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Avignon IN 2016 « Les Damnés » : Ivo van Hove fait trembler la Cour d’Honneur

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Après vingt-trois ans d’absence au Festival d’Avignon, la Comédie-Française signe son grand retour dans une adaptation du scénario de Visconti « Les Damnés » mis en scène par Ivo van Hove. Dès les premières minutes de la représentation, le pari est gagné, les comédiens sont au sommet et la mise en scène n’en est pas moins grandiose de beauté et d’intensité.

La pièce se déroule sur un immense plateau orange surmonté d’un écran presque aussi grand qui, comme Ivo van Hove en a l’habitude, va servir tout le long à projeter et des images d’archives, et à mettre en abyme ses personnages. Prenant place autour du plateau central, les comédiens se changent à vue, alors que l’espace scénique grouille de petites actions simultanées, chaque personnage est filmé en gros plan et un portrait nous en est fait sans qu’il n’y ait de conflit entre ce que la scène et l’écran nous montrent. Nous sont ainsi présentés les personnages de la famille Essenbeck, grande bourgeoisie industrielle allemande fortunée grâce à son entreprise de sidérurgie qui lors de la montée du nazisme ne verra d’autre possibilité que de servir le pouvoir, croyant sauver la dynastie familiale.

À partir de ces présentations qui donnent à voir les griefs de chacun envers les autres et laissent une tension glaciale qui restera jusqu’à la fin du spectacle, Ivo van Hove parvient à dire l’horreur du régime, et la cruauté de ces individus. Dans cette lutte de pouvoir marquée par une montée du nazisme suggérée par des figurants et des images comme le Reichstag en feu et les grands autodafés de 1933, des personnages se démarquent. Le fils de la Baronne Sophie (Elsa Lepoivre) qui se retrouve au cœur du conflit familial, Martin (Christophe Montenez), s’impose rapidement comme le personnage le plus sombre de l’intrigue, que ce soit dans sa démarche ou ses penchants incestueux et morbides. Dans un chaos qui évolue à l’image du nazisme, des questions comme la collaboration forcée ou inconsciente de l’industrie en temps de guerre sont abordées, vers une pensée plus globale de notre actualité. Le recours du metteur en scène à la vidéo, loin de continuer le film de Visconti sur scène et d’envahir le jeu des comédiens, est maîtrisé et saisissant comme lorsqu’elle décuple la présence scénique des personnages ou qu’elle accompagne la marche funèbre de chacun des membres de la famille vers sa tombe. Car l’une des créations les plus saisissantes de cette mise en scène vient de la disposition de tombes en ligne le long de la scène, toutes ouvertes, elles annoncent la mort de ceux encore debout sous nos yeux. D’une façon habile et toute à la fois brutale le spectateur est confronté à l’idée de la mort que l’écran viendra amplifier étant donné que chaque mise au tombeau sera filmée en gros plan, donnant ainsi à voir les visages révulsés des personnages effrayés.

En suivant le film de Visconti mais en misant sur une esthétique aussi sobre, Ivo van Hove interroge le mal avec d’un côté les loges des comédiens se préparant à vue, et de l’autre ces tombes avec les personnages, mourant de même à vue, comme si le sens de lecture d’une telle soif de pouvoir en ces temps de nazisme était fatalement celui qui se dessine sous nos yeux. Pris entre la verticalité de l’écran et l’horizontalité de la scène, les comédiens sont sidérants et n’étouffent jamais derrière des procédés aussi esthétiques brutaux que la scène finale. Par le prisme de la famille Essenbeck et de l’annonce du patriarche qui décide en dépit de son opposition à Hitler de s’y rallier pour sauver l’entreprise sidérurgique, la montée du national socialisme reste toujours manifeste.

Jusqu’à la dernière image qui heurte le spectateur de plein fouet et fait trembler la Cour d’Honneur, Ivo van Hove se hisse à nouveau au sommet et propose une mise en scène d’une sublime cruauté interpelant le public quant à sa bouillante actualité. Les raisons qui poussent les industriels à se rallier au pouvoir sont peut-être diverses et irréductibles à un seul discours émanant du contexte du nazisme mais quoi qu’il en soit en temps de conflit, comme l’écrivait Primo Levi, « Ceux qui sont dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter« .

Les Damnés, d’après le scénario de Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli, avec la troupe de la Comédie-Française : Sylvia Bergé, Éric Génovèse, Denis Podalydès, Alexandre Pavloff, Guillaume Gallienne, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Adeline d’Hermy, Clément Hervieu-Léger, Jennifer Decker, Didier Sandre, Christophe Montenez, Sébastien Baulain, Basile Alaïmalaïs.

Festival d’Avignon, Palais des Papes, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 16 juillet, durée 2h10.

Du 24 septembre au 13 janvier 2017 à la Comédie-Française.




Avignon IN 2016 « Truckstop » : polar en bord de route

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

Dans un relais routier, un truckstop, une mère et sa fille essayent fébrilement de faire fonctionner l’entreprise familiale jusqu’à ce qu’un jeune camionneur ne vienne ébranler l’affaire. Derrière la vie intimiste de ce trio porté par des acteurs remarquables, un discours bien tissé est brossé de notre société actuelle et des inquiétudes qu’elle fait naître.

Blessés, comme oubliés de la vie, c’est ainsi qu’apparaissent les personnages dès leur entrée sur scène dans un décor qui a l’air d’une boîte qui les enferme. Tout y est gris à l’exception des rideaux en dentelle crochetée, vestiges d’une époque où le relais routier était, pour les camionneurs, synonyme d’oasis de paix dans une journée passée sur les routes. Recluses dans cet espace vide cruellement étouffant, mère et fille font équipe, bien que rapidement la mère apparaisse comme ayant une emprise inébranlable sur sa fille manifestement malade. Tout semble montrer qu’elles aiment et tiennent à cet endroit qui prend des couleurs le jour où Remco un jeune homme porté avec justesse par Maurin Ollès – révélation de ce spectacle – offre à Katalijne une petite lampe en verre coloré qui va donner lieu à de vives réactions.

Alors que tous semblent solitaires, l’entrée de Remco dans la vie de la jeune fille doublée de son accession à la majorité et de fait, à son compte épargne, morcelle l’équilibre familial. Animé par l’espoir d’échapper à l’entreprise de ses parents qui font dans la viande d’autruche, le jeune homme rêve de s’acheter un camion pour aller sillonner les routes d’Europe et du monde, mais il lui manque l’argent que Katalijne, qui se met à espérer un départ à ses côtés, découvre posséder. Pour la mère, c’est un affront, comment survivre sans l’argent de sa fille qui pourrait sauver le bar routier qui nécessite de multiples rénovations pour prétendre attirer de nouveau les clients. En effet, dans une société mondialisée qui consomme de plus en plus et exige tout de suite incarnée par des enseignes telle que Mc Do, le truckstop et ses fameuses boulettes de viande ne peut plus se targuer d’offrir l’hospitalité quand les gens voudraient la rapidité déshumanisée. Si l’intrigue monte en puissance jusqu’au crime final, dès le début l’ambiance laisse place au mystère et chacun des personnages semble porter en lui de l’étrangeté. Alors que Claire Aveline et Maurin Ollès sont tout à la fois décapants et délicats, Manon Raffaelli manque davantage de nuance dans son jeu bien qu’il faille lui reconnaître des attitudes sombrement humoristiques dans son rôle de jeune femme imprévisible et intenable.

De bout en bout la pièce est bien orchestrée, lorsqu’on comprend que les personnages nous parlent du côté des morts, le portrait social qu’ils dressent monte encore d’un cran. Coincés dans ce truckstop et pris entre l’idée de parcourir le monde ou le faire venir à eux, ils semblent destinés à revivre inlassablement leurs espoirs déchus, la fougue liée à leur jeune âge aura eue raison d’eux, leur quête d’idéal en devient bouleversante et tragique.

Truckstop, de Lot Vekemans, mise en scène Arnaud Meunier, avec Claire Aveline, Maurin Ollès et Manon Raffaelli

Festival d’Avignon, Chapelle des Pénitents Blancs, Place de la Principale, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 16 juillet, à 11h et 15h, durée 1h20.

Tournée : du 7 au 11 février 2017 à La Comédie de Saint-Etienne Centre dramatique national, du 8 au 10 mars au Théâtre Nouvelle Génération, Centre dramatique national de Lyon, du 14 au 17 mars à la Comédie de Béthune Centre dramatique national Nord – Pas de Calais – Picardie, du 4 au 6 mai au Préau Centre dramatique Normandie de Vire.




Avignon IN 2016 « Lenz » : de l’idéalisme à l’ennui

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

En 2012, à l’occasion du Festival de Salzbourg, Cornelia Rainer a présenté Lenz, une création qui vise à réhabiliter le poète et dramaturge allemand Jakob Michael Reinhold Lenz à partir de son séjour en 1777 au Ban de la Roche, dans les Vosges chez le Pasteur Oberlin, resté dans l’ombre de Goethe. Alors que le théâtre de Lenz est traversé par des portraits de la société allemande du XVIIIe et de son aristocratie, la mise en scène de Rainer ne donne à voir qu’un poète devenu naïf à force d’idéalisme, écrasée par des détails.

Dès le départ, toute la pièce est centrée autour de l’arrivée de Lenz dans la demeure du Pasteur dans les montagnes. C’est une énorme structure de montagnes russes en bois qui contient la maison où le mobilier et les costumes des personnages sont d’époque. Dans ce décor très esthétique un batteur fait son entrée et se met à utiliser tout ce que la scène réserve pour faire du bruit et jouer de la musique, mais cette introduction captivante qui laisse présager un spectacle bien mené et surprenant laisse rapidement place à de longs silences, discours plats et à un jeu d’acteurs qui sonne faux. Dans le rôle de Lenz, Markus Meyer en fait trop, son idéalisme et son besoin de réclamer la vie dans tout auront raison de lui, il finira désespéré , seul dans les montagnes.

Le travail de réhabilitation de Cornelia Rainer n’a pas l’effet escompté car en nous plongeant dans cette maison sans vie sinon domestique où l’on épluche des pommes de terre en continu, Lenz appelle au rejet. On comprend alors le fait qu’il soit resté dans l’ombre et on regrette que le rythme lancé par les dix premières minutes du spectacle n’ait pas été tenu davantage, le batteur infernal ne refaisant une apparition qu’une fois la fin venue. Loin d’être aiguisée, notre curiosité ne nous pousse pas à nous renseigner quant aux écrits du poète, la mise en scène de Cornelia Rainer, à vouloir en dire trop manque de cohérence, seule la scénographie parvient à attirer notre attention le temps de la représentation.

Lenz, adaptation et mise en scène Cornelia Rainer, scénographie et costumes Aurel Lenfert, dramaturgie Sibylle Dudek, avec Markus Meyer, Heinz Trixner, Cornelia Köndgen, Jakob Egger, Noah Fida, Merlin Miglinci, Jele Brückner, Julian Sartorius

Festival d’Avignon, Cour du Lycée Saint-Joseph, 62, rue des Lices, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 13 juillet, 22h, durée 1h40.




Avignon OFF 2016 : « El Niño Lorca », un conte musical poétique

Photo : Jean-Yves Delattre
Photo : Jean-Yves Delattre

El niño Lorca est un spectacle musical créé par Christina Rosmini et mis en scène par Hélène Arnaud autour de la poésie de Federico García Lorca et de son rapport à l’enfance. En partant de la biographie du poète, l’artiste mêle sa réflexion artistique à la réalité historique et crée ainsi un spectacle poétique à la mémoire de Lorca.

Seule en scène dans un décor des années 30, la comédienne chante la vie du poète né avec le XXe siècle et assassiné par les milices franquistes en 1936. En restant fidèle à sa biographie, Christina Rosmini chante son enfance et sa poésie. Devenu petit bonhomme de papier recouvert de mots, Lorca est toujours manipulé tel un petit enfant sorti d’une boîte par la comédienne avec beaucoup de délicatesse et d’attention. Sous nos yeux, grâce à des projections animées qui sont le fruit d’illustrations réalisées par Émilie Chollat, le poète reprend vie, lui qui voulait faire de la musique et fit de la littérature serait avant tout un génie resté enfant. Destiné à un public large, le spectacle aborde habilement des sujets comme l’homosexualité du poète et sa mort prématurée.

De la bouche de Christina Romsini, tout ce qui est grave devient une fable onirique marquée par les nombreux talents de l’actrice qui, parfois accompagnée d’un musicien, chante et danse quelques pas inspirés du flamenco et par des mots qui pleurent, ressuscite l’âme de Lorca et par extension, de son amour pour Grenade. Si quelques passages comme l’énumération des amitiés du poète avec Dalí et d’autres nous fait d’abord douter des ambitions « jeune public » du spectacle, tout est fait pour que l’ambiance créée pallie aux références historiques et au destin brisé de Federico. Réputée pour ses compositions musicales, la chanteuse joue tous les rôles et réussit son pari, sa voix nous envoûte de sorte qu’on aurait voulu ne l’entendre que chanter tant son amour pour la langue espagnole rejaillit dans ses mots. Notre seul regret vient de la durée du spectacle qui aurait gagné à être écourté et recentré autour du chant.

Sincère et avec beaucoup d’humilité, Christina Rosmini signe une prestation soignée, ode à l’enfance, la vie et la poésie de Lorca, le franquisme aura peut-être eu raison del Niño, mais on ne tue jamais vraiment les poètes.

El niño Lorca, mise en scène Hélène Arnaud, avec Christina Rosmini et Bruno Caviglia, illustrations d’Emilie Chollat, scénographie de Charlotte Villermet.

Festival d’Avignon, 3 Soleils Théâtre, 4, rue Buffon, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, à partir de 8 ans, 22h20, durée 1h20, réservations au 04 90 88 27 33.




Avignon OFF 2016 : « Kennedy », au nom du père, du fils, et des États-Unis !

Photo : Aude Vanlathem
Photo : Aude Vanlathem

Avec Kennedy, Ladislas Chollat, salué en 2014 pour sa mise en scène de Le Père de Florian Zeller qui avait remportée pas moins de trois Molières, propose une immersion dans les rouages familiaux et politiques – pléonasme dans leur cas – de la famille Kennedy.

Le public, habité par des images de l’assassinat à Dallas en 1963 de JKF, d’une Jackie Kennedy en tailleur Chanel et au sex-appeal de l’ex-président et de ses frères, découvre la puissante dynastie sous un nouveau jour. Avec des symboles efficaces comme le drapeau américain et des documents d’archives ou de films typiquement américains, le metteur en scène plante le décor d’une suite d’hôtel composée de deux panneaux servant souvent d’écrans, sans pour autant sombrer dans un effet Powerpoint qui avait caractérisé sa mise en scène d' »Encore une histoire d’amour », au Studio des Champs-Elysées cette saison. Du début à la fin du spectacle y sont en effet projetés des portraits de la famille Kennedy dont JFK et son frère Bobby, fiction et réalité se mélangent, parfois le président s’adresse à nous, mais l’effet House of Cards n’opère pas.

Les Kennedy, c’est d’abord un clan et beaucoup d’argent. On pense alors aux prochaines élections Clinton-Trump et à cette politique américaine oligarchique qui ne bouge pas, pour autant, les Kennedy restent un cas unique. Joseph Patrick Kennedy, le patriarche, rêvait déjà de briguer la Maison Blanche de sorte qu’il parvint à éduquer ses fils avec ce seul dessein, planifiant ainsi l’accession au pouvoir minutieusement programmée de sa descendance. Dès le départ, le spectacle s’inscrit dans ce rapport à la filiation et au « projet Kennedy ». Dépeint sous un angle inhabituel, JFK est présenté comme un homme malade, angoissé, fragile, cassé par les rêves de son père et paranoïaque – tout dans les attitudes du comédien traduit ces inquiétudes. Au duo des Kennedy vient enfin s’ajouter une femme, tantôt Jackie, tantôt Marilyn, elle est surtout aux yeux du président une potentielle espionne. Dans une atmosphère qui accentue la décadence, notamment sexuelle de JFK sans cesse sauvé par le clan, le pouvoir et la politique sont présentés sous un jour bien sombre. La fortune familiale, soupçonnée de s’être constituée sur fond mafieux y est remise en question et par extension, les bases du pouvoir à l’américaine. Si les acteurs sont convaincants, leur jeu manque toutefois de ce qui fait l’imaginaire social des Kennedy, à savoir un charisme à l’américaine et une allure séductrice.

Au demeurant, la qualité du texte et de la mise en scène réside dans le fait que les Kennedy sont, certes démystifiés, mais pour mieux servir le mythe. Comparés aux Atrides, à ces dynasties grecques et à ce qui fait une grande famille de pouvoir, quelque chose d’héroïque ressort de la mort annoncée du président. À la manière d’Achille, JFK a fait le choix de prendre le risque de mourir et d’entrer au panthéon des présidents adorés plutôt que d’avouer son infirmité et de rester sur ses gardes. Peut-être plus encore que le clan Kennedy, c’est un discours sur la politique américaine qui émerge de cette création, en écho avec les prochaines présidentielles, on ne peut s’empêcher de penser que ces élections n’ont rien de plus à proposer que du scandale et un pouvoir appuyé par l’argent déjà bien en place. Aux États-Unis, la présidence est une affaire de familles.

Kennedy, de Thierry Debroux, mise en scène de Ladislas Chollat, avec Alain Leempoel, Dominique Rongvaux et Anouchka Vingtier.

Festival d’Avignon, Théâtre du Chêne Noir, 8bis, rue Sainte-Catherine, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, relâches les lundis, 15h, durée 1h30.




Avignon OFF 2016 « King Kong Théorie », dans l’ombre des hommes : accéder à l’humanité ou rester dans la honte

Photo : Émilie Charriot

Paru en 2006, l’essai de Virginie Despentes est devenu emblématique de la lutte d’un nouveau féminisme qui intègre les questions de genre. L’auteure y relate l’expérience du viol et de la prostitution, la sexualité féminine y est abordée sans détours, le langage est cru. Par sa sobre mise en scène de « King Kong Théorie », Emilie Charriot mise sur la force du verbe et du texte pour faire du théâtre le terrain de prolongations d’une lutte à peine en marche.

Dans un espace sombre sans aucun décor ni artifices, une comédienne (Julia Perazzini) et une danseuse (Géraldine Chollet) s’adressent frontalement au public, sans donner l’impression de réciter, leur présence est tout à la fois timide et imposante, elles transpirent le texte. La première, en s’en écartant, avec sincérité, nous parle de son expérience de l’échec notamment au vue de sa carrière de danseuse. Avec une émotion à peine retenue, elle raconte ce que signifie la défaite à ses yeux, un sentiment étroitement lié à l’espoir : avoir l’impression d’avoir beaucoup échoué, c’est d’abord avoir beaucoup espéré. Par des mots qui sont les siens et quelques pas de danse, elle transmet la difficulté qu’il y a à se maintenir en vie, à se sentir déviante tout en voulant malgré tout accéder à l’humanité pour sortir de la honte. Les larmes aux yeux, la danseuse est d’une justesse saisissante.

De son côté, la comédienne prend le relais de ce moment presque intimiste comme pour inscrire cette confession personnelle dans un combat universel, et rappeler que notre système culturel et sociétal doit être repensé. Porte-parole des femmes et de Virginie Despentes, elle raconte le viol qu’a subi l’auteure ainsi que son expérience de la prostitution. Campées au milieu de la scène, les deux femmes ne bougent pas, ce qu’un jeu d’ombres et de lumières vient accentuer. Droites, elles nous toisent et par une grande économie de gestes, elles laissent une belle place aux silences, révolution muette s’il en est une, le féminisme est aussi une attitude. Par ses regards, son élocution et sa présence scénique, Julia Perazzini déclame le texte de Virginie Despentes avec force, les mots noue heurtent et chaque respiration, chaque instant qui se meurt est laissé à notre imaginaire et notre propre réalité.

Dans une société où « femme inapte » est devenu un pléonasme, où une femme qui se fait agresser doit d’abord se justifier de ne pas avoir provoqué ou mérité avant d’être écoutée, dans une société où la possibilité de la mort a été intégrée par les femmes, où être féministe ne semble être ni pertinent, ni urgent : que faire ? Dans cette même société qui attend des hommes qu’ils soient virils, certainement pas émotifs, forts et travailleurs, quelle place est laissée à ceux qu’on appelle les « minorités » que sont les intersexués, transgenres, bisexuelles et homosexuels que l’on devrait délivrer de telle catégories verbales ? Plus que jamais, le texte de Despentes devrait être porté par des voix comme celles de ces deux comédiennes qui redonnent de la force aux mots dans une société qui se nourrit d’images. Avant toute chose, avant d’être un cliché ou accessoire, le féminisme devrait être évidé du féminin, de la binarité sexuelle que l’on s’impose et nous désert pour sortir de l’obstacle des genres.

Le théâtre est là pour dire que tout le monde devrait être féministe et qu’est féministe un homme ou une femme qui se lève et dit qu’il y a un problème avec le rôle des sexes aujourd’hui, un problème réparable.

King Kong Théorie, d’après Virginie Despentes, mise en scène Émilie Chariot, avec Géraldine Chollet, Julia Perazzini.

Festival d’Avignon, Théâtre Gilgamesh, 11, boulevard Raspail, 84000 Avignon, jusqu’au 24 juillet, relâche le 18, 17h50, durée 1h30.




Avignon IN 2016 « ¿ Qué haré yo con esta espada ? » : Angélica Liddell vagin du monde

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

Appréciée, détestée, fascinante, révoltante, telle est la rengaine depuis qu’Angelica Liddell a présenté La Casa de la Fuerza au Festival d’Avignon en 2010. Depuis, chaque année la performeuse, auteure, metteure en scène revient avec un nouveau spectacle et suscite toujours les mêmes réactions face à un public souvent fidèle mais divisé, il y a ceux qui partent, et ceux qui restent, les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers : mais tous reviennent. Avec des spectacles marquants comme Todo el cielo sobre la tierra en 2013 qui ont achevé de propulser l’espagnole sur la scène théâtrale européenne, avec son nouveau spectacle ¿ Qué haré yo con esta espada ? (aproximación a la ley y al problema de la bellaza), la réputation d’Angélica Liddell n’est plus à faire, mais à défaire.

Depuis ses premières créations, la performeuse s’est construit un personnage unique et a une mainmise complète sur ses spectacles, elle y est toujours la scénographe, la metteure en scène et s’y octroie les monologues les plus longs pour une présence scénique remarquée. Cette année encore et sans surprise, les ingrédients sont les mêmes, Angélica Liddell est partout, elle parle d’elle et s’inflige tout le mal du monde après s’en être rendue responsable. Dès les premières minutes de sa nouvelle création, un premier homme traverse la scène faisant apparaître son sexe, vient ensuite l’espagnole qui, allongée sur une table d’autopsie écarte les jambes et nous montre fièrement son vagin, puis huit jeunes filles entrent sur scène, se déshabillent et se frottent à des poulpes morts… etc. Rien de nouveau, Angélica Liddell semble sans limites et se dit « sublime transgression », tout l’appareil argumentaire de la performeuse s’est pourtant bien essoufflé.

Dans ¿ Qué haré yo con esta espada ? elle évoque en trois parties le cannibalisme d’Issey Sagawa qui en 1981 avait mangé une étudiante néerlandaise, et les attentats du 13 novembre 2015 qui ont eu lieu à Paris. Dans une approche qui est celle déjà expérimentée dans Todo el cielo sobre la tierra en 2013 où elle traitait de la tuerie d’Utoya du point de vue de Breivik responsable de la mort de 77 personnes et du double de blessés, elle prend à nouveau le rôle du responsable, du tueur, du cannibale et de l’horreur. En sorcière autoproclamée sous nos yeux, sans pudeur ni morale, Angélica Liddell se dit responsable des attentats du 13 novembre pour la raison simpliste qu’au moment du massacre du Bataclan elle était elle-même à Paris, en train de jouer Primera Carta de San Pablo a los Corintios sur la scène de l’Odéon. D’après elle, le drap rouge qui recouvrait alors la scène est le symbole qu’une transsubstantiation mégalomane a eu lieu, appelant le sang, elle a attiré le mal sur Paris. Sur scène, l’espagnole paraît délirer dans des monologues interminables au narcissisme à peine soutenable, ce qui autrefois la rendait fascinante a désormais l’air d’une avant-garde dépassée. Toute la provocation cathartique qu’Angélica Liddell employait si bien se réduit désormais à un discours creux faisant l’apologie de la violence, notamment lorsqu’un des acteurs japonais se met à déclamer toutes les horreurs qu’Issey Sagawa fit subir à sa victime en la dévorant.

Dans son nouveau spectacle, la performeuse semble abuser de sa réputation pour un discours autocentré sur des questions habituellement mieux questionnées comme l’enfantement, le rapport à la mère, la libération sexuelle et l’acceptation de nos névroses. Élue du mal, sous nos yeux et se donnant en pâture au monde, elle dit rêver d’être baisée une fois morte et de se faire remplir de sperme une fois en entrée en état de décomposition. Ce type de discours exacerbé sur le sexe, non seulement est facilement provoquant, mais surtout, il désert voire contamine le féminisme. Là où l’espagnole savait créer des images esthétiques, le résultat est à la limite de l’obscénité. Il faut toutefois lui reconnaître des références toujours plus érudites empruntées à l’histoire de l’art, ce qui donne lieu à des tableaux vivants hypnotiques appuyés par de sublimes choix musicaux. On pense notamment aux danses et contorsions des jeunes filles nues qui semblent recréer une ambiance propre aux œuvres de Jérôme Bosch. Références bibliques et érudites certes, mais l’impeccable scénographie d’Angélica Liddell ne pallie en rien au discours narcissique de l’espagnole convaincue que l’horreur a besoin de notre amour. Affirmant que l’essence de l’être humain est le vide, on ne peut s’empêcher de vouloir lui rétorquer la même sentence appliquée à son spectacle. Que Lucifer continue à lui apporter le soleil, de tels talents plastiques sous-exploités par la nécessité de produire un spectacle par an sans aller au-delà de la provocation gratuite et égocentrique gagneraient à être mis au service de textes coup de poing comme ceux d’une Virginie Despentes, ainsi, les images créées par la metteure en scène serviraient un théâtre réellement militant dont notre société actuelle a grand besoin. Qu’à cela ne tienne, notre rôle n’est pas de dicter de façon presque dogmatique ce que le théâtre devrait mettre en scène.

Si le but de la prestation de la performeuse était de vider les gradins lui faisant face de son public jugé imbécile, en ce qui nous concerne et en dehors de toute implication prophétique d’une Angélica Liddell reine du chaos et annonciatrice du déluge, le mistral gelé s’en est chargé à sa place avant la troisième partie.

¿ Qué haré yo con esta espada ? (aproximación a la ley y al problema de la bellaza), texte, mise en scène, scénographie et costumes d’Angélica Liddell, avec Victoria Aime, Louise Arcangioli, Alain Bressand, Paola Cabello Schoenmakers, Sarah Cabello Schoenmakers, Lola Cordón, Marie Delgado Trujillo, Greta García, Masanori Kikuzawa, Angélica Liddell, Gumersindo Puche, Estíbaliz Racionero Balsera, Ichiro Sugae, Kazan Tachimoto, Irie Taira, Lucía Yenes et Stella Höttler. Et le chœur Clara Penalva, Clémence Millet-Cayla, Julie Roset, Raphaël Vaivre et Adrien Djouadou.

Festival d’Avignon, Cloître des Carmes, 84000 Avignon, jusqu’au 13 juillet, 22h, durée 4h15.

Tournée : 12 et 13 septembre 2016 au Festival Mirada à Santos (Brésil).




Avignon OFF 2016 : « Grisélidis », confessions d’une prostituée humaniste

Photo : Jean-Erick Pasquier
Photo : Jean-Erick Pasquier

Seule en scène, Coraly Zahonero – de la Comédie-Française – pour son premier Festival d’Avignon incarne l’écrivain-poète-prostituée militante Grisélidis Réal (1929-2005), après des mois passés à lire ses livres, correspondances, rencontrer et sa famille, et des prostituées pour élaborer son personnage pour une prestations saisissante.

Dans un décor intimiste composé d’un lit, d’un paravent et d’une coiffeuse, Coraly Zahonero économise ses gestes mais pas ses mots, ponctués de temps à autres par la saxophoniste Hélène Arntzen et la violoniste Floriane Bonanni. Son discours semble donné à vif et retrace la vie de la femme, des moments passés avec ses clients à son activisme pour la « Révolution des prostituées », militante jusqu’aux Nations Unies. Si les mots sont parfois durs et peuvent sembler crus, c’est que Grisélidis s’est caractérisée par sa défense publique de la prostitution qu’elle considérait comme un acte d’humanisme. Par des récits de moments passés avec ses clients les plus étranges, l’actrice parvient à dresser une sorte de bestiaire du métier et à injecter de l’humour dans une prestation qui reste grave. Grave non pas pour la prostituée, mais pour le regard qu’elle jette sur le monde et sur la détresse des hommes dépêchés dans son lit pour qui le bonheur réside dans la chaleur d’une femme.

Après tout, qu’est-ce qu’une putain ? Au-delà de l’image de déchéance que notre société colle à la prostitution, pour Grisélidis se prostituer était une manière de venir en aide aux hommes, de comprendre la souffrance de l’autre et de faire preuve d’humanisme. Partant de son enfance massacrée par une mère moralisatrice à outrance, la comédienne tient un discours piquant sur la politique et la religion qui fait du public une assemblée d’iconoclastes prêts à entendre que « Dieu est un con », et que l’hypocrisie du créateur doublée de la morale judéo-chrétienne qui sous-tend notre monde si manichéen a assassiné la sexualité. Même si Grisélidis reconnaissait se sentir piétinée après des nuits passées avec ces hommes à qui elle volait parfois un orgasme, elle était là, socialiste convaincue pour les expulsés de l’humanité. Tout de noir vêtue, marquée par des lumières rouges chaleureuses, Coraly Zahonero touche par sa sincérité et rend un hommage vibrant à l’auteure de « Le Noir est une couleur », pour qui le sexe ne menait pas à la petite mort, mais au contraire, à la grande vie.

Grisélidis, d’après Grisélidis Réal, de et avec Coraly Zahonero de la Comédie-Française et Hélène Arntzen (saxophones), Floriane Bonanni (violon).

Festival d’Avignon, Théâtre du Petit Louvre, 13, rue Saint Agricole, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, relâches les 14, 21 et 28, 18h15, durée 1h15.




Avignon OFF 2016 : « Les escargots… » : tous singulièrement multiples

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Pour Juliette, neuf ans, dans la vie le premier drame a été d’être une fille. À travers son autofiction « Les escargots sans leur coquille font la grimace », Juliette Blanche, en duo avec Andy Cocq et aidée de Charles Templon pour la mise en scène, s’inscrit dans une actualité des gender studies pour un spectacle touchant sur la quête identitaire.

Avant l’entrée du duo sur scène, le spectateur est confronté à une grande toile blanche sur laquelle est reproduite la photographie d’une femme androgyne tatouée arborant une coupe à la garçonne que Juliette Blanche s’empresse de déchirer pour lancer le jeu. Une fois la masculinité comme anéantie par ce premier acte scénique violent, commence le récit de la vie de Juliette qui, au grand désespoir de son père, fit l’erreur de naître fille. Puisqu’on « ne naît pas femme, on le devient », tout le spectacle restitue la quête de genre de la jeune fille avant d’enfin réussir à se dire femme. En duo avec un Andy Cocq drôle à souhait, tous deux s’attachent tour à tour à jouer différentes personnes qui ont traversé la vie de Juliette, sans jamais tomber dans le stéréotype. Grâce à une jeu de lumières mis au service du propos avec finesse et des accessoires bien choisis, Andy Cocq se retrouve à singer les sœurs de Juliette, son premier amoureux, Johnny Depp, une secrétaire etc. dans un rythme frénétique et un jeu de mimiques bien mené et amusant. De son côté, Juliette reste dans son personnage tiraillé par un premier désir d’être garçon pour plaire à son père, et celui d’être une fille pour écouter sa mère. Qu’à cela ne tienne, la vie n’est pas si simple et derrière des airs légers, des thèmes graves sont abordés avec beaucoup de justesse. De fait, à quel moment sait-on que l’on est une femme ou que l’on est homo ou hétérosexuel ?

D’un questionnement sur l’identité qui part d’abord des prénoms en passant par le premier jour des règles de la jeune fille à une exploration de la sexualité qui ne tombe jamais dans la vulgarité, ce spectacle empreint de sincérité n’apporte pas de réponses sinon une invitation à la tolérance. L’un des temps forts de cette création reste la découverte de l’homosexualité du père de Juliette laissant sa femme dans une détresse sentimentale jouée et chantée par le partenaire de Juliette Blanche, car que faire face à « un homme qui condamne le fait d’être une femme » ? Si le spectacle souffre de quelques changements abrupts et de manques de cohérence dans la mise en scène, l’énergie des comédiens est communicative au milieu d’un décor réduit à trois panneaux et miroirs rotatifs servant ce grand thème qu’est celui du genre. Destiné à un public large, le duo gagnerait à se produire devant un public adolescent pour sensibiliser autour de questions loin d’être réductibles à l’idée que les hommes viennent de mars et les femmes de vénus. Que l’on soit homme, femme, transgenre, hétéro ou bisexuel, le théâtre, ne serait-ce que par les changements de rôles dépassant le sexe ou le genre du comédien proposés dans ce spectacle a une réponse : célébrons les identités multiples. Elles sont loin d’être la minorité que l’on croit, peut-être que nous sommes souvent singuliers en acte, mais chacun est multiple en puissance.

Les escargots sans leur coquille font la grimace, écrit par Juliette Blanche, mise en scène de Charles Templon assisté de Florian Jamey, avec Andy Cocq et Juliette Blanche.

Festival d’Avignon, Théâtre La Luna, 1, rue Séverine, 84000 Avignon, 04 90 86 96 28, jusqu’au 31 juillet, 11h45, durée 1h05.




Avignon OFF 2016 : « L’Amant », l’adultère manque de piquant

Photo : Marie-Aline Cresson
Photo : Marie-Aline Cresson

Lorsqu’Harold Pinter écrit L’Amant en 1962, il s’affirme comme porteur des angoisses contemporaines du couple. La pièce en un acte raconte l’histoire de Sarah et Richard, mariés depuis près de dix ans, croyant avoir tous deux trouvé leur équilibre dans l’infidélité. Si le discours tenu par les personnages est marqué par une franchise désinvolte et empreint d’une sexualité débridée, l’adaptation qu’en propose Marie-Aline Cresson peine à restituer ces ingrédients chers à Pinter.

Dans un cadre réduit à un canapé et des panneaux de carton rappelant l’esthétique de Sempé, Laure Portier et Sébastien Rajon incarnent le duo des mariés sans cesse coupés par des noirs musicaux, bonds temporels dans les journées des personnages. Si la première entrée en scène laisse présager un jeu monocorde mais néanmoins marqué par des échanges comiques en raison de l’attitude flegmatique des comédiens et de la voix de Richard, le spectacle ne décolle pas. Dans cet intérieur s’enchainent de manière brouillée les scènes de retrouvailles du couple et leurs moments passés avec leur amant respectif. Là encore, le jeu des acteurs n’évolue pas d’une scène à une autre, si bien que l’on comprend qui incarne qui seulement arrivés au bout d’une scène.

Pour les amateurs de Pinter toutefois, le texte est là et l’orgueil des personnages au regard de leur soit disant détachement vis-à-vis de l’adultère est bien présent. Mais alors que tout le drame tourne autour de la jalousie et de la sexualité, on regrette que les personnages ne soient pas érotisés et restent englués dans un jeu plat qui n’explore pas davantage les parts sombres de chacun. L’âme de la pièce, qui pourrait être résumée par cette célèbre phrase de Proust sur la jalousie qui n’est autre que cette « angoisse qu’il y a à sentir l’être qu’on aime dans un lieu de plaisir où l’on n’est pas », réside seulement dans les scènes où Sarah et Richard se retrouvent assis sur le canapé à feuilleter des magazines cherchant à savoir s’ils pensent l’un à l’autre lorsqu’ils sont avec leur amant. Ces scènes, bien que cantonnées aux mots, ont tout à voir de cette angoisse.

En somme, si les ingrédients sont là, la mise en scène de Marie-Aline Cresson manque de chien, les acteurs ne dégagent rien de sexuel, l’œuvre de Pinter reste, à regrets, cantonnée à des mots quand le public attendrait des actes, car l’adultère n’est-il pas d’abord un acte avant d’être un discours, un mensonge ou un aveu ?

L’Amant, de Harold Pinter, mise en scène de Marie-Aline Cresson, avec Laure Portier et Sébastien Rajon

Festival d’Avignon, Théâtre L’Albatros, 29, rue des Teinturiers, 84000 Avignon, 04 90 86 11 33, jusqu’au 30 juillet, 20h30, durée 1h15.




Avignon IN 2016 : « Alors que j’attendais » : le théâtre comme acte de résistance

Photo : Didier Nadeau
Photo : Didier Nadeau

Si cette année le Festival d’Avignon revendique son caractère politique, la pièce « Alors que j’attendais » mise en scène par le syrien Omar Abusaada met le focus sur le Moyen-Orient et sa brûlante actualité. À partir d’un fait réel, à savoir la mort en 2013 d’un jeune syrien battu après deux mois passé dans le coma, le metteur en scène qui était allé à la rencontre de la famille au moment des faits, a construit son spectacle sur ce moment d’inconscience qui éclate, qui rapproche les familles et fait émerger des sentiments inavoués que seul un contexte mêlant si brutalement espoir et deuil peut faire émerger. Avec Mohammad Al Attar qui est à l’origine du texte, Omar Abusaada s’inscrit alors dans un théâtre documentaire résistant.

Les événements se déroulent à Damas où Taim a été admis à l’hôpital après avoir été retrouvé inconscient à un checkpoint, gisant dans son sang sur le siège de sa voiture dans des circonstances inexpliquées. Depuis, il est dans le coma, allongé sur un lit d’hôpital au milieu d’une scène vide, surmontée d’une structure métallique imposante sur laquelle l’esprit du jeune Taim va s’élever pour surplomber et le public, et le checkpoint familial qu’est devenue sa chambre d’hôpital. En effet, depuis son coma le jeune homme entend tout et croit pouvoir se déplacer au milieu de ses proches venus se recueillir, se rencontrer et souvent, se heurter. Face à l’incompréhension de cet accident, sa mère, sa sœur, sa compagne et d’autres proches apportent leur version des raisons qui auraient pu le conduire là. Autour de l’inconscient, la famille fractionnée depuis longtemps se trouve bouleversée par des silences enfin levés, comme ce qui avait poussé Salma, la sœur de Taim, à partir pour Beyrouth. Avec quelques touches d’humour qui rendent le spectacle moins difficile d’accès qu’il n’y paraît au début, des sujets d’actualité comme la situation de la Syrie, et graves comme la peine de cette famille sont abordés.

Au-delà de leurs émotions respectives face au corps inanimé, c’est une réflexion sur la situation de Damas, sur Bachar el-Assad et l’islam radicalisé qui traverse le spectacle. Grâce à une création sonore réalisée à partir de bruits de bombardements, d’appels à la prière, de « soupirs de ceux qui font encore l’amour » et de circulation routière, l’ambiance créée saisit l’imaginaire du spectateur déjà plongé dans la langue des comédiens qui parlent en arabe. À cela, viennent s’ajouter des images de manifestations auxquelles aurait participé Taim qui préparait un film sur Damas au moment de l’accident – jamais la violence n’y est montrée. Le spectacle réussit à parler d’actualité à travers aussi bien le prisme d’images réelles ne montrant pas le sang que les médias nous ont déjà trop diffusé, et les sentiments singuliers de la famille de Taim où tous incarnent à leur manière une façon de résister, que ce soit dans le renoncement au niqab de sa sœur à l’avortement tant remis en question de sa compagne.

En explorant le chaos d’une ville qui n’évoque plus pour les occidentaux que le sang, l’auteur et le metteur en scène syriens assistés d’une troupe de jeunes comédiens talentueux parviennent à dire l’horreur d’une cité sans la montrer, et faire de la peine et l’égarement de ceux qui y vivent encore un acte de résistance.

Alors que j’attendais, de Mohammad Al Attar, mise en scène Omar Abusaada, avec Mohamad Al Refai, Mohammad Alarashi, Fatina Laila, Nanda Mohammad, Amal Omran, Mouiad Roumieh.

Festival d’Avignon, Gymnase Paul Giéra, 1, rue Paul Achard, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 14 juillet, relâche le 10, 18h30, durée 1h40.

Tournée : 18 au 20 août 2016 au Theater Spektakel (Zürich), 26 et 27 août au Festival Noorderzon de Groningen (Pays-Bas), 31 août et 1er septembre au Theaterfestival Basel (Suisse), 4 et 5 septembre à La Bâtie Festival de Genève (Suisse), 8 au 10 septembre au Schlachthaus Theater Bern (Suisse), 29 et 30 septembre au Vooruit de Gent (Belgique), 12 au 15 octobre au Tarmac dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, 26 et 27 octobre ay Onassis Cultural Center (Athènes), 18 et 19 novembre à Bancs publics – Festival Les Rencontres à l’échelle (Marseille), 24 au 26 novembre au Théâtre du Nord Centre dramatique national Lille Tourcoing Nord-Pas de Calais.




Avignon 2016 : « Fukushima, terre des cerisiers », cataclysme poétique

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Le 11 mars 2011 à 14h46 le plus important séisme mesuré au Japon suivi de près par un tsunami a lieu, causant entre autre l’arrêt des systèmes de refroidissement de la centrale nucléaire de Fukushima. Tenant compte des rejets radioactifs, l’accident nucléaire est le plus grave près de quarante ans après Tchernobyl. Alors que cette année 2016 est marquée par l’anniversaire de l’accident nucléaire Ukrainien dont le théâtre s’est emparé, notamment sur base des écrits de Svetlana Alexievitch, c’est au tour de Fukushima d’irradier les planches.

Plus que du théâtre documentaire. Dans « Fukushima, terre des cerisier », seule en scène, Brigitte Mounier entend certes informer et impulser un processus mémoriel sans renoncer à la poésie. En ne faisant pas du théâtre un lieu seulement voué à condamner un passé regrettable, l’actrice et metteure en scène esquisse le récit possible et impossible qu’il est possible de faire de Fukushima. Sur une scène dépouillée, seuls des panneaux de toile blanche et rouge coulissants font évoluer l’espace scénique destiné à recevoir le tremblement de terre, et l’actrice, témoin corporel de l’onde de choc par la chorégraphie impeccablement orchestrée qu’elle donne à voir en complément d’un déferlement de mots. Par des jeux d’ombres remarquables et un recours restreint à quelques objets significatifs comme les livres tombant du plafond pour s’écraser au sol au moment du récit du tremblement, à l’usage de la télécommande TV pour reancrer le récit dans un présent médiatique saisissant, Brigitte Mounier offre une performance délicatement menée. La douceur de ses gestes invite l’œil du spectateur à guetter l’eau du thé qui frémit et toutes ces actions quotidiennes effectuées par l’actrice pour parler tantôt du chant des oiseaux qui s’est tu, tantôt des chiffres de cet accident nucléaire devenu spectacle du monde.

Si la réflexion sur la catastrophe implique de poser des questions comme celle de la sortie du nucléaire et de la responsabilité des états dirigeants, la comédienne ne tombe jamais dans la gravité emphatique. Elle est aussi la voix des morts comme des survivants, alternant entre des mises en scène de panique sous les tables devenues revers de la vie et moments de chorégraphie de l’onde de choc, l’une des scènes les plus saisissantes de ce spectacle reste le moment d’immersion dans l’eau. Derrière l’un des panneaux se cache un aquarium radioactif, tout illuminé de lumière verte d’où des débris, comme un petit ours en peluche, s’échappent et coulent en une danse macabre. Intégralement plongée dans ce volume d’eau macabre, durant de longues minutes la comédienne d’abord coule comme ces corps emportés par la vague, ensuite se débat et se met à danser pour un moment hypnotique poignant qui va bien au-delà de tous ce que les mots.

Tout en sobriété, ce seul en scène sert un théâtre engagé qui n’oublie pas, et rappelle qu’au Japon et pour le monde, la catastrophe ne fait que commencer. La dictature du nucléaire y est admirablement dénoncée, parfois tournée en dérision, et questionnée. Si le dernier volet du spectacle aurait gagné à être davantage dynamisé par la danse, le résultat reste poétique et émouvant. Qu’adviendra-t-il de ce pays victime de la bêtise humaine d’où Fukushima est mondialement devenu le plutonium du peuple ? Qu’en est-il des océans et répercussions climatique préoccupantes comme les fissurations massives de l’Antarctique ?

Alors que le monde est en quête de réponses, à raison les cerisiers eux, sont en fleurs, indifférents à la rumeur des hommes.

Fukushima, terre des cerisiers, texte d’après « Fukushima, récit d’un désastre » de Michaël Ferrier, mise en scène Brigitte Mounier, Chorégraphie Antonia Vitti, avec Brigitte Mounier, production Compagnie des Mers du Nord/Ville de Grande-Synthe.

Festival d’Avignon, Théâtre Présence Pasteur 13, rue du Pont Trouca, 84000 Avignon, 07 82 90 08 21, jusqu’au 30 juillet, relâches les 9, 11 et 25, 14h, durée 1h10.




Avignon IN 2016 : « Ceux qui errent… » : quand la démocratie éclabousse

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

Sur une scène noire de laquelle n’émergent que des isoloirs blancs faisant office d’écran, une élue zélée entre et installe méticuleusement une urne en attendant l’arrivée du maire. À la capitale le bureau 14 est prêt, c’est jour de vote ! Alors que tout le monde prend place, les heures défilent et, toujours aucun électeur en vue, les isoloirs n’isolent personne : est-ce à cause de la tempête de pluie battante ? Les responsables du bureau aimeraient s’en convaincre, tous se mettent à appeler leurs proches à voter et deviennent fous à la vue du seul électeur venu, ce qui donne lieu à des scènes pleines d’humour au milieu du chaos. Lorsqu’enfin les électeurs se déplacent, le résultat est édifiant : le pays a enregistré un taux d’abstentionnisme record, 80% de votes blancs.

De là, tout s’accélère, les politiques sur-réagissent et la pièce s’emballe. Maëlle Poésy construit alors une comédie noire sur le monde politique et la démocratie. En effet, elle met tour à tour en scène un petit groupe de ministres reclus, tous stéréotypés et appelant à la comparaison avec notre propre paysage politique. Que se passerait-il si demain, un tel scénario avait lieu ? Dans la capitaless, un état d’inquiétude est proclamé, des cellules de crise, des collectifs d’infiltration pour la vérité sont créés et plutôt que de tenter d’écouter le peuple, on assiste aux revers du pouvoir et au recentrement des ministres sur leur petite personne. Pour eux, gouverner c’est mettre ses sujets hors d’état de vous nuire, qu’advient-il alors des libertés fondamentales de la démocratie une fois les « gens radicalisés » et devenus « nuisibles » ?

Finement orchestrée, la pièce met en lumière le fossé existant entre les politiques et le peuple et entre en écho direct avec le contexte actuel. Si l’on regrette quelques longueurs et que le spectacle aurait gagné à être plus ramassé pour ne pas souffrir de coupures de rythme, la scénographie est hypnotique, l’ambiance sonore et lumineuse est très réussie. Le chaos, signifié par la pluie qui envahit le plateau pour laisser place à une ambiance lourdement tropicale, laisse imaginer une capitale ravagée, irradiée par les actes fous des ministres. Prêts à sortir des lance-flammes pour réprimer un peuple inactif, ils se disent en état de siège bien que pour certains, les souvenirs du siège remontent à des cours de latin du collège.

Tournée en dérision avec lucidité, la soit disant franchise des politiques perd toute sa crédibilité dans ce spectacle, les mises en scène successives de discours télévisés achèvent de les rendre risibles. Bien assis, le public s’y retrouve d’autant plus invité à une remise en question qu’il est considéré comme ce peuple qui, rassemblé, détient le vrai pouvoir : la république est morte, vive la république !

Ceux qui errent ne se trompent pas, de Kevin Keiss en collaboration avec Maëlle Poésy, d’après « La Lucidité » de José Saramago. Mise en scène de Maëlle Poésy, avec Caroline Arrouas, Marc Lamigeon, Roxane Palazzotto, Noémie Develay-Ressiguier, Cédric Simon, Grégoire Tachnakian.

Festival d’Avignon, Théâtre Benoît XII 12 rue des Teinturiers, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 10 juillet.

Tournée : 5 novembre 2016 au Théâtre Firmin-Gémier (La Piscine), 8 novembre 2016 au Rayon Vert (Saint Valéry en Caux), 17 au 19 novembre 2016 au Théâtre du Gymnase-Bernardines (Marseille), 26 novembre 2016 à la Ferme du Buisson (Marne-la-Vallée), 1er et 2 décembre 2016 au Granit (Belfort), 5 au 18 décembre 2016 au Théâtre de la Cité Internationale (Paris), 10 et 11 janvier 2017 au Théâtre de Sénart, 18 et 19 janvier 2017 au Théâtre de Sartrouville, le 26 janvier 2017 au Phénix (Valenciennes), 31 janvier 2017 au Rive Gauche (Saint-Étienne-du-Rouvray).




« L’atelier en plein air » : Conter la Normandie contre vents et marées

oil on canvas
CAILLEBOTTE Gustave, Régates en mer à Trouville – 1884 – 60,3 x 73 cm – Huile sur toile – Toledo, Ohio. Lent by the Toledo Museum of Art. Gift of The Wildenstein Foundation © Photograph Incorporated, Toledo.

Un vent de liberté souffle sur la Normandie et ses plages de galets, tantôt embrumées ou baignées de clarté. Des falaises d’Étretat aux ports de pêches de Dieppe ou Honfleur, le musée Jacquemart André revient sur l’avènement du plein air dans la peinture impressionniste et ses influences anglaises manifestes. Si les maîtres sont au rendez-vous, de belles découvertes enrichissent cette exposition de qualité ; tel est le cas de l’artiste Charles Pécrus dont la postérité est certes plus confidentielle, mais qui occupe une place de choix dans le développement de ces ateliers à ciel ouvert. Si le contexte historique sert de prélude, la démarche géographique qui lui succède, permet une approche plus sensible des grandes villes normandes. Un parcours plein de charme, porté par une muséographie réussie aux tonalités naturelles et apaisantes.

 En 1880, Claude Monet s’exclamait : « Mais je n’ai jamais eu d’atelier et je ne comprends pas qu’on s’enferme dans une chambre. Pour dessiner, oui. Pour peindre, non ». Ce plaidoyer en faveur d’une peinture sur le motif et en plein air, cristallise les enjeux d’une révolution picturale née en Angleterre, et qui influencera les peintres de l’avant-garde française dès 1820. Aux œuvres éthérées et lumineuses d’un Richard Parkes Bonington ou d’un William Turner, le mouvement impressionniste doit en effet beaucoup : les aquarelles Lillebonne ou La Seine près de Tancarville peintes par Turner et exposées ici, dévoilent l’intérêt majeur que l’école anglaise portait à la Normandie, et à son atmosphère si particulière. Symbole de cet engouement, la ferme Saint-Siméon – ouverte en 1825 dans la ville d’Honfleur, devient un haut lieu de rassemblement artistique : Eugène Boudin, Gustave Courbet, Frédéric Bazille ou James Abbott Whistler pour ne citer qu’eux, sont autant de peintres qui s’y côtoient, et dont les échanges mèneront à l’élaboration d’une esthétique nouvelle.

TURNER William, Lillebonne, vers 1823, aquarelle, gouache, encre brune et noire, 13,4 x 18,5 cm, Oxford, The Ashmolean Museum. © Ashmolean Museum, University of Oxford.
TURNER William, Lillebonne, vers 1823, aquarelle, gouache, encre brune et noire, 13,4 x 18,5 cm, Oxford, The Ashmolean Museum. © Ashmolean Museum, University of Oxford.

Par la force des choses, la Normandie et ses plages deviennent l’endroit de villégiature par excellence, l’incarnation même de la mondanité. Toute la haute bourgeoisie s’y presse pour profiter de l’air marin et flâner Sur les planches de Trouville, telles que les peignait Monet en 1870. Dès lors, les pêcheurs de crevettes et les marins reprisant leurs filets, n’ont plus le monopole de ces paysages aux accents d’iode et d’embruns ; les kiosques à musique et les casinos fleurissent peu à peu dans le panorama normand. Les estivants aisés aiment aussi miser leur fortune tout en se divertissant ; dans La course de gentlemen, Edgar Degas saisit cet instant qui précède la chevauchée dans l’hippodrome, alors que les paris sont ouverts. De cette évolution sociale, les peintres savent tirer parti : galvanisée par ses nouveaux loisirs balnéaires, la riche population parisienne qui boudait les scènes de plage – dont le genre fut initié par Boudin dès 1862, devient la principale clientèle de ces productions.

PISSARRO Camille, Avant-port de Dieppe, après-midi, soleil - 1902 - Huile sur toile - 53,5 x 65 cm - Dieppe, Château-Musée. © Ville de Dieppe - B. Legros.
PISSARRO Camille, Avant-port de Dieppe, après-midi, soleil – 1902 – Huile sur toile – 53,5 x 65 cm – Dieppe, Château-Musée. © Ville de Dieppe – B. Legros.

De ports en falaises, le parcours prend des allures de flânerie ; on déambule au cœur de Dieppe – qui fut la première des stations balnéaires, du Havre ou de Cherbourg, où l’effervescence portuaire achève de supplanter la vision romantique d’une mer tempétueuse à l’écume brûlante. Les peintres tels Camille Pissarro dans L’avant-port de Dieppe, esquissent des foules de silhouettes qui foisonnent sur les digues et qui se mêlent aux navires arrimés. La même agitation transparaît dans les toiles de Charles Pécrus que l’exposition n’hésite pas à mettre en avant ; cette diversité du regard, qui ne s’attache pas seulement aux grandes figures de l’impressionnisme, est d’ailleurs l’une des grandes forces de « L’atelier en plein air ». Boudin quant à lui, préfèrera vouer sa palette à la lumière, aux variations célestes des côtes de la Manche ; et Berthe Morisot se consacrera à l’étude de la perspective dans des compositions aux vues plongeantes.

MONET Claude, Falaises à Varengeville dit aussi Petit-Ailly, Varengeville, plein soleil - 1897 - Huile sur toile, 64 x 91,5 cm, Le Havre, Musée d’art moderne André Malraux © MuMa Le Havre / Charles Maslard 2016.
MONET Claude, Falaises à Varengeville dit aussi Petit-Ailly, Varengeville, plein soleil – 1897 – Huile sur toile, 64 x 91,5 cm, Le Havre, Musée d’art moderne André Malraux © MuMa Le Havre / Charles Maslard 2016.

Dans son écrin de craie blanche, usée par les éléments, la côte d’Albâtre offre aussi une multitude de motifs pour ces peintres épris de nature. Face à ces abruptes falaises, ils resteront fascinés par les changements de luminosité, les nuances du ciel ou de l’eau qui évoluent au rythme des marées. Cette recherche de l’éphémère se retrouve dans la toile Falaises à Varengeville de Monet, où les couleurs s’entrelacent et les contours se font évanescents.

A travers ce parcours riche de plus de quarante œuvres, la Normandie dévoile ici tout son éclat, et l’on comprend pourquoi les artistes aimaient tant y installer leur chevalet. Alliant diversité naturelle des paysages, patrimoine architectural précieux et douceur de la vie au grand air, les villes balnéaires normandes restent aujourd’hui encore, une destination très prisée. Et si l’exposition prend des allures de promenade séduisante, elle n’en exclut pas pour autant, la qualité du discours et la richesse intellectuelle : une part de rêve et de lumière dans la grisaille parisienne.

Thaïs Bihour

« L’atelier en plein air » – L’exposition se tient jusqu’au 25 juillet 2016 au Musée Jacquemart André. Plus d’informations sur http://www.musee-jacquemart-andre.com/




« Divorce au scalpel » : comment réussir sa séparation ?

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« Divorce au scalpel » actuellement jouée au Grand Point Virgule et mise en scène par Jean-Philippe Azéma est une pièce piquante à l’humour décapant sur le divorce. Tout a lieu dans l’intérieur d’un appartement chaleureux partiellement meublé chez Ikéa, assez banal pour que le spectateur ne peine pas à s’y projeter. Orianne et Aurélien y coulaient des jours heureux jusqu’à ce que, jeunes divorcés, ils se retrouvent contraints d’y vivre et de partager un espace devenu trop étroit pour un couple prêt à se tuer à cause d’une cuvette de toilettes restée levée.

Tout commence alors que les divorcés parviennent tant bien que mal à cohabiter, jusqu’à ce que la belle-mère débarque avec l’idée de venir fêter avec eux leur anniversaire de mariage qu’eux-mêmes avaient oublié. En à peine quelques minutes, les situations folles s’enchainent. Au frigo cadenassé par Orianne étant la seule à ramener un salaire, s’ajoute la recherche des alliances balancées dans l’aquarium du poisson rouge pour faire croire à l’invitée surprise que le mariage tient toujours. Rapidement, l’appartement devient un champ de bataille où les divorcés finissent par ériger un mur improbable entre leurs deux parties arbitrairement choisies. Si Orianne gagne le canapé, Aurélien a la porte d’entrée et son droit de passage. Dans cet espace plein de surprises, le jeu des comédiens, souvent exagéré, notamment celui du psychologue d’Orianne sensé les aider avec qui elle a une relation, en dit pourtant beaucoup sur ce que vivent les divorcés forcés de se supporter le temps de retrouver un appartement et parfois, un travail. Avec un rythme fou malheureusement alourdi par une création sonore qui manque de finesse, les personnages se font des crasses, le résultat est jubilatoire. On regrette que certains traits de leurs personnalités aient été trop caricaturés ou que les costumes, comme ceux de l’ex-femme d’Aurélien, frôlent la vulgarité.

Bien écrit et dirigé, le spectacle aurait gagné à être épuré, moins parasité par des détails qui parfois couvrent un jeu malgré tout très maitrisé. Qu’à cela ne tienne, cette comédie incisive sur le couple et le divorce promet sinon des conseils pour réussir sa séparation, au moins d’être un exemple de ce que se séparer peut avoir de plus délirant dans la vie quotidienne.

« Divorce au scalpel », de Frédérique Fall et Alain Etévé, mise en scène de Jean-Philippe Azéma, actuellement au Grand Point Virgule, 8bis, rue de l’Arrivée, 75015 Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur www.legrandpointvirgule.com