Raïssa Fatima Tabaamrant, messager chantant
La chanteuse Amazigh Raïssa Fatima Tabaamrant était en concert au théâtre Jean Vilar de l’Île-Saint-Denis dans le cadre du festival Villes des musiques du monde. Après une représentation chaleureuse, véritable échange avec un public fidèle que la musique a perdu dans la danse, et les fameux « youyou », pure délectation de plaisir, elle nous glisse quelques mots…
Calme et sereine après une heure et demie de chant proche de la transe, la chanteuse semble avoir gagné quelques années, une fois son maquillage essuyé. Fatima, ancienne petite berbère d’Ifrane, devenue véritable diva aujourd’hui est bien connue dans son pays mais aussi en Europe où elle fait de plus en plus de tournées.
Car celle qui a vécu une enfance difficile a su en faire une force, une voix au service d’un message. Après la mort de sa mère, la nouvelle épouse de son père lui fait vivre un enfer. Elle fuira plus tard un mariage qu’elle n’a pas choisi pour se retrouver à Inezgane, pas très loin d’Agadir où elle habite encore aujourd’hui. Là, elle commencera ses débuts dans la chanson. Des souvenirs liés à ses petits villages du sud du Maroc qui ne lui ont pas tout pris, et lui ont même beaucoup donné. « Je suis née à Ifrane, non loin de Tiznit, et comme dans beaucoup de villages au Maroc, le soir, nous nous retrouvions autour du chant et de la danse. En fait, je me suis tout simplement fait piéger par mon village et j’ai commencé le chant en 1983, j’avais 21 ans! »
L’amour du chant, non le chant de l’amour.
En tout cas, pas cet amour chanté par ses nombreux compatriotes, chanteurs de raï, de chaâbi, ou de chants berbères. « J’ai banni l’amour de mes chansons. Je parle de l’éducation, des femmes, de l’enfance, de la nature. Je voulais chanter des sujets sérieux car je pense que le message vient avant la musique. Le mien est de sensibiliser l’homme au rapport à l’identité : de la culture Amazigh et de la femme. »
Fatima Tabaamrant, diva engagée, oui mais politisée? « Fatalement répond elle: la culture est toujours politique. Mais elle est beaucoup plus noble. Son rôle est de tout faire pour que la politique ne l’envahisse et ne la dénature pas. J’ai eu beaucoup de difficulté au Maroc pour faire connaître mes chansons. Les médias me boycottaient. Il n’y a que depuis les années 1990 que cela prend de l’ampleur. Aujourd’hui, j’ai même été désignée membre de l’IRCAM, l’institut royal de la culture Amazigh qui prouve que le chemin vers la reconnaissance de notre culture est en train d’être pris. »
Alors c’est régulièrement les trois doigts levés qu’elle manifeste son amour pour la culture Amazigh, trois doigts qui symbolisent la terre, l’homme et la langue : Akal, Awal, Afgan…Un signe qui trouve un écho dans le public, sorte de lien d’intimité.
Avant d’être un message, puis, une voix, Fatima Tabaamrant est d’abord une poétesse. Une amoureuse de sa langue et des mots car, ce qu’elle veut dire, elle ne l’entend pas beaucoup ailleurs.
« Je respecte le travail des poètes hommes, mais je ne me sens pas bien dans leurs textes. Et ce que je veux dire, personne ne le dit alors je l’écris ! Car pour parler au nom de la femme, il faut d’abord être une femme ! »
Alors, face à cette diva qui ne semble pas connaître l’étrange phénomène de la grosse tête, je fais appel à ses souvenirs et lui demande quelles impressions a gardé la petite berbère de ses premières tournées à l’étranger ? « Le nombre de salles de théâtre m’a impressionné ! Ainsi que le savoir faire technique, organisationnel et le respect du temps. Au Maroc, un concert prévu à 11h peut démarrer à 3 heures du matin ! Malgré tout, je ne me sens bien que chez moi. Ici, je cherche les étoiles et la lune… »