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Règle #1 pour être bien dans sa peau : être bien dans son sexe

Nan, c’est pas vrai, je reviens de Taiwan – bon, ça fait 3 semaines déjà mais je me sens toujours comme à peine débarquée, ouais, moi j’étais à l’étranger ha !- et la première fois que j’allume la TV, c’est même pas la nuit d’abord, je tombe sur une pub à propos de l’impuissance.

Wow ! me dis-je.

Ceci dit, cette pub illustre quand même bien la réalité : n’importe quelle excuse pour expliquer un mal-être sexuel, et tout plutôt qu’en parler ou y faire face.

Shortbus, c’est un peu pareil, en plus long et avec plus de personnages. Et plus d’histoires, quand même. Une coach sexuelle qui n’arrive pas à jouir, un homo suicidaire, un vieillard qui raconte l’amalgame SIDA/homosexualité des 80’s, et j’en passe. Au fond, tout ce petit monde est frustré donc triste, à la recherche de quelque chose sans savoir quoi… ah si, la même chose que nous : l’orgasme !
Et quand il vient, c’est étrange, mais tout est plus coloré, sympa, on sourit béatement et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, même le boulot et le métro.

J’adhère.
En fait, on est tous d’accord non ?
Alors voilà, certes, nous ne sommes pas obligés d’aller tous dans des partouzes géantes organisées dans des endroits glauques tenus par des folles, – pourquoi pas, ceci dit, ça pourrait être un genre d’expérience héhé -, toutefois, nous pouvons tous regarder Shortbus, et à défaut d’être tout à fait sensible aux scènes crues, en tout cas apprécier les histoires de ces personnages ordinaires, et retenir la leçon.



Shortbus, de John Cameron Mitchell (2006)




Very cold trip ou le fabuleux destin d’un chômeur qui va devenir papa

Alors ce n’est pas vraiment une comédie, pas non plus une tragédie, qu’on s’entende, c’est le film d’une réalité parfois un peu rude dans les pays scandinaves. Il fait froid, il neige fort, la nuit tombe super tôt et si t’as pas tes gants, t’es foutu.

Le narrateur n’est pas le héros mais son pote, un mec qui commence par énumérer des suicidés – oui, c’est le début du film. On se demande d’ailleurs tout du long s’il ne va pas suivre la même voie sur le même arbre à pendu. Bon, je ne vais pas non plus faire le spoiler…

Donc le héros, Janne – on prononce Yan’né, ouais je l’ai vu en VO et je suis fière de ma prononciation parfaite – se voit confier un ultimatum par sa copine qui en a marre de le voir se traîner du lit au canapé, et qui surtout, veut le tester pour savoir s’il est capable de mener à bien une mission simple en apparence et donc, s’il sera capable d’être père.

La route est donc longue, froide et semée de quelques embûches qui ne sont en fait pas si délirantes que ça, c’est l’accumulation qui rend le voyage hors de l’ordinaire. En gros, un film comme un conte, où le héros doit choisir entre se sortir les doigts du c** ou abandonner ; un film sympathique, avec une aurore boréale en prime.

Pour ceux qui ont vu Little Miss Sunshine, Very Cold Trip ne sera pas sans rappeler des situations similaires. En vérité, ce n’est pas dans les situations que la similitude est flagrante, que dans le fait qu’il s’agit simplement de l’histoire d’un bout de vie : pas de fin merveilleuse, quoique, mais comme une envie d’aller prendre un chocolat chaud avec ses amis et de sourire parce que la vie, ben c’est cool quand même.



Very cold trip, un film de Dome Karukoski




La couleur de l’aube est rouge sang – Yanick Lahens

Depuis longtemps, Haïti fascine. Quand la terre tremble, quand l’Etat capitule, lorsque les hommes se battent pour vivre mieux ou pour vivre seulement… Port-au-Prince et ses habitants suscitent l’intérêt jusque dans la richesse de sa littérature. Comme nombre d’auteurs haïtiens autour d’elle, Yanick Lahens puise dans son quotidien la matière dont ses livres sont faits.


« La vie tue d'abord les cœurs purs » . Au départ de l’histoire, un drame.  Angélique et Joyeuse découvrent un matin que leur jeune frère Fignolé n’est pas rentré. Leur mère aussi a vu le lit fait. Militant déçu du « Parti des démunis », rêveur et musicien, il est une proie facile pour la rue. Dans un contexte apocalyptique, cette disparition est des plus inquiétantes. Les émeutes sanglantes de la veille, auxquelles il semble avoir participé, laisse présager le pire. En trente courts chapitres, incroyablement fluides et poétiques, vont s’alterner les voix de ces deux sœurs qui nous présentent, chacune à leur manière, un quotidien misérable où règne pourtant en maître le désir de survie.


Portraits. Angélique est une fille-mère de trente ans qui traîne son buste droit du banc de l’Eglise aux couloirs de l’hôpital dans lequel elle travaille. Soucieuse mais contenue, brisée mais droite, elle tente de faire vivre sa petite famille en repoussant tout ce qui pourrait agrémenter son quotidien. Sa sœur cadette, Joyeuse, représente l’engouement, la joie et la vitalité. Elle occupe une place prisée dans un petit magasin luxueux du centre ville. Grâce à son oncle, elle a pu suivre des études qui l’ont aidée à se faire une maigre place dans la société haïtienne. Dévorée par l’ambition, révoltée par son quotidien, elle contient difficilement sa colère et sa rage en toute circonstance. Contrairement à sa sœur, elle rejette toute forme d’autorité, qu’elle soit politique, culturelle ou religieuse et  joue du rapport de force qu’elle instaure entre elle et les hommes par sa beauté.  Toutes les deux vivent encore sous le toit de leur mère, une vieille femme que le poids des malheurs commence à voûter mais qui résiste à l’âpreté du quotidien.


Pendant la journée, chacun mènera l’enquête à sa manière : Angélique la raisonnable porte plainte auprès du commissariat et se heurte à l’incompétence des fonctionnaires dans un pays en faillite. Joyeuse fouille les affaires de Fignolé et trouve une arme, un papier avec des coordonnées téléphoniques et le nom d’Ismona, l’amoureuse de Fignolé. Mère cherche dans les rites vaudous et l’évocation des esprits les réponses que la réalité lui refuse. Si la mort de Fignolé plane sur chacun d’entre eux, aucun ne renonce à trouver la pénible vérité. Parce que se battre, c’est vivre encore. Et qu’ils n’ont rien d’autre à faire.


Une mosaïque douloureuse. Dans ce second ouvrage de l’écrivaine Yanick Lahens, les personnages n’ont pour seule réalité que les sentiments qui les animent. Mais ceux-ci ont maintes et maintes fois été partagés par les Haïtiens et prennent tout leur sens lorsqu’il s’agit de parler du quotidien de l’île.   Dans sa manière de peindre une société en difficulté, où vivent des hommes tantôt vaillants, tantôt vaincus, elle s’inscrit parfaitement dans une longue tradition de littérature afro-caribéenne. Réalistes et éprouvants, ces propos sont riches d’une langue soignée, d’un rythme maîtrisé et d’une orchestration du récit parfaite.  Il y a Gabriel, l’enfant innocent déjà devenu le témoin silencieux de la violence du monde dans lequel il vit, Ti-louze, la bonne noire, battue pour n’être que ce qu’elle est, John, le jeune blanc arrogant et prétentieux, porteur de toute la morale occidentale et tout aussi incapable que les autres d’apporter des solutions concrètes aux problèmes quotidiens, Mme Jacques la riche patronne de la boutique dans laquelle travaille Joyeuse, qui illustre parfaitement la classe supérieure méprisable de l’île, Lolo la jeune courtisane intéressée par « l’argent qui ouvre les frontières »…


L'auteure. Malgré sa triste réputation de pays pauvre et désorganisé, l’île d’Haïti a une longue tradition littéraire. Elle est riche d’une grande communauté d’auteurs en diaspora, telle que Dany Laferrière ou Louis-Philippe Dalembert, et regorge d’écrivains qui témoignent des réalités de leur île de par le monde. Yanick Lahens appartient à cette catégorie de la population soucieuse de témoigner de son histoire quotidienne, des aspirations déçues de sa jeunesse et de l’incroyable vitalité qu’elle abrite néanmoins. Née en Haïti en 1953, elle a effectué une grande partie de son parcours scolaire en France avant de retourner s’installer à Port-au-Prince où elle a travaillé comme universitaire, conseillère du Ministère de la Culture et écrivain. Comme le disait le poète haïtien René Depestre avant elle, « La littérature haïtienne est « au bouche à bouche avec l’histoire » ; dégager la création littéraire de la vie politique de l’île quel que soit le stade de l’histoire d’Haïti observé, n’est pas chose facile, tant la première se nourrit de la seconde, y trouve souffle et inspiration. Et jusqu'à la dernière page de ce livre, on respire avec eux.



Yanick Lahens , La couleur de l’aube, Sabine Wespieser, Paris, 2008


Extraits:

« Le quartier de tante Sylvanie est à la limite de plus pauvre encore que lui. Parce que dans cette île, la misère n’a pas de fond. Plus tu creuses, plus tu trouves une autre misère plus grande que la tienne. Alors entre Sylvanie et ce qui n’a pas encore de nom, il n’y a qu’une eau prisonnière. Gonflée de limon et de boue. A faire remonter vos viscères en boules nauséeuses. Là-bas, de l’autre côté, là où les vies tiennent en équilibre entre les pelures de tout ce qui se mange, les cadavres d’animaux, les incontinences des vieillards, les visages poisseux de morve des enfants et l’eau aigre que rejettent les estomacs affamés. A côté des chiens et des porcs, surgissent souvent des silhouettes sinistres. Le dos voûté, elles se mélangent aux bêtes. Quand elles ne leur disputent pas les restes, elles fouinent furtivement à leurs côtés dans la puanteur et la pourriture des immondices. » [1]


« Quand en fin d’après-midi, il est revenu à la maison, un poste de télévision posé sur la tête, je l’ai vertement réprimandé. […] Et à mesure que ma colère s’endormait, j’ai regardé Fignolé avec une admiration qui m’a moi-même surprise. Au fond de moi un feu étrange s’est mis soudain à crépiter. Et j’ai senti qu’il crépitait parce que je l’approuvais. Oui, je l’approuvais. Je compris ce jour-là qu’il y a de quoi devenir méchant quand on est asservi. Quand la vie est sans issue pour vous et tous ceux qui vous ressemblent depuis le commencement du monde et qu’un homme, un jour, une fois, vous indique une sortie. Alors si étroite, si basse, si sombre soit-elle, vous vous y engouffrez. Tête baissée. Et j’ai baissé la tête. » [2]



[1] Yanick Lahens, La couleur de l’aube, Sabine Wespieser, Paris, 2008, p. 50.

[2] Yanick Lahens, La couleur de l’aube, Sabine Wespieser, Paris, 2008, p. 59.







Parce que la nature, c’est toujours mieux dans du béton

Oui, la nature, je l’ai expérimentée ici, à Taïwan, c’est bien plus joli dans du béton.
Bon, ok, c’est pas gentil de dire que c’est le credo Taïwanais, mais… je suis pas gentille.

J’en ai vu des trucs depuis que je suis dans ce pays grandiose, qui a la chance d’avoir la plus haute montagne d’Asie du Sud-Est (je l’ai gravie), des plages de sable noir, blanc ou doré, au choix, mesdames et messieurs, l’un des plus grands coraux vivants proche de l’une de ses îles (Green Island, je l’ai vu oui oui oui!!), une capitale tentaculaire, le tropique du cancer en plein milieu…
Taïwan est magnifique, cela va sans dire, et concentre sur son tout petit territoire une richesse de paysages incroyable… et une population de plus de 23 millions de personnes.


Ceci explique cela.
La nature, pour eux, c’est génial. Les ordures, faut les trier. D’ailleurs, il n’y a de poubelles nulle part (et je déteste ça!) pour responsabiliser les gens. Autant de monde, c’est autant de trafic, voitures, scooters, vélos… C’est autant de déchets disséminés un peu partout sur les plus beaux spots du pays, c’est autant de pollution à combattre.
C’est bien sûr, et c’est encore moins drôle, autant de gens à loger.

Du coup la nature, il faut l’arranger, la ranger, la faire petite pour placer tout le monde.

Mais dans le même temps, Taïwan a besoin de visiteurs, de touristes, les Américains pleins d’argent, qui sont Canadiens et Européens, la plupart du temps, mais passons, et du coup, ben, la ville de Taipei organise une exposition grandiose. Sans oublier le fait que le pays a 100 ans cette année.
Alors on crée de superbes « hiking trails » pour touristes fainéants, avec des chemins de béton dans la montagne, ou près des rivières, ou encore tout autour du superbe Sun Moon Lake. On pose des orchidées (Taïwan est le 1er producteur de cette fleur, une de ces îles est d’ailleurs nommée Orchid Island) sur des pins, pour faire joli, le long des murs ; on met du béton un peu partout, quoi, pour faciliter le passage…
Flora exposition. Avec plein de fleurs. De jolies fleurs, hein. Dans des carrés de béton.
Rien ne doit jamais dépasser.
Dominer, arranger, promouvoir. C’est une vision, c’est une culture.
Pour autant, qu’on se le dise, ce pays est magnifique.

Flora Exposition – Taipei (Taiwan) – 6 Novembre 2010 / 25 Avril 2011




À mon âge, je me cache encore…


Un hammam à Alger. Neuf femmes s'y retrouvent  pour la toilette rituelle, mais surtout, pour parler. Échanger leurs peurs, leurs rêves, leurs fantasmes, leurs limites. Celles qu'on leur impose et qu'elles choisissent inconsciemment de faire leurs ou de rejeter. Évoquer leur quotidien envahi par les hommes… Doux, aimants, brutes, jaloux, absents, violents.


À mon âge, je me cache encore pour fumer est de nouveau à l'affiche de la Maison des Métallos. Cette première pièce écrite en français par la comédienne et metteur en scène algérienne Rayhana répond avec humour, force et finesse à l'oppression, la violence et le fanatisme.


Dans l'atmosphère embuée et vaporeuse du hammam, les confidences des actrices issues de tous horizons dessinent un portrait bouleversant et juste de l'Algérie des années 1990. Une Algérie à peine assoupie qui s'est réveillée soudainement en décembre dernier, à Paris lors des premières représentations de la pièce. Rayhana fut aspergée d'essence sur le chemin qui la mène à la Maison des Métallos. Tentative avortée, la cigarette lancée n'a pas pris feu. Le corps de la femme, à travers celui de Rayhana, continue de résister. Résister par l'humour pour supporter l'affreux. Résister par la confession pour transcender la douleur. Résister par le théâtre pour dénoncer.


La mise en scène épurée signée Fabian Chapuis joue d'un intimisme habile qui refuse de faire le spectateur voyeur. Nous plongeant sans mal dans l'univers féminin mis à nu. Au langage cru, aux émotions tendres, aux révoltes sanguines, toujours dans le respect et l'amour de cette altérité féminine.


Sans fard, ces neufs personnalités toutes aussi différentes nous offrent des performances étonnantes, notamment, et de loin la meilleure, celle de Linda Chaïb qui interprète Samia, jeune naïve, unique rêveuse survivante nourrie d'illusions que l'amour et l'espoir n'ont pas encore tuée. Pas encore…


Jusqu'au 29 janvier à la Maison des Métallos, 11ème.




Denis Villeneuve met le feu aux poudres

Le réalisateur québécois adapte la pièce de Wajdi Mouawad, Incendies, au cinéma. Pour le meilleur. On en oublierait presque le texte d’origine.















« Jeanne, Simon, où commence votre histoire ? ». C’est ce qu’écrit à ses enfants Nawal, une libanaise expatriée au Canada, et qui a passé sa vie à cacher ce qu’elle a vécu à sa progéniture. C’est un peu aussi l’histoire de la pièce d’origine, et du film de Denis Villeneuve, cette interrogation.

A la mort de Nawal, les jumeaux Jeanne et Simon se retrouvent en effet en possession de deux lettres. L’une à remettre au père, qu’ils ne connaissent pas et qu’ils croyaient mort. L’autre à remettre au frère, dont ils ne soupçonnaient pas l’existence. Commence alors une quête initiatique qui passe par la découverte du passé de la mère pour réussir à remonter à ces deux êtres dont ils ignorent tout.

Le but de cette remontée vers leurs origines : mettre un terme à la colère et au silence qui rongent leur famille. Comme toujours chez Mouawad, petite et grande histoire sont toujours mêlées. Eclaircir la première, c’est aussi réaliser une mise en abyme de l’histoire houleuse de leur pays d’origine, le Liban.



Au théâtre, c’est l’opus de la Trilogie (Littoral – Incendies – Forêts) le plus clairement historique, peut-être le plus complexe sur ce point, mais aussi dramaturgiquement parlant, le moins réussi. La faute à quelques longueurs, quelques dialogues moins enlevés, une certaine lourdeur qui n’est pas que celle du poids de la situation. Le cinéma de Villeneuve – dont l’un des précédents films, Polytechnique, revient sur le massacre opéré à l’école de Montréal le 6 décembre 1989, et que Mouawad évoque, d’ailleurs, dans sa pièce Forêts – donne toute son ampleur à ce texte.

Si au départ le cinéaste reprend presque mot pour mot le texte du dramaturge, il s’en éloigne très vite et se l’approprie complètement. Pour quelqu’un qui n’a pas lu le texte, difficile de croire à la mise en scène au théâtre de cette histoire. Et pour qui l’a lue, c’est au contraire une évidence. Il y avait déjà tout dans la pièce. Et notamment la multiplicité de lieux et d’époques, avec lesquels Mouawad aime jouer.

On notera également dans l’adaptation la puissance de l’interprétation des deux femmes du film. Et plus particulièrement celle de Nawal, jouée par Lubna Azabal, et qui parvient à ne jamais tomber dans le pathétisme facile et l’attitude d’héroïne tragique. Cela, même si la tentation est grande, si l’on se réfère à la succession de drames que le personnage va connaître. Et c’est là qu’on perçoit aussi la qualité de l’adaptation de Villeneuve. Car la frontière chez Mouawad entre le lyrisme qui pourrait être dégoulinant et la beauté tragique, l’émotion véritable, est souvent fine mais jamais dépassée. C’est la même chose dans sa version cinématographique : le fond sonore (du Radiohead parfois presque assourdissant), les plans lents, souvent le silence, donnent de l’intensité et pas du larmoyant au propos.

Des regrets ? Il y en a forcément. Le choix de certaines ellipses par exemple rendent la narration moins fluide que dans la pièce. Alors qu’elles sont censées simplifier au contraire la compréhension. L’une d’entre elles, liée au fils, nuit même à la fin à la logique et à la force du film. Il n’y a pas d’incohérences dans la pièce de Mouawad (affirmation loin de toute idolâtrie, c’est promis). Il y en a dans le film de Denis Villeneuve. Par exemple, le réalisateur rend le notaire qui accompagne les enfants complice du secret de Nawal. Difficile de comprendre cette décision, qui n’apporte rien au déroulement de l’histoire. On pourrait la justifier en se disant que le personnage ne dévoile pas ce qu’il sait car c’est aux enfants de réaliser eux-mêmes leur voyage initiatique s’ils veulent comprendre et grandir. Mais avait-on réellement besoin de ce coup de stabilo sur une symbolique qui est tout de même assez claire ? Pas sûr…

Littoral avait déjà été adapté, par son auteur himself. J’aimerais savoir si avec succès, mais n’ai pas encore eu l’occasion de le voir. Incendies en a suivi le chemin. On attend désormais de pouvoir voir sur les écrans Forêts. Il y aurait là aussi matière à s’amuser en brassant drames familiaux et historiques. En attendant, il n’y a plus qu’à chercher les salles où aller voir le deuxième opus, à partir du 12 janvier.

http://www.youtube.com/watch?v=qpd9J-hDnpI




David Lafore : De la bouche fermée à la mule en passant par la chatte


Coluche, Brel et Gainsbourg enterrés, Guillon dégagé, Dieudonné placardé…Restent-ils des agitateurs de conscience et autres emmerdeurs de tourner en rond ? C’est la question que s’est posée l’espace Jemmapes en organisant une semaine de l’insolence. Et parmi les sales gueules programmées, celle de David Lafore a retenu notre attention.


Dans la queue, une tronche de vendeur d’aspirateur porte à porte attend. Drôle de mec qui croit encore au col de chemise posé sur un pull premier de la classe. Entrée dans la salle. Le commercial débarque sur le plateau. Merde ! Le vendeur d’aspirateurs…

David Lafore a ôté sa laine. Il s’installe. Soufflerait presque, c’est l’heure du boulot. Faut y aller. Interroge le public d’un regard « mi encrouté du réveil mi-j’vous emmerde ». Puis commence par murmurer dans le micro, jouant le mec gauche, un peu paumé qui sort un mémo pour ambiancer la salle d’un « est ce que vous êtes là ? », prononcé sur le même ton qu’un « file moi les clés de voiture ».

Et David entame son numéro, enchaîne les chansons sur pas grand chose, ou sur l’amour, rendant à chacun sa juste place, enfourne sa mule avant de quitter instruments et micro pour rythmer de ses doigts sa transformation soudaine en petite culotte de coton blanc. Et de conseiller fortement un « cuni pour mamie ».

Plus d’une heure d’échange où le public rit et sait se taire, bercé par une voix claire et envoûtante qui maîtrise à la perfection silences, bruitages, poésie moderne, tralala, sifflotements, susurrements, grognements, miaulements et un tas d’autres trucs en -ent. Envouté par une présence scénique d’autant plus forte que subtile.

Avec ces tacs et tics de langages à la Bobby Lapointe comme dans Jalousie, ces textes à prendre au troisième degré, le dandy tête à claques s’avère être l’impertinent pertinent du moment. Celui qui nous sauve des caravanes et autres miauleries mièvres de la scène française actuelle. Ce que certains arrivent à vendre sans avoir peur d’appeler ça de la musique: trois mots et deux notes, celles de David Lafore dépoussièrent la chanson française qui retrouve sa juste finesse et son audace.

Après un premier album en 2004, le chanteur continue son exploration de la vie et des sentiments dans son deuxième album intitulé sobrement: II , sorti en 2007

Cela donne en vrac: 20 francs (le cunnilingus), un baiser, une bombe, laisse moi mourir un peu,  tu m’en diras tant, fleur de rond point, Babines ou plat à gratin. À savourer.

Certaines restent coincées entre les dents pour que le goût dure en sortant. D’autres se boivent. Sans modération.

Vous vous méfierez des tronches de porte à porte, il se pourrait que ce soit vous qui vous retrouviez à les suivre, de portes en portes.

Jalousie -David Lafore




Aëla Labbé, l’œil du passé au présent

Envoutantes, mystérieuses, fascinantes, dérangeantes… ces images.

Ses images.

Sa vision de la vie, poésie mélancolique, spleen féerique.

Flottant entre l’irréel adulé et le rêve brisé, le regard de femme et celui de l’enfant, la nostalgie d’un passé immaculé et l’envie d’un futur dansé. Aëla est là. Devant et derrière l’objectif.


Anonymes sont de plus en plus la mode dans les cas avantage et inconvénient du pharmacie-enligne24 viagra de dysfonction érectile sont touchés. Table que l’activité cialis prix grenoble agricole renaud muselier secrétaire d’état nation.

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Jeune danseuse aujourd’hui photographe. Elle, faite pourtant pour le mouvement, capte ici l’instant. Le fige pour s’immerger et s’y replonger sans cesse. Alors l’image vieillie, emplie de brume et de bibelots d’un autre siècle dévoile à peine une enfance volée, une danse interrompue brutalement. « La photo m’a aidé à transmettre du rêve, de la magie que j’avais perdue à un moment donné. A combler ce vide d’échange avec le public qu’avait la danseuse »


Fini de rêver?

Sereine devant tant d’incertitudes. Accomplie parce qu’incertaine, Aëla arrête la vitesse du  temps. Figées, ces créatures féeriques venues des paysages  mythiques du Morbihan sont froides ou bouillonnantes de vie. La mélancolie n’a pas d’âge et s’agrippe aux longs cheveux soyeux comme elle rythme les vies pourtant jeunes des beautés à qui Aëla tire le portrait. Neveux, nièces, frères et sœurs inspirent l’artiste. Prenez Jeanne, 10 ans et pourtant si mélancolique explique la tante étonnée « L’enfance, c’est aussi la peur ou l’angoisse, et pas seulement l’univers parfait où le beau est partout. On me compare souvent à Sally Mann, je ne connaissais pas mais ce fut une révélation car elle met les enfants dans des situations différentes de celles où on les enferme d’habitude. »

Plongée en enfance pour mon œil amoureux. les clichés me rappellent l’univers de l’ illustrateur suédois Carl Olaf Larsson, un vieux bouquin qui trainait chez moi et qui m’est curieusement resté en mémoire.

Les images enveloppent, bercent, suscitent sourire, proposent beauté, puis l’image devient entêtante, les regards enivrants, obsédants, les yeux fermés des sujets morbides…

Troublantes certaines photographies où le sommeil flirte avec la mort, cette dernière singeant le sommeil. « C’est étrange, on me parle souvent de la mort…La mort me fait peur c’est vrai. Mais ce n’est pas d’elle dont j’ai voulu parler. Les paupières fermées illustrent plutôt la désillusion. Le rêve clôt. Peut être parce qu’au fond de moi, ce rêve que j’essaie de transmettre, je n’y crois plus vraiment. »

Décalée, Aëla ? Sortie de son univers, c’est aussi avec cette grand-mère qu’elle accompagne régulièrement dans ses nuits pour lutter contre la peur et la solitude qu’elle se sent à l’aise. « Le Passé est pour moi un paradis perdu, j’aime les choses poussiéreuses. Nous nous plongeons dans ses vieilles photos de famille pendant des heures et mes vieux habits sortis tout droit d’Emmaüs lui parlent complètement : elle a les mêmes ! »



Un voile sur le mystère Aëla

Issue d’une famille de 5 enfants nés de parents soixante-huitard, la mère collectionne les objets d’antan, le père est porté par l’engagement, il sera maire de la commune de Saint-Nolff.

Aëla a toujours dansé. Après son Bac littéraire à Toulouse, l’esprit compétitif du milieu de la danse en France lui déplaît et la pousse à l’étranger. À Amsterdam en Hollande, la jeune fille suit durant 3 ans les cours de danse théâtrale, danse des gestes du quotidien, initiée par Pina Bausch, d’une école supérieure d’art.

« Les études terminées, j’ai commencé à travailler avec un chorégraphe qui m’a physiquement détruite. Cela s’est très mal passé ». On n’en saura pas plus. Pas d’importance, cette cassure enfouie qui se glisse dans ces clichés lui appartient. Et finalement, là où la douceur se mêle de douleur, la douleur se fait douce dans le travail d’Aëla.

La jeune femme retourne alors dans la maison familiale de Bretagne.

Du bouillon culturel et artistique de la ville, elle se sent un peu seule ici et commence son histoire avec la photo il y a deux ans. La photographe autodidacte a aujourd’hui 24 ans.

Elle enchaîne des séries sur sa sœur, « Maïna, ma grande sœur, me ressemble beaucoup. Ça m’intéressait de jouer sur la similarité et la singularité. Comment développer une singularité quand on se ressemble tant ? » sur son entourage vivant, humain ou naturel, qu’elle diffuse sur Facebook ou sur Flickr . Se fait connaître petit à petit.

Incontournable photographe français,Willy Ronis disait « La photographie, c’est le regard. On l’a ou on ne l’a pas. Cela peut s’affiner, la vie aidant mais cela se manifeste au départ avec l’appareil le meilleur marché. »

Chez Aëla, le regard et l’univers sont là. L’esthétisme travaillé est exigeant. Reste la technique qu’elle ne maîtrise pas encore. Du numérique au polaroïd, la jeune photographe se met petit à petit à l’argentique pour apprendre la maîtrise des règles photographiques, de l’outil, de l’art de capter la lumière..

Après des premières expositions à Saint-Nolls puis à Nantes et Athènes, la jeune femme est de plus en plus demandée par des sites ou magazines internationaux. Aëla vient de réaliser sa première interview en français, pour Arkult. L’expérience s’est bien passée, nous confiera-t’-elle. Partagé.

Et moi de repartir faire un tour, dans l’univers d’Aëla en fredonnant The Virgin Suicides de Air et The Pirate’s gospel’ d’Aéla Diane.

Nostalgiques éperdues, s’abstenir.

http://www.flickr.com/photos/aela/

Aëla Labbé est aussi sur Facebook




Henri IV, la dérangeante modernité d'un souverain

Il était une fois un Roi de France. Un bon Roi de France. Moins pire que les autres en tout cas. Le Bien Aimé, comme il aimait à se faire appeler.


Un Roi de France capable, par ses seules paroles, par un unique écrit, d’instaurer la paix religieuse en son royaume. Mais aussi, plus tard, la guerre en Europe.

Henri le Quatrième. Henri IV, le Bien Aimé.


Sujet de la nouvelle pièce de Daniel Colas, présentée au théâtre des Mathurins, dont il est le co-directeur depuis 2006. Un voyage de 2h30 dans les souvenirs de l’Histoire de France, enfouis en chacun de nous, et ne demandant qu’à refaire surface. Mission réussie.



Dès les premières minutes, le public est transporté en plein XVIe siècle, à la cour du Roi de France. Décors, costumes, personnages. Tout y est. Henry IV y compris, incarné par l’excellent Jean-François Balmer (qui signe ici sa deuxième composition royale, après avoir interprété Louis XVI dans « La Révolution Française », films de Robert Enrico et Richard T. Effron, 1989).



Le lever du Roi. Les disputes conjugales du Roi. Les maîtresses du Roi. Les conseillers du Roi. Le confesseur du Roi. La vie du Roi.
Une vie bercée et chahutée par les émotions de cet homme, tantôt séducteur, tantôt colérique. Une vie traversée d’émotions et d’humeurs souvent contradictoires et antonymiques. Mais une vie tellement moderne et proche de nous. C’est bien là le trait de génie de Daniel Colas.


Retour en arrière.
2009. Théâtre des Mathurins déjà. Daniel Colas présente son spectacle intitulé « Les Autres ». Retour à la France des années 1960. En pleine guerre d’Algérie, Jean-Claude Grumberg, l’auteur de la pièce, nous présente le racisme ordinaire. La haine et l’indifférence au seul motif de la différence. Des phrases choc. Des situations où le rire se mêle à la détresse et la gêne. Des murmures qui courent dans la salle. Est-ce allé trop loin ? Non. Il faut aller loin pour se rapprocher de son public et l’impressionner (au sens littéral), étrange paradoxe.


Dernier acte à la Cour de France

Daniel Colas aime à nous replonger dans des périodes plus ou moins lointaines de l’Histoire de France pour mieux pointer du doigt les injustices ou les absurdités de notre société contemporaine. Ainsi, ce vieux Roi, pourtant volage, colérique, comploteur, fait preuve d’une véritable clairvoyance. Il aspire à la liberté de culte, au respect mutuel. Il souhaite bannir toute haine religieuse de son royaume, et commence pour ce faire, par appliquer ses préceptes à ses plus proches conseillers et amis.
C’est un véritable appel à la tolérance auquel le spectateur assiste alors.


Une fois de plus, le message passe. Le spectateur ressort de la salle transporté à une autre époque, si lointaine et pourtant si proche. Il se prend à rêver d’un Edit de Nantes revisité. Une injonction au respect mutuel, à la liberté de culte, à la liberté de moeurs, proclamée par une organisation au-delà des préoccupations politiques et financières.

Comme l’écrivait un écrivain moderne : « Et si c’était vrai ». Cela ne coûte rien d’y croire et d’espérer.



Henri IV, le Bien-Aimé, Théâtre des Mathurins, 36, rue des Mathurins (VIIIe).
Tél. : 01 42 65 90 00.
Horaires : mar. au sam. 20 h 45, sam. 15 h 30, dim. 15 h.
Places : de 26 à 47 €. Durée : 2 h 30 (avec entracte de 15 minutes)



Louis-Ronan Choisy : « le but d’un artiste, mais aussi d’un être humain, c’est de casser les barrières »


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Imaginez-vous, une soirée fraîche d’automne. Le jaune et le rouge par petites tâches sur des feuilles encore vertes. Les corps qui s’affaissent sur les chaises après une journée de labeur.  La mélodie légère du babillage, de table en table. Le cliquetis des cuillères sur les tasses de chocolat bien chaud. Paris animé. Paris gai.


Un café. Louis-Ronan Choisy en chair et en (m)ots – et en rires.


De la création artistique.  Ses correspondances. La scène. Mais aussi la vie. Extraits.


De la création en général – Qu’est-ce qui déclenche en toi « le feu créateur » ? Une situation, un sentiment, des conditions particulières ?


Il y a plusieurs cas de figure.


Quand je ne sais pas quoi raconter, je regarde dans mes souvenirs. Repère ce qui peut être intéressant. A ce moment-là, tu fais vraiment un voyage spatio-temporel. Tu essaies alors de ressentir les choses que tu as ressenties au moment où tu les as vécues. Ca, c’est une première solution.


Ou  par moments, tu es dépassé. Tu portes des choses trop lourdes. Tu as alors besoin d’écrire pour exorciser. Seulement, là, ça arrive souvent comme un gros dégueulis. Complètement informe. Mais c’est ce qu’il faut essayer de préserver. Ce côté un peu  brut, instantané. Toute la difficulté, c’est de transférer ce sang-là dans une structure de chanson. Surtout que mes chansons, ce n’est pas de la musique expérimentale. C’est vraiment de la pop. Couplet-refrain, ça reste très classique.


Dans ton troisième album, les Enfants du Siècle, tu as pourtant recours à une méthode « expérimentale », le cut-up (NDLR : technique de Burroughs).


Oui, c’était voulu, oui.


J’avais envie d’expérimenter ça. Ca s’y prêtait bien. Les Enfants du Siècle, je l’ai écrit à une période où j’avais une grande peur de l’avenir, du monde qui se barre en couilles.


Je cherchais à créer quelque chose de plutôt déséquilibré. Toujours sur le fil. Techniquement, ça voulait dire associer des mots, d’un champ lexical, d’une sphère complètement différents.

Et c’est ce qui a été la trame de tout l’album.


Un cas bien particulier alors.


De toute façon, chaque album est particulier.


A chaque album,  tu as une technique d’écriture différente. Sur le premier, c’était à partir de  souvenirs.  Le deuxième, je l’ai écrit en discothèque. Et là pour le coup, c’était vraiment de l’écriture automatique. Et sur le troisième, c’était semi-automatique. La démarche était pensée.


Et sur le dernier, Rivière de Plumes, comment as-tu travaillé ? Dans quelles conditions ?


Comme dans les Enfants…, c’était en home studio. Mais différemment. Sur les Enfants du siècle, j’ai travaillé avec un mec qui fait beaucoup d’électro (NDLR : Yann Cortella). On a d’abord travaillé en binôme. Ensuite, les musiciens sont arrivés pour apporter un peu d’organique à l’ensemble. Sur Rivière, j’ai travaillé avec mon guitariste, qui est aussi arrangeur sur l’album (NDLR : Frédéric Fuchs). On est parti d’une base guitare sèches-voix. Puis, j’ai ajouté des guitares électriques pour que ce soit un peu moins chiant.  Après le tournage du Refuge, on a décidé de rajouter de la batterie, de la basse, de la contrebasse, un peu de violon. Des petites choses discrètes pour mettre des couleurs. Que ce soit moins plat. Qu’il y ait plus d’identité à chaque morceau.


Et dans la création, est-ce que tu te fixes des limites ?  Y’a-t-il  des thèmes qui te sont tabous ?


Non.  Il me semble que le but d’un artiste, mais aussi d’un être humain, c’est de casser les barrières. S’il y a tabou, c’est que quelque chose cloche.


Il faut casser les murs. Voir si on y va ou on n’y va pas.


Après la création, il y a aussi une partie de « représentation ». La scène. Ton rapport à la scène ? Est-ce un passage obligé pour toi ?


Non, ce n’est pas un passage obligé. C’est un autre métier que de faire des disques. Je me sens plus intime du studio.


La scène, quand ça se passe bien, c’est dément. Quand ça se passe mal, c’est horrible. C’est un exercice excessivement difficile. Dans la mesure où ce que je recherche sur scène, c’est l’abandon. De rentrer dans une espèce de transe. C’est à ce moment-là que je vais pouvoir emmener les gens.  Je pense que tu n’emmènes pas un public frontalement. Mais d’abord, en s’emportant soi, puis les musiciens. Et la boucle s’agrandit. Mais c’est très difficile. Ca a dû m’arriver, dix fois en une vie. Et des concerts, j’en ai fait. (Rires)

Toi qui as touché à la fois, à la composition d’albums et de bande originale,  que peut faire passer la musique que les images ne peuvent pas forcément ?


Je n’ai pas une grande expérience de la musique de films. Pour le Refuge,  le film était assez subtil. Les émotions planquées. La grande difficulté, c’était avant tout de faire en sorte que la musique ne vienne pas piétiner les images. Qu’elle ne vienne pas foutre en l’air la sensibilité et la fragilité du film. Ca, c’était la première difficulté.


La deuxième, c’était plus technique. On avait fait le choix de ne pas avoir recours à un grand orchestre. A des envolées lyriques, ce qui aurait été un peu pompeux.  On a donc utilisé des instruments solo.  Et  là, ça relève beaucoup plus de la performance. Que le musicien soit bon quand il le fait. Et ça,  tu ne peux pas vraiment calculer.


Autre danger. Il ne faut pas non plus être trop proche des images. Sinon tu as tendance à tout alourdir. Et justement, François Ozon me demandait d’aller vers quelque chose d’assez éthéré, d’assez léger. En filigrane. Il voulait que j’apporte quelque chose d’autre.  Même si ce plus n’a rien à voir. Si par exemple, tu as une envie de courir dans les bois, tu auras ça musicalement. Les images qui raconteront quelque chose et derrière, une autre envie. Et du coup, c’est plus riche.


Une question sûrement totalement tirée par les cheveux, en rapport, cette fois, avec la spiritualité. Dans la plupart de tes albums, celle-ci semble apparaître par à coups. Quelle place tient la spiritualité dans ton œuvre ?


Dans mon œuvre, je ne sais pas. Ma musique, c’est le reflet de ma vie de toute façon. Après, est-ce que je recherche le salut par ce que j’écris ? Mon écriture lâche comme des indices sur moi-même. Mais oui, la spiritualité, je me pose des questions.


Il y a des moments où l’intellect est dépassé. Des notions comme l’exil de l’âme, la chute de l’homme, ça me parle. Je crois en l’accomplissement de l’homme. Que le destin de l’homme, c’est de grandir. De devenir un « dieu » et ensuite, d’être lumière absolue. Je ne crois pas que la vie se résume à la naissance, manger, dormir, boire, faire des enfants, avoir du plaisir et mourir bêtement. Moralement, je trouve ça absurde et c’est tellement fou que je n’y crois pas. La foi, ce n’est pas le mot. Mais c’est quelque chose que je sens au plus profond de moi. Ce n’est pas forcément explicable.


Et puis juste savoir regarder, travailler sur soi. Casser les barrières. Je crois que c’est ça, le vrai travail d’une vie.


Ce qui fatalement, se reflète dans ta musique. De ne pas parler de quotidien, de « médiocre ».


Oui, dans la musique, oui.

Chaque geste est  un sous-texte. Le quotidien, c’est une carapace, une ombre. Une enveloppe. Ce qui est intéressant, c’est de regarder ce qu’il y a dessous. Je crois que tout ce qui nous entoure, c’est de la vraie poésie. Il faut juste savoir interpréter ce qui nous arrive.


Pour finir, qu’est ce qu’on peut te souhaiter ? What’s next ?


Plein de projets. D’être heureux. De faire de beaux films et de beaux albums. (Rires). Mais le prochain, je suis curieux de voir ce que ça va donner.


Merci Louis !


Le 21 janvier, vous pourrez le retrouver au Théâtre de Poche de Béthune. Et aussi, dès aujourd’hui, dans les salles dans le film de Mikhaël Hers, Memory Lane.


Louis-Ronan Choisy, Rivière de Plumes, Bonsaï Music/Karamazov Production. Sorti en juin 2010
www.myspace.com/louisronanchoisy


Photos: M. Vandamme, AC Blanchard, myself




Salon du Livre Jeunesse – Des invitations à gagner !


La 26ème édition du Salon du Livre et de la Presse Jeunesse ouvre ses portes pour une semaine à partir du 1er décembre.

A cette occasion, Arkult vous offre des invitations pour découvrir et redécouvrir toutes les animations proposées à l’Espace Paris-Est-Montreuil.


Et autant vous dire que le programme de cette nouvelle édition est riche et varié :

  • des centaines d’exposants et des milliers de livres en tout genre
  • une grande librairie européenne de jeunesse
  • une immense exposition sur le thème des princes et princesses
  • un festival de cinéma d’animation
  • des rencontres, des lectures, des ateliers
  • des parcours et des prix littéraires
  • une journée professionnelle et des formations et de nombreux autres rendez-vous avec la littérature jeunesse


Pour gagner une invitation, il vous suffit de nous envoyer un mail à l’adresse contact[at]arkult.fr en répondant à la question suivante :

Combien d’auteurs et d’illustrateurs ont participé à l’édition 2009 du salon du Livre et de la Presse Jeunesse de Montreuil ? Indice ici.


Le site de la 26ème édition du Salon du Livre et de la Presse Jeunesse.


Bonne chance et à bientôt au Salon et sur Arkult !






La démesure se réfléchit dans les salles obscures

Bon évidemment, c’est mieux d’être un minimum partisan, au moins sur certains points, avant d’aller à l’édition 2010 du festival de cinéma d’Attac, dédié cette année à « La démesure, jusqu’à quand ? ».

Pourquoi partisan ? Parce que l’association, dont l’acronyme signifie Association pour la Taxation des Transactions Financières, lutte pour, je cite, « la reconquête, par les citoyens, du pouvoir que la sphère financière exerce sur tous les aspects de la vie politique, économique, sociale, et culturelle dans l’ensemble du monde ».

Mais y être sensible n’est pas nécessaire pour se sentir concerné par les thèmes abordés tout le long de ce festival : la gestion des déchets, les impérialismes, l’innovation technologique, l’agroalimentaire et la santé, la surveillance ou encore les impacts de la finance. Cela via des films et documentaires – médiatisés comme celui de Coline Serreau, Solutions locales pour un désordre global ou plus confidentiels, et point trop partisans – mais aussi par des débats.

Enfin, si, malheureusement, comme Houellebecq, vous estimez que votre pays n’est ni plus ni moins qu’un hôtel*, il me semble qu’il y a la TV dans ces lieux de passage. Vous aurez alors peut-être plaisir à simplement aller visionner des longs métrages comme Wall-E (d’Andrew Stanton), Trafic (de Jacques Tati), Soldat Bleu (de Ralph Nelson), ou encore le cultissime Brazil, de Terry Gilliam.

Pour tout cela, le rendez-vous est au cinéma La Clef, à Paris, du 17 au 23 novembre. Pour le programme, c’est ici. Quant à l’adresse, c’est .

*Matinale de France Inter du 09 novembre 2010




La Porte des Enfers, Laurent Gaudé

La Porte des Enfers


La mort est sans doute le dernier refuge de la religion dans nos sociétés contemporaines.


La mainmise sur la cellule familiale s’estompe peu à peu, les positions d’une grande partie de l’Eglise sur la sexualité de la société semble anachronique.

La vie sur Terre n’est quasiment plus considérée comme un passage obligé avant d’atteindre un autre monde, on a vu ainsi se développer des sociétés entières basées sur le désir, la consommation, la jouissance quotidienne et polymorphe.


Mais la mort reste propriété de l’Eglise. Les cimetières ne sont-ils pas les derniers lieux à connotation religieuse qui subsistent dans nos sociétés, aux côtés des lieux de culte ?
Ils représentent d’ailleurs un culte à eux seuls : le culte des morts.


C’est à ce culte qu’est consacré le roman de Laurent Gaudé, La Porte des Enfers.


Au commencement est un enfant, Pippo de Nittis. Jeune Napolitain, du haut de ses 6 ans, il a toute la vie à découvrir. Et pourtant, c’est sa vie qui va brutalement le quitter, un matin de marché, dans les rues animées de Naples. Un matin de marché ordinaire. Un matin où il craint d’être en retard à l’école. Un matin. Naples.

Des règlements de compte. Des échanges de tirs. Une balle perdue. Un enfant. Pippo.


Cette vie qui s’achève prématurément laisse Matteo et Giuliana désemparés. Ensemble et pourtant si seuls. Aucune communication n’est plus possible entre eux. Le spectre de leur fils se dresse désormais comme une véritable barrière dans leur couple.

Chaque regard qu’ils échangent, chaque parole qu’ils souhaiteraient prononcer viennent se heurter à la vision de leur enfant mort. Seules deux choses pourraient les réunir à nouveau : que leur fils leur soit rendu, ou que leur vengeance soit consommée.

Décor posé. Le moment est venu de plonger dans l’aventure.


L’auteur joue avec les nerfs et les émotions de son lecteur. L’atmosphère étouffante, la chaleur, la puanteur, la saleté.
Dans la lignée de L’Etranger et de La Peste de Camus, du Soleil des Scorta et de La Mort du Roi Tsongor du même Laurent Gaudé, le lecteur est opprimé, il suffoque.
Il ne reprend son souffle qu’une fois le livre terminé, l’histoire achevée, les secrets enfouis dans un oubli volontaire.

Et pourtant, dès que l’occasion se présente de replonger dans les univers oppressants que dépeint Laurent Gaudé, je ne peux m’empêcher d’y aller à pieds joints ! Et toujours sans le moindre regret !


Laurent Gaudé, La Porte des Enfers, éditions Actes Sud
Acheter ce livre sur PriceMinister




Louis-Ronan Choisy : des places à gagner pour le concert du 15 novembre au Zèbre

En juin dernier, on vous en a parlé il y a quelque temps, sortait un bien joli album. Rivière de Plumes.

Son auteur, Louis-Ronan Choisy retrouve la scène pour un concert enfiévré, lundi 15 novembre à 20h30, au Zèbre de Belleville.

A cette occasion, 5 x 2 places sont à gagner sur Arkult.

Il suffit de répondre à la question suivante:

Dans l’album Rivière de Plumes, quel célèbre peintre allemand fait l’objet et titre d’une chanson?

Vous avez jusqu’à samedi minuit pour y répondre à l’adresse suivante: contact[at]arkult.fr

Indice dans l’article suivant: Le voyageur contemplant une « Rivière de Plumes »

Premiers arrivés, premiers servis.

Et à lundi ! Youpi 🙂


Plus d’informations: www.louisronanchoisy.com




« Au fond des bois » : Dis moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu aimes

Le cheveu blond et long des princesses, l'oeil bleu et trouble des rêveurs solitaires, Joséphine est une jeune dévote, parée de son éducation d'enfant sage. Un jour, sur le chemin de l'église, elle croise le regard d'un étrange vagabond. Elle s'arrête puis reprend son chemin. Charmé, celui-ci la suit et finit par se faire passer pour un sourd-muet auprès du père de la donzelle, demandant gîte et couvert pour la nuit.
Le lendemain, il revient. Elle le suit alors dans ses vagabondages. De gré ou de force?
C'est toute la question du film.


Une métaphore de la passion amoureuse

Pauvre, sale et fruste, tout concourt à ce que Timothée soit dédaigné par la jeune première, Joséphine. Elle traîne à sa suite pourtant, comme mue par une fascination surnaturelle. Comme la maintenant de fils invisibles, Timothée, l'auto-proclamé magicien manipule son innocente marionnette. La fait ramper frénétiquement sur le sol. L'aime à loisir dans le silence de la forêt.
A sa manière, « Au fond des bois » illustre dans toute sa complexité le pascalien « mais le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point ».
Ce qu'on appelle la passion amoureuse.
Cette étrange bête qui habite les coeurs et les corps, sortie de nulle part. Une fois logée, elle hante sa victime, nuit et jour, la laissant déraisonnable, insatisfaite, excessive et tourmentée.
Kamikaze de l'amour, Joséphine suit et obéit à ce vagabond, sans jamais pouvoir réellement se l'expliquer. Oui, comme une amoureuse.


Un conte à l'envers

A en lire le pitch, le film a des allures de conte de fées. Une belle princesse rencontre un pauvre vagabond. Il se déguise. Elle tombe en fascination. Accompagne le moindre de ses pas. Seulement, chez Benoît Jacquot, au baiser de la « princesse », le vagabond ne se transforme pas en fier et fringant prince.
Pareillement, la « princesse » ne vit pas pour toujours avec son amoureux en guenilles, subsistant d'amour, d'eau fraîche et de gras enfants.

Chez Jacquot, la Belle est enlevée par la Bête, pour se révéler elle-même Bête. C'est le vagabond qui, posant un papillon sur le front de sa belle endormie, déclenche une métamorphose inversée. Joséphine ne devient ni plus vertueuse, ni plus aimable.
A l'instar de la chenille sortant de son cocon, en suivant Timothée, elle laisse derrière elle, un temps, le carcan des conventions, sa carapace de mélancolique et d'ingénue désespérée, pour prendre la forme d'abord d'une amoureuse résistante, d'une fleur initiée aux plaisirs charnels pour enfin, se métamorphoser en maîtresse-femme, qui veut.
Encore plus pervers, Benoît Jacquot inverse les rôles. La victime devient bourreau; l'envoûteur, envoûté.


Qui de nous deux?

Posant cette question, que tout amoureux fou s'est un jour posé: dans ce jeu des sentiments, qui a envoûté qui? qui est le dupe de l'autre?
Ou n'est-ce pas là le langage même de la passion. Est-ce qu'être amoureux, au fond, ce n'est pas nécessairement hanter l'Autre et accepter d'être soi-même hanté?

Servi par une photographie, un casting irréprochables – merveilleux Isild Le Besco et Nahuel Perez Biscayart – et une bande originale effrenée de Bruno Coulais, Benoît Jacquot signe une carte du Tendre hypnotique de la déraison et l'illogique, propres à l'amour.
« Au fond des bois » narre avec trouble l'éveil à la sensualité, à l'humanité et à la passion fugace, de deux êtres que rien ne liait.

Je me demande. Pris de vertige et perdus dans les regards enfiévrés de Joséphine et Timothée, ne sommes-nous pas, nous, spectateurs, les « princesses égarées », par le charme insidieux de ce « Au fond des bois »?


Au fond des bois, de Benoît Jacquot. Avec Isild Le Besco, Nahuel Perez Biscayart, Jérôme Kircher, Mathieu Simonet, Bernard Rouquette,… 1h42. Les Films du Losange. Sortie en salles, le 13 octobre 2010.