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Un vent d’anarchie souffle au Montparnasse

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Dans un décor elliptique, minimal, Jean-Claude Idée (véritable passionné de philosophie) raconte et met en scène sa vision d’un Montaigne rongé par le remord de n’avoir respecté la mémoire de La Boétie. Ce dernier hante les rêves du philosophe vieillissant jusqu’à ce celui-ci assume sa trahison mémorielle. À ce duo, Jean-Claude Idée ajoute le personnage de Marie de Gournay, amante (historiquement supposée) de Michel de Montaigne, mais qui dans la pièce est à l’origine d’une seconde jeunesse pour l’homme de lettres.

Les dialogues, toujours unilatéraux (Marie de Gournay ne voit pas La Boétie), et qu’ils soient entre les deux hommes ou entre Montaigne et Marie, sont drôles et ironiques. La langue utilisée est celle de notre siècle, on l’entend bien. La locution difficiles de ces auteurs de la Renaissance française sont laissés dans les livres et la transcription mise en mots par Idée fait ressortir à merveille la pensée des écrivains sans la travestir. Les propos modérés de Montaigne explosent au contact des idées anarchistes de La Boétie, le premier, d’abord pragmatique et froid, se retrouve face à ses propres contradictions.

Nous voyons ici une réflexion sur le pouvoir politique moderne, sur le goût qu’on a pour celui-ci, ses effets. Elle oppose l’ultraconservateur Michel Montaigne — homme conciliant aux accents hollandistes et effrayé par la liberté — et un La Boétie d’extrême gauche, idéaliste, mais sombre, ne se faisant aucune idée sur le genre humain, car « pour construire une société idéale, il faut idéaliser les gens » alors que nous sommes « au monde pour le changer, non pour en jouir ». Et bien que chargé en citations, on ne tombe pas dans une bête paraphrase du Discours sur la Servitude Volontaire, mais dans une réelle confrontation idéologique entre les deux hommes.

Les acteurs sont excellents, naturels, d’une fougue communicative. Marie de Gournay (Katia Miran) est particulièrement juste dans son personnage de femme espiègle et pleine d’espoir juvénile qui brutalise amoureusement le vieux philosophe. La Boétie (Adrien Melin) est doté d’une ironie jouissive qui fait résonner chaque phrase comme une évidence pour le spectateur. Montaigne (Emmanuel Dechartre), d’abord vieux misanthrope, termine la pièce en amoureux transi après être passé par une multitude de nuances intérieures maîtrisées.

« Parce que c’était lui » est une pièce prenante, bien menée et mise en scène dans le souci de la portée du texte. Spectacle littéraire, didactique et compréhensible, on regrette juste que le public parfois somnolant du Petit Montparnasse ne soit peut-être pas le plus à même d’apprécier la valeur révolutionnaire de cette belle création.

Pratique :
Actuellement au Petit Montparnasse
31 rue de la Gaîté, 75014 Paris
Du mardi au samedi à 21h – Dimanche à 15 h
Durée : 1h20
Tarifs : 18/32 €
Réservations au 01 43 22 77 74 ou sur http://www.theatremontparnasse.com/




Le Marquis de Sade libère le Ciné 13 Théâtre

Pierre-Alain Leleu nous propose de partager quelques années de la vie du Marquis de Sade. Texte moderne, avec de nombreux recours aux oeuvres du Marquis, l’interprétation en est parfois déroutante, voire décevante. La mise en scène de Nicolas Briançon, simple et efficace, fait toutefois oublier ces quelques égarements dans le texte et le jeu proposé au public.

Le rideau s’ouvre sur l’arrivée de Donatien Alphonse François de Sade (Pierre-Alain Leleu), dans sa cellule de la Bastille, et la première rencontre avec celui qui va rapidement devenir son bourreau et son souffre-douleur à la fois, le gardien Lossinote (Jacques Brunet, saisissant). Ces provocations sont entrecoupées de crises de folie numéraire à répétition, et tempérées par de profondes réflexions philosophico-religieuses. Mais ce qui occupe surtout et avant tout l’esprit du Marquis, ce sont ses longs dialogues imaginaires avec une créature féminine (La Femme, Dany Verissimo). Ces conversations, ces visites qu’impose cette créature à l’esprit du torturé, représentent le véritable exutoire du bouillonnement intérieur du prisonnier : fantasmes sexuels, perversités de tous ordres, joutes philosophiques, …parfois entremêlées d’apparitions surprenantes (tel le curé, joué par Michel Dussarat).

Car Sade, au-delà de ses moeurs décomplexées, est avant tout un authentique libertin, amoureux et fervent défenseur de la liberté d’opinion, de pensée, d’expression. C’est d’ailleurs celle-ci qui lui a valu, paradoxalement, ses nombreuses années d’enfermement (27 années sur les 74 qu’a duré sa vie).

Dans un contexte actuel voyant s’imposer la toute puissance des religions, et où la diversité et le choix des moeurs est au centre de tous les débats nationaux, il ferait certainement bon d’enseigner dans nos écoles cette pensée affranchie de tout carcan, loin très loin des clichés sulfureux entourant la réputation du cher Marquis.

Sulfureux, aucun doute à ce sujet, le marquis l’a toutefois été. Nicolas Briançon ne s’y trompe pas, dans sa mise en scène, déroutante parfois de crudité, mais jamais déplacée. Austère, on est bien loin du faste et du grandiose déployé dans Volpone (lire l’article sur Arkult), mais l’essentiel est là, et cela fonctionne.

Une pièce qui mérite d’être vue, pour découvrir ou redécouvrir cette figure de la philosophie et de la littérature française, dans la douceur des fauteuils ou canapés du somptueux Ciné 13 Théâtre.

Pratique : Jusqu’au 9 mars au Ciné 13 Théâtre, 1 avenue Junot, 75018 Paris.
Réservations  sur http://www.3emeacte.com/cine13/Manifestations.aspx.
Tarifs : entre 14,50 € et 27,50 €.

Durée : 1h40

Mise en scène : Nicolas Briançon

Avec : Pierre-Alain Leleu, Dany Verissimo, Jacques Brunet, Michel Dussarat

 

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