Feuilleton théâtral : semaine n°47
Une nouvelle semaine théâtrale marquée, comme d’habitude, par tous les contrastes. De spectacles à faire naître une aversion pour le théâtre à la naissance de nouveaux chefs d’œuvres, on a traversé tous les états : ennui, colère, en passant par l’aveu, une fois de plus, de la vision de notre impuissance.
Au théâtre des Déchargeurs, en allant voir « Le Chant du cygne », j’ai pensé assister à la petite pièce en un acte d’Anton Tchekhov. J’avais bêtement lu l’affiche, sans chercher à en savoir davantage. Si le lever de rideau est conforme à ce à quoi le spectateur peut s’attendre, après la première dizaine de minutes, c’est le plongeon vers l’inconnu. Du dialogue nostalgique et triste de Tchekhov, on tombe dans les histoires de coulisses et échanges de techniques théâtrales entre un vieux et un jeune comédien. Les vies personnelles de ces derniers sont racontées à un public qui, légitimement, n’en a pas grand chose à faire. D’autant qu’il n’y a ni cohésion, ni recherche d’unité. Robert Bouvier, le metteur en scène, justifie cela en disant que son spectacle est à l’image de l’existence : imprévisible. Imprévisible, peut-être, mais faussement rocambolesque, parsemée de détails qui n’intéressent que ceux qui les vivent, cela n’engageait que Robert Bouvier, et personne ne lui en aurait voulu de garder ça pour lui !
Autre catastrophe, mais dont les raisons diffèrent : « Iphigénie en Tauride » de Goethe, interprétée comme à la Comédie-Française dans les années 60 par une Cécile Garcia faussement détachée qui semble ne pas comprendre ce qu’elle dit. Elle a des airs d’une bonne copine qui, en fin de soirée, imite Florence Foresti qui imite Isabelle Adjani en tragédienne. Et que dire des acteurs habillés comme une troupe amateur ayant comme contrainte de trouver ses costumes dans la pire des friperies ? Le mauvais goût est conforté par le manque de finesse de la mise en scène illustrative de Jean-Pierre Vincent – on est sur une île alors on entend le bruit de la mer… Tout ici, hormis Pierre-François Garel est à dégoûter du théâtre de la fin des Lumières pourtant porteur d’un message encore brûlant.
Classique, mais réussi, « L’Avare » de Jacques Osinski à l’Artistic Théâtre. Jean-Claude Frissung y campe un Harpagon tout en nuance, colérique mais sans cesse prêt à sombrer dans la folie. Ne devient-il pas fou errant lorsqu’on lui dérobe sa « cassette » ? Entouré d’un groupe d’acteurs qui, par un jeu élégant, soulignent la force du personnage central, le propos et le texte restent actuels à l’oreille du spectateur moderne.
Autre propos, d’autant plus en prise avec l’actualité : « Une chambre en Inde ». La nouvelle mise en scène d’Ariane Mnouchkine – certains racontent que ce serait la dernière – singe une troupe de théâtre dirigée au pied levé par une certaine Cornélia. On assiste à la débâcle d’un groupe d’acteurs financés par l’Alliance Française de Pondichéry, venus pour travailler sur le Mahabharata mais que les attentats du 13 novembre font changer de direction : après de tels événements, quelle est l’utilité du théâtre dans le monde ? Une suite de questions, illustrées par une succession de scènes où sont ouvertes les blessures les plus flagrantes d’une planète en crise : on voit les guerres, l’écologie, les violences sociétales… Et pourtant, sans perdre de vue la gravité intense, on rit. On s’amuse des personnages, des méchants, des terroristes caricaturés à la manière des bras cassés du film « We are Four Lions ». Cet appel du Théâtre du Soleil invite chacun à se tourner résolument vers le réel, à plonger dans la parole quotidienne contemporaine qui ne bénéficie pas de la même résonance que les textes les plus classiques du théâtre, et qui pourtant mérite tout autant, surtout aujourd’hui, d’être écoutée.
Hadrien Volle
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« Le Chant du cygne », jusqu’au 22 décembre au Théâtre des Déchargeurs
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« Iphigénie en Tauride », jusqu’au 10 décembre au Théâtre de la Ville – Les Abbesses
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« L’Avare », jusqu’au 15 janvier 2017 à l’Artistic Théâtre
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« Une chambre en Inde », jusqu’au 28 février 2017 au Théâtre du Soleil