« Constellations », est un entremêlement entre univers parallèles et histoires d’amour. Marianne (Marie Gilain) et Roland (Christophe Paou) se rencontrent lors d’un barbecue, couchent ensemble (ou finalement pas), vivent ensemble et affrontent des épreuves qui, en fonction de l’univers où elles se déroulent et leurs situations respectives, connaîtront une issue différente.
Pour le spectateur, cela donne des scènes qui recommencent plusieurs fois et dont l’issue est imprévisible. La variation est infime, comme si toutes les histoires étaient empilées les unes sur les autres sur ce plateau (un splendide trou noir), symbolisant la porte qui permet de passer d’un possible à l’autre.
Les acteurs opèrent ainsi à d’infimes (mais palpables) changements de jeu d’une situation à l’autre. On observe la gêne d’une rencontre, le premier rendez-vous, l’adultère, la mort comme une épée de Damoclès. Pas de ligne chronologique mais une succession d’émotions diverses, des plus drôles aux plus dramatiques. Spectateurs, on rêverait de pouvoir jongler d’un univers à l’autre, savoir qu’il suffit d’un mot, d’un geste pour construire ou détruire des émotions mutuelles. Comprendre les sentiments devient dans « Constellations » un défi bien plus colossal que d’étudier les rayonnements cosmiques – le métier de Marianne.
Comme avec Ring de Léonore Confino dans le même théâtre, il y a deux saisons, c’est un plaisir de voir une plume moderne, celle de Nick Payne, parler d’amour quotidien avec un regard à la fois ironique et brûlant de profondeur. Pourquoi vit-on si ce n’est pour cela ?
« Constellations », de Nick Payne, mise en scène de Marc Paquien, actuellement au Théâtre du Petit Saint-Martin, 17 rue René Boulanger, 75010 Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur www.petitstmartin.com
« La Révolte » ou la vie
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Depuis son XIXe siècle natal, « La Révolte » d’Auguste Villiers de l’Isle-Adam nous crie toute sa modernité flamboyante au visage, grâce à la mise en scène toute en tension de Marc Paquien. De prime abord, rédigée comme une critique de la bourgeoisie financière de son époque, la pièce s’avère représenter le sursaut de vie d’une épouse, portée par Anouk Grinberg, femme brillante et puissante.
Celle-ci a subit un mariage par contrat et se retrouve ainsi prisonnière, « mariée, mais pas unie à son époux ». Consciencieuse, elle est soumise à la tenue des comptes de l’affaire familiale 10 heures par jour. Elle prépare secrètement son échappée du « monde réel » dans lequel elle est enfermée depuis plus de quatre ans. Lors de la rupture, elle adopte l’attitude d’une employée qui quitte un patron abasourdi, en présentant les comptes faits et les affaires en ordre.
Le mari (Hervé Briaux) est l’archétype du bourgeois de la Troisième République, la face la plus sombre d’un personnage échappé d’un Feydeau. Il est dur, opportuniste et catégorique ; ne laissant aucune chance de s’exprimer à ceux qui l’entourent par ses discours d’intentions réactionnaires. Il est l’obscène que l’on aime haïr. Quand elle le quitte, hurlant qu’elle « veut vivre », le mari tombe des nues. Pour lui, c’est impossible, elle doit juste avoir une poussée d’hormones ! Il est alors une sorte de Jacques-Henri Jacquard face à Jacquouille la Fripouille dans « Les Visiteurs », mais nous sommes ici dans un drame : le départ de sa femme lui causera une attaque. Non pas parce que cela lui déchire le cœur, mais parce qu’il y a une faille dans le « monde réel » où il vivait jusque-là.
Les « braves gens » sont les principales victimes de cette satire. Ces bourgeois qui se cachent derrière de bons principes pour commettre des actes ignobles – ici, déloger une famille d’un appartement insalubre dans le but de gagner 3000 francs. Plus la pièce avance, plus la tension augmente. La relation entre les protagonistes est tendue et ironique. Il semble qu’un courant d’air pourrait venir briser cette mise en scène d’une grande finesse faisant ressortir parfaitement les enjeux entre les personnages. La femme revendique avoir « payé sa dette sociale » en restant avec son mari, travaillant pour lui et lui donnant une descendance. Maintenant, ça suffit. Plus qu’un couple qui se déchire ici, on est dans une confrontation entre réactionnaires et novateurs épris d’une liberté somme toute humaine. Elle veut casser le monde qu’elle connaît bien. Choquante, la pièce se termine dans un cynisme glaçant : une fois cet univers brisé, où aller ? A peine partie, la femme reviendra pour reprendre cette vie qui ne peut rien lui offrir d’autre. Fanée, c’est le « monde réel » qui l’a détruite, non sans avoir fait germer une profonde empathie envers ce personnage dans le cœur et les consciences des spectateurs.
Outre un propos prenant, le travail de Paquien est splendide et dans un temps juste, laissant aux silences la place qu’il faut pour s’exprimer – et cela peut durer plusieurs minutes. Dans ce décor minimaliste – un bureau et trois fauteuils devant un immense rideau – la lumière toute en clair-obscur et la musique sont des composantes capitales à la beauté des images. Dans « La Révolte », l’ambiance est sombre et angoissante comme une promenade à travers une vieille bâtisse bourgeoise dans laquelle on ressent le poids des siècles et des traditions sur ses épaules : comment en sortir ? La femme, n’y parvient pas. Au spectateur alors, d’imaginer des solutions pour les vies futures.
« La Révolte » d’Auguste Villiers de L’Isle Adam. Mise en scène de Marc Paquien, jusqu’au 25 avril à au théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de La Chapelle, 75010 Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur www.bouffesdunord.com.