un choc, quasiment une rencontre du 3ème type. Le face à face de ces deux femmes est un huis-clos oppressant. Au fur et à mesure que l’on remonte dans le temps, on comprend la haine, la rage, la jalousie, la rancœur, la douleur et la peur. On assiste, impuissant, à la naissance d’un tyran malgré elle dans un pays déshonoré. Une tragédie moderne et puissante comme on en rencontre rarement.


Aliide n’est pas une méchante au rire diabolique qui retentit jusqu’aux confins de l’enfer mais elle est implacable.

Zara, elle, est innocente, peut-être aussi inconsciente.


Alors, purge-t-on le bébé ? Oui c’est sûr.

Jette-t-on le bébé avec l’eau du bain ? Sûrement pas !



L’auteur


 


Sofi Oksanen écrit en finnois, son père est finlandais et sa mère estonienne, elle a peut être reçu de celle-ci l’amour de ces terres méconnues.  Passionnée de Marguerite Duras, cette trentenaire ne fait pas mentir l’adage qui dit que « L’habit ne fait pas le moine ». La plume a beau être rigoureuse et le style recherché,  Sofia Oksanen est une punk au look anticonformiste. Qui l’eût cru ?


Prix Femina étranger en 2010 et véritable best seller, son  troisième roman remue, secoue, bouleverse et fait découvrir une partie obscure de l’Histoire.
Au même titre que le personnage de « Grenouille » de Patrick Süskind ou que le personnage Dexter de la série américaine éponyme, vous n’êtes pas prêt d’oublier Aliide Truu.


Extraits

« 1991, BERLIN

La photo que Zara tient de sa grand-mère

Sur la photo, deux jeunes filles étaient assises côte à côte et regardaient fixement l’objectif, sans oser lui sourire ? Leurs robes qui tombaient sur les hanches étaient un peu bizarres. L’ourlet de l’une des filles était plus haut à droite qu’à gauche.[…] Et tandis que Zara observait la photo, elle remarqua quelque chose qui lui avait échappé jusque-là : les visages des filles avaient quelque chose de très innocent, et cette innocence rayonnait sur leurs joues rondes jusqu’à elle si bien qu’elle se sentit gênée. » [1]


« 1952, ESTONIE OCCIDENTALE

L’odeur du foie de morue, la lumière jaune de la lampe

L’odeur du chloroforme flottait par la porte. Dans la salle d’attente, Aliide se cramponnait à un numéro tout corné de Femme soviétique, où Lénine était d’avis que la femme, dans le capitalisme est doublement soumise, esclave du travail ordinaire du capital et du travail domestique. » [2]


[1] « Purge »  Sofi Oksanen, édition la Cosmopolite chez Stock (2010) , p114

[2] « Purge »  Sofi Oksanen, édition la Cosmopolite chez Stock (2010) , p265





Berthet One: les bulles au delà des barreaux


C’est lors d’ un passage en prison suite à un cambriolage, que Berthet s’est mis à dessiner pour raconter, non sans humour, son expérience carcérale.  Après avoir été lauréat du concours de BD Transmurailles d’Angoulême, Berthet expose en grandes pompes à la Wild Stylerz Gallery et la galerie 3F à Paris. Depuis, le jeune homme multiplie les projets avec la jeunesse des quartiers populaires et fignole sa BD à paraître en octobre. Coup d’œil sur ce curieux faiseur de bulles qui emportent avec elles les clichés.


Pourquoi une Bande Dessinée sur la prison ?


Je me suis inspiré de ce que je vivais. C’est aussi un moyen de parler de choses que les gens imaginent autrement. Beaucoup se font des fantasmes sur la prison, les jeunes pensent que celui qui est allé en taule est un caïd. Au contraire, nombreux sont ceux qui en pleurent tellement c’est difficile… Je donne des informations qui éclairent sur le principe une planche de dessin/une histoire. La première case évoque toujours une vérité autour de laquelle je brode ensuite avec humour.


Comment s’est passé ton séjour là-bas ?

La prison n’est une chose souhaitable pour personne. C’est l’enfermement, l’isolement, la famille et les enfants qui manquent et surtout, c’est l’impuissance totale: si ta mère tombe malade par exemple, tu ne peux rien faire…


Justement, dans ta BD, tu en parles avec humour alors que c’est difficile…


J’aime bien rigoler ! L’humour est une arme redoutable qui permet que les choses passent mieux. J’utilise le rire pour dénoncer et m’éclater aussi.


Comment t’es tu mis à dessiner?

Je tiens le crayon depuis que j’ai 12 ans et j’ai dessiné jusqu’à 14 ans… Toujours à l’école. Mais lorsque l’on grandit, on fait des choix. J’avais des copains qui faisaient les 400 coups et ça leur apportaient de l’argent. À la fin du compte, ils avaient des Nike et moi des baskets deux bandes, ils partaient en vacances, moi non… Bref, j’ai vite réfléchi et j’ai fini par me laisser embarquer. Après, ça va vite. Au départ tu veux un vélo puis une moto, une voiture, un appart… Et plus ça va, plus les petites bêtises deviennent grandes…
En arrivant en prison, j’avais envie d’utiliser ma peine à bon escient et j’ai donc repris mes études. J’ai passé mon bac et en retournant à l’école, j’ai repris mes petites habitudes : dessiner dans un coin du cahier. Un jour, j’ai crayonné le prof avec des dents de cheval et des oreilles de lapin. Un collègue l’a montré au professeur qui a aimé ! Il en a parlé à ses collègues et le dessin a circulé de main en main avant d’atterrir entre celles d’un surveillant qui a adoré et m’a conseillé d’en faire quelque chose…


Tu prépares un autre projet autour de la banlieue. Peux-tu nous en parler ?

Tout comme la prison, les gens se font des films sur la banlieue. Il s’y passe pourtant des choses superbes et personne d’ici n’en parle. On laisse ça à des gens qui ne sont pas d’ici, qui ont fait des études et qui viennent en parler… Ce sera l’histoire d’Abigaëlle, une nana qui vient de la campagne et qui vient poursuivre ses études en ville. Et en guise de ville, elle arrive en banlieue. Elle avait ses idées arrêtées et elle se rend compte qu’il y a plein de gens mortels ! C’était un moyen pour moi de mettre du melting-pot dans mes dessins : mélanger les cultures, les couleurs… On y retrouve Nadia et Fatou, deux nanas qui vont à la fac, qui ont un travail à côté et qui ont du mal à avancer dans la vie. Parce que c’est une réalité, un jeune de cité, avec un bac + 72, a moins de chance de réussir.
Abigaëlle est moche. Elle a une vraie tête de vieille comme l’expression. Ceux qui ne connaissent pas l’univers de la banlieue apprendront à la connaître. En gros, ce que j’aimerais, c’est que la personne qui lira ma BD puisse se dire la prochaine fois qu’elle verra un mec en casquette, baskets et survêtement : « si ça se trouve, c’est un mec bien ».


C’est rare de se mettre dans la peau d’un personnage féminin quand on est un homme, non ?


Les gens s’attendent à un mec de banlieue qui crache et qui parle mal. Pour prendre le contre-pied, j’ai décidé de parler d’une fille qui vient de la campagne, qui va a l’école et qui est gentille ! Mais il fallait quand même qu’elle ait un super pouvoir: elle est super moche et elle peut avoir un sale caractère si tu la cherches ! C’est pour ça qu’ici, on est tous des Abigaëlle, garçons et filles… Si grâce à mes dessins, j’arrive à créer des ponts entre les mondes, je serai ravi.



L’évasion, premier album de Berthet à paraître à le 17 novembre

Berthet s’expose  à la galerie 1161 du 13 octobre au 13 novembre ! Vernissage le jeudi 13 octobre à 18heures.


En savoir plus sur Berthet



Les mots pour le dire – Hervé Guibert

Hervé Guibert, autoportrait

Tandis que la treizième édition des Solidays bat son plein dans l’hippodrome de Longchamp, Hervé Guibert repose sous terre depuis vingt ans. Très connu pour être « l’écrivain du sida », l’homme qui a fait de sa maladie un documentaire – «La pudeur et l’impudeur » diffusé en 1992 à la télévision-, ce dandy gay subtil qui savait s’entourer des plus grands n’en est pas moins un génie brutal qui manie les mots avec virtuosité. Son œuvre mérite d’être sans cesse relue :


« Et c’est vrai que je découvrais quelque chose de suave et d’ébloui dans son atrocité, c’était certes une maladie inexorable mais elle n’était pas foudroyante, c’était une maladie à paliers, un très long escalier qui menait assurément à la mort mais dont chaque marche représentait un apprentissage sans pareil, c’était une maladie qui donnait le temps de mourir et qui donnait à la mort le temps de vivre, le temps de découvrir enfin la vie, c’était en quelque sorte une géniale invention moderne que nous avaient transmis ces singes verts d’Afrique […] le sida, en fixant un terme certifié à notre vie, six ans de séropositivité, plus deux ans dans le meilleur des cas avec l’AZT ou quelques mois sans, faisait de nous des hommes pleinement conscients de leur vie, nous délivrait de notre ignorance.[1] »


Et relue.


«En regardant le paysage grisâtre de la banlieue parisienne défiler derrière la vitre du taxi, que je considérais comme une ambulance, et parce que Jules venait de me décrire des symptomes qu’on commençait d’associer à la fameuse maladie, je me dis que nous avions tous les deux le sida. Cela modifiait tout en un instant, tout basculait et le paysage avec autour de cette certitude, et cela à la fois me paralysait et me donnait des ailes, réduisait mes forces tout en les décuplant, j’avais peur et j’étais grisé, calme en même temps qu’affolé, j’avais peut-être enfin atteint mon but. [2]»


Et re-relue.


« C’est quand j’écris que je suis le plus vivant. Les mots sont beaux, les mots sont justes, les mots sont victorieux, n’en déplaise à David, qui a été scandalisé par le slogan publicitaire : « La première victoire des mots sur le sida. » En m’endormant je repense à ce que j’ai écrit pendant la journée, certaines phrases reviennent et m’apparaissent incomplètes, une description pourrait être encore plus vraie, plus précise, plus économe, il y manque tel mot, j’hésite à me relever pour l’ajouter, j’ai quand même du mal à descendre du lit, à chercher dans le noir à tâtons la lampe de poche à travers la moustiquaire, ramper sur le côté au bord du matelas comme me l’a enseigné le masseur, et laisser tomber doucement mes jambes, jusqu’à ce que mes pieds rencontrent la pierre nue.[3] »


Il s'est éteint depuis vingt ans et on y pense encore.



[1] Hervé Guibert, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Gallimard, Paris, 1990.

[2] Hervé Guibert, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Gallimard, Paris, 1990.

[3] Hervé Guibert, Le protocole compassionnel, Gallimard, Paris, 1991.





Printemps des Comédiens – Slava's Snowshow

Slava Polunin est habituellement un maître en matière de merveilleux. Il s’est illustré avec des spectacles qui frisent souvent le sublime, notamment dans sa collaboration avec le Cirque du Soleil pour Allegria. Aujourd’hui, son spectacle le Slava’s Snowshow a récolté les éloges d’un public conquis à chaque représentation depuis sa création en 1994..


Je ne suis pas d’accord.


Au commencement, Slava entre sur scène, corde à la main, tristesse lisible sur le visage. Effet de rire quand on se rend compte qu’à l’autre bout du fil, un autre clown est dans la même situation. Dès la première minute s’installe alors une chorégraphie clownesque qui sera le fil conducteur du spectacle. Entre le héros habillé en jaune et rouge et une bande de homeless men en manteaux verts, casqués d’un étrange bonnet qui selon l’angle serait avion miniature ou des oreilles de lapin blasé.


Les tableaux se succèdent et se ressemblent, nourris d’absurdes et d’autodérision trop calculée et prévisible, et ce malgré quelques passages où la lumière bleue baignant la scène plonge le spectateur dans une sorte de rêve éveillé, mais où il est impossible d’être dupe, même à 8 ans, ou sous LSD.


La bande-son fait se succéder Vangelis, Eric Sierra, Jorge Ben jusqu’au Boléro de Ravel qui sonne pour annoncer l’entracte après 30 minutes de spectacle. Inutile de chercher un sens, il n’y en a pas, c’est le but. Et je me pose malgré tout la question, pourquoi autour de moi les gens rient-ils et ont-ils l’air de se régaler à ce point ?


Un spectacle si simple, voire simpliste dans un décor de carton-pâte où les gags sont déjà vus cent fois. Le plus récurrent : envoyer à la figure des spectateurs cette fameuse neige constituée de bouts de papiers, puis arroser ces mêmes personnes. Ça fait énormément rire le public, même les concernés. La beauferie et les éclats de joie automatiques constituent l’ambiance. Le Slava’s Snowshow a su marier le taureau piscine et les concerts d’André Rieu. Après une heure de succession de tableaux, deux personnes sont sur scène, côte à côte, comme au début du spectacle, symbole parfait du show : rien n’avance, cette suite de postures ne mène nulle part.


Dans un final wagnérien où tout ce qui n’a pas été jeté de neige durant la représentation est propulsé à la tête du public avec un ventilateur géant, Slava nous a offert là un spectacle sans histoire et sans émotions, saupoudré d’une poésie de Franprix.


Informations pratiques :

www.slavasnowshow.com




Michel-Ange au pays des éléphants …


Et si quelques semaines oubliées de la vie d’un des maestri de la Renaissance vous donnaient un éclairage nouveau sur son œuvre ?


Si comme tout le monde vous ne connaissez de Michel-Ange que ses œuvres : le plafond de la chapelle Sixtine, le David de Florence ou la Pietà de Saint-Pierre de Rome, il est temps de faire connaissance avec l’homme.


« Parle-leur des batailles des rois et des éléphants » est le récit de son escapade dans la capitale cosmopolite du monde Ottoman : Constantinople.
Bien que les faits et personnages soient réels, ce que nous propose Mathias Enard n’est ni une autobiographie ni une fresque historique. Celui qui enseigne aujourd’hui l’arabe à l’université de Barcelone, nous offre un rêve. Un rêve étrange et pénétrant d’amour interdit et de sang mêlés où plane un envoûtant parfum d’Orient.


Le roman commence à l’arrivée de Michelangelo di Lodovico Buonarroti Simoni dans la ville où trône l’inébranlable Sainte Sophie. L’artiste italien est venu remplir une mission dans cette contrée bercée par les appels à la prière et l’ivresse charnelle des nuits roses. Une mission hautement symbolique qui fut un échec pour le grand Léonard de Vinci : la construction d’un trait d’union entre les deux rives de la ville.
Dans les rues tièdes si loin du vent salé de l’Adriatique, Michel-Ange imprègne son art de cette culture rayonnante à la confluence de plusieurs civilisations.


Ce conte nostalgique est un pont aérien vers les mystères d’une cité et les dessous d’un génie acharné.


L’auteur.

Féru d’arabe et de persan il dépeint fidèlement dans ce court récit la Constantinople esthète et européenne qui a su accueillir les Européens chassés par des rois trop catholiques.

Mathias Enard démonte le mythe qu’était Michelangelo. Il construit un homme égaré, troublé, empêtré dans son siècle et contemplateur. Il s’approprie le personnage et bâtit une intimité simple entre le maestro et le lecteur. Pour finalement conquérir nos cœurs !

Mathias Enard transmet son amour contagieux du monde arabe dans un style lyrique et pragmatique. L’orientalisme et le tantrisme prégnants nous ramènent à son précédent roman, déjà chez Actes Sud, qui avait reçu le prix du Livre Inter en 2009 : « Zone ». »Parle-le leur des batailles des rois et des éléphants » a quant à lui décroché le Prix Goncourt des Lycéens (2010).




Paps Toure : La rue mise à nu

Scène de nuit en noir et blanc. Accoudé à la rambarde séparant le trottoir de la route, le vieil homme rit. En arrière plan, un bus passe à toute vitesse. De ceux qui circulent sans arrêt sur l’autoroute de la vie, il se fout et se marre, les yeux tournés vers une euphorie que seul lui peut voir.

Sans doute que la minute d’après, il reprendra son sac en plastique et trainera son vieux manteau trop grand ailleurs, toujours en riant.

C’est cette scène et les autres où défilent ces paumés immortalisés par le regard cru mais toujours attachant de Paps Toure qui m’ont poussée à rencontrer l’artiste de rue.


Crédit photo Paps

 

Rendez-vous est donné aux Folies, café qui fait l’angle avec les rues Dénoyez et de Belleville. L’homme est connu des lieux. Ses clichés s’affichent sur la façade du café. Deux clebs pas commodes. Un blanc, un noir, droits comme des statues romaines…. Il arrive en vélo, montre patte blanche avant de brouiller les pistes. Rencontre.


crédit photo M.E

 

 

Temps de chiens

 

« On a été voir des loups en CE2, pendant une classe nature, et j’ai kiffé. En rentrant, j’ai adopté un chien trouvé dans la rue.

Les chiens annoncent alors les premiers pas du photographe qui les choisit comme modèles pour leurs côtés «  sauvages, libres et  fidèles », avant d’en venir aux scènes de rue suite au coup de foudre pour une photo volée. Celle d’un vagabond sur le pont de Stalingrad. Le déclic. Depuis, Paps alterne les séries sur les chiens et les hommes. « Plus le temps passe plus les humains vivent comme des chiens et les chiens comme les humains. On ne sait plus qui est qui… » Réalistes mais pas tristes, les photos de l’homme proposent autre chose qu’un « Paris cartes postales ». Un Paris crade, injuste, à deux vitesses mais qui n’en est que plus humain ou que plus chien.

 

De la rue…


Quartier du Danube, 19ème arrondissement de la capitale. Pas fait pour être derrière les bancs de l’école, le jeune Paps posera un temps son arrière-train sur ceux de la cité. Il quitte école et foyer à 15 ans et fait le choix de l’autonomie, vivant de débrouilles pendant 9 ans. Le jeune adulte devient père de famille. Puis, « après avoir fait les 400 coups, j’ai eu l’occasion d’essayer la vie de bureau. J’ai été commercial  dans les assurances pendant 5 ans, pour faire comme tout le monde. C’était la bonne planque jusqu’à ce que je me dise que ce n’était pas ma place. » L’appareil photo devient le principal compagnon de Paps qui plaque tout pour déambuler jours et nuits dans les rues de Paname, des beaux quartiers aux ruelles mal éclairées avec une préférence pour les personnages que la lumière n’atteint pas.

Paps devient artiste, à 30 ans. « Dans les cités, il n’y a que des dealers, des sportifs ou des chanteurs… La photo ou l’art, c’est pas « normal » . Il y a encore des gens qui pensent que la photo c’est une planque que j’ai trouvée! »

 

 

… à la rue

 


Une partie de la vente de ses photos est reversée à l’association 2-or qu’il a créée pour aider ceux qui restent quand le photographe rentre chez lui. « Je ne veux pas prendre en photo un mec qui dort dehors et récupérer des sous sur lui. Je reviens les voir mais quand un lien s’est formé, je ne peux plus les prendre en photos, ça n’est plus spontané. »

A ceux qui lui reprochent le genre photo volée, il répond que trop se rapprocher c’est aussi risquer de déranger dans l’intimité. « Le recul est plus du respect que de la photo volée. Je prends la scène avant qu’elle ne file, et je me rapproche ensuite. »

Le Paps du 19ème se retrouve alors à exposer dans quelques galeries des quartiers chics.

« C’est important de prendre confiance en soit pour casser les barrières sociales. »

Mais, c’est à une autre entité que Paps voue son Art. « Tout vient de la rue et pas assez d’hommages lui sont rendus. » Il multiplie les affichages sauvages et les expos en plein air.

La discussion dérivera sur l’identité des uns, des autres. La sienne. De quoi réveiller Mr Hyde. « Je suis un double personnage. Qu’est ce que t’en sais si en vrai, je suis pas un véritable enfoiré ? Si je ne fais  pas tout ça pour me donner bonne conscience, me rattraper des conneries passées ? Je suis là, je parle de casser les barrières….Mais si on me connaît vraiment, je suis un vrai salopard…Un vrai solitaire. J’ai un côté un peu pervers-narcissique. Disons que je suis joueur… »

Pour ça que son vélo affiche une roue noire, une blanche, que ses deux chiens ne se partagent pas le noir et le blanc…

Rien à foutre, ses photos parlent à sa place et là, le noir et le blanc s’équilibrent cruellement bien.

 


crédit photo: M.E

La devanture des Folies à Belleville. Hommage à Paps dont les photos (en arrière plan) collent parfaitement au décor, ou l’inverse

 

Paps expose en plein air dans sa rue, celle de son enfance.

Le dimanche 12 juin, de 14 heures 30 à 21 heures 30, 2 rue de la solidarité, Paris 19ème.

Il prépare actuellement un livre.

www.papstoure-photographe.com

facebook.com/paps.toure.photographe




Les « Noirs » d'Odilon nous éclairent

Il est toujours intéressant de prendre le temps de découvrir le parcours d’un peintre. Surtout si celui-ci a vécu, pinceau à la main, la naissance d’un des courants picturaux les plus connus du grand public aujourd’hui, sans pour autant y prendre part : l’impressionnisme.


Odilon Redon défendait une autre vision de l’art occupant une place singulière dans le symbolisme, un artiste à part que l’exposition au Grand Palais nous montre de façon chronologique, enfin ! Car aucune rétrospective ne lui avait été consacrée dans le pays depuis 1956…


Entrée en matière


La première salle est plongée dans la pénombre, y sont montrés les fameux « Noirs » de l’artiste, nourris de l’imaginaire de Baudelaire, de Poe et des théories évolutionnistes de Darwin que le grand public découvrait à l’époque.


Les dessins originaux de certaines lithographies et études y sont montrés, notamment la Vieillesse (faisant partie de la série la Nuit), qui tout de suite trouble par la justesse de l’émotion donnée par le trait. On y voit les prémices des Rêves, œuvres fantastiques et oniriques. On y voit de manière évidente un des principes même du symbolisme : les formes et les traits peuvent parler de l’intérieur, de l’intime, et pas forcément d’une réalité visible au premier regard.


Toujours à travers ses « Noirs », Redon rend hommage aux clairs obscurs des maîtres Italiens. Dans le Diable enlevant une tête, c’est une référence directe au frontispice du Faust de Goethe peint par Delacroix. À ses débuts, l’artiste est souvent seul dans son cheminement, il ne s’inscrit pas dans des groupes mais il n’est pas orphelin pour autant : son travail est chargé de références.


Sa carrière lithographique proprement dite débute avec « Dans le Rêve », en 1878. Il suit en ce sens les conseils d’Henri Fantin-Latour pour « multiplier ses dessins et se faire connaître dans le monde littéraire ». Cette œuvre intégralement exposée creuse le contraste avec les préoccupations de ses contemporains (naturalistes et réalistes), en dessinant un monde déconnecté de la réalité où il y a une récurrence de têtes coupées, de barques, d’yeux géants et de sphères.


Loin d’être gratuits, ces rêves sont souvent métaphoriques, on pense notamment au « Joueur » dans la série « Dans le Rêve » qui porte un dé à six faces à l’orée d’un bois comme un lourd fardeau.


Un air de Riou


Au fil des dessins accrochés sur les murs, on a du mal à ne pas comparer, au moins furtivement, certaines des planches aux illustrations que faisait Edouard Riou pour illustrer Jules Verne dans ses livres parus aux éditions Hetzel. Mais Redon n’était pas un illustrateur de bouquins dans son essence, et nombre de ses créations sont d’autant plus formidables à regarder qu’elles permettent à notre imaginaire à nous spectateurs, de se construire autour du trait et d’y bâtir nos propres rêves (ou nos cauchemars !) sans les rapporter à d’hypothétiques lectures que l’on aurait eues. Car Odilon Redon préférait suggérer dans ses œuvres, plutôt que de les expliquer. Il aimait l’équivoque.


Et parfois au milieu de toutes ces figures, pour se reposer l’imaginaire, il y a une série limpide. Par exemple, les « Origines » fait la part belle aux monstres mythiques : cyclopes, satires et centaures triomphant, finissant par l’Homme, cherchant à tâtons la sortie vers la vie.


Autre série lithographique exposée, « A Edgar Poe », datant de 1882, auteur qui dans ses écrits était comme Redon dans son art opposé au réalisme. Une suite de planches rendant hommage à l’écrivain américain, dans son monde sombre et imaginaire.


Une « Araignée souriante » à dix pattes fait face à une plante grasse anthropomorphe, les « Noirs » nous éclairent sur les méandres créateurs de l’artiste.


En continuant à passer de pièce en pièce, on découvre d’autres recueils, notamment des séries dédicacées à Flaubert ou la littérature de celui-ci (notamment en 1886 et 1889). Il y a la série « La Nuit » qui contient le dessin nommé « La Vieillesse » tout bonnement inouï.


Le mariage à la couleur


Dans la suite de l’exposition, on assiste au passage de la peinture avec les « Yeux-clos ». Aux alentours de 1900, Redon a « épousé la couleur » et il n’imagine plus s’en passer. Cela fait ressortir en lui d’immenses talents de coloristes et le place vers la fin de sa vie en véritable père du fauvisme. Les dessins sont plus « réalistes » dans les traits, les thèmes bibliques font des apparitions récurrentes, les Rêves prennent place dans les couleurs qui, elles, n’ont rien de réelles.


Au pied d’un escalier, une pièce est entièrement dédiée au temps des fleurs de l’artiste. Datant du début du XXe, elles peuvent déconcerter quand on les met (par l’esprit !), à côté des lithographies que l’on vient d’admirer à l’étage, mais en prenant le temps de comprendre, le cheminement est pourtant clair : l’imaginaire est toujours présent puisque peintes à partir de modèles, l’artiste s’est mis à inventer des variétés de fleurs, baignant au milieu des papillons.


Ces fleurs omniprésentes dans l’un des décors que l’artiste a fait pour le château de Domecy et qui est reconstitué dans l’avant-dernier espace du parcours.


Enfin, il est offert de voir pour finir quelques portraits et thèmes bibliques (notamment un intéressant Saint-Sébastien) mais surtout deux versions du « Char d’Apollon » de Delacroix, ultime hommage de l’élève à ce maître qu’il admirait tant.


Exposition très complète, et ayant comme léger défaut d’être un peu trop dense. Peut-être à faire en plusieurs fois ? Mais à faire assurément !


Informations pratiques :


L’exposition est visible au Grand Palais jusqu’au 20 juin prochain. Elle descendra ensuite dans le sud puisque c’est la grande exposition estivale du Musée Fabre de Montpellier, du 5 juillet au 16 novembre.


http://www.rmn.fr/odilon-redon