« Vu du pont », d’Arthur Miller. Si l’auteur est principalement connu en France, pour avoir été l’un des maris de Marylin Monroe, la pièce, elle, ne semble pas – a priori – être un chef-d’œuvre. Ivo van Hove, dans le n°16 de la Lettre de l’Odéon, évoque pourtant « l’urgence qu’il y a de [la] monter », et en effet sous sa baguette, l’évidence fuse.
C’est l’histoire d’Eddie Carbone, de sa femme Béatrice et de leur nièce Catherine ; immigrés ou descendants d’immigrés italiens. Tous trois vivent dans un appartement minuscule du côté de Brooklyn. Par altruisme, ils accueillent deux cousins de Béatrice qui débarquent clandestinement d’Italie pour tenter de gagner leur vie en fuyant un pays où les perspectives professionnelles sont inexistantes. Marco et Rodolpho s’avèrent être de bons travailleurs mais, bien vite, Catherine tombera amoureuse de ce dernier. Les jeunes gens prévoient même de se marier. Eddie en devient fou de rage, et passablement amoureux de sa nièce, il ne supporte pas l’idée de son départ. Cette situation dramatique bien construite laisse une grande place au développement psychologique des personnages. Ivo van Hove, en génie de la mise en scène, s’en donne à cœur joie. Le moindre geste, les regards et les frôlements, tout concorde à mener le spectateur vers l’explosion du drame qui sera, on le comprend vite, sanglant.
Charles Berling montre ici toute l’étendue de son talent. Sympathique, inquiet, amoureux sans le savoir, ouvertement jaloux, prêt à tout pour garder son amour près de lui, il en vient à se trahir lui-même et détruire sa propre vie jusqu’à en mourir. Il impressionne par l’évolution que suit son personnage, la légèreté des gestes et les sourires laissent de plus en plus place à la lourdeur du pas et aux cris. Sa souffrance est palpable et son amour, qu’il vivra toujours comme innocent, voire même inexistant, jaillit par chacun de ses pores. Caroline Proust, qui joue sa femme, est d’une justesse touchante. Sa force, son courage jaillissent peu à peu sur la nièce, interprétée par Pauline Cheviller qui, si elle est d’abord une incarnation de la fraîcheur, deviendra haineuse et triste. Son oncle l’a souvent prévenue de la trahison dont pouvait faire preuve les hommes qu’elle allait rencontrer. Elle n’a jamais voulu le croire et il en devient l’exemple le plus violent. Enfin, il ne serait pas juste de ne pas mentionner Nicolas Avinée et Laurent Papot, frères à la scène que tout oppose, vivant différemment leur rêve américain. Alain Fromager, narrateur du drame, conte justement cette histoire sordide dont il est pourtant le personnage le plus éloigné.
La splendeur réside aussi et d’abord dans la scénographie. Un rectangle blanc autour duquel les spectateurs sont installés de trois côtés. Le visage des acteurs n’est pas forcément visible en fonction de la place que l’on occupe dans la salle. Peu importe, par cette occupation de l’espace, van Hove réussit à nous faire voir chacun des lieux dans lesquels se déroulent les scènes. Dans l’appartement de Brooklyn, sur le perron… C’est si simple et pourtant si beau.
De cet assemblage entre acteurs et décor naît la matérialisation de l’urgence dont parlait van Hove. Il montre à quel point les immigrés sont, avant tout, des êtres humains. Comment être plus dans la nécessité de ce que doit montrer le théâtre aujourd’hui ?
« Vu du Pont » d’Arthur Miller. Mise en scène d’Ivo van Hove, jusqu’au 21 novembre aux Ateliers Berthier, 1 rue Andre Suares, 75017, Paris. Durée : 1h55. Plus d’informations et réservations sur www.theatre-odeon.eu/
Un « Roi Lear » entre boulevard et grand guignol
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Monter le Roi Lear de Shakespeare à la Madeleine a conduit Jean-Luc Revol a prendre de multiples risques. D’abord, celui de transposer l’action dans un tournage de film des années 30, où projecteurs et pétards à amorces sont les accessoires les plus manipulés par les acteurs. Autre élément remarquable : le nombre de comédiens sur scène. Ils sont une quinzaine, ce qui pour une production de théâtre privé (entendez : avec l’obligation de réaliser suffisamment de bénéfices pour payer tout le monde), est particulièrement exceptionnel.
Heureusement, la transposition est effectuée sans toucher au texte. Jouer Shakespeare « en costume » aujourd’hui serait probablement jugé de très mauvais goût. Ici, les multiples intrigues de la pièce sont claires et si, d’aventure, un spectateur ne connaît pas « l’histoire » du Roi Lear, cette version est d’une grande lisibilité. On comprend tout.
Les acteurs se mettent au service du drame. Au premier rang desquels Michel Aumont qui sombre peu à peu dans la folie avec finesse. Bruno Abraham-Kremer est aussi un Kent excellent. Arnaud Denis et Jean-Paul Farré nous captent aussi par la profondeur et les nuances de leurs personnages. On regrettera le jeu trop dramatique de Marianne Basler. Beaucoup trop de sincérité se dégage de ce personnage de fille hypocrite conduisant son vieux père à la déraison.
Quelques légères maladresses dans la mise en scène peuvent gêner l’expérience théâtrale : les chorégraphies de combats, la musique et quelques morts trop longues conduisent le public à rire dans des moments tragiques. Bien que, parfois, des instants comiques jalonnent le drame, comme c’est souvent le cas chez Shakespeare.
Au final, on garde de ces 2h40 de représentation une sensation agréable : pas de colère ni d’ennui. Un spectacle complet et plaisant, qui ne manquera pas de se parfaire, espérons-le, tout au long de la saison.
« Le Roi Lear » de William Shakespeare. Mise en scène de Jean-Luc Revol, actuellement au Théâtre de la Madeleine, 19 rue de Surène, 75008, Paris. Durée : 2h40. Plus d’informations et réservations sur www.theatre-madeleine.com/.
Duris, Foïs, Ulliel et Demoustier hantent le Rond-Point
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« Démons » tente de montrer la déchéance amoureuse de Frank et Katarina. Un verre de whisky traîne près du lit au réveil, et tous deux fument sans cesse. Ensemble pour mourir ? Se séparer ? Ou bien continuer dans l’oppression vers plus de déchéance ? Arrivés dans une situation où tout ce qui est l’autre dérange, l’impossibilité de quitter cet autre semble se dresser comme un mur infranchissable entre deux vies possibles. Un lien cruel qui entretient cependant l’amour, alors que faire ?
Ce couple a besoin qu’il se passe quelque chose, trouver un substitut afin d’oublier cette misère affective. S’aimer au dépend d’autres ? Pourquoi ne pas diriger toutes les pulsions sadiques qui les animent vers les voisins du dessous. Inviter ces innocents, les humilier pour finalement s’aimer de nouveau. Cette rencontre, faussement impromptue, créée une situation étrange, quelques mots choquants sont échangés et, tour à tour, Katarina et Frank tentent de se faire le voisin, où la voisine, tout dépend…
Peut-être, les coupes dans le texte sont trop importantes. Cette longue pièce est ici réduite à moins de deux heures, avec de nombreux passages de mise en scène pure. Marcial Di Fonzo Bo nous prive ainsi de l’aspect lancinant du texte, faisant de cette situation de sadisme salace où les démons pourraient surgir, une bête orgie foireuse d’où personne ne sort transformé. On ne sent que l’amorce du découpage incisif que Noren fait du couple bourgeois moderne, la répétition, un aspect pasolinien tout juste effleuré. Car la situation est banale, elle pourrait tenir en une phrase, tout l’intérêt est l’analyse de la relation entre les personnages.
Des personnages incarnés par des acteurs de cinéma : Romain Duris et Marina Foïs – que l’on entend bien au théâtre, remarquons-le ! – dans le rôle du couple invitant Anaïs Demoustier et Gaspard Ulliel : Jenna et Tomas. Duris est cavalier un peu (trop) classe pour le rôle. Très charismatique, il manque néanmoins de noirceur. Ses Démons sont invisibles. Pourtant, il sait jouer des personnages complexes – au cinéma du moins, dans De Battre mon cœur s’est arrêté. Demoustier est gauche et manque d’élégance, comme le rôle lui demande de l’être et Ulliel, s’il nous surprend d’abord lors de son entrée sur scène, en jouant un personnage à contre emploi de sa carrière de mannequin, nous ramène vite à la réalité par son manque de nuance.
Soulignons néanmoins que, dans la mise en scène de Di Fonzo Bo, les deux mondes qui s’affrontent sont bien marqués. L’élégance ostentatoire des premiers contraste fortement avec ce couple de jeunes parents qui prend les premiers vêtements de la pile pour s’habiller le matin. Quand ça pète entre les pauvres – parce que chez Jenna et Tomas tout n’est pas rose non plus – les riches se délectent.
Malheureusement, d’une telle situation se dégage trop peu de tension et fait alterner quelques belles scènes et temps d’ennui. La disparité du niveau de jeu entre les acteurs achève ce tableau qui manque, malgré la perspective offerte par la scénographie, sincèrement de profondeur.
« Démons » de Lars Noren. Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo, jusqu’au 11 octobre au Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin Roosevelt, 75008, Paris. Durée : 1h50. Plus d’informations et réservations sur theatredurondpoint.fr.
Broodthaers à la Monnaie de Paris
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« Une fiction permet de saisir la vérité et en même temps ce qu’elle cache »
Marcel Broodthaers, Communiqué de presse, Documenta 5, Kassel, juin 1972.
Après avoir montré au public la Chocolate Factory de Paul McCarthy, la Monnaie de Paris présente actuellement une exposition consacrée à Marcel Broodthaers (1924 – 1976), artiste belge à l’œuvre protéiforme qui a largement participé au tournant artistique des années 1960. Après trois années de recherches effectuées par la commissaire de l’exposition, Chiara Pisari avec Maria Gilissen-Broodthaers et Marie Puck-Broodthaers, le projet vu le jour en 2015.
Nous partons dès lors à la rencontre d’un artiste à la carrière tardive, puisqu’il ne la débute qu’à quarante ans. D’abord poète et homme de lettres, libraire, reporter photographe, puis critique d’art, il coule en 1963 cinquante exemplaires de son dernier recueil de poèmes, Pense-Bête, dans du plâtre. Ainsi commence la carrière de l’un des artistes les plus importants de la seconde moitié du XXème siècle.
Marcel Broodthaers est connu pour ses assemblages et ses accumulations, faits de matériaux pauvres tels des moules ou des coquilles d’œufs. Mais c’est une toute autre œuvre que nous découvrons à la Monnaie de Paris. Ainsi, dans cette courte carrière artistique, Broodthaers consacre quatre années à un projet ambitieux : le Musée d’Art Moderne – Département des Aigles (1968-1872). Il s’agit d’une œuvre majeure de l’artiste, projet à la fois conceptuel et hermétique, mais aussi absurde et provoquant, qui n’a ni lieu fixe ni collection permanente. Dans le contexte de l’année 1968 à Bruxelles, ce projet s’inscrit dans un climat européen contestataire, à l’heure des grands questionnements sur les changements de la société et sur les institutions artistiques. En 1968 Marcel Broodthaers s’autoproclame dans des Lettres ouvertes « directeur » et « conservateur » du Musée, qui est inauguré dans son appartement la même année, avant de prendre son envol pour différentes villes européennes (Angers, Düsseldorf, Kassel…). Ce musée est composé de onze « sections » qui seront créées au fur et à mesure et qui retracent la vie d’un musée traditionnel : des salles exposant des objets agencés selon une scénographie réfléchie, la publicité autour de l’institution et sa promotion, les documents d’archive du musée… L’espace regroupe ainsi tant bien des képis militaires, des statues et dessins, des emballages de cigares, des lithographies, des panneaux de signalisation, ou encore des cartes postales de peintures du XIXème siècle scotchées au mur. Peu d’homogénéité donc, au risque de perdre le visiteur parfois.
Une question s’impose à nous de prime abord : pourquoi exposer Marcel Broodthaers dans un lieu aussi emblématique et historique que la Monnaie de Paris ? C’est la Section Financière qui semble dénouer ce paradoxe. En effet, le comble de l’ironie est atteint lorsque l’artiste annonce, en 1970-71, que le Musée est « à vendre pour cause de faillite ». C’est à ce moment-là qu’est créée la Section Financière, composée d’un lingot d’or d’un kilogramme, frappé d’un aigle par la Monnaie de Paris elle-même, qui sera vendu deux fois la valeur de l’or de l’époque pour collecter des fonds pour la sauvegarde du Musée. Le lingot d’or présenté à la Monnaie de Paris est celui acheté par l’artiste contemporain Danh Vo. Ainsi, c’est précisément dans ce lieu fabriquant l’argent depuis des siècles, s’interrogeant sur le devenir de ses collections, que l’œuvre de Broodthaers est la plus à même de trouver un écho : celui-ci questionnant sans cesse le rapport de l’art à l’argent, sa valeur financière et ses liens à l’institution muséale.
Le visiteur doit être averti que la Monnaie de Paris ne présente que des « détails » de ce musée fictif – l’exhaustivité étant impossible à atteindre pour des raisons matérielles. C’est la première fois que ces détails sont reconstitués, et ce grâce aux prêts des mêmes institutions, antiquaires et collectionneurs auxquels l’artiste avait originellement fait appel. Non seulement, selon Chiara Pisari, une présentation exhaustive trahirait la conception que Broodthaers avait du Musée, mais encore, les demandes de prêts aux différentes institutions prêteuses de l’époque – notamment le Musée du Louvre, le Musée des Arts Décoratifs de Berlin, le Victoria & Albert Museum ou encore le Musée Ingres – furent sans aucun doute suffisamment complexes ainsi.
Le parcours de l’exposition à la Monnaie de Paris est composé de onze salles, qui reprennent les onze « sections » du Musée : la Section des Figures, la Section Publicité, ou encore, la Section Financière. Ces différentes sections sont réparties entre les salons sur Seine du bâtiment parisien, disposés en enfilade et relativement homogènes – murs blancs, parquet au sol, et dimensions semblables. Chaque section peut être comprise comme une réflexion sur une question ayant trait au rapport de l’art à l’institution muséale, sa valeur marchande, la relation entre l’image et le langage, la copie et l’original, pour n’en citer que quelques unes.
Le spectateur débute sa visite avec l’œuvre présentée dans le Salon d’honneur, la Salle Blanche (1975). Il s’agit d’une reconstitution de la pièce de l’appartement de Broodthaers, à Bruxelles, dans laquelle ce dernier a inauguré le Musée d’Art Moderne. Les murs sont recouverts de mots ayant accompagné sa démarche artistique tout au long de sa carrière. On ne peut qu’être subjugué par la beauté de l’espace d’exposition, le Salon d’honneur, dans lequel la Salle Blanche, bien que d’une taille conséquente, semble disparaître.
Dans la suite du parcours, on est amené à réfléchir au rapport entre l’image et sa représentation, l’original et la copie, la fiction et le réel. Cela est particulièrement sensible dans la Section Publicité, présentant des photographies des objets montrés dans la Section des Figures. Marcel Broodthaers pose explicitement la question de la reproductibilité de l’œuvre d’art, se plaçant dans l’héritage de Walter Benjamin, et ajoute un double niveau de lecture lié à la publicité, plaçant dès lors de spectateur dans une position de consommateur.
La Section des Figures, salle centrale et emblématique du Musée, réunit ici près de 266 objets sur les 500 recensés dans le catalogue d’origine. Lorsque l’on pénètre dans cette salle, on en vient à se demander pourquoi cette utilisation de l’aigle ? Pourquoi en avoir fait le symbole de ce musée et lui avoir consacré tout une section ? Il va sans dire que l’on est en face d’un symbole ambigu : à la fois allégorie du pouvoir et de l’impérialisme, symbole de Jean l’Evangéliste, mais encore, symbole de noblesse. L’artiste joue de cette ambiguïté pour approfondir sa recherche sur le lien entre l’art, le mot, le langage, la pensée et l’image. Le visiteur peut se sentir décontenancé face à ces centaines d’objets représentant des aigles, car ce symbole est leur seul point commun, ce qui pose un problème de cohérence dans le propos. On est en outre frappé de voir que les œuvres d’art côtoient les bibelots, placés de manière égale sous vitrine avec tous pour même cartel : « Ceci n’est pas un objet d’art » (traduits en Allemand et en Anglais). Le ton est donné. Non seulement, Broodthaers interroge la notion de valeur artistique, mais en outre il cite explicitement son ami Magritte, en référence à l’œuvre devenue icône La trahison des images (1929), représentant une pipe sous-titrée de la mention « Ceci n’est pas une Pipe ». Enfin, l’on peut également rattacher cette pointe d’humour à l’héritage duchampien, qui a remis en cause la notion de valeur artistique institutionnalisée.
Un point nous heurte alors, c’est le parti pris de l’absence totale de cartels explicatifs. La Monnaie de Paris fait le choix de présenter au public français une œuvre particulièrement complexe et conceptuelle, faisant écho tant aux pratiques poétiques de l’artiste et de ses modèles tels Baudelaire ou Mallarmé, qu’à des références philosophiques et artistiques. Dès lors, proposer une approche dite intuitive, sans aucune explication, paraît être un manque sérieux de considération pour la compréhension du spectateur. Néanmoins, l’institution tente de pallier à ce manque par la distribution d’un livret explicatif, adapté à un public jeune ou mature, et par la présence de médiateurs culturels pouvant, si besoin est, fournir des informations au visiteur.
En outre, des incohérences surgissent dans l’organisation de l’exposition et dans le respect de ses promesses, à savoir la reconstitution fidèle du Musée tel que l’avait pensé l’artiste. Nous pensons notamment à l’œuvre Monsieur Teste qui n’était pas originellement présentée dans le Musée d’Art Moderne. Cette œuvre est pourtant montrée à la Monnaie de Paris pour la simple raison que, selon l’aveu de Maria Gilissen-Broodthaers, l’équipe voulait ajouter « une touche d’humour à l’exposition ». Or, la démarche de Marcel Broodthaers est déjà marquée par une forte dimension humoristique, qui n’apparaît que très peu dans la présentation proposée par la Monnaie de Paris. Les œuvres font sourire le spectateur lorsque l’ironie est assez claire pour être entendue, mais leur agencement dans l’espace d’exposition est austère et figé. Il s’agit d’un projet démesurément fou, ce que le spectateur ne perçoit que sporadiquement, probablement en raison d’une mise en scène très conventionnelle et d’un manque cruel d’explications.
L’exposition de la Monnaie prend fin avec la Section Cinéma, pour laquelle n’a été gardée que l’œuvre Cinéma Modèle (1970), un ensemble de films qui prennent appui sur les modèles littéraires de l’artiste, renforçant la dimension poétique de l’œuvre cinématographique de Broodthaers. On y trouve par exemple des références à Kurt Schwitters avec La Clef de l’Horloge (Un poème Cinématographique en l’honneur de Kurt Schwitters » (1957), à Magriite avec La Pipe (1969) ou encore La Fontaine avec Le Corbeau et le Renard (1967).
Ainsi, la Monnaie de Paris a fait le choix de présenter au public français un artiste contemporain essentiel, qui a marqué de son empreinte les principaux courants artistiques des années 1960 : le groupe Fluxus, l’art conceptuel, le Pop Art, ou le Lettrisme. Il a exercé une influence notable tant bien sur ses contemporains tels Joseph Beuys, Hans Haacke ou Daniel Buren, que sur les générations suivantes, comme Mike Kelley ou bien sûr, Danh Vo. Ce dernier par exemple a été largement inspiré par l’artiste belge. Non seulement il collectionne à la manière de Broodthaers, mais encore il crée des environnements inspirés de décors datant de la fin de la carrière de son modèle.
Du reste, la Monnaie de Paris rend hommage à un artiste capable de transformer une exposition en une véritable œuvre d’art, complexe et hermétique, mais riche et stimulante. Avec cette critique du voir et du montrer, de la mise en scène d’une exposition et bien entendu, du musée, l’artiste ouvre à des questionnements éminemment contemporains et toujours d’actualité.
Pour finir, laissons la parole à l’artiste : « Le Musée d’Art Moderne – Département des Aigles est tout simplement un mensonge et une tromperie… Le musée fictif essaie de piller le musée authentique, officiel, pour donner davantage de puissance et de vraisemblance à son mensonge. Il est également important de découvrir si le musée fictif jette un jour nouveau sur les mécanismes de l’art, du monde et de la vie de l’art. Avec mon musée, je pose la question. C’est pourquoi je n’ai pas besoin de donner la réponse. » (Marcel Broodthaers, 1972)
Morgane Walter
« Marcel Broodthaers – Musée d’Art Moderne – Département des Aigles » – L’exposition se tient jusqu’au 5 juillet 2015 à la Monnaie de Paris, 11, Quai de Conti – 75006 Paris – Métro Pont-Neuf, Odéon ou Saint-Michel (lignes 4, 7, 10). Ouvert tous les jours de 11h à 19h. Tarifs : 12/8€. Plus d’informations sur www.monnaiedeparis.fr