Perdus par Gérard Watkins
Antoine D. est historien. A son réveil il souffre d’amnésie sélective : oubliant « seulement » sa vie intime : son nom, ses proches… S’il est ici, dans un lieu indéfini mi-chambre d’hôpital mi-salle d’interrogatoire, c’est parce qu’il était habillé en pyjama dans la rue, ce qui est interdit.
Cet espace, on le comprend rapidement, est mental : on est à l’intérieur du personnage. Un endroit vierge où des panneaux translucides accueillent les images de la pensée : vides quand il est éveillé et pense à son entourage, pleins quand, assoupi, il rêve d’histoire contemporaine.
Deux infirmiers (qui seront aussi coach, comédiens, fils et petite-fille, entre autres) complètent l’ensemble. Ce large éventail qu’ils incarnent dans l’esprit d’Antoine est très riche, puisque leur personnalité évolue au fil des souvenirs. On remarque surtout Cécile Brest, interprétée par une Géraldine Martineau déchaînée. En fille délurée et gouailleuse, elle est une figure bordeline très réussie. Le contraste de gabarit entre son corps enfantin et la grande taille de Philippe Morier-Genoud (Antoine D.) ajoute encore à la force du caractère de son personnage.
Malheureusement, la pièce pèche par le texte. Le dialogue dramatique démarre bien, on navigue entre l’absurde et le drame avec plaisir, une touche de science-fiction donne de l’originalité à l’ensemble. L’écriture est vive, pleine de cynisme et de digressions, quelques gags ponctuent des répliques graves. Mais plus on s’enfonce dans la tête du personnage, plus il se souvient de son intimité. Les pensées se font donc moins claires, moins définies, plongeant par la même occasion le spectateur dans une confusion de plus en plus grande.
Antoine D. ne semble pas avoir vraiment envie de se souvenir. Le spectateur public est maintenu dans un entre-deux confus où les personnages annexes se transforment peu à peu comme par intermittence. C’est poétique mais vague, on arrive à saisir le principal, mais ce ne sont que de brefs moments au milieu d’un magma métaphysique mal contenu, trop dense, trop décousu.
Où cela nous mène ? La pièce questionne indirectement le rapport de chacun à son histoire personnelle, quelle importance celle-ci prend dans notre vie. Quelques scènes nous renvoient à l’absence volontaire de l’autre, la reproduction du schéma paternel, ici composé d’oubli. Dans « Je ne me souviens plus très bien » Antoine est confronté à l’abandon qu’il inflige aux autres : de lui, de ses proches, et malheureusement du public.
« Je ne me souviens plus très bien » de Gérard Watkins, au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 5 octobre, le mardi à 19h30, du mardi au samedi à 20h30. Dimanche à 15h30. Durée : 1h30. Plus d’informations sur www.theatredurondpoint.fr/.