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Eichmann : la banalité systématique du mal

Pascal Victor/ArtcomArt
Pascal Victor/ArtcomArt

Lorsqu’en mai 1960, Eichmann est capturé à Buenos Aires en Argentine, puis transporté en Israël à Jérusalem, c’est dans un théâtre transformé en tribunal que son jugement a lieu. Il est ainsi donné en spectacle aux caméras du monde entier. En ce moment, le théâtre Majâz rejoue le procès de l’homme – pour ne pas dire monstre – à l’origine de la « solution finale ». En revendiquant un théâtre engagé, la compagnie a utilisé les retranscriptions d’époque du procès ainsi que de nombreux fonds d’archives pour dire le réel.

Le projet a vu le jour avec non pas l’idée de jouer un Eichmann bourreau, mais de le dépasser pour donner la parole au responsable logistique qu’il a été, d’utiliser ses propres mots, lui qui n’eut d’autre ligne de défense que de prétendre avoir répondu aux ordres ou servi le système et fut condamné à mort en 1961. Toute la mise en scène de Ido Shaked et la scénographie concourent à l’interrogation du système, à travers la parole collective d’Eichmann et du potentiel dramatique de son procès. Au nombre de sept, les comédiens qui forment une troupe éclectique se répartissent la parole fragmentée d’un Eichmann jamais vraiment incarné, ce qui rend son système davantage intelligible et ne provoque ni empathie ni détestation à l’égard de l’homme. À de multiples reprises d’ailleurs, les comédiens devenus juges ou témoins adressent sèchement au public « Je vous interdis toute manifestation de sentiments ». Un jeu saisissant dans leur tentative de faire dire au « spécialiste » ce qu’il savait.

La scénographie dans laquelle le procès a lieu est sombre, tout est noir excepté la photographie d’Eichmann émergeant symboliquement d’un papier blanc. Avec seulement une table, quelques chaises et un rétroprojecteur qui accentuent l’effet administratif de la démarche, l’explication de la politique d’extermination se dessine littéralement sur le sol. C’est sur un plateau monté sur rivets qui de fait est complètement instable et bouge suivant un système de balancier que les comédiens dessinent à la craie blanche des organigrammes, recréent des tableaux d’archives avec rigueur et méthode avant de tout effacer, comme on laverait l’histoire de ses plaies. Pour autant, dans cette atmosphère désincarnée, aucune violence n’est montrée, si bien que les photographies à la vue insoutenables qui furent projetées par le passé et que le monde voyait pour la première fois ne sont plus qu’un écran vide comme frappé des claquements du projecteur. Face à ces plans de camps, de chemins de fer, de bombardements, les acteurs portent le texte avec force comme étant eux-mêmes devenus des rouages de la machine. Tous sont poignants alors que leur parole nous assomme de vérité et de possibilités interprétatives.

Sans en dire plus que l’histoire, ses plaies et ses silences, la troupe parvient à une adaptation saisissante du procès d’un homme normal englué dans la banalité du mal, qui a prétendu ne pas savoir et « ne pas être apte à décider » concernant les déportations. Recomposés de la sorte et joués avec autant de finesse et solidité, les faits parlent d’eux-mêmes. Le caractère administratif de la situation suffit à dire la violence de ce que l’on sait de la déportation.

Après la Maison du peuple qui fut le théâtre du procès, le théâtre Gérard Philipe se transforme à son tour en tribunal pour une grande leçon d’Histoire mais surtout, un grand moment de théâtre.

« Eichmann à Jérusalem ou les hommes normaux ne savent pas que tout est possible », Théâtre Majâz, texte de Lauren Houda Hussein, mise en scène de Ido Shaked, jusqu’au 1er avril 2016 au Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique de Saint-Denis, 59, boulevard Jules-Guesde, 93207 Saint-Denis. Durée : 1h15. Plus d’informations et réservations sur www.theatregerardphilipe.com




« Les Gens » tournent en rond

Michel Corbou
Michel Corbou

À la base, la création des « Gens » est plutôt une belle histoire : alors qu’il est directeur de la Colline, Alain Françon monte les célèbres « Pièces de guerre » d’Edward Bond. Entre l’écrivain et le metteur en scène, c’est le coup de foudre immédiat. Une envie si productive qu’Edward Bond n’écrira pas une, mais cinq pièces pour lui. De ce projet appelé la « Quinte de Paris », « Les Gens » est le quatrième opus. Après la grande première qui a eu lieu au TGP de Saint-Denis, Alain Françon a confié aux journalistes qu’il ne créerai pas la dernière pièce car elle est « immontable ». Dieu merci !

La mise en scène est intéressante, sur un plateau qui semble être un flan de montagne volcanique, les acteurs sont toujours en déséquilibre. Françon joue de ces étranges postures que cela provoque, et c’est bien maîtrisé. Les lumières complètent l’ambiance de ces tableaux funestes, tantôt très présente, tantôt presque absente, il n’y a pas de doute, c’est beau. Mais la beauté ne suffit pas, ou peu : elle lasse vite quand il n’y a qu’elle. Et c’est bien là le point noir de ce spectacle.

Le texte est en grande partie imbuvables. Dans une dystopie qu’on imagine post-apocalyptique, le drame se déroule dans un cimetière. Des hommes errent, ils sont profondément abîmés,  comme le paysage. Chaque personnage (ils sont 4) est enfermé dans une histoire qu’il répète inlassablement de plusieurs façons. Les temps de lucidité dans leur histoire laissent apparaître un profond désespoir. Toutes ces phrases n’arrivent nul part, ou disons que, la fin est si prévisible qu’elle ne nous surprend pas. On se rend compte que les protagonistes avaient tous (plus ou moins) une relation qu’ils ont tous (plus ou moins) consciemment oublié à cause d’horreurs vécues.

Et pourtant… Quelques idées apparaissent, très actuelles, sur l’impossibilité de la communication entre gens proche. On y lit aussi l’absence de bienveillance à l’attention des autre, on y voit l’existence comme un simple rite funéraire. Mais tout cela est très brouillon.

On en vient à plaindre les acteurs, particulièrement Dominique Valadié et Aurélien Recoing qui font preuve d’un jeu assez virtuose, mais qui ne suffit pas à nous accrocher. Dans cette situation qu’ils jouent le texte des « Gens » ou qu’ils jouent « Les Pages Jaunes », l’effet pour le public sera sans doute le même.

Pratique :

Jusqu’au 7 février 2014 au théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis
59 boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis (Métro Basilique de Saint-Denis)
Lundi, jeudi et vendredi à 20h / Samedi à 18h / Dimanche à 16h
Durée du spectacle : 1h45
Tarifs : de 6 à 22 euros.
Réservations au 01 48 13 70 00 ou sur www.theatregerardphilipe.com/




Le 6B: OVNI culturel

Julien Beller est aux commandes du paquebot 6B, nouvel OVNI culturel et artistique des mers banlieusardes, arrimé juste en face du pont, au 6-10 Quai de Seine à Saint-Denis.
L’histoire commence en février 2010. Le jeune architecte avide de projets hors normes a signé un bail pour récupérer un ancien immeuble de bureaux désaffectés…

 

Grâce au « bouche à oreille », les locaux ont rapidement subi l’embarquement à bord d’artistes plasticiens, architectes, photographes, musiciens mais aussi acuponcteurs, comptables, associations et entreprises variées, artistes de street-art ou vidéastes… en mal d’espace de partage et de création. « Il y a une centaine de résidents, beaucoup de gens du territoire de Seine-Saint-Denis, mais aussi de plus en plus de Parisiens », explique Julien. Aujourd’hui, la liste d’attente des demandeurs s’allonge et le lieu autonome commence à recevoir quelques soutiens …

 

 

4500 mètres carrés d’éclectisme

 

« La démarche initiale était de partager un espace de travail qui puisse aussi répondre aux besoins du territoire. » Initiateur du projet, Julien l’architecte s’est aussi fait plaisir dans les plans d’aménagement du lieu : « Pour faire de l’architecture, pas besoin de construire. On peut aussi reconstruire. Il s’agit là d’inventer la ville avec ses habitants. »
Le premier étage accueille 1 000 m²­ d’espaces communs partagés entre une salle de danse, de projection, de concert, d’exposition, une cuisine associative, une salle de jeux pour enfants… Le lieu se construit petit à petit sur les idées et l’aide de chacun.
La cuisine associative est l’endroit où les passagers fusionnent, aidés par les inventions culinaires de Maki et Guillaume, initialement tailleurs de pierres.

 

Autorisation de rêver

 


« C’est sur le chantier de rénovation de Notre Dame que nous nous sommes rencontrés. » explique Maki. « Après ce chantier, on s’attaque à la cuisine. »
« C’est différent, mais, cela reste manuel » poursuit Guillaume. « La cuisine, c’est du patrimoine ! Et nous, on a toujours œuvré à l’entretien du patrimoine ! » rigole Maki.
Les tailleurs de pierre proposent des recettes bien à eux que les curieux sont invités à venir découvrir tous les jours de la semaine de 12h30 à 15 heures. L’occasion aussi de rencontrer les résidents. Le projet titanesque de cet été ? Rien de moins que transformer le navire et son lieu d’ancrage en Fabrique Autonome de Rêves. De juin à août, les surfaces engazonnées au bord de l’eau seront aménagées et ouvertes à tous laissant le champ libre aux guinguettes, airs de jeux, concerts, cinéma et ateliers en plein air, performances, expos, bals populaires, barbecue…
À priori, aucun iceberg en vue. Faites vos valises.
Exposition Home Street Home dans le cadre du festival « Banlieusards , et alors ! » montée par l’association Culture de Banlieue résidente au 6B.

 

Dernier événement en date :Le bonheur est dans le Souk, dimanche 1er mai. Une journée de détente musicale, ludique et aquatique dans les jardins du 6b.
L’annonce com’ du 6B vaut le détour:

Plutôt bucolique à chasser les papillons ou en slip sur un matelas pneumatique ?
SoukMachines a dégoté un petit coin de paradis entouré d’eau et de verdure et a réveillé la nature engourdie. Les musiciens ont lustré leurs instruments, les danseurs ont sorti leur lycra, les DJs sont remontés de leurs caves obscures : tous investis de la même mission soukienne pour vous ouvrir les portes de leur ile démentielle. Le 1er mai de 11h à 21h, tout est permis : beat electro-cosmique, frisbee organique, graffiti oxygéné, mister freeze améliorés, merguez body-buildée, canard tektonik, sieste aérienne, maillot de bain minimal, voile intégral, ou les deux… Trompette ou bilboquet, amenez ce que vous voulez pour ouvrir cette première parenthèse enchantée qui va revenir tout l’été !
Plus d’info sur le site du 6B