Jean-Baptiste Huet, ou l’exaltation perpétuelle de la nature
Au cœur d’un espace intimiste, le musée Cognacq-Jay offre à l’artiste Jean-Baptiste Huet, sa première grande exposition monographique. A travers plus de 72 œuvres, ce parcours esquisse toute la richesse iconographique de cette figure du XVIIIème siècle, aujourd’hui méconnue. Pourtant, de ses compositions animalières et végétales, ou de ses décors pour toiles de Jouy, émane une indéniable délicatesse, une élégance emplie de légèreté.
Dès l’entrée, la toile Un dogue se jetant sur des oies attire le regard : affolés mais courageux, les volatiles se dressent pour protéger leurs petits de l’animal revêche. Présentée au Salon de 1769, l’œuvre puise son inspiration dans les thèmes animaliers traditionnels du Siècle d’or hollandais, tout en renouvelant le motif : imposante, cette œuvre surprend par sa vraisemblance où chaque détail est magnifié, révélant ainsi l’habileté et les qualités d’observateur de Jean-Baptiste Huet face à la nature. Peintre du roi, il se confronte directement à la faune de la ménagerie royale, sans délaisser les régions plus rurales de l’Île-de-France. Ce sont en effet les animaux de la ferme et de la campagne qui remportent ses faveurs : chiens, moutons, coqs et poules composent l’essentiel de ses productions. Un vocabulaire a priori restreint que l’artiste parvient sans cesse à exalter, dans une ode éternelle au monde sensible.
Plus loin, quelques études botaniques émergent ; issues d’un recueil découvert en 1986, elles forment la part encore méconnue de son abondante production. Courges, orties ou mauvaises herbes, aussi prosaïques que soient ces motifs, Huet leur concède une majesté saisissante, ainsi qu’une rare finesse dans le trait.
Fidèle à son amour de la nature, il cède à l’iconographie de la flânerie bucolique et des doux plaisirs amoureux, très en vogue au XVIIIème siècle. Inspirées de la peinture italienne et flamande de la Renaissance, mais aussi des œuvres de François Boucher, les scènes poétisant la vie de campagne se multiplient. Les artistes occultent alors l’amère réalité de la vie rurale pour prêter aux bergers qu’ils dépeignent, une allégresse et des amusements idéalisés. Cette Bergère assise près d’un arbre avec son troupeau de moutons et un chien, reflète cet idéal de simplicité que Huet et ses contemporains recherchaient dans la nature : une quiétude fondamentale, loin de la société qui altère la bonté naturelle de l’homme.
Un homme qui parfois, se meut en redoutable prédateur pour le monde animal. Ainsi, comment dénier l’intensité que l’artiste place dans sa toile représentant Un loup percé d’une lance ? Rarement un artiste du XVIIIème siècle n’avait figuré la souffrance animale avec une telle force ; et comme toujours chez Huet, il faut prendre le temps d’observer les détails et l’expressivité qui se cachent dans le regard de ces bêtes. Ici, le loup blessé n’est pas un trophée glorifiant son chasseur : il symbolise au contraire le tragique de la scène. Et si la touche picturale peut constituer un frein à l’émotion, la puissance de la composition se charge de toucher l’âme.
La salle finale est consacrée à la production décorative de Huet, amorcée dans les dernières décennies du XVIIIème siècle. Empruntant à un art rocaille sur le déclin, autant qu’au répertoire antique en plein essor, ses projets ornementaux témoignent de sa productivité et de l’attention qu’il porte aux goûts de son époque. Dans ce domaine, les commandes qu’il honore pour des acheteurs privés remplacent désormais celles du roi, et lui pourvoient un revenu constant. L’exposition présente d’ailleurs quelques exemples décoratifs de l’artiste, à l’instar de ce charmant carton pour dossier de fauteuil – intitulé Bergère avec moutons et lapin.
Mais si Huet intensifie son rythme de création, notamment en s’associant à la Manufacture de Jouy, ça n’est pas seulement pour l’argent : les tissus figuratifs lui permettent d’exprimer son imaginaire dans des compositions novatrices et d’une étonnante complexité. Très organisés et géométriques par leur référence à l’antique, ces décors de tapisseries révèlent en filigrane de subtils détails pittoresques, si chers à cet homme épris de nature.
Succincte, cette exposition atteint néanmoins sa finalité avec grâce : redonner ses lettres de noblesse à un illustre inconnu que l’Histoire de l’art avait dérobé aux regards, et dont le musée Cognacq-Jay, ressuscite les charmes avec raison.
Thaïs Bihour
« Jean-Baptiste Huet. Le plaisir de la nature (1745 – 1811) » – L’exposition se tient jusqu’au 5 juin 2016 au Musée Cognacq-Jay. Plus d’informations sur http://museecognacqjay.paris.fr/