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[Théâtre] Quand le refuge se transforme en prison

Jules Sagot et Elsa Agnès dans « Après la fin » © Simon Gosselin

Le jeune metteur en scène, Maxime Contrepois, monte Après la fin d’après Dennis Kelly. Un drame psychologique d’une profondeur bluffante.

Mark vient de sauver Louise d’une attaque nucléaire, mais elle ne se souvient pas de la catastrophe. Pour se protéger des radiations, les deux survivants évoluent, cloîtrés dans un abri atomique. Entre refuge et prison, la scène devient le théâtre d’une cohabitation de plus en plus inhumaine.

Au cours de cette colocation forcée, on apprend à connaître Mark. Il est amoureux de Louise, mais elle en aime un autre. Insidieusement mais sûrement, un rapport de domination s’installe sous nos yeux. Sous l’homme attentionné, Mark révèle un garçon rejeté et blessé, qui exige qu’on l’aime. Un béton triste et froid enveloppe cette intrigue terrifiante. On peut parfois se surprendre à détourner le regard d’une scène trop dure. Comme pour se rappeler que l’on n’est pas dans le bunker avec les personnages. La trentaine à peine, Maxime Contrepois nous fait perdre nos repères. Un procédé aussi grisant que fondateur de la représentation théâtrale.

Une authenticité qui prend aux tripes

Dans cette pièce, Dennis Kelly évoque comment l’instinct de survie déshumanise. Mais Après la fin explore aussi le champ de la frustration, sociale et affective. Et peut-être surtout, comment elle explose dans un espace confiné. Pour son troisième spectacle, le jeune metteur en scène nous explique s’être emparé d’un texte où la « parole produit des situations ». Dès lors, il n’hésite pas à demander aux acteurs un « travail titanesque ».  Ils travaillent jusqu’au trouble, comme chez Krystian Lupa, pour se fondre dans leurs rôles. Elsa Agnès et Jules Sagot se glissent dans leurs personnages avec une authenticité qui nous prend aux tripes.

De grands bains noirs opaques scandent le spectacle avec un rythme impeccable. Ce travail de lumière est rondement mené par Sébastien Lemarchand. Le spectateur peut prendre le temps de se remettre d’un choc, ou de saisir l’ampleur de ce qui vient d’être dit. Alors qu’Après la fin prend pour toile de fond l’asservissement d’une femme, le rapport entre les sexes n’est pas l’unique sujet. Rejeté par un groupe à cause de sa différence, de sa difficulté à tisser un lien social, Mark est délicatement bercé de contradictions. Le monstre présenté dans la première partie du spectacle peut tout à fait attendrir dans les derniers instants. Maxime Contrepois place au coeur de son propos que « les salauds ne sont pas des monstres mais des êtres humains ». Un spectacle subtil, porté par une mise en scène délicate et puissante. 

Après la fin, de Dennis Kelly, mis en scène par Maxime Contrepois
Avec Elsa Agnès et Jules Sagot
Durée 1h30 environ
Dates de tournée à retrouver sur : https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Apres-la-fin-24901/lesdates/




Les deux amis – Louis Garrel

Deux amis. Une femme. Un secret.

Outre Atlantique, cela aurait pu faire l’objet d’un thriller haletant, avec son happy ending familial, portant haut les valeurs états-uniennes. Mais ce n’est pas trop la came de Louis Garrel. Happy ending, et puis quoi encore ?

Le début de ce conte moderne est pourtant tout en légèreté musicale, peu de paroles, mais une mélodie omniprésente, aérienne, entraînante. Comme si les malheurs terrestres des personnages ne pesaient pas bien lourd dans l’aventure qui s’apprête à les réunir. Aventure amoureuse, ou plutôt « non-aventure » amoureuse. Des cris, des larmes, des cris, des cris, des cris.

Et puis, comme bien souvent, de l’amour naît la haine. De l’amitié naît la jalousie. Mère de tous les drames. Mère de toutes les peines.

Dans un Paris du quotidien, fait de trains de banlieue, de terrasses de cafés et de jardins publics, Louis Garrel nous livre une vision bien personnelle du triolisme moderne. Bien entouré de Christophe Honoré dans cet exercice, on ressent bien l’influence de son compère sur ce thème récurrent déjà rencontré dans « La Belle Personne » ou encore « Les Chansons d’Amour » pour ne citer qu’eux. Et encore une fois, ce drame contemporain tire sa source d’une intrigue classique. Après « La Princesse de Clèves », les deux amis ont choisi de revisiter « Les caprices de Marianne » à leur propre sauce.

Cette fois, c’est Golshifteh Farahani et Vincent Macaigne qui subissent l’impétuosité de Louis Garrel, virant parfois à la mauvaise foi ravageuse. Le trio est superbe, irréel et en même temps bien ancré dans un quotidien banal. Les rapports sont cruels d’humanité et de sincérité. La caméra de Louis Garrel filme le vrai, sans ambages ni maquillage. Le spectateur est touché, au plus profond de son jeu de valeurs et de certitudes. Et il en redemande … Mission réussie donc ?

Les deux amis
Réalisation : Louis Garrel
Scénario : Louis Garrel et Christophe Honoré
Golshifteh Farahani : Mona
Louis Garrel : Abel
Vincent Macaigne : Clément
Laurent Laffargue : le metteur en scène

Rachid Hami : l’acteur
Pierre Maillet : le réceptionniste de l’hôtel

 




OZ ! Une radiographie pétrifiante des prisons américaines …


Oz est le surnom de la prison américaine Oswald State Correctional Facility, mais c’est surtout une série « made in » HBO. Tom Fontana, le créateur de la série qui a signé, de sa plume noire, l’écriture de la majorité des scénarios de Oz, co-écrit par ailleurs Borgia (Canal+). L’homme qui a révélé Denzel Washington au grand public avec sa première série, « St-Elsewhere« , ne fait pas dans les mièvreries. Son domaine c’est le psychologique, le scandaleux, les vils instincts, le Mr. Hyde qui sommeille en chacun de nous.


Au cœur de la série, l’unité spéciale d’une prison de haute sécurité : Emerald City. Notre sésame pour passer derrière les nombreux murs, contrôles et barreaux est Augustus Hill (Harold Perrineau Junior). Ce narrateur prisonnier psychédélique a, en outre, la particularité d’être en fauteuil roulant. Chaque épisode est ponctué par ses allocutions poético-trash. Augustus porte un œil très personnel et caustique sur le système carcéral et nous livre sous forme de flash-back les raisons qui ont conduits chacun des prisonniers à rejoindre l’unité. Qu’ils appartiennent aux clans des italiens, des musulmans noirs, des gangstas, des néo-nazis ou des latinos ils sont tous logés à la même enseigne, au sens propre mais pas au figuré. Dans un tel endoit, les rapports de forces y sont évidemment exacerbés.

Alliance, trahison, stratégie : tous les coups sont permis quand on est là pour…toute une vie.


Le concept unique d’Em City porté par son manager Mac Manus ( Terry Kinney) personnage utopiste et ambivalent, consiste à faire cohabiter dans un simulacre d’autarcie des hommes ravagés par leur vie précédente, le tout encadré par des matons parfois guère plus honnêtes… Il est laissé au bon soin des prisonniers de s’occuper de la cantine, du nettoyage des vêtements et d’un atelier de confection. Un microcosme reconstitué de toutes pièces, derrière les barreaux. Visionnaire ou fou, Mc Manus ne tardera pas à être aussi aliéné par cette prison que ses détenus. Du côté des gentils, il est aidé dans sa tâche pour la partie religieuse par Sister Peter Marie et Father Ray Mukada. Quant à Diane Wittlesey (Edie Falco, épouse de Tony Soprano dans la série « Les Soprano »s), elle met les mains dans le cambouis pour contenir la poudrière.


On s’éloigne ainsi de la thématique récurrente prisonnier/évasion, pour se rapprocher de la peinture sociale au vitriol à mi-chemin entre le film Precious de Lee Daniels pour l’aspect détresse et Shutter Island de Martin Scorsese pour la folie et l’emprisonnement.
Tensions inter-communautaires, gangs, drogue, homosexualité et réinsertion des détenus sont au programme (par conséquent, assez festif !). Les épisodes s’enchaînent à un rythme diablement effrayant. L’intrigue est bien amenée et l’alternance des points de vues des personnages nous fait vivre de l’intérieur ce quotidien violent mais aussi la guerre des nerfs et la guerre de religion qui s’y trament.

Oz est super-réaliste, malsaine, sanglante, une décharge d’adrénaline pour les durs, les vrais, les tatoués. D’ailleurs, durant le générique choc de la série, un bras se fait tatouer le surnom de la prison de façon stylisée, avec une goutte bien ronde de sang sombre juste en dessous du Z. Ça n’est pas de la fiction, ce tatouage est bel et bien sur le bras de quelqu’un… son créateur. Âmes sensibles s’abstenir.


La saison 1, constituée de 8 épisodes est véritablement à couper le souffle. Ce ne sont pas les paysages qui laissent sans voix, puisque la série est quasiment un huis-clôt. Ce qui coupe la chique, c’est le coup de poing qu’on a l’impression de recevoir bien au milieu du ventre. Il existe à ce jour 56 épisodes de 55 minutes sur 6 saisons. Le casting d’Oz n’est pas sans rappeler des personnages inoubliables d’autres séries cultes de HBO telles que The Wire (Sur Ecoute) et The Sopranos, on y remarquera notamment Tobias Beecher (Lee Tergesen) blanche-brebis égarée. Aucun hasard à cela …  Tom Fontana a collaboré au début de sa carrière avec Barry Levinson, sur l’adaptation en série d’un roman choc « Homicide : A year on the killing streets » écrit par David Simon.


« Peu m’importe que les personnages ne soient pas sympathiques, du moment qu’ils sont intéressants.  » a déclaré Tom Fontana. Il est certain qu’à côté de Kareem Said (Eamonn Walker), Donald Groves (Sean Whitesell) qui a mangé ses parents ou Vernon Schillinger (Jonathan Kimble Simmons ) le nazi, les détenus de Prison Break sont d’inoffensives collégiennes en vacances chez les bisounours.


« It’s no place like home », (rien ne vaut son chez soi) on en est bien convaincu au terme :

Oz (1997 – 2003) de Tom Fontana.


Casting de la saison 1 de Oz :

Harold Perrineau Jr. ( Augustus Hill), Lee Tergesen (Tobias Beecher), Eamonn Walker (Kareem Said), Dean Winters (Ryan O’Reilly ), J. K. Simmons (Vernon Schillinger), Kirk Acevedo (Miguel Alvarez), George Morfogen (Bob Rebadow), MuMs (Jackson), Adewale Akinnuoye-Agbaje (Simon Adebisi), J. D. Williams (Kenny Wangler), Tony Musante (Nino Schibetta), Leon Robinson (Jefferson Keane), Dr. Lauren Vélez (Dr.Gloria Nathan), Sean Whitesell (Donald Groves), Edie Falco (Diane Wittlesey).