Une nouvelle semaine théâtrale marquée, comme d’habitude, par tous les contrastes. De spectacles à faire naître une aversion pour le théâtre à la naissance de nouveaux chefs d’œuvres, on a traversé tous les états : ennui, colère, en passant par l’aveu, une fois de plus, de la vision de notre impuissance.
Au théâtre des Déchargeurs, en allant voir « Le Chant du cygne », j’ai pensé assister à la petite pièce en un acte d’Anton Tchekhov. J’avais bêtement lu l’affiche, sans chercher à en savoir davantage. Si le lever de rideau est conforme à ce à quoi le spectateur peut s’attendre, après la première dizaine de minutes, c’est le plongeon vers l’inconnu. Du dialogue nostalgique et triste de Tchekhov, on tombe dans les histoires de coulisses et échanges de techniques théâtrales entre un vieux et un jeune comédien. Les vies personnelles de ces derniers sont racontées à un public qui, légitimement, n’en a pas grand chose à faire. D’autant qu’il n’y a ni cohésion, ni recherche d’unité. Robert Bouvier, le metteur en scène, justifie cela en disant que son spectacle est à l’image de l’existence : imprévisible. Imprévisible, peut-être, mais faussement rocambolesque, parsemée de détails qui n’intéressent que ceux qui les vivent, cela n’engageait que Robert Bouvier, et personne ne lui en aurait voulu de garder ça pour lui !
Autre catastrophe, mais dont les raisons diffèrent : « Iphigénie en Tauride » de Goethe, interprétée comme à la Comédie-Française dans les années 60 par une Cécile Garcia faussement détachée qui semble ne pas comprendre ce qu’elle dit. Elle a des airs d’une bonne copine qui, en fin de soirée, imite Florence Foresti qui imite Isabelle Adjani en tragédienne. Et que dire des acteurs habillés comme une troupe amateur ayant comme contrainte de trouver ses costumes dans la pire des friperies ? Le mauvais goût est conforté par le manque de finesse de la mise en scène illustrative de Jean-Pierre Vincent – on est sur une île alors on entend le bruit de la mer… Tout ici, hormis Pierre-François Garel est à dégoûter du théâtre de la fin des Lumières pourtant porteur d’un message encore brûlant.
Classique, mais réussi, « L’Avare » de Jacques Osinski à l’Artistic Théâtre. Jean-Claude Frissung y campe un Harpagon tout en nuance, colérique mais sans cesse prêt à sombrer dans la folie. Ne devient-il pas fou errant lorsqu’on lui dérobe sa « cassette » ? Entouré d’un groupe d’acteurs qui, par un jeu élégant, soulignent la force du personnage central, le propos et le texte restent actuels à l’oreille du spectateur moderne.
Autre propos, d’autant plus en prise avec l’actualité : « Une chambre en Inde ». La nouvelle mise en scène d’Ariane Mnouchkine – certains racontent que ce serait la dernière – singe une troupe de théâtre dirigée au pied levé par une certaine Cornélia. On assiste à la débâcle d’un groupe d’acteurs financés par l’Alliance Française de Pondichéry, venus pour travailler sur le Mahabharata mais que les attentats du 13 novembre font changer de direction : après de tels événements, quelle est l’utilité du théâtre dans le monde ? Une suite de questions, illustrées par une succession de scènes où sont ouvertes les blessures les plus flagrantes d’une planète en crise : on voit les guerres, l’écologie, les violences sociétales… Et pourtant, sans perdre de vue la gravité intense, on rit. On s’amuse des personnages, des méchants, des terroristes caricaturés à la manière des bras cassés du film « We are Four Lions ». Cet appel du Théâtre du Soleil invite chacun à se tourner résolument vers le réel, à plonger dans la parole quotidienne contemporaine qui ne bénéficie pas de la même résonance que les textes les plus classiques du théâtre, et qui pourtant mérite tout autant, surtout aujourd’hui, d’être écoutée.
Hadrien Volle
« Le Chant du cygne », jusqu’au 22 décembre au Théâtre des Déchargeurs
« Iphigénie en Tauride », jusqu’au 10 décembre au Théâtre de la Ville – Les Abbesses
« L’Avare », jusqu’au 15 janvier 2017 à l’Artistic Théâtre
« Une chambre en Inde », jusqu’au 28 février 2017 au Théâtre du Soleil
Actu : La Comédie-Française lance « Les Journées Particulières » au Théâtre du Vieux Colombier
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La Comédie-Française lance ses « Journées Particulières », pour la 1ère, Claude Mathieu nous fait revivre quelques événements artistiques et historiques du 1er décembre 1778 !
Journée particulière, le 1er décembre 1778
samedi 3 décembre 2016 à 15h au Théâtre du Vieux-Colombier
Lancée la saison dernière, cette série propose de prendre place dans la machine à remonter le temps du répertoire. À partir d’une date « particulière », des lectures d’extraits des deux pièces du jour et une mise en contexte offrent un nouveau regard sur des événements théâtraux et historiques.
À la Comédie-Française, il y a 238 ans…
Le 1er décembre 1778, la Troupe doit se dédoubler en jouant à Versailles pour le service de la Cour, mais aussi à Paris à la salle des Tuileries, pour son public. À quelques jours de la naissance du premier enfant du couple royal, la Cour est en émoi et les spectacles s’y succèdent. Période charnière pour la France qui voit son destin suspendu à la possible naissance d’un dauphin, elle l’est aussi pour la Troupe qui doit se relever de la mort de son plus grand auteur, Voltaire, et de son plus grand comédien, Lekain. La Reine Marie-Antoinette influence alors fortement le répertoire et l’activité de la Troupe qui joue provisoirement aux Tuileries en attendant la construction de son nouvel édifice, au Faubourg Saint-Germain. Cette situation inconfortable perdure depuis 1770. Très sollicitée également dans les résidences royales, elle ne sait parfois plus où elle en est, ni comment répéter les nouvelles pièces…
Ce jour-là à Versailles, on décide de reprendre deux pièces qui ont fait leurs preuves : Le Philosophe marié ou le Mari honteux de l’être de Destouches et Les Trois Frères rivaux de Joseph de La Font, tandis que les camarades de Paris joueront du Regnard et du Molière, là encore deux valeurs sûres. C’est à ce quotidien schizophrénique que nous vous invitons à assister.
Responsable artistique : Claude Mathieu
Organisation et coordination : Agathe Sanjuan
avec Claude Mathieu, Alexandre Pavloff, Françoise Gillard, Nâzim Boudjenah, Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Anna Cervinka
PROCHAINES JOURNÉES PARTICULIÈRES
7 janvier 2017 – À la Comédie-Française, il y a 126 ans… Le 24 janvier 1891, Thermidor de Victorien Sardou Responsable artistique Sylvia Bergé – 4 mars • 10 juin 2017 (programmations en cours)
Prix des Places : 10 € • 8 €
THÉÂTRE DU VIEUX-COLOMBIER
21 rue du Vieux-Colombier. Paris 6e
Plus d’informations : mardi-samedi 11h30-13h30 et 14h30-18h aux guichets, au 01 44 58 15 15, sur : www.comedie-francaise.fr
(Source : Dossier de Presse)
Actu : 2ème édition du Festival du Jamais Lu au Théâtre Ouvert à Paris
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FESTIVAL DU JAMAIS LU – PARIS
2ème édition vendredi 2 | samedi 3 | dimanche 4 décembre
Il y a un an, le Festival du Jamais Lu débarquait à Paris avec une idée en tête : hacker la dramaturgie française !
De cette gentille intrusion est né un échange entre deux cultures cousines, qui n’ont pas eu assez d’une édition pour tout se raconter (coproduction Festival Jamais Lu – Montréal)
LES AUTEURS : Jérémie Fabre, Marilyn Mattei, Grégo Pluym, Sonia Ristic
LES METTEURS EN SCENE : Sophie Cadieux, Martin Faucher, Benoît Vermeulen, Catherine Vidal
LA TROUPE : Hélène Gratet, Dominique Laidet, Thomas Matalou, Guillaume Mika, Marie-Ève Perron, Nelson Rafaëll-Madel, Sarah Tick, Nanténé Traoré
Et deux apprentis comédiens du Studio d’Asnières – ESCA : Maïka Louakairim et Étienne Bianco
Qui a dit qu’il n’y avait pas d’auteurs en France ?
Au Théâtre des Quartiers d’Ivry : les relations publiques, mode d’emploi
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Dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin, le Théâtre des Quartiers d’Ivry présente « Un démocrate », un spectacle écrit et mis en scène par Julie Timmerman : une véritable immersion dans le laboratoire de la démocratie.
Edward Bernays, dit Eddie et personnage central de cette pièce, a vraiment existé. Né en 1891, il est le double neveu de Freud et sur scène, il aura 100 ans dans un mois. Ses parents avaient dit : « tu seras marchand de grain Eddie ». Eddie vendra tout sauf du grain. Il vendra du savon, des cigarettes, Eddie fera fumer les femmes, il vendra la couleur verte, des biberons, Eddie invente : les relations publiques. Quatre comédiens jouent à tour de rôle ce grand homme de la propagande politique et des relations publiques avec malice et beaucoup d’énergie. On apprécie notamment le jeu d’Anne Cantineau, qui n’en finit pas de faire rire le public aux éclats dès lors qu’elle devient Eddie. Bernays n’est autre que l’homme qui invente le bien dans le produit, c’est l’homme qui observe les masses en quête de leur consentement. Pour lui, les hommes ne sont que des cobayes, y compris sa femme, Doris Fleishman qu’il instrumentalise à loisir pour en faire un symbole. Il le dit lui-même, « conseiller en relations publiques » ça ne veut rien dire, mais c’est quelque chose, et ça en jette donc ça suffit. Pendant une heure et trente minutes que dure le spectacle, le spectateur est sans cesse pris à parti, et face aux rouages de la politique et du règne de l’opinion publique, il se retrouve comme manipulé, à son tour instrumentalisé par Eddie Bernays. On a la sensation d’assister à un talk show, face à nous, le vendeur de désirs prêt à tout pour savoir avant nous ce dont nous avons besoin, n’a qu’une idée en tête, instaurer le doute.
Quand il fait fumer les femmes et qu’il met au point une stratégie de vente pour Lucky strike, il dit que la cigarette fait mincir, il admet aussi que le cancer existe peut-être, tout comme le fait qu’il n’y a peut-être pas de tigres en Inde, en fait, on ne peut être sûr de rien. Eddie Bernays nous aliène grâce à des acteurs qui le font revivre avec un humour qui nous heurte dans une mise en scène soignée. Julie Timemerman crée de très belles images, comme le mur de fond qui plus la pièce avance, plus il se remplit de photographies, de papiers, de couvertures de magazines retraçant la très longue vie et carrière du spécialiste des relations publiques qui peut-être aussi bien que son oncle, a su comprendre non pas l’esprit humain, mais la foule, la masse, jusqu’à l’explosion finale. À plusieurs reprises d’ailleurs, les quatre comédiens se liguent face au public comme un Big Brother qui surveillerait ses cobayes de l’American way of life, programmés pour ne pas avoir de pulsions de sortie, faire du yoga, manger et fumer. Et quand un humain veut s’échapper et se marginaliser, on le paralyse par la peur : le maître de la propagande est né.
En fait, Eddie a fait sa fortune sur les crises, quand il n’a pas été lui-même à l’origine des crises en question. On pense à sa campagne de publicité visant, en 1954, à renverser le président du Guatemala présenté comme communiste au profit de la CIA, qui sera une réussite. Pour le public, la mise en scène de ces mécanismes de propagande est ahurissante et donne matière à réfléchir même si nous savons ou soupçonnions déjà les relations publiques de fonctionner ainsi. Quoiqu’il en soit, avec peu de décor, Julie Timmerman produit un spectacle sarcastique en phase avec l’actualité, qui se veut didactique, et qui par un tour de force magistral parvient à projeter le public dans le système encore plus qu’il ne l’est déjà. Comme le disait Patrick Le Lay en 2004, pour reprendre sa formule célèbre, ce qui est finalement vendu par Eddie Bernays, c’est « du temps de cerveau humain disponible ».
Un démocrate, texte et mise en scène de Julie Timmerman, jusqu’au 27 novembre 2016 au Théâtre des Quartiers d’Ivry Antoine Vitez, 1 rue Simon Dereure 94200 Ivry-sur-Seine. Durée : 1h25. Plus d’informations ici : http://www.theatre-quartiers-ivry.com/fr/
Au Théâtre de l’Œuvre : Isabelle Carré ravive Audrey Hepburn comme elle le peut
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Seule en scène au Théâtre de l’Œuvre, Isabelle Carré incarne une Audrey Hepburn fragile, en marge des clichés qu’on en garde, mise en scène par Jérôme Kircher d’après la biographie romancée que Clémence Boulouque a consacrée à la légendaire actrice, intitulée « Un instant de grâce » où elle s’est intéressée aux zones d’ombres de la vie de la « fiancée de tous les américains ».
Sur scène, Isabelle Carré fait son entrée vêtue d’un long manteau qui ne rappelle pas directement une quelconque tenue mythique d’Audrey Hepburn, avant de s’en dévêtir pour prendre place dans un lourd et confortable fauteuil, élément de décor imposant, disposé au cœur de ce qui semble être une chambre d’hôtel.
Pendant un peu plus d’une heure, Isabelle Carré, dont les traits n’ont pas été poussés à la ressemblance avec l’icône hollywoodienne, nous livre une longue confession adressée à son père qui l’a abandonnée étant jeune. Par de nombreux regrets et quelques larmes exprimés à ce père disparu mais néanmoins toujours présent pour elle, Isabelle Carré incarne une Audrey Hepburn au sourire fragile. Tout dans ce spectacle est élégant, délicat, et l’on ne peut qu’apprécier la proximité, voire même l’intimité qui s’établit entre la comédienne et le public. Pour autant, le texte de Clémence Boulouque est sans intérêt c’est davantage le plaisir de la voir Isabelle Carré aussi proche de nous qui nous captive, bien que l’intrigue,aborde le rêve de carrière de danseuse de l’actrice, la collaboration de son père et son intimité, il ne présente pas de tension dramatique particulière. Les problèmes évoqués ne sont qu’esquissés, là où l’on s’attendait à un vrai travail d’introspection face au passé nazi du père de la star, on assiste à un discours flottant.
Si l’icône tant adulée qu’était Audrey Hepburn est ravivée dans ce qu’elle pouvait avoir de plus candide et d’élégant avec beaucoup de sobriété et une certaine recherche de poésie, le texte condamne le jeu à rester en surface, dévoilant alors quelques longueurs. N’en demeure pas moins qu’Isabelle Carré s’en sort avec autant de classe que la femme légendaire qu’elle incarne.
« Le sourire d’Audrey Hepburn », auteure et adaptatrice Clémence Boulouque, mise en scène de Jérôme Kircher, du 2 novembre au 8 janvier 2017 au Théâtre de l’Œuvre, 55, rue de Clichy, 75009 Paris. Durée : 1h15. Pour plus d’informations : http://www.theatredeloeuvre.com/
« Scènes de violences conjugales » à la Tempête : Du geste amoureux à la première claque
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Après deux ans de travail d’enquête au côté d’associations, de victimes et une immersion dans la lutte associative et judiciaire mise en place contre les violences conjugales, Gérard Watkins a écrit et mis en scène « Scènes de violences conjugales », oeuvre semi-fictive actuellement au Théâtre de la Tempête. Entre écriture de plateau et sujet proche du fait divers, le metteur en scène crée un spectacle saisissant pour comprendre et lutter contre la montée du geste violent au sein du couple et par extension, d’identifier les victimes directes et indirectes de ces violences, à commencer par les femmes, puis les enfants.
Sur un plateau en forme de triangle inversé donnant lieu à un espace tri-frontal et sans décor, entre d’abord une jeune femme qui prend place derrière une batterie, l’instrument surplombe la scène et n’aura de cesse de ponctuer la pièce, suggérant dès le départ une atmosphère marquée par la violence du geste.
Quand Annie rencontre Pascal, elle est en situation de précarité, elle vit chez ses parents et enchaine les entretiens ratés, notamment à cause du RER, toujours en retard. Pascal, sur le même quai qu’Annie, est un photographe dans une situation plus aisée, même s’il enchaine les échecs. D’un autre côté, Rachida est une jeune étudiante musulmane qui vit dans une cité, elle est dans un contexte familial compliqué quand elle rencontre Liam, jeune homme venu de Châteauroux sans rien sinon le désir d’une vie stable. De là, les couples emménagent ensemble chacun de leur côté, bercés par les idéaux d’une vie commune heureuse qui leur ferait échapper à leur passé et non reproduire leurs souffrances.
Avec beaucoup d’habilité et des comédiens bouleversants de spontanéité, Watkins plonge le spectateur dans le quotidien des personnages pour lesquels on se met à craindre le pire. Grâce à la création sonore et lumineuse, on guette le basculement dans la violence, impulsé par un quotidien qui, d’une certaine manière, pourrait être le nôtre. De Rachida qui ne sait pas aider Liam à monter une étagère Ikéa à Annie qui oublie comment on fait une mayonnaise, une tension s’installe, jusqu’à frôler l’insoutenable. Les femmes, en dépit de leur incompréhension, prennent le rôle de victime, une condition dont elles ne sortiront qu’après avoir vécu le pire, ce sera la perte d’un enfant pour l’une, et l’envie de disparaître pour l’autre.
Gérard Watkins parvient alors à créer un spectacle coup de poing qui invite à repenser le secours donné aux victimes et le manque de moyens déployé pour prévenir les heurts quand on sait que beaucoup de personnes violentes ne font que reproduire ce qu’elles-mêmes ont déjà subi. Lorsqu’on sait que rien qu’en France, quelques 143000 enfants vivent dans un foyer où des violences ont déjà été signalées, et qu’une femme décède tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Par une fiction au plus près de la réalité et d’une actualité quotidiennement ponctuée par ce genre de faits dramatiques, « Scènes de violences conjugales » est un spectacle qui peut être salué pour le silence qu’il permet de lever, sinon de rompre.
« Scènes de violences conjugales », texte et mise en scène de Gérard Watkins, du 11 novembre au 11 décembre 2016 au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris. Durée : 2h. Plus d’informations et réservations sur https://www.la-tempete.fr/
Feuilleton théâtral : semaine n°45
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En cette semaine n° 45, William Shakespeare est (encore!) omniprésent : du Théâtre de l’Aquarium au Cent-Quatre, bien qu’il ne m’aie pas suscité la même exaltation partout…
Du côté de la Cartoucherie, on voit succéder à « Hamlet Transgression » – variation sans queue ni tête aux formes ringardes se déclarant actuelle – « Richard III, loyaulté me lie ». Ce dernier est une adaptation de Jean Lambert-wild qui a remporté un large succès critique, mais ne m’a pas convaincu tant je trouve que l’œuvre est débarrassée de sa noirceur. Devenu clown sur un stand de foire, dans une ambiance sucrée et colorée, Lambert-wild joue le rôle principal face à Élodie Bordas qui incarne tous les autres. Trucs et astuces amusent le spectateur et nous mènent loin de ce que j’aime chez Shakespeare, d’autant que la pièce a été brillamment montée ces dernières saisons par Thomas Jolly, mais aussi et surtout par Thomas Ostermeier.
Toujours pour Shakespeare, au Cent-Quatre, le collectif OS’O adapte Timon d’Athènes et Titus Andronicus. Ici aussi l’anglais est totalement débarrassé d’une quelconque fidélité au texte : les bordelais, vainqueurs de l’édition 2015 du Festival Impatience s’évertuent à extraire les enjeux principaux des deux pièces pour questionner le rapport de l’humain aux dettes, financières et morales : un spectacle actuel et prenant comme une série américaine.
D’autres collectifs se sont illustrés mercredi et jeudi. Les 11 acteurs, danseurs et musiciens qui entourent Dieudonné Niangouna au Théâtre Gérard Philipe dans une création ardue, « Nkenguegi », assurent le « show ». Mais ce mélange où se croisent le drame du Radeau de la Méduse – sans dire que les naufragés sont des colonisateurs au large des côtes du Sénégal – et le drame des migrants qui échouent en Méditerranée, est un patchwork de mots si confus qu’on est vite pris en otage par l’ennui. Du côté du Théâtre-Studio d’Alfortville, un autre collectif raconte la vie de Gorge Mastromas (de Dennis Kelly), mis en scène par Maïa Sandoz, le pari est réussi. On y voit Adèle Haenel, fondue dans la troupe qui l’a accompagnée depuis le début de sa carrière. Peut-être aurais-je attendu davantage d’une actrice césarisée ? Mais son attachement à être un composant de ce groupe est bien respectable.
Enfin, j’ai passé mon dimanche 13 novembre au Théâtre de l’Œuvre, en compagnie d’Isabelle Carré. Élégante, satisfaisant un public de matinée, elle joue un texte de Clémence Boulouque qui ne mérite aucun intérêt. Pas plus que le UBU Café nouvellement installé au sous-sol du théâtre et, si le personnel y est très souriant, est éclairé par une lumière si froide que l’on préfère la rigueur automnale de l’extérieur pour patienter.
Hadrien Volle
« Hamlet Transgression », jusqu’au 3 décembre au Théâtre de l’Aquarium
« Richard III, loyaulté me lie », jusqu’au 3 décembre au Théâtre de l’Aquarium
« Nkenguegi », jusqu’au 26 novembre au Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis
« L’Abattage rituel de Gorge Mastromas », jusqu’au 19 novembre au Théâtre Studio d’Alfortville
« Timon/Titus », jusqu’au 26 novembre au Cent-Quatre
« Le Sourire d’Audrey Hepburn », jusqu’au 8 janvier 2017, au Théâtre de l’Œuvre
Le Cid, drôlement classique
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Écrit et présenté pour la première fois en 1637, Le Cid s’est imposé comme l’un des grands classiques du répertoire théâtral français dont Jean-Philippe Daguerre s’est emparé pour en proposer une mise en scène soignée et comique, qui laisse une belle place aux aspects tragiques de certaines situations de ce texte en alexandrins.
Sans aucun décor sinon la présence d’un blason déplié en fond de scène devant lequel jouent deux musiciens, le metteur en scène a misé sur la déclamation du texte et des costumes d’époque rouges de très belle facture, qui d’emblée indiquent un spectacle de qualité que le jeu des acteurs vient rapidement conforter. Comme enveloppés par une création sonore très appréciable composée par Petr Ruzicka et jouée par lui-même et Antonio Matias, les comédiens ont été dirigés dans un souci d’occupation de l’espace rythmée et soignée. Ils traversent et la scène, et le public, tout en jouant dans les loges latérales. Dans leurs rôles, tous sont d’une justesse remarquable, ils n’en font jamais trop tout en se permettant quelques écarts très cocasses. Si cette mise en scène a tout d’un bon classique, quelques éléments dénotent à souhait, comme la dérision jetée sur le Roi qui a tout l’air d’une petite marionnette tout droit sortie d’un dessin animé. Grossi, serré dans son costume trop petit et plein de défauts de prononciation dès lors qu’il ouvre la bouche, il n’en finit pas de faire rire et d’ajouter beaucoup de comique au tragique de certaines scènes.
Sans grande prétention, ce spectacle plein de bonnes intentions nous livre aussi de très belles images comme les nombreux combats de sabre qui n’ont rien de ridicule tant ils paraissent maitrisés et occupent bien l’espace. Le Cid ainsi présenté s’adresse alors volontiers à un jeune public friand de situations chevaleresques liées à cette pièce faite d’amours et de vengeances, ici soignée par une troupe convaincante et drôlement classique.
« Le Cid », de Pierre Corneille, mise en scène de Jean-Philippe Daguerre, du 14 septrembre au 15 janvier 2017 au Théâtre du Ranelagh, 5, rue des Vignes, 75016 Paris. Durée : 1h40. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatre-ranelagh.com
Au Théâtre de l’Odéon, Dom Juan fait trembler les dames
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En 2013, déjà sur les planches de l’Odéon, Jean-François Sivadier proposait une mise en scène punk se jouant des codes de la théâtralité du Misanthrope de Molière, dans laquelle Nicolas Bouchaud jouait Alceste. Alors qu’il incarne aujourd’hui un Dom Juan qui ne se contente plus de rire de tout ni de ne croire en rien, Bouchaud s’entiche des femmes du public, leur offrant même des fleurs. Son personnage veut des « Marie, des Fatima », il veut plus encore si bien qu’à nouveau, le metteur en scène parvient à relever le défi de renouveler Molière et plus précisément, de réveiller Dom Juan.
Éternellement suivi d’un Sganarelle ici incarné par Vincent Guédon, Dom Juan, pour qui le plaisir de l’amour réside dans le changement, n’en finit pas de séduire dans une scénographie très esthétique constitué de boules suspendues qui nous font penser à des astres voire même d’énormes boules de Noël. À cela vient s’ajouter un décor toujours éclaté, déglingué, qui vient régulièrement faire trembler la salle. Dans son rôle de Dom Juan toujours plus transgressif, Nicolas Bouchaud séduit et performe. Tout dans sa diction et ses mimiques laisse à penser qu’il est fait pour le personnage, désinvolte au possible, la transgression est portée à son comble lorsqu’il nous lit un extrait de La Philosophie dans le boudoir du Marquis de Sade, comme si, un siècle plus tôt, il annonçait le Valmont des Liaisons dangereuses.
Jean-François Sivadier, en plus d’actualiser son Dom Juan au point de lui faire chanter « Sexual Healing » de Marvin Gaye en se déchaînant sur scène, a pris le parti d’insister sur des scènes de charmes notamment entre Charlotte et Pierrot. D’autres moments émergent tout autant comme la scène où Dom Juan tente de faire blasphémer un pauvre, assisté d’un Sganarelle qui ferait tout pour racheter son âme. Enfin, quelques farces émergent par leurs habiles ressorts scéniques mis en œuvre, on pense par exemple à un combat que mène Dom Juan face à; non pas trois acteurs jouant les bandits, mais face à trois piñatas qui rendent la situation des plus comiques.
Ce Dom Juan finalement très empreint de magie nous interpelle : jusqu’au bout il défie ce ciel qui paraissait de prime abord si calme et si serein.
« Dom Juan », de Molière, mise en scène de Jean-François Sivadier, jusqu’au 4 novembre 2016 au Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, 75006 Paris. Durée : 2h30. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatre-odeon.eu/fr
Ça ira (1) Fin de Louis : Pommerat fait sa révolution
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En 2015, il y a pile un an que la dernière création de Joël Pommerat s’est jouée pour la première fois sur les planches du Théâtre des Amandiers à Nanterre. Après une tournée dans toute la France et à l’étranger, Ça ira (1) Fin de Louis se rejoue encore à Paris, avant de repartir sur les routes de France. C’est à n’en pas douter aux processus utilisés par Pommerat pour faire revivre la révolution française qu’il faut imputer le succès de la pièce qui, plus que jamais depuis, est entrée en écho avec notre actualité.
Dès le départ, le ton est donné, Pommerat renverse les codes et se joue de la frontière entre la scène et les gradins : le public sera acteur. En effet, c’est sous nos yeux et à côté de nous que se joue le processus révolutionnaire. Face à la scène, le public n’est autre que le peuple et cette habile subversion est d’autant plus magistrale qu’elle est renforcée par la présence de comédiens dans la salle et dans le public. De fait, par sa présence et souvent son silence ou ses applaudissements, le spectateur vote, prend parti et approuve les doléances ou décisions de l’assemblée constituée. Comme à son habitude, Pommerat propose une mise en scène qui repose sur une économie de moyens mettant en valeur le jeu des acteurs tous surprenant de spontanéité et de vérité. Habillés comme de nos jours, ils rejouent pourtant bien la révolution française avec ses peurs, ses inquiétudes, ses espoirs et ses hésitations.
À bien des égards la pièce semble se jouer de notre propre politique actuelle, alors qu’il est question d’exonération fiscale de l’Église et des finances de la Maison du Roi. Ancien Régime s’il en est, le temps a passé mais les discours politiques ne bougent pas. Sous nos yeux, un des moments historiques des plus marquants de notre passé national prend vie dans ses moindres détails paraissant tous plus vrais les uns que les autres, Pommerat s’est d’ailleurs fait assister pour ce qui est des recherches historiques. Véritable leçon d’histoire, Ça ira (1) Fin de Louis pose un regard renouvelé sur ce que, par exemple, le peuple pensait vraiment de Louis XVI, présenté comme instable et en contradiction avec ses intendants, bien plus apprécié que ce que l’on ne pense en vérité et dont la seule grave erreur fut la fuite de Varennes.
De bout en bout, les discours sont aussi convaincants que la mise en scène, les jeux d’ombres et de lumières dessinent l’espace révolutionnaire auquel aura pris part un public captivé par ce que le théâtre a encore à nous apprendre.
« Ça ira (1) Fin de Louis », création et mise en scène Joël Pommerat, jusqu’au 25 septembre 2016 au Théâtre des Amandiers, CDN Nanterre, 7, avenue Pablo-Picasso, 92022 Nanterre cedex. Durée : 4h30. Plus d’informations et réservations sur http://nanterre-amandiers.com/.
« Politiquement correct » : L’amour au front
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« En 2017, Marine Le Pen devant François Hollande au second tour, selon un sondage », cette phrase n’est pas issue du dernier spectacle écrit et mis en scène par Salomé Lelouch à la Pépinière, mais des derniers gros titres du journal l’Express. Se saisissant volontairement de l’actualité et de l’entrée en campagne de plusieurs candidats à la présidentielle de 2017 en France, l’auteure et metteure en scène a imaginé ce scénario somme toute inquiétant d’une extrême droite au second tour face à la gauche, non pas en débats, mais autour de Mado et Alexandre, amoureux en dépit de leurs partis pris politiques divergents.
Le soir de l’annonce des résultats du premier tour des élections présidentielles, une heure avant le moment fatidique, Mado et Alexandre se rencontrent par le plus grand des hasards dans un bar de la capitale dans lequel ils avaient tous deux bu un verre la veille, et où leurs téléphones portables y ont été maladroitement échangés par un serveur qui devait les recharger. Le lendemain, ayant seulement convenu de se rendre leur portable, ils décident de boire une bière, puis deux, et sans parler politique, ils terminent la soirée ensemble à l’hôtel. Si la rencontre avait tout pour être romantique et déboucher sur une histoire d’amour, leurs orientations politiques vont vite faire entrave à tout futur à deux. Alors qu’Alexandre, un catholique proche du Front National où il devrait bientôt prendre des responsabilités avait fouillé dans le portale de Mado, de gauche et professeur d’Histoire au Lycée Jules Ferry, il s’était bien gardé de lui parler de ses idéaux. Resserrée autour de ces deux personnages et de leurs meilleurs amis ainsi que le serveur – Cupidon fautif de l’histoire – l’action sert pourtant un discours très politique ancré dans des problématiques actuelles dépassant le couple d’amants. Du début jusqu’à la fin, le rythme va crescendo tandis qu’Alexandre s’enlise et fait tout pour dé-diaboliser son parti avant que Mado ne découvre son vrai visage. Vaste quiproquo ayant toujours lieu dans le même bar parisien, la pièce regorge de situations cocasses et délirantes, comme lorsque leurs meilleurs amis font tout pour enrailler leur relation. Piquants, plein d’humour, certains échanges sont attendus mais très bien portés par les acteurs, notamment par la meilleure amie marxiste, féministe et féminine de Mado, Andréa, jouée par Ludivine de Chastenet.
En quête d’un compromis pour s’aimer, la jeune femme et son amant, le Front National et la gauche sont pourtant irréconciliables, le politique l’emporte sur la belle rencontre. Si la mise en scène est fluide et les comédiens bien dirigés dans leurs rôles, le contenu du texte est assez ambigu et Salomé Lelouch prend des risques. À plus d’une reprise le Front National est défendu et longuement présenté comme un parti comme un autre. Alexandre est si convaincant dans sa tentative de séduction de Mado, jeune femme plutôt à l’ouest et peu encline au débat, que l’effet produit sur le spectateur est dérangeant tant il se trouve séduit par des propos qui œuvrent à la dédiabolisation d’un parti qui scandalise et bénéficie en ce moment de beaucoup d’attention médiatique. Car derrière le personnage d’Alexandre se cachent bien de vraies personnalités politiques dont les propos ne devraient peut-être pas aussi explicitement se voir être adoucis sur une scène de théâtre. Pour autant, le théâtre est là pour faire sortir le spectateur de sa zone de confort, le bousculer et l’interpeler, mais la pièce bien que divertissante, ne se présente pas comme une leçon de politique et le texte n’est pas aussi saisissant qu’un texte comme celui de « Le Projet Poutine », de Hugues Leforestier, récemment mis en scène au théâtre des Béliers Parisiens.
« Politiquement correct », écrit et mis en scène par Salomé Lelouch, à partir du 2 septembre 2016 à La Pépinière Théâtre, 7 rue Louis le Grand, 75002 Paris. Durée : 1h15. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatrelapepiniere.com/
« Les élans ne sont pas toujours des animaux faciles » : trio explosif au Lucernaire
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Dans un genre de salon de jazz qui plonge le spectateur dans une atmosphère cosy et feutrée, fauteuils en cuir et instruments de musique laissés ça-et-là, un trio sérieusement déjanté s’empare de l’espace et des textes de Frédéric Rose et Vincent Jaspard dans une mise en scène signée Laurent Serrano. Entre sketchs drôles ou questions sérieuses sur la vie portés pas un univers poétique, de bout en bout le spectacle est cocasse, loufoque et hilarant.
Alternant entre des moments chantés en chœur et vives discussions entre amis, les trois hommes, Jean-Edouard, Jean-Christophe et Jean-Marc, n’ont de cesse de faire de situations banales des moments fantaisistes, à tel point que les dialogues semblent avoir été créés lors d’un cadavre exquis, sinon d’après un recueil de poèmes de Prévert. Des malheurs de l’ex-compagne de l’un à la certitude d’un autre d’avoir croisé Verlaine assis devant chez lui, tout s’enchaine sans temps mort et avec beaucoup de dynamisme. En costumes et toujours un verre d’alcool à la main, tout ce qui est promesse de sérieux et d’élégance s’envole vers l’absurdité lorsque l’un propose aux autres de leur vendre son bout d’arc-en-ciel, ou qu’un autre soutient que les lampadaires sont des dromadaires morts. Avec sincérité, une impression de spontanéité et de facilité déconcertante, les comédiens nous livrent un spectacle aussi drôle que touchant. Une scène muette en particulier marque les esprits quand seulement avec la contorsion de ses mains devenues petit couple d’amoureux, un des acteurs parvient à jouer plus d’attitudes amoureuses et de sentiments que les mots n’auraient pu en exprimer.
Touchante et poétique, l’histoire veut finalement que certains soient faits pour agir et d’autres pour commenter l’action, sur scène l’action est multiple, décalée, chantée, muette, jouée et commentée tout à la fois, avec un élan qui séduit.
Les élans ne sont pas toujours des animaux faciles, textes de Frédéric Rose et Vincent Jaspard, adaptation et mise en scène Jean Serrano, avec Pascal Neyron ou Laurent Prache, Emmanuel Quatra et Benoît Urbain. Jusqu’au 6 novembre au Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris, 01 45 44 57 34, durée 1h10, plus d’informations et réservations sur : http://www.lucernaire.fr/theatre/631-les-elans-ne-sont-pas-toujours-des-animaux-faciles-.html
Avignon IN 2016 – Collection Lambert : « Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat » : l’œuvre fait preuve
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Le 4 novembre 1995 à Tel-Aviv, après avoir prononcé un discours à l’occasion d’une manifestation pour la paix, Yitzhak Rabin, alors premier ministre d’Israël, est assassiné à bout portant de deux balles dans le dos par un étudiant juif israélien opposé aux accords d’Oslo conclus en 1993 à Washington. Depuis 2015, l’architecte et cinéaste israélien Amos Gitaï travaille sur cet événement qui a enterré le dialogue entre Israël et Palestine et a durablement marqué l’histoire du Moyen-Orient.
C’est d’abord par la réalisation d’un film-enquête intitulé Le Dernier jour d’Yitzhak Rabin présenté à la Mostra de Venise et au Festival international du film de Toronto l’an passé que le travail de Gitaï a pris forme. À Avignon depuis le 3 juillet, le regard porté sur la mort du prix Nobel de la paix de 1994 trouve sa continuité et évolue sous la forme d’une exposition à la Fondation Lambert qui se tient jusqu’au 6 novembre, et qui porte le même titre qu’un spectacle présenté à la Cour d’Honneur du Palais des Papes le 10 juillet : « Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat ». Sous forme de triptyque et par un recours à tous les arts mêlant le documentaire à la fiction, Amos Gitaï construit une œuvre critique profondément engagée, universelle et optimiste, en grande partie élaborée à partir des souvenirs de Leah Rabin, la veuve de Yitzhak.
Fils de Munio Gitaï Weinraub, Amos Gitaï reconnaît avoir été influencé par les « perceptions artistiques » de son père qui était architecte mais surtout juif, il s’était fait expulser d’Allemagne par les Nazis en mai 1933 alors qu’il étudiait au Bauhaus à Dessau, son fils en a fait un film sous forme de diptyque plus largement consacré aux deux parents entre 2009 et 2012. S’il a fait des études d’architecture et suivi les traces de son père, c’est après s’être engagé dans la guerre du Kippour en 1973, où il est blessé par un missile syrien, qu’il se lance dans la réalisation de documentaires. Rapidement, ses travaux sont marqués par des recherches théoriques et expérimentations formelles avec la caméra auxquelles il renonce dans ses œuvres consacrées à Yitzhak Rabin. Fasciné par la reconstitution d’une mémoire à partir de fragments d’histoire, Amos Gitaï entend refléter à travers des prismes artistiques aussi différents mais peu éloignés que le film documentaire, le théâtre et les arts plastiques l’impact de l’assassinat politique de l’homme d’État. Pour l’artiste, le parti pris est constant aux trois propositions, il faut installer une relation entre tous les documents qui ont servi aux recherches, à savoir la vidéo, des éléments sonores, des toiles, des sculptures de céramique, des témoignages, des correspondances… Amos Gitaï n’envisage pas une œuvre d’art sans son contexte, il écrit d’ailleurs ceci « Je comprends qu’il n’est pas possible de faire un travail artistique sans contexte. Sans contexte à la fois artistique et politique ». Alors que le film, long de près de trois heures, est un montage d’images d’archives, de manifestations, d’interviews et de scènes reconstituées par des acteurs, l’hommage continue dans une forme similaire sur les planches.
« Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat » a effectivement été le fait d’une seule et unique représentation le 10 juillet au soir, à l’occasion du Festival d’Avignon qui cette année plus que jamais revendique un choix de spectacles très politiques en prise avec l’actualité comme avec Les Damnés, Ceux qui errent ne se trompent pas en proposant tout particulièrement un focus Moyen-Orient avec des pièces comme Alors que j’attendais du metteur en scène syrien Omar Abusaada. Sur l’immense scène de la Cour d’Honneur et sur un mode récitatif, Amos Gitaï a mis en scène le récit de l’assassinat à partir d’une fable très factuelle saisissante de sobriété et de retenue portée par l’actrice israélienne Hiam Abbass et la française Sarah Adler, qui avait déjà collaborée avec le réalisateur en 2014 pour Tsili. Assises autour d’une table imposante qui renvoie l’image d’un bureau ministériel, les actrices semblent lire un manuscrit qu’elles ne lâchent pas, même lorsqu’elles se lèvent et ne bougent plus lors de la scène finale. Porté par une voix si grave et l’accent arabe de Hiam Abbass, le texte prend vie, résonne et se heurte à des images d’archives du fameux jour de l’assassinat de Yitzhak Rabbin ainsi que de manifestations pour et contre la réconciliation d’Israël et de la Palestine projetées sur tout le mur du Palais des Papes surmontant la scène. Noyé dans ces images silencieuses, le public est simultanément interpelé par deux musiciennes jouant du violoncelle et du piano ainsi que par un chœur foulant sans cesse une platebande de graviers pour un effet sonore tout à la fois captivant et écrasant. Poignant mais toujours esthétique et poétique, le spectacle qu’Amos Gitaï est venu présenter en personne avant la représentation n’est jamais seulement documentaire, si bien que l’hommage trouve naturellement son écho dans l’exposition présentée à la Fondation Lambert en Avignon.
Arrivé au pouvoir en tant que premier ministre et chef du parti travailliste en 1992, Yitzhak Rabin avait encouragé, conjointement avec Bill Clinton, une autonomie palestinienne à peine un an plus tard. Mais dans la foulée, bien que les accords signés par Rabin aient été historiques, les partis d’extrême droite ont déstabilisé le pouvoir et perpétré de nombreux attentats à l’encontre de Rabin. Deux mois avant d’être assassiné et remplacé par Benyamin Netanyahou qui veut maintenir Israël au contrôle permanent de la Cisjordanie, Yitzhak Rabin prévoyait un découpage de territoires palestiniens remettant en question les zones de contrôles d’Israël. Le projet n’aboutira pas, de nombreuses théories du complot ont d’ailleurs été avancées concernant le jour de l’assassinat, et le rapport qui avait réuni plus de 4000 témoignages réalisé à l’issue de l’événement n’a jamais été entièrement publié. Si la pièce de théâtre était centrée sur l’homme d’État et de paix, l’exposition mêle davantage la fiction en s’annonçant dès l’entrée comme un « geste artistique inspiré d’un événement traumatisant ». À travers trois grandes salles sombres aux fenêtres condamnées, la scénographie est répétée à l’identique sur un mode ternaire. Le plus frappant vient du fait que le public est plongé dans une ambiance sonore qui ne laisse aucune chance au silence là où l’espace lui, célèbre le vide et l’obscurité ; comme au théâtre, une tension subsiste entre documents papiers et vidéos, réels et fictionnels.
Pour faire de la mémoire un agent du changement, Amos Gitaï a couvert les murs de photographies de grands formats donnant à voir des mouvements de foules floutés en noir et blanc, toutes portent le titre de « chronique fragmentée », toutes sont une pièce d’un puzzle politique morbide. Chaque salle participe à la reconstitution de l’assassinat et fait penser à une place vide prête à accueillir une manifestation, tout en faisant répondre à ces photographies sous vitres reflétant le visiteur comme invité à prendre part au mouvement visuel et sonore, un écran géant où des images sont projetées à grande échelle. Dans ce chevauchement sensoriel, les images prennent vie et les sons deviennent visuels, véritable acteur, le visiteur est confronté à ces œuvres qui font preuves. Le rôle et la force des images est d’autant plus mis en question qu’en dessous de ces mouvements anti-Rabin et Palestine sont présentées deux vitrines dans lesquelles des petites figurines de céramique sont elles-mêmes filmées et superposées aux images d’archives, ces petits bonhommes incarnent pour leur part une marche pour la paix qui ne bouge pas, ils sont des « Demonstrators at the peace rallye ». Face à ces modèles réduits anthropomorphiques blanchâtres comme englués là, restés coincés en 1995, on est appelé à envisager la paix comme toujours possible, toujours dormante. Aux mots et beaux discours se heurtent des révolutions silencieuses, le message d’Amos Gitaï est plein d’espoir : et si les gestes artistiques devenaient aussi forts que les balles ?
À retardement, l’art pourrait ressusciter la mémoire, entamer des mouvements et face à un pouvoir qui condamne ce qu’il considère comme dissident, Amos Gitaï propose de condamner le pouvoir, d’élaborer une stratégie sensorielle et artistique totale qui changerait la réalité. À travers cet espace d’exposition, un soulèvement semble urgent face à la reconstitution de cette histoire stagnante et la monstration des étapes de dégradation de l’événement. L’artiste a conscience qu’il ne s’agit pas du plus grand conflit du monde, là où les médias se sont tus, l’art se réveille et en restitue la force symbolique. Israël n’est pas seulement un territoire en conflit permanent, c’est aussi un lieu qui a vu naître trois religions monothéistes, le judaïsme, le christianisme et l’islam, occupé par une politique de mitraillettes. Que ce soit face au film, au spectacle ou dans cet espace d’exposition, le public est certes nourri d’images, pour autant, Amos Gitaï entend faire du visiteur un interprète légitime de tous ces matériaux. Plus qu’un simple consommateur du travail de l’artiste, entre correspondances de sa mère durant la seconde guerre mondiale et photographies découpées et accolées aux murs comme des meurtrières ouvertes sur la foule, c’est au public qu’il incombe de « faire l’histoire ».
Pour venir à bout de ce triptyque, Amos Gitaï a annoncé préparer un livre qui ferait office de synthèse, parce que les mots restent. À travers tous les médiums possibles, l’artiste et réalisateur ébranle l’Histoire, nous montre des frontières poreuses entre réalité et fiction, entre les objets et les images. À une époque de mise en crise des médias et de la banalisation des conflits, pour Amos Gitaï l’art peut encore servir la résurrection de l’oubli historique. Comme disait Christian Boltanski, l’artiste peut et doit poser des questions, à la différence de nombreux philosophes, politiciens ou historiens, il est celui qui ne pense pas avoir de réponses, qui ne pose plus de questions en mots, « mais avec des émotions visuelles ou sonores ».
Amos Gitaï, « Chronique d’un assassinat annoncé », jusqu’au 6 novembre 2016 à la Collection Lambert en Avignon musée d’art contemporain, plus d’informations ici : http://www.collectionlambert.fr/7/expositions/en-cours.html
L’exposition a fait écho à la présence d’Amos Gitaï au Festival d’Avignon dans la Cour d’honneur le 10 juillet 2016 pour son spectacle intitulé « Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat »
Avignon OFF 2016 « Monsieur Kaïros » : une rencontre du deuxième type
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Kaïros est une création de Fabio Alessandrini, auteur, comédien et metteur en scène. C’est l’histoire d’un écrivain qui, seul chez lui face à son ordinateur, est en train de retaper son roman qui parle d’un médecin humanitaire en zone de guerre, jusqu’à ce que sans qu’il ne s’aperçoive, le personnage de son roman fasse irruption dans la nuit. L’intrigue se tisse autour de cette rencontre inopinée faisant sombrer le romancier dans la folie grâce à une mise en scène très mentale.
Dans un espace sombre, l’écrivain se trouve assis à son bureau qui fait lui-même face à un store blanc qui va devenir lieu de projections abstraites évoquant souvent le sang lié au métier du chirurgien dès son apparition. Alors qu’il est seul et qu’il parle à voix haute tout en retranscrivant son roman, l’homme apparait. Perdu, cherchant à passer un coup de fil, l’homme se révèle être le personnage du roman de l’écrivain après un interrogatoire surprenant. Incrédule, le romancier commence alors à discuter avec le médecin convaincu d’être réel, qui se met à lui raconter ce qu’il vit en zone de guerre, accusant par là celui qui l’a fait naître de ne pas avoir conscience de ce qu’il dépeint dans son roman.
Si derrière les échanges entre les deux hommes émerge un discours sur la guerre, l’engagement et l’existence, le personnage voudrait profiter de la présence de l’auteur pour que sa vie soit réécrite, comme améliorée, la pièce reste psychologique. Entre situations cocasses et plus graves, comme lorsque le médecin évoque ce qu’il aimerait voir être changé dans sa vie comme s’il faisait une liste de courses et le romancier qui ne se soucie que des ventes, les comédiens sont naturels et captent l’attention du public sans exagérer. Malgré tout, le spectacle de Fabio Alessandrini reste un spectacle très mental, l’ambiance semble irréelle, on en vient à douter de la rencontre de ces deux types. Après tout, le personnage ne serait-il pas une projection mentale et le romancier en plein délire ?
Kaïros n’est pas un chef d’œuvre, mais quelque chose d’inquiétant s’en échappe, créant une situation en suspens, de sorte que le spectateur ne sombre jamais dans l’ennui.
Monsieur Kaïros, écrit et mis en scène par Fabio Alessandrini, avec Yann Collette, Fabio Alessandrini.
Festival d’Avignon, Chapeau d’Ebene Théâtre, Place de la Principale, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, à 11h et 15h, durée 1h10, à partir de 13 ans.
Avignon IN 2016 « Espaece » : repenser les contraintes formelles de Perec
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En 1974, l’écrivain et verbicruciste qu’était Georges Perec écrit Espèces d’espaces, un ouvrage qui questionne l’espace comme réalité tangible et répond aux contraintes formelles et jeux de style habituels de l’auteur de La disparition, fameux roman sans aucune occurrence de la lettre E. Aurélien Bory propose une mise en scène drôle et envoûtante de ce livre fantasque.
« Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner » écrivait Perec. C’est de cette phrase que toute l’adaptation de l’essai perecquien commence. À partir de là, la scène a été pensée comme une zone vide où à la grande surprise du spectateur, seul le mur du fond et ses deux sorties de secours se met à bouger de manière infernale, emportant avec lui les acteurs et danseurs. C’est sans se cogner, dans une chorégraphie qui se joue du vide que les personnages évoluent, dansant, s’accrochant à la structure murale ou à des barres de danses tombées du plafond. Presque toute en silence sinon quelques chants lyriques et un jeu hilarant improvisé chaque jour par Olivier Martin-Salvan, la représentation est hypnotique, seuls quelques mots viennent flotter dans l’espace et occuper le silence.
Alors que le livre sert de matériau, chacun des personnages a un exemplaire et compile des mots avec, il se range rapidement dans la structure en bois, envers du mur devenu bibliothèque dans laquelle les personnages se contorsionnent. Indéfiniment, l’espace se meut, se redessine, aspire les comédiens et les fait danser. Le rythme est remarquable, il est rare de voir l’esprit de Perec ainsi traduit, l’hommage est réussi. Dans une tension constante entre fixité et mouvement, la structure appelle à des sons amplifiés qui résonnent dans l’espace et l’habitent à leur manière. Comme le faisait Perec avec les mots et les formalités qu’il s’imposait, les comédiens se plient à l’espace et non l’inverse, ce sont les mots qui dictent une attitude et des mouvements pour un résultat empreint de poésie. Entre chanteurs, gymnastes et comédiens, l’espace n’est jamais fini.
De l’espace de la page blanche à une pensée de l’espace urbanisé, les rapports à l’espace sont multiples et non univoques, la mise en scène est très esthétique et les comédiens bien dirigés, Aurélien Bory crée un spectacle ou l’écriture semble échapper à l’errance.
Espaece, mise en scène Aurélien Bory, avec Guilhem Benoit, Mathieu Desseigne Ravel, Katell Le Brenn, Claire Lefilliâtre, Olivier Martin-Salvan.
Festival d’Avignon, Opéra Grand Avignon, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 23 juillet, à 18h, durée 1h15.
Tournée : du 5 au 11 octobre 2016 au Grand Théâtre de Loire-Atlantique Nantes, les 18 et 19 octobre au Quartz Scène nationale de Brest, le 3 novembre au Théâtre de l’Archipel Scène nationale de Perpignan, les 9 et 10 novembre au Tandem Arras-Douai, les 17 et 18 novembre à la Maison des Arts de Créteil, les 8 et 9 décembre au Parvis Scène nationale Tarbes Pyrénées, du 13 au 17 décembre au TNT Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées, du 4 au 8 janvier 2017 au Théâtre du Nord Centre dramatique national Lille Tourcoing Nord-Pas de Calais, les 12 et 13 janvier au Volcan Scène nationale du Havre.