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Chemla illuminée dans « L’Annonce faite à Marie »

Copyright : Guy Delahaye
Copyright : Guy Delahaye

L’Annonce faite à Marie semble, à l’origine, un désir de Claudel d’exposer sa vision d’auteur d’une énigme chrétienne comme la Bible en contient pléthore. Dans cette mise en scène, Yves Beaunesne prend le drame et en fait une sorte de conte où Judith Chemla, l’héroïne, campe une Violaine totalement illuminée conduite à une fin extatique. Tant de catholicisme revendiqué tout au long du drame mène nécessairement le spectateur à tenter de faire des ponts avec le monde contemporain. Mais peut-être est-il préférable de le prendre comme Claudel l’a écrit : tel un mystère, sans tomber dans la sur-interprétation.


Quand le spectateur entre dans la salle, un cierge se consume au milieu d’un décor monumental et désertique, dont l’espace des Bouffes du Nord permet la mise en place. La scénographie est divisée en deux parties, la plus proche de nous est le monde des vivants. L’autre, en fond de scène, derrière un rideau de fils, est l’occulte. Sans pour autant être le paradis, ce deuxième lieu est trouble et les personnages qui l’habitent tour à tour, se cachent, espionnent, complotent ou veillent sur les vivants. Ces deux mondes baignent dans une lumière sombre, caravagesque, belle et froide sans être austère. L’ambiance et les couleurs sont plus franciscaines que jansénistes : pauvres, mais chaudes.


Dans ce décor va se dérouler un périple. Celui d’une existence innocente qui connaîtra le martyre. Au départ, gentille, aimante, apitoyée,Violaine donne un baiser à Pierre de Craon (Damien Bigourdan) qu’elle sait pourtant lépreux. La scène est surprise par Mara (Marine Sylf), la petite sœur de Violaine. Après avoir vu cela, la première va mettre tout en œuvre pour que le mariage de sa grande sœur avec Jacques Hury (Thomas Condemine), voulu par le père n’ait pas lieu : elle en est amoureuse et hait sa grande sœur à qui il est promis. Au final, par ce baiser innocent, Violaine contracte la lèpre à son tour et meurt des mains de Mara alors qu’elle s’était retirée du monde, exclue par sa maladie.


Copyright : Guy Delahaye
Copyright : Guy Delahaye


La famille dans laquelle se déroule le drame s’inscrit dans une dichotomie : il y a ceux qui se sacrifieront (le père et Violaine), sans que le déclencheur qui les pousse à l’abnégation ne soit apparent, d’autres voudront vivre la vie qu’ils veulent (Mara, Jacques), au détriment de leurs proches. La pièce est l’opposition chrétienne, à petite échelle, entre les vices et les vertus. La création d’une sainte à partir d’une accumulation d’épreuves gratuites, « injustes » au sens divin du terme, puisque ces punitions ne viennent pas condamner un péché et que, après toutes ces horreurs, Violaine, tel le Christ, meure en pardonnant.


Le père : « Je suis las d’être heureux »


Le spectacle est porté par une Judith Chemla envoûtante par sa voix et par son jeu. Souple, enfantine, ingénue, au début, son jeu a quelque chose de clownesque : les jambes accompagnent les doigts qui indiquent les directions. Puis, peu à peu, les épreuves la marquent, jusqu’à l’inertie. De la légèreté joviale elle évolue vers une gravité maritale. Le corps, le caractère, les yeux : tout se courbe et entre dans la nuit. Ce jeu brillant de l’actrice se démarque parfois des autres acteurs. Cela se remarque particulièrement avec l’interprète de Pierre de Craon, sans doute plus chanteur qu’acteur.


Copyright : Guy Delahaye
Copyright : Guy Delahaye


Mais la musique est importante. Chemla montre comment elle peut se balader parmi ses nombreuses tessitures, passant du chant lyrique à la variété sans difficulté apparente. Les autres protagonistes ont tous de très belles voix, chacune marquées par un caractère particulier. Cependant, le choix des chants, nous conduit encore à éviter la sur-interprétation. Le Salve Regina a beau être ponctué de cris d’animaux, il veut toujours dire Salve Regina, la même remarque s’applique au Pater Noster ou à l’Alléluia Resurexis. La musique balise le mystère comme le chant balise la messe.


Le père : « C’était trop beau, ce n’était pas acceptable »


Au sortir, le sentiment créé par cette pièce n’est pas évident à définir. L’ennui qui habite parfois les personnages peut atteindre le spectateur. Le texte, truffé de lourdeurs et de locutions bibliques, y contribue aussi. Et puis finalement, le jeu des acteurs, la musique, la mise en scène et la lumière, permettent au public de vivre un pieux mais beau spectacle, où le mystère reste entier.


« L’Annonce faite à Marie », jusqu’au 19 juillet au théâtre des Bouffes du Nord (10e arrondissement). Horaires et réservations sur www.bouffesdunord.com et par téléphone au 01 46 07 34 50.




Marylin Monroe, VDM

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

« Marylin, intime » est une œuvre biographique très romancée, écrite et interprétée par Claire Borotra. L’actrice y montre la vie personnelle difficile de la star hollywoodienne, en partie à travers une correspondance imaginée avec sa mère, de ses 8 ans à sa mort en 1962.

Ce spectacle est une performance. Seule en scène, l’actrice montre une orpheline sensible et touchante : toujours souriante, ingénue, malgré les épreuves. Sa fragilité et ses failles sont palpables, troublantes de sincérité. Tout tient sur le jeu.

Elle raconte son histoire atroce : abandonnée à de multiples reprises, elle enchaînera les échecs affectifs comme un intermittent doit courir après les cachets. La métamorphose de Norma-Jeane en Marylin n’étant que la partie émergée de l’iceberg. De cette icône retenant sa robe en passant au-dessus d’une bouche d’aération, Claire Borotra en fait une femme.

Après une enfance chaotique, ponctuée d’attouchements et de meurtres d’animaux, elle est abandonnée par une mère schizophrène. À 16 ans, en 1942, elle se marie pour divorcer en 1946. Si une chance folle la propulse dans les couloirs de la 21th Century Fox, Marylin pense en premier lieu que c’est une chance inespérée pour retrouver son père qu’elle n’a jamais connu. Dans la perpétuelle quête de reconnaissance d’une fille reniée, elle égrène les amants, et lorsqu’elle en aime un et qu’elle se marie avec, l’abandon en est inévitablement l’issue de la relation.

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

Un autre aspect de la dureté mis en avant ici réside dans le fait que Marilyn soit consciente de ses échecs, et tout au long du spectacle, on la voit repartir à l’assaut de la vie avec la meilleure volonté du monde. Était-elle comme cela ? Peu importe, encore une fois, c’est l’interprétation qu’en fait Claire Borotra qui suscite tout l’intérêt de « Marylin, intime ».

La lumière très soignée de Jean-Philippe Viguié vient ponctuer les époques et les brusques changements d’émotion de la star. Faisant crépiter les flashs lors de ses sorties publiques, l’éclairage peut-être celui d’un hôpital ou d’une prison l’instant d’après, avant d’être celui d’une chambre au crépuscule. Ces variations accentuant ainsi les soubresauts de la vie discontinue qui s’étale face à nous. Tout au long de la représentation, l’espace rangé d’une chambre est de plus en plus jonché d’objets divers : vêtements, literie, chaussures. Autant de symboles des cicatrices qui viennent à chaque fois alourdir un peu plus l’âme de la star, jusqu’à sa mort, provoquée par le poids trop lourd d’une véritable VDM.




Ostermeier glace Sceaux

lavipere

Thomas Ostermeier est un immense metteur en scène, certainement le meilleurs en Europe aujourd’hui, et il le prouve comme une évidence à chacune de ses créations au moyen de techniques et de dispositifs sans cesse renouvelés.

Il met en place l’histoire de La Vipère dans un intérieur bourgeois épuré, composé d’une pièce principale agrémentée d’un salon en cuir, d’un piano et d’un grand escalier. En fond de scène, une pièce supplémentaire accueille la salle à manger dont les portes ne sont pas toujours ouvertes. Le décor joue sur les tons de gris, de noirs, agrémentés de lumières claires et froides. Ce cadre contribue à magnifier l’expérience glaçante dans laquelle sera plongé le spectateur durant la représentation.

Le point de départ est un dîner mondain, une famille invite un riche investisseur New Yorkais à sa table. On parle contrat, on trinque, l’affaire semble en bonne voie. L’invité de prestige parti, la famille d’entrepreneurs a des étoiles plein les yeux. Le hic ? Les deux frères attendent toujours que le mari de leur sœur Regina mette sa part de l’investissement sur la table, et c’est urgent. Malheureusement ce mari est malade, et il n’a aucune intention d’investir. Tout au long du drame, Regina joue une partie d’échec dont elle sortira vainqueur face à ce monde masculin qui la maltraite depuis toujours. Mais elle n’y arrive qu’au prix de nombreux sacrifices qui jaillissent comme autant de coups de théâtre.

La mise en scène est prodigieuse. Tout au long de l’action, le rythme est sans cesse modulé. Rapide quand il faut, extrêmement lent dans les instants clés, comme un poison qui coule lentement dans les veines du spectateur. Parfois arrêté, les placements contribuent à créer des tableaux incroyables. Une scène de dispute collégiale peut laisser place à une scène vide pendant plusieurs secondes. Des hurlements succèdent à de brusques moments de silences dans lesquels des enjeux énormes sont ressentis et où chaque geste raconte une partie de la vie des personnages. Tout cela ne manque pas d’ironie : entre deux actes, alors que l’histoire est de plus en plus dramatique, une pop naïve accompagne les tourments intérieurs insoutenables des protagonistes.

Le spectateur assiste à la vie de ces gens, il s’invite dans leur maison, il est voyeur. Le comédien n’est pas là pour lui, le comédien n’attend rien du public : il expose le drame comme dans un huis-clos extrêmement prégnant et c’est ici que réside, une partie du génie d’Ostermeier.

Tout ne doit pas être dit, dans cette guerre que mène cette femme pour ce qui semble être l’argent et le pouvoir, les postures, les expressions, prennent le pas sur le texte. Ce dernier a été fortement modernisé, on y parle de la dernière extension de Diablo III, de Facebook… Lillian Hellman, mort en 1984, n’avait certainement théorisé tout ça !

Le talent de chaque acteur n’est pas absent à tout cet éclat. Particulièrement en ce qui concerne les deux femmes quarantenaire, l’héroïne et sa belle sœur (archétype de la desperate housewife), qui sont d’une justesse effrayante. Bordeline dès le début, les deux sombrent dans des folies démentes, mais avec une intériorité et des nuances qui ajoutent encore plus à l’inquiétude dans laquelle le spectateur est plongé.

Tout au long de la pièce, Ostermeier nous tient dans sa main, et il serre et desserre son emprise à loisir jusqu’à la scène finale où La Vipère est seule, abandonnée par sa propre famille, mais riche. Est-ce donc ça la vie ? Ou comment plusieurs millénaires après Aristote, Ostermeier arrive comme aucun autre à susciter « pitié et crainte » dans un spectacle absolument moderne.

Pratique : (the little foxes) La Vipère, jusqu’au 6 avril à la Scène Nationale de Sceaux. Horaires et réservations sur http://www.lesgemeaux.com/




« Le Canard Sauvage », dramatique liberté

Copyright : Elisabeth Carecchio
Copyright : Elisabeth Carecchio

Ce n’est pas le premier Ibsen que monte Stéphane Braunschweig, c’est même plutôt une récurrence dans son travail. À chaque fois, il fait ressortir de ce théâtre toute la modernité qu’il possède 150 ans après son écriture. La traduction certes, mais aussi le décor et les costumes y sont pour beaucoup.

C’est l’histoire d’une retrouvaille entre deux hommes : Gregers et Hjalamar. Le premier apprend que son père paye toute sa vie au second. Il se met en quête de lui montrer que tout cela est un gigantesque mensonge dont il est la victime. Une sorte de Truman Show avant l’heure, qui confronte les idéaux humains avec la réalité la plus sordide, mais sans être dénuée d’une certaine ironie.

Le drame se déroule dans deux espaces, tous deux intérieurs à leur manière. Le premier est un immense écran descendu sur l’avant-scène où Gregers discute avec un père de 8 mètres de haut (on décrypte aisément la symbolique !) ; le second est un intérieur qu’on imagine être celui d’une famille modeste du nord-ouest de l’Europe qui offre une belle profondeur sur le grenier du logement. Un grenier transformé en forêt. La scénographie est très réussie, douce et mobile. Elle est un espace de jeu qui soutient les acteurs à merveille et les place, au besoin, dans un déséquilibre autant mental que physique. En même temps, le décor joue avec la perception du spectateur, en se penchant vers lui, on en étant très proche de l’avant-scène. C’est selon…

Dans cet univers, les comédiens campent des personnages très marqués par leur caractère. Tous sont justes, instables : on perçoit l’indicible dualité des êtres en chacun d’eux, l’étrangeté plane sur leurs êtres, ils sont une sorte de Famille Adams Norvégienne et lumineuse. Parfois, ils peuvent être très drôles. C’est le cas pour Claude Duparfait dans le rôle de Gregers, fils mystique et psychopathe, prêt à ruiner la vie de son ancien ami dans une croisade pour sa vérité. Parfois bouleversants, comme le sont les deux rôles féminins principaux joués par Suzanne Aubert et Chloé Réjon.

Ce spectacle est un vrai drame théâtral moderne, prenant, esthétique et vivant qui fait se rencontrer le pathétique et le sublime. Il remet au cœur du spectateur cette question récurrente de l’humain : ne faut-il pas vivre dans le mensonge pour, à défaut d’être heureux, mener une vie paisible ? Chacun doit pouvoir faire son choix.

Pratique :
Jusqu’au 15 février 2014 au théâtre de la Colline,
15 rue Malte-Brun (75020 Paris)
Le mardi à 19h30. Du mercredi au samedi à 20h30. Le dimanche à 15h30.
Durée du spectacle : 2 h 30
Tarifs : de 14 à 30 euros.
Réservations au 01 44 62 52 52 ou sur www.colline.fr

 




Vivre, par défi ou par dépit

 

Photo : Pierre Dolzani
Photo : Pierre Dolzani

C’est dimanche dans cette ville de l’est de la France. La dernière mine de charbon a fermé. Elle sera désormais un parc d’attractions. De cet événement naissent neuf histoires (qu’on imagine parmi tant d’autres) qui vont se dérouler devant nous. Neuf « tranches de vies » dans un pays sinistre, délabré, oublié par le monde moderne et le capitalisme financier. « Entre-temps j’ai continué à vivre » expose les blessures des habitants de cette bourgade. Mais la pièce montre aussi comment la vie suit son cours, que ce soit par désir ou par dépit.

Deux sœurs se retrouvent, l’une est partie de sa ville natale depuis longtemps. Elle ne s’est pas donnée la peine d’accompagner son père, mutilé par la poussière âcre des galeries, jusque dans sa tombe. L’autre le lui reproche et refuse de voir en elle une personne qu’elle aime. D’anciens collègues se retrouvent, parlent d’histoires d’amour, de vieilles rancœurs en sortent… Ces espèces de contes qui pourraient nous faire penser à des « Strip-tease » des années quatre-vingt-dix sont soutenues par des comédiens au jeu très réaliste (bien que la scénographie propose un décalage : c’est une sorte de carré pentu trônant au cœur de la scène dont les acteurs font tour à tour un mur, une pente de jogging ou le sol d’une chambre).

Mais attention, ce n’est pas qu’une suite de sombres drames auxquels nous assistons. Le texte contient de nombreuses touches d’humour et de cynisme, de l’amour raté et une mise en dérision des conventions sociales dans lesquelles sont souvent représentées (et caricaturées) les classes populaires.

Entre chaque scène, la lanterne rouge de l’ancienne mine scintille, comme un fantôme, un souvenir obscur qui a marqué l’âme des personnages au fer et qui plane au dessus de leur vie, inexorablement. Et nous, spectateurs, on explore les souvenirs comme les mineurs des galeries, à la recherche d’une matière pour se réchauffer, ou dédramatiser.

 Pratique :
Jusqu’au 2 février 2014 dans la salle Rouge du Lucernaire,
53 rue Notre-Dame-des-Champs (75006 Paris).
Du mardi au samedi à 21h30. Le dimanche à 17h
Durée du spectacle :1 h 10
Tarifs : de 15 à 30 euros.
Réservations au 01 45 44 57 34 ou sur www.lucernaire.fr.

 




« Zelda et Scott » tiédissent le La Bruyère

Jean-Paul Bordes, Sara Giraudeau, Julien Boisselier
Jean-Paul Bordes, Sara Giraudeau, Julien Boisselier

C’est dans cette ambiance New Yorkaise des années 20 (fantasmée !) que débute « Zelda et Scott », une pièce écrite par Renaud Meyer sur des bases biographiques, qui nous propose de vivre l’amour tourmenté, vécu par les époux Fitzgerald. [1. Pour rappel, Scott Fitzgerald est notamment l’auteur du roman Gatsby le magnifique, qui bien qu’adapté aujourd’hui par Hollywood, n’a pas été un grand succès en son temps.]

Cette histoire de couple pourrait être un parfait drame. Mais la richesse de la pièce présentée au théâtre La Bruyère ne réside malheureusement pas dans sa construction : elle est basique, suit l’ordre très chronologique et ne ménage pas beaucoup de « coups de théâtres », tout n’est que progression. Tant bien même que si l’on ignore l’histoire de Zelda et Scott, la fin est assez prévisible. Le texte est forcément dans cette lignée, bien qu’on puisse être surpris de temps à autres : quelques phrases surgissent, mais restent des « bons mots » épars…

Néanmoins, on a un léger plaisir à partager cette vie, celle si classique du poète et de sa muse, puisque la légende veut que ce soit Zelda qui ait inspiré à Scott son premier succès, L’envers du Paradis. Ensemble, ils profitent de cette gloire à plein régime au rythme des cuites, des drogues et des mondanités. Ils jouent à se faire peur comme des enfants dans ce monde d’adulte qui brille de mille feux. Zelda est simple, fait la naïve, exagère son personnage de provinciale et Scott en est fou.

Ernest Hemingway vient faire ici le pendant raisonnable à la spirale autodestructrice du couple. Découvert par Fitzgerald, l’auteur en devenir n’est pas l’homme sombre qui se décrit en filigrane dans Pour qui sonne le glas. Dans Zelda et Scott, il est celui qui a la tête sur les épaules, celui qui tient la corde en haut du puits et que Fitzgerald refuse d’attraper. Jean-Paul Bordes campe son personnage peut-être de façon un peu trop monolithique, face aux nuances dans la détresse incarnée de Julien Boisselier. Dommage.

Enfin, le spectacle est accompagné par un live band très conventionnel qui occupe bien son rôle de soutient. Quoi de plus évident pour accompagner l’aventure de l’écrivain qui représente l’ère du jazz ? Mais cela ne suffit pas à l’histoire pour nous faire sentir (physiquement !), l’Amérique de ces années. Zelda et Scott sont trop propre dans la première partie ! Heureusement, la seconde sent un peu plus le tabac et le whisky. La violence, la déchirure y sont bien visible.

La déchéance, la désolation, la mort, sont là. Trop tardivement, trop brutalement sans doute. C’est donc un spectacle tiède que nous sert ici Renaud Meyer. Une tiédeur qui étonne tant l’histoire qu’elle illustre fut sulfureuse.

« Les Liaisons Dangereuses », texte et mise en scène de Renaud Meyer, au Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère, 75009 Paris. Durée : 1h40 (avec entracte). Plus d’informations et réservations sur www.theatrelabruyere.com

 




L’École des Femmes, leçon acide à La Tempête

Laura Mariani
Laura Mariani

En montant les grands auteurs classiques (essentiels ?) du théâtre français, le metteur en scène prend un risque. Le risque de montrer quelque chose de déjà (trop ?) vu ou encore celui de vouloir sortir des codes au détriment de l’essence de la pièce. Comme à son habitude [1. Philippe Adrien a mis en scène de nombreuses pièces classiques, pour la liste complète, se référer au site du théâtre de La Tempête], Philippe Adrien ne tombe pas dans un mauvais piège et son École des Femmes respecte le texte tout en lui donnant une résonance moderne.

Le spectacle se déroule dans un décor raffiné, champêtre où la teinte majeure est le gris. Les personnages ont quitté le XVIIe français où ils sont nés pour être transposés dans une toute fin de XIXe siècle morne et un peu angoissante.

Inutile de revenir en détail sur les enjeux du drame, mais l’École des Femmes trouve encore aujourd’hui une véritable raison d’être entendu. Philippe Adrien fait ressortir toute l’horreur de la situation où Arnolphe a voulu sculpter – par l’éducation – une femme (Agnès) selon ce qu’il attendait d’elle, pour pouvoir ensuite l’épouser. Ainsi, il se protégerait de tous les travers (supposés) de la féminité. Une brillante critique du patriarcat moderne en somme, amplifiée par la scénographie où cohabitent une salle de torture et les plaines brumeuses de l’arrière pays [2. La scénographie est de Jean Haas].

Les acteurs sont tous juste, parfois drôles, dans leurs rôles respectifs, notamment Patrick Paroux, campant Arnolphe, qui fait de ce personnage un homme entre Panisse et Louis de Funès, avec quelque touche bouleversante qui laissent voir un égoïsme sans limite au milieu d’une douleur sincère : celle du rejet de sa personne par Agnès, au profit du jeune Horace.

Bien sur, l’amour triomphe dans une scène de fin collégiale en forme de tableau à la Courbet, et l’on quitte la salle, conquis, heureux d’avoir aussi bien entendu le texte de Molière, soutenu par ces ambiances féeriques, oniriques et pourtant très simples dont Adrien a le secret.

Pratique : Jusqu’au 27 octobre 2013 au théâtre de la Tempête, La Cartoucherie de Vincennes – Réservations par téléphone au 01 43 28 36 36 ou sur www.la-tempete.fr/ / Tarifs : entre 12 € et 18 €.

Durée : 2 h

Texte : Molière

Mise en scène : Philippe Adrien

Avec : Raphaël Almosni, Vladimir Ant, Gilles Comode, Pierre Diot, Joanna Jianoux, Valentine Galey, Pierre Lefebvre, Patrick Paroux.




« Tristesse Animal Noir » à la Colline

tristesse

Trop de détails dans le texte

Sensation désagréable

Ce qui nous emmène à la fin du spectacle, qui, bien que jalonnée de mort, est la partie la plus vivante. Les 40 dernières minutes sont prenantes et beaucoup plus dynamiques. En allant voir « Tristesse Animal Noir », prenez votre mal en patience, le meilleur vient à la fin. 

 

Pratique : Jusqu’au 2 février au théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun (75020, Paris).
Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.colline.fr.
Tarifs : entre 14 € et 29 €.

Durée : 2h20

Mise en scène : Stanislas Nordey

Avec : Vincent Dissez, Valérie Dréville, Thomas Gonzalez, Moanda Daddy Kamono, Frédéric Leidgens, Julie Moreau, Lamya Regragui, Laurent Sauvage.




« L’enfant », terrible drame rural

Copyright : Guillaume Lavie

 

Pour imaginer cette création, Carole Thibaut s’est installée en résidence à Saint-Antoine l’Abbaye, commune de l’est de la France en 2009. Un village comme il en existe des milliers. A partir de témoignages reçus, elle crée son décor, une fiction où elle dénonce à quel point l’immobilisme des « honnêtes gens » (au sens auquel l’entendait Brassens), peut conduire aux pires horreurs. Ce texte est le premier volet d’un vaste projet baptisé « Les communautés territoires ».

L’Enfant – Drame rural part d’une métaphore biblique, celle de la destruction de Sodome (qui a été détruite, non pas pour le péché de sodomie qu’on y pratiquait comme il est courant de l’entendre, mais pour le mauvais traitement fait à des étrangers de passages, contrairement à la coutume antique de l’hospitalité). Ici, un enfant est abandonné de bon matin au pied de la ferme la plus isolée d’un village de l’Isère. Ses occupants (une idiote et son père) ne peuvent le garder et le confient au maire, qui le confie à sa sœur qui demande à sa femme de ménage d’en prendre soin. Au final, l’enfant se trouve à nouveau chez l’idiote, qui s’enfuira avec lui pour éviter qu’on ne le lui prenne de nouveau.

Tout au long de l’intrigue, on suit l’Enfant de main en main, le spectateur entre donc dans chaque foyer. Se retrouve du bon côté de la porte pour observer ce qu’il se déroule dans le salon des habitants, dans leur intimité, jusque dans les moindres détails du mobilier… Comment peuvent-ils être monstrueux au point de ne pouvoir garder un bébé quelques heures ? Finalement l’Enfant est prétexte à une fresque effroyable par sa vérité. On est effaré de ce que peut faire l’humain par égoïsme ordinaire. Et bien que ce thème paraisse évident, la façon dont il est montré est particulièrement étonnante.

De belles lumières, un dispositif scénographique ingénieux (qui ressemble à celui de « Ma chambre froide » de Pommerat) et une bande son nous plaçant dans un espace temps radicalement bouleversant font de ce drame un portrait qui semble terriblement réel. Monstrueusement réel. Sans pour autant tomber dans le réalisme gorgé de larmes et d’angoisses. Carole Thibaut a créé un monde dans l’écriture, elle arrive très bien à le faire rejaillir théâtralement, avec une pincée de cynisme grinçant bienvenue.

La création dure 2 h 15, et pourtant elle s’arrête au bon moment, à aucun instant cela ne semble long. Et elle réussit la prouesse de ne pas tomber dans la tragédie sanglante inutile. En choisissant de faire narrer la fin du drame à l’Enfant, elle ne se préoccupe pas de faire mourir chacun de ses personnages, elle se contente juste de nous montrer leur chute, leur vie en somme.

Les acteurs sont tous excellents dans ces rôles, bien marqués et, une fois de plus, tellement crédibles. Ce drame rural ne touche pas que ses protagonistes. Il est affreusement universel.

Pratique : Jusqu’au 27 octobre au théâtre la Tempête, La Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ-de-Manoeuvre (75012, Paris) – Réservations par téléphone au 01 43 28 36 36  ou sur www.la-tempete.fr/ / Tarifs : entre 12 € (étudiants, chômeurs) et 18 € (plein tarif) – Du mardi au dimanche.

Durée : 2 h 15

Texte et mise en scène : Carole Thibaut

Avec :  Marion Barché, Thierry Bosc, Eddie Chignara, Sophie Daull, Emmanuelle Grangé, Donatien Guillot, Fanny Santer, Boris Terral.

Tournée :

  • Le 8 novembre, ATP de Millau
  • Le 10 novembre, ATP de Dax
  • Le 13 novembre, ATP d’Aix-en-Provence
  • Le 14 novembre, ATP d’Avignon
  • Le 16 novembre, ATP de l’Aude, Pennautier
  • Le 20 novembre au théâtre Roger Barrat, Herblay
  • Le 22 novembre, ATP d’Uzès
  • Le 24 novembre, ATP de Nîmes
  • Le 27 novembre, ATP d’Epinal
  • Le 30 novembre à l’Apostrophe, Scène Nationale de Cergy-Pontoise
  • Le 8 janvier, ATP d’Orléans
  • Le 18 janvier, ATP de Roanne
  • Le 22 janvier, ATP de Poitiers
  • Le 1er février à la Ferme de Bel Ebat, Théâtre de Guyancourt
  • Le 16 avril, ATP de Lunel
  • Les 27 (ou 28) juillet au festival « Textes en l’air » de Saint-Antoine l’Abbaye



« Six personnages en quête d’auteur » : Drame familial entre réalité et fiction

Copyright : Elisabeth Carecchio

Créée au festival d’Avignon, cette version de la pièce avec laquelle Pirandello a connu son premier succès auprès du public est bien construite, et heureusement adaptée à 2012. Ces dernières années, le drame pirandellien est souvent représenté de manière ennuyeuse. La faute ne vient pas du maître italien ni (forcément) de ses metteurs en scène modernes, mais du texte original. Souvent daté, poussiéreux, il ne correspond plus à notre époque, notre réalité.

Et pourtant, la question de la réalité est au cœur même de cette pièce écrite en 1921. Réécrite par Stéphane Braunschweig, elle ne prend pas un nouveau sens « actuel », mais retrouve tout simplement son intérêt universel, avec son lot de questions à la fois drôles et captivantes. La pièce est d’ailleurs présentée comme « d’après » Pirandello. Une nuance qui s’avère bienvenue.

Nous, spectateurs, assistons en catimini à la réunion d’une troupe en train de s’ennuyer pendant une séance de travail à table avec son metteur en scène (Claude Duparfait, brillant acteur !). Les comédiens sont perdus et entraînent leur directeur dans un questionnement sur le théâtre et l’intérêt du texte s’il n’est pas habité par l’acteur. Arrivent alors dans la pièce les six personnages. Visiblement, le drame les habite, mais l’auteur qui les a imaginés ne l’a jamais écrit. Ils ressentent le besoin impérieux qu’un écrivain s’en charge tout de même.

Le metteur en scène de la troupe n’accepte pas immédiatement la demande qui lui est soumise par cette étrange famille, mais à force de réflexion il s’engage à retranscrire l’horreur qui les hante, à condition que ce soit avec ses acteurs. Il est vrai que le théâtre se doit d’être une imitation et non pas la retranscription de la réalité… La scénographie qui accompagne la création est un beau clin d’œil en ce sens…

Quand les personnages commencent à jouer c’est très confus, conformément à la structure originale, ils veulent raconter leur histoire mais n’y arrivent pas par eux-mêmes. On ne comprend la toile du drame qu’à partir du moment où ils commencent à être guidés. Cette partie de la pièce est difficile à suivre, ce qui est logique puisque nous ne sommes pas censés être là (c’est une répétition). On accroche un peu plus quand, comme dans les contes pour enfants, on comprend que le personnage de théâtre est dans le même cas que le héros mythologique : tous deux ont besoin que nous croyions en eux pour exister.

Sauf que là, c’est un peu l’histoire du Dr. Frankenstein à l’envers : la créature (ici, la famille) a échappé au maître (le metteur en scène) avant même d’avoir été créée. Peu à peu, ce dernier dompte la réalité qu’expose la famille pour en sculpter un vrai drame théâtral.

Finalement, Braunschweig fait de ces « Six personnages en quête d’auteur » une intéressante pièce manifeste, en utilisant le corps de celle-ci pour pauser un certain nombre de questions sur le théâtre d’aujourd’hui. Quel est l’intérêt d’un texte figé ? Qu’en est-il de la possibilité de l’écriture collective ? Quelle part de l’inconscient de l’acteur joue dans une incarnation ? Jusqu’à quel point un acteur doit-il s’approprier le personnage ? Ici le comédien peut créer un fossé avec la personne qu’il interprète. Lui finit sa journée et sort du personnage, mais le personnage de son côté reste prisonnier de son drame comme Tantale de son supplice, condamné à le revivre chaque soir sur scène. N’est-ce pas là que réside l’horreur même ? 

Pratique : Jusqu’au 7 octobre dans le Grand Théâtre de La Colline – Théâtre National.
Réservations au 01 44 62 52 52 ou sur www.colline.fr / Tarifs : entre 14 et 29 €.

Durée : 1 h 55

Texte (d’après Pirandello) et mise en scène : Stéphane Braunschweig

Avec : Elsa Bouchain, Christophe Brault, Caroline Chaniolleau, Claude Duparfait, Philippe Girard, Anthony Jeanne, Maud Le Grévellec, Anne-Laure Tondu, Manuel Vallade et Emmanuel Vérité

Tournée :

  • Du 10 au 20 octobre 2012 au Théâtre National de Bretagne (TNB), Rennes
  • Du 24 au 26 octobre 2012 à La Filature, Scène nationale, Mulhouse
  • Les 8 et 9 novembre 2012 au Théâtre de L’Archipel, Scène nationale, Perpignan
  • Du 14 au 16 novembre 2012 au Théâtre de la Cité, Théâtre national de Toulouse-Midi-Pyrénées (TNT)
  • Du 22 au 24 novembre 2012 à la Scène nationale de Sénart, Combs-la-Ville
  • Les 28 et 29 novembre 2012 à La Passerelle, Scène nationale, Saint-Brieuc
  • Du 5 au 7 décembre 2012 au Centre dramatique national Orléans/Loiret/Centre
  • Les 12 et 13 décembre 2012 à la Comédie de Valence, Centre dramatique national
  • Les 20 et 21 décembre 2012 au Centre dramatique national de Besançon et de Franche-Comté
  • Les 10 et 11 janvier 2013 au Théâtre Lorient, Centre dramatique national de Bretagne (CDDB)
  • Du 16 au 18 janvier 2013 au Théâtre de Caen



Qui veut adopter Mélanie Laurent?

Depuis une dizaine d’années, Mélanie Laurent retient l’attention d’un public tantôt charmé, tantôt exaspéré, sur scène ou devant la caméra. Ces derniers temps, ses apparitions se sont diversifiées. Après  un album concocté par Damien Rice et Joel Shearer (sur lequel, on ne se prononce pas), un discours remarqué pour l’ouverture du festival de Cannes (sur lequel on ne se prononce toujours pas), Mélanie Laurent réalise son premier film. Il sort en salle demain.

 

L’histoire est simple. Une famille unie voit son fragile équilibre exploser le jour où Marine (Marie Denarnaud) tombe amoureuse d’Alex (Denis Ménochet). Si Millie, la mère (Clémentine Célarié) approuve cette rencontre, Lisa, la sœur (Mélanie Laurent) se sent délaissée. Il faut dire que des hommes, il n’y en avait pas beaucoup dans leur histoire jusqu’à présent. Mélanie Laurent incarne la mère d’un petit Léo, cinq ans, qui refuse catégoriquement de voir quiconque s’approcher de sa tribu. Petit courant d’air avant la tempête. La belle amoureuse se fait faucher par une voiture et tombe dans le coma. Commence alors un long travail de deuil qui vise à accepter qu’une personne adoptée tire sa révérence tandis que d’autres se font une place au sein de la famille au pire moment.

Conseil d’ami. Tout ce qu’elle touche, Mélanie Laurent le marque de son sceau. Dans son film, elle est partout. On la sent dans les personnages, on l’entend dans les discours, on la voit dans le cadre de la caméra. Elle se décline sous toutes ses formes jusque sur le papier peint. Omniprésente. Alors si vous l’aimiez, Mélanie Laurent, adoptez-la. Vous ne serez pas déçus. Mais les sceptiques, abstenez-vous.

 

Bande annonce du film :