1

[Exposition] « Potente di fuoco» : métamorphoses animales au prisme du temps

Potente di fuoco © Ericailcane

Au Musée du Temps de Besançon, cerné d’horloges et de trotteuses galopantes, le street artist italien mondialement connu Ericailcane / Leonardo, dévoile son incroyable bestiaire aux mille métamorphoses. Dans cette exposition au titre évocateur, « Potente di fuoco – Les âges de la vie », il se penche sur ses dessins d’enfant, à l’aune de son regard d’adulte. « Inventeur d’animaux » comme le surnomme son père, le petit Leonardo se retrouve pris dans l’engrenage du temps : les diptyques exposés, où ses illustrations enfantines et leurs réinterprétations se font face, tissent la trame d’un imaginaire permanent confronté au cycle de la vie. Une belle occasion de (re)découvrir l’artiste et son univers captivant.

Potente du fuoco © Ericailcane

Né à Belluno au nord de l’Italie dans les années 1980, Ericailcane côtoie le milieu naturaliste dès son enfance aux côtés de son père. Fasciné par la nature et le monde animal, ses œuvres se parent de créatures anthropomorphes qui, dans leur beauté ambigüe, dessinent les travers de la société humaine. Inspiré par l’imagerie zoomorphe du caricaturiste Grandville, ses bêtes étranges mêlent la précision d’un biologiste à l’iconographie fantastique et effroyable d’un Jérôme Bosch ; un jeu permanent entre tension et poésie, que l’artiste exprime dans ses fresques au cœur de l’espace urbain.

Ici, loin du regard des passants, les œuvres sont plus intimistes, centrées sur l’espièglerie d’un garçon de cinq ans à l’imagination foisonnante : les dessins – précieusement conservés par ses parents, racontent des histoires de grenouilles-pirates hissant le drapeau noir, d’oiseaux aux allures d’avions ou de hérissons cueilleurs de cerises.

Potente du fuoco © Ericailcane

Vingt ans plus tard, à travers le prisme du temps, la candeur s’efface devant l’expérience vécue ; hostilité entre espèces, armes tranchantes et gueules aux rictus inquiétants, sont désormais l’apanage de ces animaux modernes.

A la fois émerveillé et bouleversé, on ne sort pas indemne d’une telle confrontation : l’innocence du petit Leonardo, blesse l’adulte en nous comme un coup de poignard. Ainsi, perchées en équilibre entre onirisme naïf et cruauté du monde, les silhouettes anthropomorphiques d’Ericailcane esquissent à la seule force de feutres de couleurs, une incroyable odyssée du vivant.

Thaïs Bihour

« Potente di fuoco – Les âges de la vie » – L’exposition se tient au Musée de Temps de Besançon jusqu’au 17 septembre 2017. Plus d’informations sur : http://www.mdt.besancon.fr/

L’exposition est présentée en parallèle de l’édition 2017 du festival Bien Urbain – parcours artistiques dans l’espace public –, et qui accueille cette année l’artiste Ericailcane (http://www.ericailcane.org). Pour en savoir plus : http://bien-urbain.fr/fr/




Un Goya décousu, fou et faux au théâtre de l’Atalante

caprices

Peu à peu, le festival de Caves, qui se tient au mois de mai dans la région de Besançon, tente de s’exporter à Paris. Pour l’occasion, le petit théâtre de l’Atalante accueille un spectacle créé sur un texte contemporain de José Drevon, lui-même écrit d’après l’œuvre du peintre espagnol Francisco de Goya (1746 — 1828).

C’est en fait une interprétation émotionnelle des célèbres gravures (Los Caprichos) qui nous est montrée ici. Devant le spectateur, très proche, Francesco de Goya (Maxime Kerzanet) est allongé sur une table, sorte d’espace de dissection mentale. Il est en pleine crise d’angoisse. Jamais il ne quittera ce territoire délimité. L’homme souffle, se parle, tente de contrôler sa douleur psychique en ce lieu extrêmement prégnant. À l’abri des regards, il rejette en bloc la société espagnole du roi Charles IV : le clergé, les femmes, les manières aristocratiques, avec une grande force. Les images qu’il emploie dans ce but sont claires. Nous voyons alors un peintre seul face à sa feuille, exorcisant, par le dessin, ses démons.

Malheureusement, malgré une performance d’acteur notable, une belle lumière (de Christophe Forey) et une mise en scène fine (de Guillaume Dujardin), le spectacle ne nous saisit pas. En cause ? La partition, le texte, assurément. L’auteure fantasme Goya comme s’il était Baudelaire écrivant Spleen IV, or, bien que reconnu en tant que peintre de l’horreur, de la violence et d’une certaine folie, Goya n’est pas celui du délire. Ses Caprices sont en fait bien réfléchis, pesés, et font l’objet de nombreuses études dont l’une d’entre elles a montré dernièrement que tout était calculé : même la date de sortie dans le commerce des Caprices est prévue au moment précis de la dernière pleine lune d’un cycle astronomique important de la fin du XVIIIe siècle. Alors qu’ici sur scène, le texte montre un Goya fou, à moitié nu, prisonnier d’une cave afin d’expurger sa folie dans la solitude, mais ses Caprices avaient pour but d’être diffusés à un public très large, rien n’était enfoui, rien n’indique que c’est le résultat d’un délire nocturne du peintre.

caprice1

Bien sûr, José Drevon fait ici un choix extrêmement libre, et sa vision n’est pas mauvaise, puisque c’est celle d’une artiste, son cri. Mais cela ne suffit pas à lui donner la contenance nécessaire à susciter un intérêt : il est décousu, passant du coq à l’âne sans logique, sauf celle de la démence, encore. Mais le délire, s’il ne mène nulle part, à quoi bon l’exhiber ? L’acteur termine dans la même position que celle par laquelle il nous est apparu, montrant ainsi qu’il est cloisonné dans une crise répétitive, ce qui est en plus en contradiction avec la sortie de ses démons sur le papier montrée quelques minutes avant. Tous ces mots ne semblent que style au détriment d’un véritable fond.

Du coup, le beau dispositif scénique et l’écrin particulier dans lequel on essaye de plonger le spectateur ne fonctionnent pas. À quel public s’adresse-t-on ? Le spécialiste ne verra pas Goya, l’amateur en aura une image saugrenue, et si la destination n’est pas d’apporter un témoignage biographique, ce qui semble être le cas ici, l’ennui guette et surgit plus vite que les brûlantes angoisses vécues par le personnage évoluant sur scène.

Pratique : « Caprices », jusqu’au 24 juin au théâtre de l’Atalante (18e arrondissement). Horaires et réservations sur www.theatre-latalante.com et par téléphone au 01 42 23 17 29.




Sébastien Ménestrier – Pendant les combats

Un premier roman est entouré d’un grand nombre d’inconnues.

Pour l’auteur bien sûr, soucieux de savoir comment va être accueilli son ouvrage, quel positionnement on voudra bien lui accorder, quelles inspirations vont lui être prêtées.
Pour l’éditeur ensuite, qui fait là un véritable pari, comme un numéro de voltige sans le filet que peuvent constituer les précédents opus de l’auteur.
Et pour le lecteur enfin. Que penser en effet devant un premier roman ? Il y a bien la quatrième de couverture qui nous renseigne sur les grandes lignes du récit. Parfois même quelques critiques piochées à droite à gauche. Et puis les extraits entrevus en librairie avant de se décider.
Mais peu d’indications sur l’univers dans lequel il s’apprête à pénétrer, sur le succès de la communion à venir.

« Pendant les combats » est le premier roman de Sébastien Ménestrier.
Et très vite, les craintes s’envolent, en même temps que les personnages s’ancrent dans l’imaginaire du lecteur.

Il y a là Ménile et Joseph, deux amis, autrefois adolescents complices, désormais engagés dans une cause commune, la Résistance.
La force du récit tient en cette petite centaine de pages.
Puissantes.
Concises.
Bouleversantes.

Sébastien Ménestrier, qui s’était déjà illustré avec un premier récit (Heddad, aux éditions La Chambre d’Echos), nous dépeint ici l’absurde simplicité de la tragédie humaine : la lâcheté des hommes apparaît plus forte que leur amour. L’espoir disparaît derrière la triste réalité de la condition humaine et de ses faiblesses.

Seul regret, un auteur n’a qu’un premier roman …
Le lecteur n’a donc qu’une seule fois le plaisir d’éprouver ce mystère avant de s’engouffrer dans un univers totalement inconnu, vierge de comparaisons, puis l’intense satisfaction (et un brin de soulagement) de s’y trouver à son aise, face aux forces de l’écriture et de l’Histoire.

Extrait 1 :
« Plus tard, leurs cigarettes consumées, il a entrepris de se mettre debout, lentement, sans faire tomber le cendrier, posé entre eux. Il y est parvenu, puis Joseph a fait de même, et ils se sont retrouvés tous les deux, debout, sur le lit, stupides, ravis. »

 

Extrait 2 :
« Il n’avait rien dit pour que Ménile ne soit pas mis à l’écart. Il avait été en face d’Adrien, il avait pensé dire un mot, au moins ça, et puis il n’avait rien dit. Il n’avait pas voulu être mêlé, devant ce garçon, devant le campement tout entier, à celui qui avait démérité. »

 

Couverture
Couverture

 

Pendant les combats, Sébastien Ménestrier
Ed. Gallimard, collection Blanche
96 pages, 9,50€
ISBN : 978-2-07-013959-0