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Au festival Premiers Pas, on « Vie de grenier »

Jusqu’au mois de décembre à la Cartoucherie de Vincennes se déroule le festival « Premiers Pas ». Occasion offerte à de jeunes compagnies de présenter une première création sur la scène du théâtre du Soleil. Parmi les six spectacles, « Vie de grenier » est donné par la troupe des EduLchorés; ce travail collectif mêle théâtre, musique et danse.

Grand-mère Simone vient de mourir. Ses (nombreux) petits enfants sont venus débarrasser les meubles, ranger ses dernières affaires. Qui prend quoi ? La destination du contenu de cette caverne d’Ali Baba ne fait pas l’unanimité, certains veulent vendre tout, immédiatement, d’autres veulent se plonger dans les souvenirs. Les fantômes qui habitent ces objets vont aider ces jeunes gens à faire les choix justes en embarquant les descendants (et les spectateurs) dans un voyage entre les époques vécues par cette grand mère qui peut être celle de tout un chacun.

De cette idée qui peut sembler naïve au départ, naît en fait une manière élégante et fraîche d’interroger la relation avec les époques intimes qui nous ont précédés. Comment la jeunesse réagit-elle face à la mort, face à l’héritage ? Comment chacun vit-il le manque causé par la perte d’un être, et surtout : comment vider un grenier peut-il devenir une véritable thérapie collective, un travail de mémoire ?

On partage la vie d’horloges, livres et tapisseries, qui chacun offre ses souvenirs et ses surprises. Le spectacle est bien mené, les comédiens apportent chacun dans leur jeu une vue différente sur cette vie qui subsiste après la mort.

La mise en scène, la création lumière sont pleines d’idées et d’entrain, bien que la précision côtoie parfois un peu le fouillis (qu’on mettra sur le compte de la fougue inhérente à la jeunesse). Une mention particulière également pour la musique originale, jouée sur scène par un quatuor à cordes.

Les EduLchorés nous font vivre un beau voyage, un rêve pétri dans la poussière et les souvenirs, qu’ils partagent aisément avec le public, un beau présage en vue des créations futures.

Pratique : Du 6 au 15 décembre au théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes
Réservations par téléphone au 01 43 74 24 08 ou sur http://taftheatre.fr/ – Tarifs : entre 10 € et 15 €.

Durée : 1 h 30

Mise en scène : Emma Pasquer

Avec : Laura Périnet-Marquet, Claire Frament, Elise Pierre, Aurey Vernichon, Juliette Quillevere, Clémence Viandier, Claire Duchêne, Estelle Pasquer, Tristan Lhomel, Alexandre Goldinchtein, Matilde Vilaça.

 




Yves Bommenel, 10 ans de Montpellier à 100 %

Depuis une dizaine d’années, le festival Montpellier 100% existe.
D’abord dans tout le grand Sud au mois de novembre, puis uniquement sur Montpellier, le festival s’est cherché et s’est trouvé. Dix jours de concert, de danse, d’exposition à travers la ville. Un véritable temps à proportion humaine (il n’est pas difficile d’assister à l’intégralité des propositions du festival) entre le 1er et le 11 février.


Depuis combien de temps portez-vous le projet du festival « Montpellier 100% » ?


Depuis dix ans, le festival est né pour fêter le 100e numéro du Cocazine (un magazine et agenda culturel gratuit diffusé sur tout le Grand Sud NDLR) qui existait lui aussi depuis dix ans. C’est incroyable, quand on sait dans quelle précarité ont été ces deux aventures, on est incapable après vingt ans d’expliquer comment on a tenu.


Essayez !


Bien sûr il y a eu un renouvellement des équipes, et la curiosité y est pour beaucoup également. Je sais que j’aurais déjà jeté l’éponge si chaque année n’avait pas été une occasion d’apprendre quelque chose, ou de découvrir de nouveaux artistes. Dans ce sens, le collectif y est pour beaucoup. On se surprend les uns et les autres.


Ce festival est un espace-temps dédié à la découverte ?


La découverte artistique, on la retrouve dans tous les festivals. Chez nous ce qu’il y a d’intéressant, c’est qu’on interroge les formes différentes du concert, par des installations, ou des projections. Et les artistes eux-même nous interrogent. F.J. Ossang c’est un musicien qui fait du cinéma, pas un cinéaste qui fait de la musique ! Prenez les arts numériques, tout ce qu’on a fait jusqu’à présent, il y a dix ans on était incapable d’imaginer celà possible ! Ou alors c’était tellement colossal qu’il aurait fallu que l’on soit le MoMA pour pouvoir se le permettre. On montre que la musique, ce n’est pas seulement un concert ou un disque.


Vous êtes attentifs à l’évolution de la technologie ?


On est au XXIe siècle, donc la technologie est présente dans la vie de tous les jours, les propositions artistiques intègrent naturellement cette idée. Après, on a essayé de ne pas s’enfermer là-dedans. Quand on propose « OK! » (l’année dernière NDLR), c’est une solution 100% analogique puisqu’en fait, ils fabriquent leurs instruments avec des bouts de bois récupérés, pareil pour « Hell’s Kitchen » qui fait de la percussion avec des éléments pris sur des lessiveuses. C’est intéressant aussi ce mélange entre organique et technologique à notre époque. D’ailleurs, on s’est rendu compte après coup que cette idée de mélange, de recyclage est un peu le fil rouge de notre édition.


Les mélanges, on connaît ça depuis des lustres !


On a bien vu la première décade du XXIe siècle passer, et même si des musiciens comme Black Strobe s’inspirent énormément de la musique du XXe siècle, on est plus dans la fusion des années quatre-vingt-dix où on pouvait dire que telle chose était un bout de funk, telle autre du métal et ici du hip-hop. Aujourd’hui on est dans autre chose, le hip-hop qui intègre de l’électro c’est différent que ces deux styles chacun de leur côté.


Quelles nouveautés dans cette édition du festival ?


La principale nouveauté c’est la venue de F.J. Ossang, on organise une rétrospective importante de ses films. On y ajoute une part d’éducation à l’image avec les Beaux-arts et la fac de Lettres. Le travail avec le Centre Chorégraphique est nouveau lui aussi, il va nous permettre d’accueillir Claudia Triozzi et Haco pour une création.


Un mot sur la programmation ?


On a essayé de ne pas tomber dans des clichés. C’est facile d’aller dans ce sens, d’être très intellos, très « si tu ne connais pas l’encyclopédie numérique en 25 tomes tu vas rien comprendre à ce qu’on te montre ». On est dans un festival qui revendique un côté haut-de-gamme, mais on a confiance en l’intelligence des gens, et en même temps on a de l’humour.


Comment découvrez-vous les personnes que vous programmez ?


On observe, on est entouré de personnes très attentives, je pense notamment à Vincent Cavaroc qui avant était ici et qui maintenant travaille à la Gaité Lyrique à Paris. On a Julien Valnet qui travaille à la Friche de la Belle de Mai à Marseille, ancien montpelliérain lui aussi. Mais j’insiste sur le fait que tout le collectif a sa part d’influence dans les choix de programmation.


Vous, Yves, comment avez-vous fait ce choix de vie ?


J’avais des grands frères qui m’ont élevé à coup de Stones, et j’ai fait beaucoup de radio associative. L’Eko des Garrigues (88.5) à Montpellier ça a été mon université, je dis souvent que j’y ai fait « Sup’ de Punk ». Tous les gens qui ont fait des choses intéressantes dans cette ville sont passés par là bas au début des années quatre-vingt-dix. On y trouvait Fifi de la TAF, Habib d’Uni’Sons, ou les Pingouins… Après je suis allé à l’Institut National de l’Audiovisuel, j’ai eu un parcours d’apprentissage, mais l’Eko c’est ce qui m’a ouvert les yeux sur le monde alternatif.


Quelles sont vos espérances pour l’avenir ?


Pour l’instant dans le festival on diffuse beaucoup de créations, mais on n’est pas un moment de création à proprement parler. J’aimerais aller dans ce sens. Un autre aspect, c’est celui de la médiation, de ce côté-là on a beaucoup de travail à faire. Avoir les moyens de faire un travail d’éducation au son, d’aller dans les collèges et les lycées. Expliquer ce que nous proposons. Donner des clés de compréhension par l’histoire de la musique…


Au début de l’interview vous avez utilisé le mot précarité, vous avez les moyens de vous projeter vers l’avenir ?


Tous les ans on part sur une utopie. On a failli fermer vingt fois, le comptable nous prédit notre mort chaque année. On survit, c’est incroyable. On a un tout petit budget, on fonctionne avec 100 000 euros pour la totalité du festival. Notre force réside dans le fait que nous avons aussi beaucoup de partenaires. Mais on est très loin d’être des barons, chaque année on se demande comment c’est possible.


Tous les détails sur la programmation et les arguments du festival sur : www.festival100pour100.com




Louis-Ronan Choisy : « le but d’un artiste, mais aussi d’un être humain, c’est de casser les barrières »


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Imaginez-vous, une soirée fraîche d’automne. Le jaune et le rouge par petites tâches sur des feuilles encore vertes. Les corps qui s’affaissent sur les chaises après une journée de labeur.  La mélodie légère du babillage, de table en table. Le cliquetis des cuillères sur les tasses de chocolat bien chaud. Paris animé. Paris gai.


Un café. Louis-Ronan Choisy en chair et en (m)ots – et en rires.


De la création artistique.  Ses correspondances. La scène. Mais aussi la vie. Extraits.


De la création en général – Qu’est-ce qui déclenche en toi « le feu créateur » ? Une situation, un sentiment, des conditions particulières ?


Il y a plusieurs cas de figure.


Quand je ne sais pas quoi raconter, je regarde dans mes souvenirs. Repère ce qui peut être intéressant. A ce moment-là, tu fais vraiment un voyage spatio-temporel. Tu essaies alors de ressentir les choses que tu as ressenties au moment où tu les as vécues. Ca, c’est une première solution.


Ou  par moments, tu es dépassé. Tu portes des choses trop lourdes. Tu as alors besoin d’écrire pour exorciser. Seulement, là, ça arrive souvent comme un gros dégueulis. Complètement informe. Mais c’est ce qu’il faut essayer de préserver. Ce côté un peu  brut, instantané. Toute la difficulté, c’est de transférer ce sang-là dans une structure de chanson. Surtout que mes chansons, ce n’est pas de la musique expérimentale. C’est vraiment de la pop. Couplet-refrain, ça reste très classique.


Dans ton troisième album, les Enfants du Siècle, tu as pourtant recours à une méthode « expérimentale », le cut-up (NDLR : technique de Burroughs).


Oui, c’était voulu, oui.


J’avais envie d’expérimenter ça. Ca s’y prêtait bien. Les Enfants du Siècle, je l’ai écrit à une période où j’avais une grande peur de l’avenir, du monde qui se barre en couilles.


Je cherchais à créer quelque chose de plutôt déséquilibré. Toujours sur le fil. Techniquement, ça voulait dire associer des mots, d’un champ lexical, d’une sphère complètement différents.

Et c’est ce qui a été la trame de tout l’album.


Un cas bien particulier alors.


De toute façon, chaque album est particulier.


A chaque album,  tu as une technique d’écriture différente. Sur le premier, c’était à partir de  souvenirs.  Le deuxième, je l’ai écrit en discothèque. Et là pour le coup, c’était vraiment de l’écriture automatique. Et sur le troisième, c’était semi-automatique. La démarche était pensée.


Et sur le dernier, Rivière de Plumes, comment as-tu travaillé ? Dans quelles conditions ?


Comme dans les Enfants…, c’était en home studio. Mais différemment. Sur les Enfants du siècle, j’ai travaillé avec un mec qui fait beaucoup d’électro (NDLR : Yann Cortella). On a d’abord travaillé en binôme. Ensuite, les musiciens sont arrivés pour apporter un peu d’organique à l’ensemble. Sur Rivière, j’ai travaillé avec mon guitariste, qui est aussi arrangeur sur l’album (NDLR : Frédéric Fuchs). On est parti d’une base guitare sèches-voix. Puis, j’ai ajouté des guitares électriques pour que ce soit un peu moins chiant.  Après le tournage du Refuge, on a décidé de rajouter de la batterie, de la basse, de la contrebasse, un peu de violon. Des petites choses discrètes pour mettre des couleurs. Que ce soit moins plat. Qu’il y ait plus d’identité à chaque morceau.


Et dans la création, est-ce que tu te fixes des limites ?  Y’a-t-il  des thèmes qui te sont tabous ?


Non.  Il me semble que le but d’un artiste, mais aussi d’un être humain, c’est de casser les barrières. S’il y a tabou, c’est que quelque chose cloche.


Il faut casser les murs. Voir si on y va ou on n’y va pas.


Après la création, il y a aussi une partie de « représentation ». La scène. Ton rapport à la scène ? Est-ce un passage obligé pour toi ?


Non, ce n’est pas un passage obligé. C’est un autre métier que de faire des disques. Je me sens plus intime du studio.


La scène, quand ça se passe bien, c’est dément. Quand ça se passe mal, c’est horrible. C’est un exercice excessivement difficile. Dans la mesure où ce que je recherche sur scène, c’est l’abandon. De rentrer dans une espèce de transe. C’est à ce moment-là que je vais pouvoir emmener les gens.  Je pense que tu n’emmènes pas un public frontalement. Mais d’abord, en s’emportant soi, puis les musiciens. Et la boucle s’agrandit. Mais c’est très difficile. Ca a dû m’arriver, dix fois en une vie. Et des concerts, j’en ai fait. (Rires)

Toi qui as touché à la fois, à la composition d’albums et de bande originale,  que peut faire passer la musique que les images ne peuvent pas forcément ?


Je n’ai pas une grande expérience de la musique de films. Pour le Refuge,  le film était assez subtil. Les émotions planquées. La grande difficulté, c’était avant tout de faire en sorte que la musique ne vienne pas piétiner les images. Qu’elle ne vienne pas foutre en l’air la sensibilité et la fragilité du film. Ca, c’était la première difficulté.


La deuxième, c’était plus technique. On avait fait le choix de ne pas avoir recours à un grand orchestre. A des envolées lyriques, ce qui aurait été un peu pompeux.  On a donc utilisé des instruments solo.  Et  là, ça relève beaucoup plus de la performance. Que le musicien soit bon quand il le fait. Et ça,  tu ne peux pas vraiment calculer.


Autre danger. Il ne faut pas non plus être trop proche des images. Sinon tu as tendance à tout alourdir. Et justement, François Ozon me demandait d’aller vers quelque chose d’assez éthéré, d’assez léger. En filigrane. Il voulait que j’apporte quelque chose d’autre.  Même si ce plus n’a rien à voir. Si par exemple, tu as une envie de courir dans les bois, tu auras ça musicalement. Les images qui raconteront quelque chose et derrière, une autre envie. Et du coup, c’est plus riche.


Une question sûrement totalement tirée par les cheveux, en rapport, cette fois, avec la spiritualité. Dans la plupart de tes albums, celle-ci semble apparaître par à coups. Quelle place tient la spiritualité dans ton œuvre ?


Dans mon œuvre, je ne sais pas. Ma musique, c’est le reflet de ma vie de toute façon. Après, est-ce que je recherche le salut par ce que j’écris ? Mon écriture lâche comme des indices sur moi-même. Mais oui, la spiritualité, je me pose des questions.


Il y a des moments où l’intellect est dépassé. Des notions comme l’exil de l’âme, la chute de l’homme, ça me parle. Je crois en l’accomplissement de l’homme. Que le destin de l’homme, c’est de grandir. De devenir un « dieu » et ensuite, d’être lumière absolue. Je ne crois pas que la vie se résume à la naissance, manger, dormir, boire, faire des enfants, avoir du plaisir et mourir bêtement. Moralement, je trouve ça absurde et c’est tellement fou que je n’y crois pas. La foi, ce n’est pas le mot. Mais c’est quelque chose que je sens au plus profond de moi. Ce n’est pas forcément explicable.


Et puis juste savoir regarder, travailler sur soi. Casser les barrières. Je crois que c’est ça, le vrai travail d’une vie.


Ce qui fatalement, se reflète dans ta musique. De ne pas parler de quotidien, de « médiocre ».


Oui, dans la musique, oui.

Chaque geste est  un sous-texte. Le quotidien, c’est une carapace, une ombre. Une enveloppe. Ce qui est intéressant, c’est de regarder ce qu’il y a dessous. Je crois que tout ce qui nous entoure, c’est de la vraie poésie. Il faut juste savoir interpréter ce qui nous arrive.


Pour finir, qu’est ce qu’on peut te souhaiter ? What’s next ?


Plein de projets. D’être heureux. De faire de beaux films et de beaux albums. (Rires). Mais le prochain, je suis curieux de voir ce que ça va donner.


Merci Louis !


Le 21 janvier, vous pourrez le retrouver au Théâtre de Poche de Béthune. Et aussi, dès aujourd’hui, dans les salles dans le film de Mikhaël Hers, Memory Lane.


Louis-Ronan Choisy, Rivière de Plumes, Bonsaï Music/Karamazov Production. Sorti en juin 2010
www.myspace.com/louisronanchoisy


Photos: M. Vandamme, AC Blanchard, myself