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Raïssa Fatima Tabaamrant, messager chantant



La chanteuse Amazigh Raïssa Fatima Tabaamrant était en concert au théâtre Jean Vilar de l’Île-Saint-Denis dans le cadre du festival Villes des musiques du monde. Après une représentation chaleureuse, véritable échange avec un public fidèle que la musique a perdu dans la danse, et les fameux  « youyou », pure délectation de plaisir, elle nous glisse quelques mots…


Calme et sereine après une heure et demie de chant proche de la transe, la chanteuse semble avoir gagné quelques années, une fois son maquillage essuyé. Fatima, ancienne petite berbère d’Ifrane, devenue véritable diva aujourd’hui est bien connue dans son pays mais aussi en Europe où elle fait de plus en plus de tournées.

Car celle qui a vécu une enfance difficile a su en faire une force, une voix au service d’un message. Après la mort de sa mère, la nouvelle épouse de son père lui fait vivre un enfer.  Elle fuira plus tard un mariage qu’elle n’a pas choisi pour se retrouver à Inezgane, pas très loin d’Agadir où elle habite encore aujourd’hui. Là, elle commencera ses débuts dans la chanson. Des souvenirs liés à ses petits villages du sud du Maroc qui ne lui ont pas tout pris, et lui ont même beaucoup donné. « Je suis née à Ifrane, non loin de Tiznit,  et comme dans beaucoup de villages au Maroc, le soir, nous nous  retrouvions autour du chant et de la danse. En fait, je me suis tout simplement  fait piéger par mon village et j’ai commencé le chant en 1983, j’avais 21 ans! »


L’amour du chant, non le chant de l’amour.


En tout cas, pas cet amour chanté par ses nombreux compatriotes, chanteurs de raï, de chaâbi, ou de chants berbères. « J’ai banni l’amour de mes chansons. Je parle de l’éducation, des femmes, de l’enfance, de la nature. Je voulais chanter des sujets sérieux car je pense que le message vient avant la musique. Le mien est de sensibiliser l’homme au rapport à l’identité : de la culture Amazigh et de la femme. »

Fatima Tabaamrant, diva engagée, oui mais politisée? « Fatalement répond elle: la culture est toujours politique. Mais elle est beaucoup plus noble. Son rôle est de tout faire pour que la politique ne l’envahisse et ne la dénature pas. J’ai eu beaucoup de difficulté au Maroc pour faire connaître mes chansons. Les médias me boycottaient. Il n’y a que depuis les années 1990 que cela prend de l’ampleur. Aujourd’hui, j’ai même été désignée membre de l’IRCAM, l’institut royal de la culture Amazigh qui prouve que le chemin vers la reconnaissance de notre culture est en train d’être pris. »

Alors c’est régulièrement les trois doigts levés qu’elle manifeste son amour pour la culture Amazigh, trois doigts qui  symbolisent la terre,  l’homme et la langue : Akal, Awal, Afgan…Un signe qui trouve un écho dans le public, sorte de lien d’intimité.

Avant d’être un message, puis, une voix, Fatima Tabaamrant est d’abord une poétesse. Une amoureuse de sa langue et des mots car, ce qu’elle veut dire, elle ne l’entend pas beaucoup ailleurs.

« Je respecte le travail des poètes hommes, mais je ne me sens pas bien dans leurs textes. Et ce que je veux dire, personne ne le dit alors je l’écris ! Car pour parler au nom de la femme, il faut d’abord être une femme ! »

Alors, face à cette diva qui ne semble pas connaître l’étrange phénomène de la grosse tête, je fais appel à ses souvenirs et lui demande quelles impressions a gardé la petite berbère de ses premières tournées à l’étranger ? « Le nombre de salles de théâtre m’a impressionné ! Ainsi que le savoir faire technique, organisationnel et le respect du temps. Au Maroc, un concert prévu à 11h peut démarrer à 3 heures du matin ! Malgré tout, je ne me sens bien que chez moi. Ici, je cherche les étoiles et la lune… »




Le voyageur contemplant une « Rivière de Plumes »



Une odeur de soufre, des beats entêtants, Burroughs et Blake en têtes de proue inspiratrices, la détresse au bord des lèvres et des mots : Dans son troisième opus « Les Enfants du siècle », Louis, le chamane murmurait avec légèreté les amours perdues et folles, la Fin de Partie, la condition humaine, cette « machine molle ». Sombre Orphée, il perdait l’auditeur-voyageur dans le monde tortueux et décadent de 2008 – Calcutta. Facétieux, chantait mille et une façons de se donner la mort – Mourir à Venise. Contait dans une lancinante Valse la démence passionnelle, de celle qui étouffe et pousse au meurtre.


Tour à tour, victime et bourreau, le héros des Enfants du Siècle cheminait, à tâtons, la peur de l’avenir vissée au ventre, le long d’un parcours aux allures de Bildungsroman, inspiration XXIème siècle. Et nous, de plonger, enivrés, à sa suite dans cet Enfer addictif et en-chanté.
« Les Enfants du siècle », c’était lui, Louis, nous, en descendants directs des romantiques dégénérés, des Lorenzaccio et autres Perdican.

Deux ans plus tard, Louis nous revient avec un album « Rivière de plumes ».
Mais cette fois, point d’odyssée en eaux profondes. Les néons de la nuit si chers au Louis des précédents albums ont laissé place à la lumière riche des paysages anglais. Si, si, vous savez, ces paysages, tracés par Turner. La lumière pénètre partout ; elle brouille les formes et accentue les sensations.

« Rivière de Plumes », c’est un peu ça. Une invitation au voyage, où les sentiments, mis à jour par la lumière des mélodies et des mots, prendraient la matière et le caractère des éléments : tour à tour, aériens, terriens, liquides et flamboyants.


Quatre éléments


Aérien mais mélancolique, comme ce Funambule qui tient entre ses mains « une corde qui va du sol au ciel ». Une corde, parente du « grand escalier » de Mourir à Venise du précédent opus.

Terrien, comme L’homme de cire, coincé dans ce décorum industriel, les tic-tacs de la nuit qui n’en finissent plus de sonner. Un homme de cire, aux accents hoffmaniens. L’homme de cire, il se meut comme Coppélia. Coppélia en perd ses membres ; l’homme de cire, lui, pourrait fondre, « évaporé dans une flaque ». Frère, lui aussi, des Coppé-Louis du clip « La Nuit m’attend »

Liquide, comme la scène de La Rencontre, délicate adaptation du Death of a Ladies’ man de Leonard Cohen.

Flamboyant. Comme les teintes de l’amour, dépeintes tout au long de l’album.

Trois couleurs


De l’amour qui rend un peu étourdi – cet amoureux qui se rend à Copenhague, à la main « un bouquet de roses, une dague ».

De la romance, et c’est la première fois sous la plume de Louis, printanière, légère et bucolique, Les Amoureux du Printemps. La naissance de l’Amour, avec toute une découverte des sens et de l’Autre, timide mais sensuelle.

De l’inéluctable déliquescence des romances – Le Mépris, une chanson qui commence comme une ode à l’aimée pour laisser s’insinuer une cruauté glaçante. La réussite de la chanson tient surtout à l’interprétation de Louis, magistrale, qui scande, goutte à goutte, ces mots assassins du désamour. Qui « s’écœure rien qu’à l’idée d’avoir pu un jour [l’]aimer ». Sur ce thème, cette chanson n’a d’ailleurs rien à envier au fameux Brandt Rhapsodie du duo Cherhal-Biolay. L’un des sommets de « Rivière de Plumes ».

Romantisme(s)

En fait, à l’instar de Philippe Garrel, au cinéma, Louis, c’est un peu le dernier des Romantiques en musique. De ce romantisme lyrique qui nous vient d’outre-rhin, des Goethe, Novalis et Kleist. De celui qui se nourrit des élans des sentiments, de la contemplation de la nature. Tantôt tumultueux, tantôt paisible.

Louis rend d’ailleurs directement hommage au romantisme allemand, pictural, cette fois, en évoquant, sur la pochette de son album et par une chanson, le peintre Caspar David Friedrich. Une composition où l’amoureux parcourt le corps de l’amante, comme l’artiste pourrait caresser de son pinceau le paysage d’un tableau. Les corps deviennent éléments de tableaux, et vice versa. Le matériel s’éthère – le « corps est un fleuve ». Les sons deviennent « cieux ». La romance se découpe en plans. La romance brouille les pistes. Elle désoriente au point de faire perdre le nord au héros.


« Centre de gravité perdu ».





Et à nous aussi. On s’emballe. On s’enflamme. On s’émeut. Perdu dans cette belle voix grave d’héros orphique, dans ces sons tour à tour pop et folk. Fasciné par la contemplation d’un album aux sons ciselés, mais étrangement et avant tout, visuel.


« Je dois me donner à ce qui m’entoure, m’unir aux nuages et aux rochers, pour être ce que je suis. J’ai besoin de la solitude pour parler avec la nature. J’aime la nature qui s’affiche. Moi : Caspar David Friedrich. »


Nous aussi, on se sent un peu des personnages de Friedrich en puissance, à se laisser flotter dans le calme vivifiant de cette « Rivière de Plumes ».

Louis-Ronan Choisy, Rivière de Plumes, Bonsaï Music/Karamazov Production. Sorti en juin 2010

www.myspace.com/louisronanchoisy
Louis sera aussi en concert, au Zèbre, à Paris, le 15 novembre. On vous racontera.




Wajdi Mouawad en trois actes

« L’espace, ça aide à contenir les peines et les colères ». Et ils en traversent, des espaces – géographiques et temporels – les personnages de Wajdi Mouawad pour assécher leurs peines en remontant vers leurs origines. Et pour pouvoir dire ensuite en le pensant vraiment, « Je suis Wilfrid, Jeanne, Simon, ou Loup ». Le spectateur aussi, a droit à la grande traversée.

Surtout quand, armé de thermos, gâteaux secs mais pas trop pour ne pas virer au rongeur exaspérant, et force mouchoirs, il a suivi le marathon qui était proposé fin septembre au théâtre Chaillot : la Trilogie (Littoral, Incendies et Forêts), jouée pour la dernière fois.

Difficile en quelques lignes de résumer plus de onze heures de spectacle. Reste que, puisque c’est une trilogie, il y a une trame entre les trois pièces. Pas dans les personnages : les trois histoires sont différentes. Mais dans les thèmes. Littoral ? C’est celle de Wilfrid, qui apprend par téléphone que son père, qu’il n’a quasi pas connu, vient de mourir. Et qu’il décidera d’enterrer au pays natal de son géniteur, et scène de son amour pour Jeanne, sa mère : le Liban. Ça, c’est la belle histoire. La réalité, c’est que si le fils n’a pas pu mettre son père sous terre canadienne, c’est parce que celui-ci est accusé d’être le meurtrier de sa mère : il aurait insisté pour que sa femme porte un enfant censé la tuer (la réalité n’est pas tout à fait la même). Et au Liban rebelote, personne ne veut concéder de bout de terrain pour y abandonner le padre. Et qu’il faudra à Wilfrid aller jusqu’à la mer, escorté d’un chevalier imaginaire et de compagnons de voyage tous plus meurtris les uns que les autres par la guerre et obnubilés par la mémoire, pour y « emmerer » un père qui deviendra celui de tous, et le gardien du souvenir des morts, de l’enfance, de la souffrance.


Incendies ? Cette fois c’est des jumeaux, Jeanne et Simon, dont la mère – presqu’une inconnue là encore – vient de mourir. Et qui leur demande dans son testament de porter une lettre : Jeanne à leur père – qu’elle ne connaît pas, sinon c’est trop facile – Simon à leur frère – vous aurez deviné qu’il n’avait pas la moindre idée qu’ils en avaient un. Le tout entrecoupé de meurtres, incestes et autres délicieusetés. Quant à Forêts, il s’agit de Loup, qui va devoir elle aussi remonter sept générations de femmes pour arriver à ne plus dire « je suis fossilisée par ce que je porte et ne comprends pas de moi ». Là encore, les atavismes familiaux sont forts (c’est un euphémisme).

L’omniprésence de ces monstruosités familiales, de ces abandons, de l’inceste, du meurtre ou du silence ne sont pas ici dans le but de faire un théâtre du choc, de l’exhibition. Ils sont plutôt à prendre comme la trame de tous les mythes, version moderne. Mouawad nous propose du Oedipe revisité, qui copine avec Galaad et ses compagnons du Graal, quand il ne fricote pas avec Electre, Agamemnon ou encore Antigone. Chacun de ses personnages, presque chacune de ses scènes, en est l’allégorie. C’est parfois un peu trop, mais il parvient à son but : faire de ses pièces des voyages initiatiques à travers lesquels ses héros affrontent passions humaines et histoire meurtrière pour parvenir à leur but : se découvrir.

L’autre talent de Mouawad, c’est celui de nous convier à un spectacle total. Visuel et auditif : la mise en scène joue admirablement bien avec les ruptures spatio-temporelles, la musique et les quelques éléments du décor. On se croirait au cinéma, en train de regarder un film truffé de flashbacks. Scénaristique ensuite : ses pièces peuvent se lire dans un contexte historico-politique, psychologique ou émotionnel. Le brassage des mythes, et le mélange des registres – du tragique au comique en une phrase – apportent enfin une force très charnelle, très réelle, à ses propos. Le tout forme un cadre certes complexe, mais le rythme, assez lent, permet de ne pas se perdre et de se faire de fréquentes mises à jour personnelles pour resituer histoire et sens.


Alors forcément, on peut regretter l’usage un peu trop abondant de la peinture, notamment rouge. Dans laquelle les acteurs trempent leurs mains pour la barbouiller sur le mur, ou dont ils s’aspergent pour bien nous signifier que nous sommes face à un crime. Peinture aussi présente pendant tout Incendies sur la gorge des membres de la famille, comme une marque pour montrer qu’ils ne seront libres que quand ils « auront arraché le couteau de l’enfance planté dans leur gorge » (citation approximative et plus certainement dite par Wilfried dans Littoral. Onze heures de texte entraînent parfois une légère confusion). On peut aussi penser que la folle chorégraphie imposée aux chaises qui composent le décor est excessive. Ainsi que celle des corps qui font l’amour (ça aura été mon premier cunnilingus de théâtre). Et qu’il n’y a pas forcément besoin, quand on s’inspire de mythes, de les citer ensuite.

C’est peut-être là le petit travers de Mouawad, s’assurer qu’on a bien compris. Là encore de manière totale. Par le texte, par le jeu, par la mise en scène. Mais la puissance émotionnelle qu’il réussit à instaurer est si forte qu’on en devient non seulement indulgent, mais qu’en plus on aime ça. C’est du pathos, et c’est bon. C’est un peu vers la catharsis que le dramaturge veut nous emmener. Et qu’on pleure, et qu’on rit, et qu’on pense, et qu’on sente. Alors il use de tous les remèdes. Et on en redemande. Avec un message final toujours puissamment humain et optimiste. Celui – entre autres – qu’il faut accepter de revenir et d’affronter son histoire pour devenir grand. Pour acquérir son identité et véritablement vivre. C’est presque du spectacle populaire didactique finalement. Du vitrail d’église. Moi je m’incline (et pas d’ennui).




Dany Dan, sans détours

Fort de ses vingt années d’expérience dans le milieu hip-hop, Dany Dan a le sourire facile. L’ancien des « Sages Po » l’affirme dans son dernier album : avec lui, c’est À la régulière, autrement dit: proprement.


Débarqué de République centre-africaine à l’âge de 11 ans, Daniel Lakoué grandit à Boulogne-Billancourt et ne quittera cette ville que pour venir s’installer sur l’Île-Saint-Denis (93), il y a deux ans. Le « petit Africain émerveillé par la ville et ses lumières » découvre la culture hip-hop en bas de sa rue et dans son quartier avec ses amis : tag, break-dance, rap, verlan, graff’… Ce novice, déjà passionné par le dessin, opte pour la bombe et fait ses premières armes sur les murs, laissant son art envahir l’espace public. La rencontre avec deux amis donnera naissance au groupe les Sages Poètes de la rue, qui a connu le succès dans les années 90, période où le rap s’impose sur la scène musicale française. Le trio se met d’accord pour que ses membres existent aussi indépendamment et Dany Dan démarre une carrière solo, revenant régulièrement au graff’ quand le temps le lui permet.


« Claustrophobe artistique »
Ni bavard ni avare de paroles, Dany semble incarner à merveille le fameux « Don’t worry, be happy » de Bobby McFerrin. Pourtant, ses rimes, alignées comme des quilles, tombent sous le poids d’un flow qui détonne. Ses textes transpirent l’égo assumé du rappeur et parlent des femmes, du rap, de la rue, frôlant parfois la frime, évitant toujours le bling-bling. Il y a de la légèreté chez Dany. Même s’il aborde parfois des sujets plus sérieux, pas question d’endosser l’étiquette du rappeur engagé. « Moi, je ramène des couleurs et des histoires. J’essaie d’écrire le reflet de ma réalité. Je n’ai jamais voulu porter cette casquette politique… D’abord parce que d’autres le font mieux que moi. Et puis parce que je déteste être mis dans une case, » explique ce « claustrophobe artistique », comme il aime à se désigner. Du 92 au 93, la périphérie le poursuit ? Non. La vie l’a fait atterrir sur l’île, et vivre en banlieue ne veut pas dire habiter dans un « quartier », rectifie-t-il.  À 36 ans, dont la moitié dans le milieu, Dany, est déjà un papi du rap. Le terme le fait sourire. Il revendique sa longévité et se réjouit d’avoir la plume toujours aussi affûtée.


Le succès, une « patate chaude »
Son regard sur le milieu hip-hop aujourd’hui ? « Il s’est bien débrouillé, notre petit rap français… Mais depuis un moment déjà, les rappeurs chantent moins pour faire de la bonne musique que pour gagner de l’argent. Et quand tu cherches l’argent, tu copies ce qui marche. Or, la reproduction empêche la création. » Un rappeur à grosse tête, Dany ? « Je n’ai jamais eu envie d’être une star, avec les autographes, les groupies, tout ça… j’en suis vite revenu. Si c’était à refaire, je masquerai mon visage. Le succès est une patate chaude. » L’artiste porte un regard pessimiste sur la société actuelle : « Les fossés se creusent entre jeunes et vieux, riches et pauvres… Mais tant qu’il y aura des problèmes, les rappeurs seront là pour en parler. » Au-delà, le rap n’est-il qu’un magnifique instrument de dénonciation fondé sur un triste constat ? « Je n’écris jamais mieux que quand je suis triste. Paradoxalement, en ce moment mes chansons marchent et je suis heureux ! »

À la régulière, sorti en mai dernier en autoproduction
Crédit photo de Une: Manon El Hadouchi



Sniper, Pavel HAK

Confessions d’un tireur embusqué.

Récits des exactions commises en toute impunité aux enfants, aux femmes, aux hommes, aux vieillards.

Témoignage d’un groupe de fuyards, bravant les dangers naturels et humains pour se soustraire à la terreur environnante.


Trois points de vue qui se complètent dans le deuxième roman de Pavel HAK, et qui plongent le lecteur au cœur d’une guerre civile qu’on ne s’imagine que trop bien. Elle n’est jamais localisée précisément, et pourtant, tout nous semble limpide, tant l’actualité des dernières années remonte facilement dans l’imaginaire collectif.


Et avec elle, remonte également un goût amer dans la gorge du lecteur, un dégoût franc vis-à-vis de l’homme et du champ de ses possibles dès lors qu’il est autorisé, plus ou moins sciemment, à plonger dans l’horreur et la terreur et laisser libre cours à son imagination pour asseoir sa domination sur ses semblables en prétextant, qui d’une religion supérieure, qui d’une couleur de peau dominante, qui de mœurs étrangères et impures.

Parfois à la limite du supportable tant la description des supplices se veut réaliste et variée, ce roman pose la question de la nature humaine et de la soumission de l’homme , des excuses qu’il se crée pour s’autoriser à battre ses semblables, les piéger, les torturer, les exécuter, les anéantir.


La crainte qui naît dès les premières pages du récit se trouve bien vite affirmée et confirmée : l’homme ne connaît pas de limites dès qu’il est assuré – par ses supérieurs, par une doctrine, par ses gouvernants, par ses semblables – de faire le bien et surtout de se voir garantir une impunité totale, tant l’œuvre qu’il accomplit est sensée et contribue à la prospérité des valeurs auxquelles il croit ou est forcé de croire.

Ce récit redonne, paradoxalement, espoir en la nature humaine, en sa capacité à résister, à défendre ses opinions, même si ce comportement est directement synonyme de mort. Héroïsme lyrique, romantisme de bas étage, ou courage devant l’adversité, optimisme illusoire certes, mais ô combien glorieux.


A travers ce livre s’affirment ainsi le combat pour la liberté, l’affranchissement face au pouvoir militaire, face au pouvoir de la terreur.


Pavel HAK, Sniper
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Les singeries d’Oncle Boonmee …

Affiche du film

Week-end / Paris / Multiplexe / Oncle Boonmee (trouvez l’erreur!)


Le premier plan ne trompe pas : la jungle, la nuit, une vache, un lien qui cède, cette vache qui s’enfuit. Elle est rapidement rattrapée par son maître qui la ramène docilement à son attache. Vous venez de vivre les cinq premières minutes d’Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures), le dernier film du réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, récompensé par la Palme d’Or lors du dernier Festival de Cannes.


Et avec cette scène, vous ne vous doutez pas que c’est l’un des moments les plus impressionnants des deux heures qui vous attendent que vous venez de laisser filer, sans même en profiter, sans même vous en délecter, sans même en garder une empreinte fraîche et nette dans votre esprit, juste « au cas où ».


Au cas où … au cas où … hélas le cas est là. Vous venez d’embarquer pour deux heures de cinéma thaïlandais, en bonne et due forme. Les plans durent, mais ne sont pas fixes. Le spectateur, lui, essaie de fixer, mais c’est dur.

L’histoire est somme toute banale : un homme, à l’article de la mort, se remémore ses vies antérieures. Il se revoit ainsi en poisson-chat violeur de princesse, puis retrouve sa femme morte des années auparavant et son fils, devenu entre-temps grand singe et hantant les forêts avoisinantes.


La vie de M. Tout-le-Monde non ?




Le cinéma thaïlandais nous a habitués à ses longs plans, figurant des espaces, des images, des situations, des non-dits, des rêves, des mots, des vœux. Il fait peu de cas de la vie humaine, de ces enveloppes corporelles tellement éphémères, lieux de transit d’une vie à une autre. Le sens est au-delà, dans la nature, dans l’unité du monde, dans l’esprit du monde et l’esprit des créatures, de toutes les créatures du monde.


Et dans ce domaine, Apichatpong Weerasethakul excelle. Il laisse le spectateur dans un état de rêverie, de méditation devant tant de sens, et tant de doutes. Les acteurs qu’il dirige font corps avec leur destin, leur histoire personnelle, leurs aspirations. Et dès les premières minutes du film, ce ne sont plus des acteurs, mais des hommes et des femmes dont il filme l’histoire, les relations, les croyances, les faiblesses, mais également les forces, l’amour, la joie de vivre, la volonté de vivre, de vivre chez eux, de vivre ensemble.




Alors, finalement, cette Palme d’Or était méritée ?


Méritée pour la justesse des personnages, l’évidence du propos, la force communiquée au spectateur.


Mais hélas, je crains que cela ne suffise pas. Que le réalisateur ait choisi un passage creux de son film pour y faire défiler un diaporama de photos, passe encore. Mais qu’apparaisse sur ces photos, tout comme il apparaît dans le film, un grand singe noir… Ou plutôt que grand singe noir, lisez, un homme vêtu d’un costume de grand singe noir, orné de lentilles fluorescentes rouges (attention, spoiler si vous lisez ce passage). Cette apparition d’une sorte de Chewbacca d’art et d’essai, dont l’authenticité nous rappelle la qualité des effets spéciaux de La Soupe aux Choux et autres Fantomas, passe pour gadget, loufoquerie, absurdité.


Qu’a voulu signifier le Jury du Festival de Cannes par le choix d’Oncle Boonmee pour recevoir la Palme d’Or ? Que lui seul est expert dans cet art ? Que ses décisions ne peuvent être comprises du grand public ? (Une dizaine de personnes quittant la salle … et n’en revenant pas … ce n’était donc pas la faute des toilettes du cinéma !)



Ou tout simplement que le réalisateur de La planète des Singes a cru reconnaître un de ses personnages dans un film thaïlandais et qu’il a souhaité en remercier le réalisateur ?






Oncle Boonmee (celui qui se souvenait de ses vies antérieures), d’Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande), actuellement au cinéma.

Toutes les séances, horaires, salles sur Allociné.




Il était une fois, à Sète…



Après les succès mérités de « La Faute à Voltaire et de « L’esquive », c’est sur fond de conte social qu’Abdellatif Kechiche nous revient.

A Sète, un ouvrier immigré, Slimane, la soixantaine dessinée sur son visage, vit ses derniers jours de travail sur un chantier naval auquel il aura consacré 35 années de sa vie. Proche de sa famille bien que divorcé, c’est avec leur appui et de celui de la fille de sa concubine, Rhym qu’il décide de réaliser son rêve, l’ouverture d’un restaurant proposant le couscous de poisson, mets familial. Ce rêve, pas solitaire mais solidaire, sera l’occasion pour toute une famille de transcender leurs difficultés, mesquineries, un passé laborieux autour d’un projet commun.

Kechiche nous offre ainsi le portrait aigre-doux d’une famille en travaux et d’un vieil homme qui n’en a pas fini avec la vie.

Un conte social

Le visage ridé par les ans, le verbe rare mais le regard bleu éloquent, Slimane est le portrait-parole de cette première génération d’immigrés, rompue au travail, travail érigé en valeur centrale et seul moyen d’insertion, à sang et à eau. Son visage affiche résignation quand ses yeux déclarent rêve en graine et en mulet.

La graine – le couscous et le mulet revêtent l’habit du merveilleux. A la lecture du titre, on imagine conte oriental ou fable. Ils occupent une place fondamentale, enjeux de l’histoire, voire personnages à part entière.

Le mulet est moyen de nous présenter les différents personnages et lieux du « conte », cadeau de Slimane passant de main en main. Il est aussi témoin du décalage de Slimane, dépassé par un monde où rentabilité est le maître-mot. « Tu n’es plus rentable. Tu es fatigué » assène le patron au vieil homme silencieux, poisson qui devient un don dérisoire.

La graine, aussi, s’installe au centre de l’intrigue. Elle est tour à tour convivialité, reconversion, espoir puis tragédie absurde.

Femmes, je vous aime

Et comme dans tout conte, l’adjuvant du héros y trouve sa place. Mais loin du prototype de l’homme macho et tout-puissant, ce sont les femmes qui endossent ce rôle.  Les femmes brillent et sauvent la mise face aux hommes, à l’exception de Slimane, qui pèchent, l’un par mollesse, s’éprenant de loin de la jeune fille vive et volontaire (merveilleuse Hafsa Herzi), l’autre par sa lâcheté, pitoyable mari volage, qui déclenche la catastrophe, l’envol de la graine.

La graine est, effectivement, le point d’orgue du repas « opération séduction » des notables dans le futur restaurant de Slimane.

S’ensuit une course à corps et cœur perdus des personnages pour sauver la soirée, la famille s’acharnant à tromper le temps en distrayant les invités, Rhym en voluptueuse Schéhérazade, contant jusqu’à l’ivresse l’Orient à coups de déhanchements, Slimane, lui, sur sa motocyclette en Don Quichotte moderne, à la poursuite de la graine.

La chute de Don Quichotte

Coup de mektoub, le destin, sa monture lui est dérobée. Jusqu’à épuisement, il la pourchassera, sublime métaphore du héros à la poursuite de son rêve envolé.

Le conte aura duré 150 minutes sans soupirs d’impatience, magie d’un réalisateur, artisan virtuose dont les dialogues ciselés s’enchaînent avec fluidité et authenticité. On se souviendra de scènes d’anthologie, véritable travail d’orfèvre, témoin celle de la fille essayant de convaincre sa mère en passant par toute une palette de sentiments et arguments.

Kechiche est un merveilleux directeur d’acteurs doublé d’un excellent conteur. Son pouvoir de suggestion est énorme.

Et quand le Don Quichotte désarçonné s’effondre, on ne peut s’empêcher de fredonner un air « kechichien » connu, « Si je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire. »

La graine et le mulet d'Abdellatif Kechiche. Avec Habib Boufares, Hafsia Herzi, Farida Benkhetache, Abdelhamid Aktouche,… 2h13. 2007. Disponible en DVD.




J'abandonne aux chiens (et aux autres) l'exploit de nous juger

Sale. Violent. Incompréhensible, voire intolérable. Expulsons tout de suite ces adjectifs qui ont effleuré (presque) tous les lecteurs dès les premières pages de ce livre. Pas de doute, il s’agit bien d’une histoire d’amour comme l’annonçait la quatrième de couverture. Mais l’amour n’exclut pas l’inceste, accrochez-vous, ça va vous remuer les tripes.



Sarah, dix-sept ans et des poussières, rencontre son père pour la première fois. Fruit d’un amour de jeunesse bâclé, elle est une étrange surprise pour Benoît, architecte à Londres. Elle n’est plus une enfant et il n’est pas un père. Entre « celle qui pensait ne pas l’aimer » et « celui qui ne savait pas qu’elle existait », l’attraction est immédiate.  Au fil des rencontres, ils apprennent à se découvrir, au sens propre comme au figuré. Commence alors un étrange voyage, en dehors des limites, qui sonne comme une chanson de Brel. Beau mais triste, juste mais sulfureux. Il mènera le lecteur de Stockholm à Paris, de la rue au lit et de l’amour à la mort. Furieusement biographique, ce récit nous offre de nombreuses parenthèses littéraires, historiques et psychologiques qui nous changent des habituelles niaiseries amoureuses.



« Mais ces deux déchirés
Superbes de chagrin
Abandonnent aux chiens
L’exploit de les juger »

Jacques Brel, Orly



Paul M. Marchand, l’auteur

Grand spécialiste de l’indicible, Paul M. Marchand est plus journaliste qu’écrivain. Reporter de guerre, englué dans l’horreur du Liban et de la Bosnie, il a raconté les conflits en choquant tant par ses actes que par ses paroles.

Provocateur par nature dans les années 90, il n’hésitait pas (par exemple) à écrire sur sa voiture « I’m immortal » à l’attention des snipers de Sarajevo. Malgré l’avertissement, c’est une balle qui le forcera à rentrer se soigner en 1993. Mais rien n’arrêtait ce dandy des ruines. Ni guerre, ni société, ni convenances.  Rencontrer une jeune fille meurtrie par la disparition de son amour, faire le récit de son histoire quelques années plus tard n’était finalement, pas si compliqué que ça.

Dérangeant tout au plus. Mais les combats ont besoin de l’être. Là où l’écrivain double le journaliste, c’est dans le choix des mots et l’organisation du récit. Elle est jeune et brillante. Il est son amant et son père biologique. Elle l’aime et elle vous emmerde. Il en meurt. Dans les trois premières pages, vous avez tout compris. Ce qui ne rend pas moins délicieux la suite du livre.


Au fond, seuls ceux qui aiment « le goût du vinaigre » comprendront et Paul M. Marchand s’en moque. Jusqu’à son suicide, en 2009, il n’a eu de cesse de mettre en scène ces petites vérités en marge, qui dérangent les bien-pensants.  Pour lui, les frontières sont faites pour être déplacées, les interdits interrogés et les libertés conquises. Sans personne pour les énoncer, les combats n’auraient pas lieu d’être. Celui de Sarah et Benoît n’en est qu’un parmi tant d’autres et il a le mérite d’être expliqué.


Extrait : « Être homosexuel était considéré comme une maladie et comme un délit, même un crime chez les plus bornés des obscurs … » J’ai détaillé toutes les persécutions, les traques, le cortège vertigineux mais ordonné des châtiments, la sainte ivresse de tous les bien-pensants dans les représailles orchestrées ; et surtout et par-dessus tout l’arrogance imbécile de ces primates convaincus de leur bon droit dans la chasse aux « déviants » et autres « pervertis », et aussi la « Nature », la « Bonne Morale » appelées en renfort, échos de leur rigorisme, de leurs peurs et de leurs haines scélérates. Après le temps des murs rasés, de l’échine courbée, était arrivé celui de la difficile bataille pour la reconnaissance de la différence, avec ses excès et ses dérapages nécessaires, et enfin, pour finir, la lente acceptation d’une diversité tout bonnement humaine.

Je riais encore de plus belle, j’étais heureuse, alors j’ai fait l’intelligente, une brève réminiscence de mes cours de philosophie, et j’ai lancé à travers la porte un truc de Brecht: « Je suis contre toute réglementation dans une porcherie. »



Paul M. Marchand, J’abandonne aux chiens l’exploit de nous juger, Grasset , 2003.




L’orange mécanique: cru 2010

 

 

Fin de journée. Surprise d’avoir une fois de plus vaincu le duo sadique-comique RER-métro. Radio allumée en fond sonore, affalée sur l’objet salvateur marron qui envahit mon ridicule salon parisien, je feuillette les pages du journal du jour. Roms, expulsions, sécurité, violence, racisme, guerre nationale, voyous… Tout d’un coup les premières notes de la 9ème symphonie – 4ème mouvement – d’un certain Ludwig Van Beethoven me viennent en tête… La mélodie de l’Orange mécanique.



Célèbre film de Stanley Kubrick sorti sur les écrans en 1971, adaptation du roman d’Anthony Burgess du même nom (A Clockwork Orange) paru en 1962, l’oeuvre s’impose à nouveau en 2010 et revient nous jeter à la gueule, en vrac : banalisation et esthétisme de la violence, viols collectifs, drogues, manipulations, conformisme social, morale publique, expérimentation scientifico-politique, enfermement…

Au public, s’il survit, d’en tirer les conclusions.

Outrés, choqués, mal à l’aise, admiratifs, époustouflés, les réactions des spectateurs d’hier sont les mêmes qu’aujourd’hui. Et faute d’un Kubrick qui viendrait réveiller cette société étouffée sous le poids des annonces racistes et sécuritaires, on ressort le classique et ose la comparaison.


Pas de droogies-boogy avant vos prières du soir


Dans un décor nocturne urbain, une bande de jeunes, les droogies, déambule au gré de ses pulsions dictées par un puissant mélange de drogues en tout genre. Tabassages et viols collectifs  rythment leurs soirées, le tout en musique, on se souvient du passage où I’m singing in the rain a perdu pour toujours sa légèreté, et en sourire… L’inconscience, l’insouciance d’une jeunesse poussée à l’extrême bat son plein.

Puis, tout fout le camp. Un cambriolage se termine en meurtre, l’autorité d’Alex, le chef de bande est remise en cause avant d’être trahie et de le conduire directement à la case prison. Là-bas, il comprend vite que la Bible peut lui être très utile, pour faire mine de se racheter une bonne conduite aussi bien que pour se laisser aller à des fantasmes inspirés des principaux protagonistes.

Pas assez rapide, une autre solution lui est proposée: être le cobaye d’une nouvelle technique de lutte contre la délinquance financée par le gouvernement : une thérapie qui éradique la violence. Le principe est simple : tout acte de violence est lié à une douleur physique intense ressentie par l’individu au moment où il veut passer à l’acte. Et ca marche. Alex ressort de prison, psychologiquement toujours autant démoniaque mais physiquement doux comme un agneau, incapable de faire « le Mal » autant que de se défendre, d’avoir des relations sexuelles consenties et surtout… d’écouter son air favori : la 9ème symphonie – 4ème mouvement – d’un certain Ludwig Van Beethoven, suite à une malencontreuse erreur du thérapeute. Après d’autres péripéties, Alex se retrouve sur un lit d’hôpital, encadré par un membre du gouvernement qui a soudainement vu un intérêt politique à ce qu’Alex retrouve sa vraie nature….


Remake 2010


Le rôle des droogies serait ici joué par les jeunes de banlieues. A peu de choses près: tournantes, vols, braquages de casinos et tabassages en règle, leurs occupations sont finalement assez proches de celles d’Alex et de ses potes. Non? Mais l’actualité y rajoute aussi de nouveaux acteurs amateurs de violences plus folklos, comme des coups de haches: les roms, gitans, roumains, tziganes- choisissez celui que vous préférez pour plus de simplicité.

Le Nadsat, langage des droogies, mélange d’argot anglo-russe porte désormais le nom de Romlan, mélange de romani et de verlan. Pour exemple: – « Téma la gadji, j’y mettrais bien mon pelo dans le luc! », est une phrase typique des droogies d’aujourd’hui. Terminé  le vieux slibard blanc par dessus le falsard, grosses cylindrées et casquettes à l’envers font partie de la nouvelle tenue réglementaire. Pour une bande-son raccord, les viols se dérouleraient au son des Gypsies ou de Booba selon les ethnies droogies.

Côté casting, le rôle du docteur Brodsky serait tenu par notre ministre de l’Intérieur, rempli d’idées productives ou plutôt de « bonnes intentions » en matière de nouveaux traitements. Les derniers en date : déchéance de la nationalité pour les délinquants français d’origine étrangère et peines de prison pour parents négligents viennent s’ajouter aux plus classiques expulsions, démantèlements de camps, contrôles d’identité au faciès, gardes à vue supplémentaires…. Autant de méthodes pour apprendre aux délinquants à devenir « meilleurs ». L’ aumônier Sarkozy prêcherait la bonne parole aux délinquants prisonniers car l’église seule dispose des enseignements nécessaires pour que l’individu puisse décerner le bien du mal.

Et comme le film, sûrement censuré, n’aura pas un gros budget, on remettrait le même acteur au sommet du gouvernement, l’imaginant plutôt bien tirer les ficelles de cette mécanique de l’orange.


L’homme à tête d’orange


« Orange » signifie l’homme en argot anglais. L’homme mécanique. En français, c’est un fruit, un fruit susceptible de pourrir. Encore que toute pourriture soit relative, entendons-nous.

Est-ce à la « nature du fruit » que l’on doit la pourriture ? Ou parce que l’on a fait de lui une véritable machine ?

Comme l’orange, il arrive à l’homme de pourrir, déposer ses germes sur le reste de ses copines de filet… Mais la pourriture n’est pas forcément là où l’on croit semblait déjà dire M. Kubrick.

C’est lorsqu’elle le prive de sa liberté de choisir entre deux notions relatives aux limites bien complexes: le bien, le mal que la mécanique termine d’achever son forfait sur l’homme à tête d’orange.

Attention cher docteur, à ce que dans le processus en cours, vous ne développiez pas aux meilleurs d’entre nous, une aversion  pour la 9ème symphonie de Beethoven , ou l’autre chant pourtant bien connu qui parle de sang impur et de sillons.

Crédit photos: (c) Manon El Hadouchi




ink : il faut sauver le croque-mitaine

Qui n’a jamais eu peur du croque-mitaine ? Celui qui se cache sous notre lit, attendant les heures les plus noires de la nuit pour sortir et nous emmener au pays des cauchemars. Chris Nolan nous a servi un film magnifique avec plein d’effets spéciaux pour nous faire comprendre que le croque-mitaine était dans notre esprit. 1 an auparavant, Jamin Winans explorait déjà les mêmes sentiers, avec moins de budget, certes, mais une réflexion plus poussée.
Oubliez tout ce qu’on vous a raconté jusqu’à présent, il ne sert à rien de serrer les paupières ni de se cacher sous la couette. Le croque-mitaine est là, et il n’a rien à perdre.


« FUCK! » je crois que c’est la première réplique de ce film. « FUCK! », voilà ce que je pense aussi, parce que c’est tellement difficile d’en parler : complexe et visuel, avec une histoire à raconter et une bande-son magique. Comme quand on était petits.

Quand j’étais petite, j’avais peur. D’ailleurs, je laissais la lumière allumée super longtemps (et pas que pour lire des livres tard dans la nuit dans le dos de mes parents, hein !) et j’avais un rituel pour être sûre de ne pas me faire emporter au pays des cauchemars.
Et j’ai grandi.

Emma n’a pas cette chance, elle n’a pas encore grandi, et malgré la lumière allumée, malgré ses yeux bien serrés, et bien qu’elle tente de ne plus respirer, ink l’emmène. C’est un voyage dans un monde parallèle, un voyage dans la tête d’un homme brisé ou dans l’esprit d’une petite fille esseulée, un voyage dont les fins ont déjà eu lieu.
On recherche l’alternative. On veut sauver Emma, et pour la sauver, il faut sauver son père, et en sauvant Emma, on veut sauver ink, en vrai. Et sauver ink…

Il s’agit d’un sujet maintes fois exploré, une histoire assez simple en fin de compte : un homme qui perd femme et enfant, une enfant délaissée qui veut juste que son père entre dans le jeu. C’est une quête pour chacun d’eux.

Des flash-back et des flash-forward, des couleurs altérées, du flou maintenu tout le long d’un film difficile à suivre tant les scènes d’actions – des combats à mains nues assez violents et très bien chorégraphiés – et de contemplation (marre du cliché qui oppose le « zen-forêt » au « stress-city », mais faut croire que ça marche encore dans l’imaginaire collectif) se superposent.

Vous perdez le fil ? C’est fait exprès : on ne sait plus qui est le méchant, enfin si, il y a toujours le Méchant, celui qui, s’il ne fait pas peur à cause de sa laideur comme le croque-mitaine au long nez crochu, reste le personnage le plus angoissant, avec son double visage, les sautes d’images, et son sourire froid. Le Méchant représenté par plusieurs. Les Incubus.
Et les Gentils ? Les Conteurs bien sûr, ces êtres presque humains et lumineux, qui nous redonnent des forces par la magie des rêves qu’ils nous apportent. Et le déjanté Eclaireur aveugle, héhé, qui a un sens du rythme assez funky. (D’ailleurs la scène où tout son art se révèle me rappelle assez les scènes où la Mort se rattrape dans Destination finale, avec l’idée du destin ou de la fatalité qui met en scène et fait s’enchaîner les événements. Fatalité qui peut être très facilement personnifiable.)

Mais en vrai, ce n’est pas une petite fable manichéenne que nous retenons. C’est un vrai conte pour enfant et pour adulte.
L’Incubus, celui qui nous donne cauchemars et désespoir, de même que les Conteurs, ne viennent que si nous leur donnons du grain à moudre. Le croque-mitaine, c’est vous et moi. Et ce que nous sacrifions avec tant d’énergie à nos idées noires et notre volonté d’autodestruction, c’est vous, moi, et surtout ceux que nous aimons.

Belle morale, non ?




The Sleeper – Une course dans le temps à en perdre Allen


A la croisée d’Hibernatus (avec Louis de Funès), de Fahrenheit 451 (de Bradbury / Truffaut) et de 1984 (d’Orwell), The Sleeper est une grande farce tragicomique orchestrée d’une main de maître par Woody Allen au meilleur de son œuvre.

 

 

200 ans après avoir été cryogénisé à son insu, Miles Monroe, jazzman et gérant d’une épicerie végétarienne, se voit réveillé par des médecins révolutionnaires. Le monde qu’il découvre alors est réglé autour de la domotique, des gadgets, des robots. Il est vite considéré comme un alien échappé d’une planète mystérieuse et représentant un sérieux danger public. Mais c’est également ce manque d’identité qui lui confère un réel pouvoir aux yeux des révolutionnaires qui voient en lui le seul être capable de les libérer du joug totalitaire dont ils sont les victimes.

 

Sorti dans les salles obscures en 1973, The Sleeper vient trouver un écho dans l’actualité des derniers mois et années, au cœur des différents débats qui ont agité l’opinion publique, tels que les OGM, la gestion des données personnelles et médicales, le clonage, l’intrusion des robots dans la vie quotidienne, mais également sur un plan plus politique, la répression et le flicage de plus en plus présents dans notre société moderne.

 

 

Inquiétante vision d’un futur devenue réalité.

 

Des tomates pesant 50 kilos faisaient évidemment sourire à l’époque. Qu’en serait-il aujourd’hui ? Aujourd’hui où nous consommons des tomates sans pépins, des fruits sans peau, des légumes résistant à leurs prédateurs naturels.

 

Il semblait alors absurde de songer à la possibilité du clonage d’un être humain entier uniquement grâce à son nez. Qu’en est-il de la viande que nous mangeons tous les jours ? Des Américains payant des fortunes pour voir leur animal de compagnie tant chéri revivre à leurs yeux sous la forme d’un clone, obtenu uniquement à l’aide d’une cellule de l’original ?

 

Tout aussi absurde et alarmiste était cette immense base de données.
Que contient-elle ? Les informations personnelles relatives à chaque individu, ses convictions politiques, les moindres détails de sa vie privée, professionnelle, intime.
Si je vous souffle à l’oreille des mots tels que « passeport biométrique », « Facebook », « réseaux sociaux », vous commencez à voir où je veux en venir ?

 

A travers ce film aux abords loufoques, Woody Allen se positionne en inquiétant visionnaire d’une société future, ou plutôt du futur de notre société. Il la datait de la fin du 22e siècle, n’imaginant sans doute pas que, à peine 40 ans après la sortie de son film, tant d’éléments appartiendraient déjà à la réalité de son quotidien.

 

 

On ne pourra pas dire que l’on n’avait pas été prévenu !

 

The Sleeper – écrit, dirigé et avec Woody Allen – 1973




Vincent Ganivet ou l’Art du parpaing

Jeans, baskets, cheveux surpris au réveil, le jeune homme de 33 ans en tenue de chantier reçoit à l’heure du café dans son immense atelier, rue du Bocage à L'île-Saint-Denis (93). Il paraît qu’il est artiste. Et que l’air de rien,  ses œuvres sont en ce moment même au Palais de Tokyo à Paris dans le cadre de Dynastie, une grande exposition sur la nouvelle génération d’artistes contemporains. Quand l'Art rencontre la maçonnerie.


(A droite, Vincent Ganivet devant son atelier épaulé par Momo un collègue et ami qui travaille avec lui ses constructions en équilibre)

Les fondations

« L’idée du Domino cascade ( une des premières performances de l'artiste) est parti d’un délire sur un chantier. Pourquoi ne pas faire s’écrouler des parpaings comme l’on  ferait s’écrouler des dominos ou des cartes à jouer ?

Depuis, le parpaing m’a poursuivi ! »

C'est décidé, ce sera donc ces curieux Lego de plus de 10 kilos que l’artiste utilisera au service de son art. L'idée « est de les disposer de travers, autrement que lorsque j'étais payé pour le faire. » Car des chantiers, Vincent en a fait pour financer ses études aux Beaux-Arts de Paris. « Après avoir fait la seule prépa publique en France, j’ai fait de l’image 2D et de la vidéo aux Beaux-Arts. A côté, je gagnais ma vie en faisant de la maçonnerie. Du coup, les deux se sont rejoints logiquement.

Il y a une dizaine d’années, un copain avait devant sa galerie des parpaings là depuis toujours. J’ai fait un igloo avec qui leur a plu. Ils l’ont laissé exposé dans la galerie. Un jour, un visiteur avec qui j’ai sympathisé m’a proposé d’occuper un atelier sur l’Ile-Saint-Denis. J’ai aussitôt accepté. »

Depuis 7 ans, l’atelier de Vincent prend peu à peu forme pour offrir de l’espace aux divers artistes qui s’y côtoient et à tout projet proposé.

Le chantier

Aujourd’hui, il est le témoin des constructions monumentales de Vincent. « On travaille d’abord sur des maquettes puis, on construit des gabarits, les formes en bois qui vont être les clés de voûte des constructions. » A son actif ? Igloo, autres roues et arches en équilibre, feux d’artifice picturaux, fontaines, fuite d’eau…« Il y a un côté raide minimal, brut dans ce que je fais. L’idée étant de recréer un équilibre précaire que l’on sent fragile. J’aime ce rapport aux spectateurs qu’impliquent mes œuvres : passer sous un arche en parpaings tu le fais ou tu le fais pas !»  Surtout qu’ils ne sont pas collés entre eux, l’œuvre n’étant pas pérenne. « Après l’expo, les parpaings retournent à leur vie de parpaings. Ils s’en vont faire des pavillons en banlieue » explique Vincent, heureux de présenter les vestiges de ses œuvres devenus murs et cloisons de l’atelier. Des parpaings, un objet pas très convoité, plutôt ingrat.

« Peu importe le matériau, c’est une histoire de gestes. Rien n’oblige à travailler le bronze pour faire de belles sculptures. C’est l’énergie qu’on met dedans qui importe. »

Ainsi de la fuite d’eau, première installation dans une galerie: «  Le public n'avait à se mettre sous la dent qu’un seau et une coulée de gouttes d’eau en provenance du plafond. Une provocation, oui mais qui implique tout le monde : le galériste qui doit aller vider le seau toutes les 2 heures et le public car c’est une proposition visuellement raide : tourner autour du seau (du pot?).  Mais la démarche était de faire d’une galère de chantier qui est un poncif,  une espèce de philosophie zen ! On pourrait appeler ça du minimalisme monumental ! »

Travaux finis

Un art intellectualisé qui ne se veut tout de même pas trop intello : « Mon travail plaît autant  à une personne qui pose des parpaings pour gagner sa vie qu’à d’autres qui ont une culture beaux-arts.  Moi-même, je ne vais pas souvent voir des expos, l’art contemporain n’est pas toujours généreux et de ce côté là, l’échange, est fondamental pour moi.  Je donne un truc à voir dont la motivation première n’est pas de se triturer les méninges, même si après, chacun peut y mettre autant d’interprétations qu’il veut. »
Un art contemporain tourné vers l’autre, en interaction avec un public diversifié, c’est la vision de Vincent Ganivet, personnalité aussi éclectique que son art. « Un jour tu manges un kebab, le lendemain, c’est cacahouètes et champagne, c’est le propre de l’artiste d’être une identité transgressive ! »

L’exposition au palais de Tokyo a donné une bonne impulsion à l’artiste qui a déjà des galeristes sur le dos et des projets pleins la tête.

Vincent Ganivet, dans le cadre de l'exposition Dynastie au Palais de Tokyo jusqu'au 5 septembre.

www.vincentganivet.fr

http://www.dynasty-expo.com/d/fr/artistes/artistes.php?art=43




God bless America, qu'ils disaient…

La Terre promise pour un jeune juif dans les années 50, c’est aussi et surtout les petits boulots, le taudis avec WC communs, la chemise crasseuse et les filles de joie pas beaucoup plus propres. Voilà pour le point de départ. On approfondit avec Edgar Hilsenrath.


Fuck America commence comme son titre le suggère, pas dans la finesse. Mais dans un échange épistolaire complètement absurde entre le père du héros et le consul d’Amérique. Ce dernier refusant à la famille juive allemande d’émigrer, en 1939, pour la bonne raison que «des bâtards juifs comme vous, nous en avons déjà suffisamment en Amérique». Le livre se poursuit ensuite d’un «Fuck America» bien senti à la face de la statue de la Liberté, et d’écriture d’un roman intitulé «Le Branleur».

La critique du Nouveau Monde est cependant loin d’être aussi primaire que le style voudrait (pourrait) le faire croire. L’histoire tient en quelques mots, celle d’un jeune juif rescapé de la Shoah, et dont la famille a immigré aux Etats-Unis au début des années 50. Et qui, écrivain en devenir, cumule les jobs miteux et les putes qui ont bien voulu lui faire un rabais (parce que les vraies femmes, celles qui sont secrétaires de direction, ne regardent pas les rangs grouillants d’étrangers).

Rien de larmoyant ni de pathétique au premier degré dedans, néanmoins. Bien au contraire. Mais un enchaînement de situations entre le caustique et le burlesque, et qui permettent à Hilsenrath d’évoquer avec pudeur une double histoire : celle de l’immigré dont le pays ne sait que faire et qui se heurte – mais sans jamais les toucher – à des Américains pure souche – heum heum – et celle du traumatisme du génocide. D’ailleurs, ce qu’il y a de bien dans ce livre, c’est que la fameuse écriture du Branleur qui occupe le héros, Jacob Bronsky, et tout le roman – et dont nous ne saurons jamais rien – est un moyen pour Hilsenrath d’accoucher de sa propre histoire avant l’Amérique.

Le tout dans un style très cinématographique. Comme dans un film de Jim Jarmusch, Hilserath nous balade de séquences en séquences, mais avec un seul personnage : Jacob à la cafétéria des immigrants, Jacob chez sa logeuse qui compte combien de tranches de pain et de noix de beurre il peut voler sans que son voisin ne s’en aperçoive, Jacob à l’agence pour l’emploi ou dans l’un de ses jobs à la petite semaine, Jacob au restaurant chic et qui en sort par la fenêtre… On entend presque le clap entre deux scènes, on imagine le jeune écrivain en Charlot voûté. Avec la trogne du Roberto Benigni de chez Jarmusch encore, absurde, irritant, pathétique, émouvant. L’impression visuelle est renforcée par de longs dialogues sibyllins qui habillent la page de grattes-ciel lithographiques, et de passages écrits en gras et en police obèse. Et par des scènes restituées comme en direct, au présent ou au passé composé, à la première personne, ponctuées d’interpellations à soi-même par le personnage : «Bronsky, je me suis dit…».

La dernière fois qu’on m’a dit : «Si tu aimes Bukowski et Fante père, tu aimeras le fils», raté, j’avais trouvé que le fils se débattait entre ces deux images sans parvenir à trouver sa propre plume. Pour Hilsenrath, difficile d’y couper : c’est écrit sur la quatrième de couverture. Sauf qu’ici, c’est vrai. Non seulement il y a du Henry Chinaski dans Jacob Bronsky, et du Bukowski dans Hilsenrath. Mais surtout, il s’en éloigne. Certes, cela fait beaucoup de «i». Pour le reste, il suffit d’ouvrir le livre.

Fuck America, Edgar Hilsenrath, aux éditions Attila




« Circulez, y'a rien à voir »

Juillet 2006, une énième guerre éclate au Liban.

Comme de nombreux Libanais, les cinéastes, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige se retrouvent coincés en France, n’ayant du pays des nouvelles que par le flux d’images des journaux TV.

Deux ans plus tard, caméra au poing et la légende Deneuve sur les terres libanaises, ils signent un opus quelque part entre le document et la fiction. Si le film adopte l’esthétique du reportage, on reste loin du regard sans âme des images télévisées. Là, c’est un regard dense, douloureux, âpre, amoureux.

« Je veux voir » est l’histoire de la rencontre entre un pays, une icône de cinéma, une étrangère et un autochtone assommé par la guerre, le représentant d’une génération.

Il est aussi le récit d’un voyage initiatique, celui de Catherine Deneuve et celui de son guide comédien, Rabih. C’est par Deneuve qu’on s’étonne, par Rabih Mroué qu’on s’émeut.

Les questions sans équivoque de la comédienne font écho à l’incertitude grandissante de Rabih. Car, plus la voiture s’éloigne de la ville, plus les réponses de ce dernier se font floues, celles d’un
« touriste dans son propre pays », plus les silences se prolongent. Il n’y a en effet rien à dire. Le paysage mutilé parle de lui-même.

Des ruines décharnées, des squelettes de bâtiments, des débris à perte de vue. Lors de la recherche de la maison familiale, l’image de Rabih, forme minuscule, hésitante, sombre, noyée dans une mer de ruines frappe. Rabih, c’est à ce moment un peu le Moine au bord de la mer de Caspar David Friedrich.

Une coulée de prés, un vert presque irlandais, on en oublierait le chaos que recèle la région. Des champs de blé vert qui tendent vers le flou, on pense au travail des Impressionnistes. On devine le regard encore endormi de Catherine mais aussi celui tâtonnant des Libanais contemplant leur pays après la tempête, les repères, les référents, les souvenirs ayant été balayés d’un souffle. Il n’en reste plus que les couleurs, l’essence, la sensation.

Et lorsque des pelleteuses jettent mécaniquement à la mer par tonnes les débris des villes décédées, on sait le voyage fini. Les yeux fixent le zénith. Ils ne peuvent ou refusent de voir. Un tunnel pour nous ramener de cet éprouvant périple, un tunnel noir de lumières vives, qui défilent, transition poétique entre les Enfers et le Purgatoire.

Catherine retourne à ses mondanités, arborant un sourire rayonnant en voyant celui qui « sait ». Les images d’un Beyrouth nocturne défilent, les lumières de la ville exécutent pour nous une dernière
danse, la paix est là.

Circulez, il n’y a plus rien à voir.


Je veux voir de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Avec Catherine Deneuve et Rabih Mroué. 1H15. 2008. Disponible en DVD.




MapJazzy : Du jazz au pop-rock, le duo « s’aime » sa musique au fil des bars


Au hasard d’un soir, dans un café, MapJazzy m’est tombée dessus…

Un regard, un échange. Puis un secret susurré par cette chanteuse à la voix suave et son joueur de clarinette basse, dont on ne sait plus bien s’il joue l’instrument ou si l’instrument se joue de lui; une nuit à y repenser… Pas question que ça reste un coup d’un soir. Je tente l’initiative risquée du premier appel. MapJazzy répond, le début d’une relation ? Possible… Pour se connaître, j’ai jeté ça et là des mots sur lesquels j’ai laissé MapJazzy  ricocher.

MapJazzy…

Raul: C’est un hommage à l’histoire de la musique du XXème siècle avec une relecture jazz. On emprunte au jazz sa liberté, son instabilité, le fait qu’avec lui, tout puisse changer d’un jour à l’autre. Map pour les initiales de Merle-Anne Prins-Jorge, notre chanteuse à la voix extraordinaire. C’est aussi une référence à la mappemonde, pour mieux traverser les frontières.

Merle-Anne: Avec MapJazzy, on essaie de lutter contre la mort de la vie nocturne à Paris. D’apporter un peu de douceur à cette capitale qui se fait moins bruyante qu’avant. L’idée, c’est de pouvoir venir jouer partout, dans le maximum de lieux publics ou chez des particuliers pour faire découvrir le jazz aux amateurs autant qu’aux non-initiés. Si en buvant un coup, un air fredonné attire leur attention, nous sommes les grands gagnants de la soirée. La transmission est quelque chose de très important. Pour nous, elle fait partie de la musique.

Références…

Merle-Anne : On emprunte à tous les répertoires connus que l’on aime : aussi bien des classiques du jazz comme Ella Fitzgerald, Janis Joplin, Louis Armstrong, Sarah Vaughan, que de la pop ou des musiques du monde : les  Beatles, U2, Police, Joao Gilberto, Henri Salvador. On tourne avec une trentaine de morceaux mais on continue d’élargir notre palette. Il y a tellement de belles chansons.

Raul : Il y a aussi Bobby Mac Ferrin ! Tuck and Patti, un duo couple que nous aimons beaucoup et Eric Dolphy, grand saxophoniste clarinettiste. Pour le silence : Miles Davis, pour cette envie de jouer notre musique dans les bars : Akosh, enfin, Musica Nuda, un groupe italien pour l’hommage aux grands standards de la musique. Mais en règle générale, on aime la soul, le jazz, le funk, le groove. On est très black music !

Je pense vraiment que le rôle du chanteur, c’est d’être un guide, emmener à la découverte ou la redécouverte de plusieurs sons. Nous travaillons actuellement sur un album plus pop-rock : Big Biz (comprendre « Big bisous », un mot doux coutumier du duo musical)

(Pour l’énergie, pas de doute! Allez voir l’extrait vidéo de Taratata, chanson extraite de l’album en cours)

Voyages…

Raul (rêveur) : Ce projet a débuté par un voyage : celui d’un italien venu tout droit de  Catanzaro en Calabre à Paris pour passer son bac et étudier le Jazz.

Puis, un autre voyage, plus récent, celui de Merle-Anne en Italie qui a donné lieu au projet Mapjazzy.

Merle-Anne : Tout est histoire de voyages depuis mes origines… La traversée d’un homme venu d’Afrique (Angola) qui a fait la rencontre d’une femme en France. Ils conçoivent un enfant à Rome qui naîtra à Paris. (Merle-Anne)

Le voyage est aussi le but de ce projet : chercher à transporter les musiques. On est basé à Paris mais le disque sortira d’abord en Italie, car nos premiers concerts se sont déroulés là-bas.

Un voyage encore dans le monde du silence parce qu’il est aussi musique.

Amour…( le duo est aussi couple dans la vie)

Merle-Anne : Ma grande tante Juliette disait: « Tu n’as pas connu l’amour tant que tu n’as pas connu un Italien! » (Rires)

Raul : Nous, c’est l’histoire d’amour d’un être avec son double (…)

Merle-Anne (l’interrompant) : « Il est bavard! Intarissable sur ce sujet! » me glisse-t-elle en aparté.

Disons que Nous, c’est depuis toujours. J’aime à dire que c’est un France-Italie sans coup de boule à la fin !

Raul : On s’est mis ensemble il y a 15 ans durant notre formation musicale au CIM de Paris (école de jazz et de musiques actuelles) puis, pendant 10 ans chacun a vécu sa propre histoire. On s’est finalement retrouvé autour d’envies musicales. J’avais écrit des chansons que je pensais chanter moi-même, mais j’ai vu en Merle-Anne la parfaite interprète.  Un amour qui a donné naissance à un disque, mais aussi à un bébé!

Merle-Anne: Justement, dans le titre Dans mes rêves qui est une de nos compositions, je parle de cet amour partagé entre la musique et la maternité : « J’ai laissé ma fille dormir seule à la maison pour vivre mes rêves…. ». Il y a un côté utopiste à vouloir faire l’artiste…

De toute façon, on est très love, très spirituels…

Raul : Très soul quoi (…)

Merle-Anne: Un autre mot vite! (rires)

Alors ce sera : Paris…

Merle-Anne: Ah ! C’est là que tout a commencé ! Là où l’on habite, où l’on démarre nos projets, notre histoire. C’est la plus belle ville du monde. Mais pour y être bien, il faut voyager. Paris ne tolère pas la médiocrité. Il y a ici une intellectualisation de tout qui stimule mais qui est peut-être un peu trop présente… Les échanges dans les bars, tout ce bouillonnement, c’est à ça que nous sommes attachés.

Raul : C’est une vraie ville métisse. Merle-Anne me donne ce petit côté parisien, cet amour du bouillonnement. N’étant pas natif de la capitale, je n’en suis pas encore blasé ce qui me permet de lui redonner à mon tour régulièrement le goût de Paris. C’est un échange.

Merle-Anne : C’est vrai que je ressens une déprime générale : ici mais aussi partout ailleurs, les gens sont las, exténués. Ce monde est trop violent. Ce nouveau temps que l’on impose est trop violent : il faut aller toujours plus vite, devenir star à 20 ans avant que cela ne soit trop tard. Le fameux « time is money » a fait des ravages. La musique, c’est avant tout de l’air qu’on déplace et qui vient faire vibrer les petits duvets des oreilles. Une sensation qui fait du bien. Un côté doux, enveloppant, le côté féminin de Paris.

Improvisation…

Merle-Anne: Là maintenant tout de suite?!

Raul: Oh oui!!!!

Bobby McFerrin- Don’t worry, Be Happy- par MapJazzy. Version a cappella sur fond sonore d’ambiance de bar!

MapJazzy- Don’t Worry, Be Happy –

MapJazzy c’est aussi une actualité:

– Le projet Mapjazzy:

Enregistrement du disque Voice Link prévu fin juillet. Plus d’info sur le myspace : http://www.myspace.com/mapjazzy (Attention la qualité son est bien meilleure en vrai que dans les vidéos !!)

– Le projet Big Biz :

L’album est déjà enregistré. Il sortira d’abord en Italie mais seulement après la sortie et la digestion de Voice Link.

Photos: (c) Manon El Hadouchi