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[Théâtre] Avignon/IN : L’Antigone japonaise de Satoshi Miyagi

Photo : Christophe Raynaud de Lage

Après son Mahabharata monté il y a trois ans à la carrière de Boulbon, Satoshi Miyagi ouvre le 71e Festival d’Avignon dans la Cour d’honneur avec Antigone version japonaise. Pour son spectacle, il fait disparaître toute la scène sous l’eau, et nous immerge dans la tragédie grecque par le biais du théâtre traditionnel japonais pour un beau – mais peut-être trop long – moment de contemplation.

Tout le monde ou presque a déjà vu Antigone, ou bien en connaît au moins les tenants et les aboutissants si bien que dès le début du spectacle Satoshi Miyagi nous surprend en se jouant de la connaissance partielle que nous avons de cette pièce. Les dix premières minutes sont en effet consacrées à un résumé en français de la tragédie de Sophocle avec un humour ravageur, tant le français semble être difficile à parler pour la troupe japonaise. Sur le miroir d’eau, le préambule comique passé, les comédiens tels des silhouettes fantomatiques blanches ondulent, jouent et miment la pièce. Le metteur en scène a en fait dédoublé certains personnages comme Antigone, Ismène ou Créon de sorte que l’un conte la fable tourné et figé vers nous, tandis que l’autre mime la scène dont les mouvements sont projetés sur le Palais des Papes dans un jeu d’ombres envoûtant.

Photo : Christophe Raynaud de Lage

Du début à la fin, la mise en scène de Satoshi Miyagi est parfaitement orchestrée, tous les gestes très lents des comédiens concourent à la création d’une ambiance très zen, très chorégraphiée tant les rituels sont dansés. Que ce soit Antigone fardée d’une perruque blonde perchée sur un rocher massif jouant les scènes avec grâce, ou tous les comédiens formant un cercle processionnel hypnotique, la démesure du lieu, du miroir d’eau et des ombres se heurtent à une quiétude remarquable mais qui finit par provoquer de l’ennui. Cette Antigone marquée par le bouddhisme japonais est surtout un spectacle contemplatif pour nous public occidental. Souvent, certains mouvements sont si codifiés que nous sommes relégués à la contemplation de ce que nous trouvons beau sans vraiment savoir pourquoi. Si le théâtre d’ombres voulu par le metteur en scène est spectaculaire, il reste néanmoins figé et certaines scènes s’étirent trop en longueur.

Heureusement pour le public, la méditation poétique à laquelle il est convié est accompagnée de la musique pensée par Hiroko Tanakawa. Ce dernier a composé une partition répétitive, faite de percussions très marquantes dont on ne se lasse pas. De fait, cette Antigone montée avec beaucoup de soin et de grandeur nous impressionne mais reste trop hermétique à son public pour qui la simple contemplation, aussi agréable soit-elle, ne peut suffire quand elle ne dit rien de percutant sur la situation du monde actuel.

Antigone, de Sophocle, mise en scène Satoshi Miyagi, Spectacle en japonais surtitré en français, Cour d’honneur du Palais des Papes, Festival d’Avignon – Du 6 au 12 juillet, relâche le 9 à 22h. Durée : 1h35. Pour plus d’informations : http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2017/antigone




Avignon IN 2016 « Espaece » : repenser les contraintes formelles de Perec

Photo : Aglé Bory
Photo : Aglé Bory

En 1974, l’écrivain et verbicruciste qu’était Georges Perec écrit Espèces d’espaces, un ouvrage qui questionne l’espace comme réalité tangible et répond aux contraintes formelles et jeux de style habituels de l’auteur de La disparition, fameux roman sans aucune occurrence de la lettre E. Aurélien Bory propose une mise en scène drôle et envoûtante de ce livre fantasque.

« Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner » écrivait Perec. C’est de cette phrase que toute l’adaptation de l’essai perecquien commence. À partir de là, la scène a été pensée comme une zone vide où à la grande surprise du spectateur, seul le mur du fond et ses deux sorties de secours se met à bouger de manière infernale, emportant avec lui les acteurs et danseurs. C’est sans se cogner, dans une chorégraphie qui se joue du vide que les personnages évoluent, dansant, s’accrochant à la structure murale ou à des barres de danses tombées du plafond. Presque toute en silence sinon quelques chants lyriques et un jeu hilarant improvisé chaque jour par Olivier Martin-Salvan, la représentation est hypnotique, seuls quelques mots viennent flotter dans l’espace et occuper le silence.

Alors que le livre sert de matériau, chacun des personnages a un exemplaire et compile des mots avec, il se range rapidement dans la structure en bois, envers du mur devenu bibliothèque dans laquelle les personnages se contorsionnent. Indéfiniment, l’espace se meut, se redessine, aspire les comédiens et les fait danser. Le rythme est remarquable, il est rare de voir l’esprit de Perec ainsi traduit, l’hommage est réussi. Dans une tension constante entre fixité et mouvement, la structure appelle à des sons amplifiés qui résonnent dans l’espace et l’habitent à leur manière. Comme le faisait Perec avec les mots et les formalités qu’il s’imposait, les comédiens se plient à l’espace et non l’inverse, ce sont les mots qui dictent une attitude et des mouvements pour un résultat empreint de poésie. Entre chanteurs, gymnastes et comédiens, l’espace n’est jamais fini.

De l’espace de la page blanche à une pensée de l’espace urbanisé, les rapports à l’espace sont multiples et non univoques, la mise en scène est très esthétique et les comédiens bien dirigés, Aurélien Bory crée un spectacle ou l’écriture semble échapper à l’errance.

Espaece, mise en scène Aurélien Bory, avec Guilhem Benoit, Mathieu Desseigne Ravel, Katell Le Brenn, Claire Lefilliâtre, Olivier Martin-Salvan.

Festival d’Avignon, Opéra Grand Avignon, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 23 juillet, à 18h, durée 1h15.

Tournée : du 5 au 11 octobre 2016 au Grand Théâtre de Loire-Atlantique Nantes, les 18 et 19 octobre au Quartz Scène nationale de Brest, le 3 novembre au Théâtre de l’Archipel Scène nationale de Perpignan, les 9 et 10 novembre au Tandem Arras-Douai, les 17 et 18 novembre à la Maison des Arts de Créteil, les 8 et 9 décembre au Parvis Scène nationale Tarbes Pyrénées, du 13 au 17 décembre au TNT Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées, du 4 au 8 janvier 2017 au Théâtre du Nord Centre dramatique national Lille Tourcoing Nord-Pas de Calais, les 12 et 13 janvier au Volcan Scène nationale du Havre.




Au festival Premiers Pas, on « Vie de grenier »

Jusqu’au mois de décembre à la Cartoucherie de Vincennes se déroule le festival « Premiers Pas ». Occasion offerte à de jeunes compagnies de présenter une première création sur la scène du théâtre du Soleil. Parmi les six spectacles, « Vie de grenier » est donné par la troupe des EduLchorés; ce travail collectif mêle théâtre, musique et danse.

Grand-mère Simone vient de mourir. Ses (nombreux) petits enfants sont venus débarrasser les meubles, ranger ses dernières affaires. Qui prend quoi ? La destination du contenu de cette caverne d’Ali Baba ne fait pas l’unanimité, certains veulent vendre tout, immédiatement, d’autres veulent se plonger dans les souvenirs. Les fantômes qui habitent ces objets vont aider ces jeunes gens à faire les choix justes en embarquant les descendants (et les spectateurs) dans un voyage entre les époques vécues par cette grand mère qui peut être celle de tout un chacun.

De cette idée qui peut sembler naïve au départ, naît en fait une manière élégante et fraîche d’interroger la relation avec les époques intimes qui nous ont précédés. Comment la jeunesse réagit-elle face à la mort, face à l’héritage ? Comment chacun vit-il le manque causé par la perte d’un être, et surtout : comment vider un grenier peut-il devenir une véritable thérapie collective, un travail de mémoire ?

On partage la vie d’horloges, livres et tapisseries, qui chacun offre ses souvenirs et ses surprises. Le spectacle est bien mené, les comédiens apportent chacun dans leur jeu une vue différente sur cette vie qui subsiste après la mort.

La mise en scène, la création lumière sont pleines d’idées et d’entrain, bien que la précision côtoie parfois un peu le fouillis (qu’on mettra sur le compte de la fougue inhérente à la jeunesse). Une mention particulière également pour la musique originale, jouée sur scène par un quatuor à cordes.

Les EduLchorés nous font vivre un beau voyage, un rêve pétri dans la poussière et les souvenirs, qu’ils partagent aisément avec le public, un beau présage en vue des créations futures.

Pratique : Du 6 au 15 décembre au théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes
Réservations par téléphone au 01 43 74 24 08 ou sur http://taftheatre.fr/ – Tarifs : entre 10 € et 15 €.

Durée : 1 h 30

Mise en scène : Emma Pasquer

Avec : Laura Périnet-Marquet, Claire Frament, Elise Pierre, Aurey Vernichon, Juliette Quillevere, Clémence Viandier, Claire Duchêne, Estelle Pasquer, Tristan Lhomel, Alexandre Goldinchtein, Matilde Vilaça.