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Etrange plus qu’inquiétant ou brutal

« Oh putain ! » Eirik (Daniel Delabesse) et Berg (Laurent Sauvage) viennent de découvrir leur père décédé dans son fauteuil. Désemparés, les deux frères sont honteux de n’avoir pas été auprès de lui pour son dernier souffle. Pris dans la panique, ils errent dans l’appartement du défunt et tombent sur divers indices qui, rassemblés, dessinent un homme différent de celui qu’ils connaissaient : poète notoire atteint du syndrome de Diogène.

Par cette situation coquasse, « Les inquiets et les brutes » commence fort dans l’humour absurde. On s’amuse des règlements de comptes familiaux que Eirik fait à Berg, lui-même plutôt détendu mais apeuré. De piques légères, on dérape peu à peu dans une violence affective dans laquelle le premier plonge le second. Berg est l’inquiet et Eirik la brute. Mais au fil de la pièce, les rôles auront tendance à s’inverser…

Car derrière l’aspect un peu café-théâtre, la situation devient de plus en plus étrange dans son développement. Derrière ces répliques cinglantes se dessinent les questionnements que chacun peut avoir face à ses morts, le premier deuil ou plus en amont : comment s’occuper de nos vieux ? La pièce nous montre la confrontation de deux êtres que la vie a façonnés de manières opposées, et qui se retrouvent dans une situation similaire à laquelle ils réagissent donc différemment. Le huis clos est propice aux confidences et au repli sur soi. Sans cesse, ils disent qu’il faudrait « appeler quelqu’un » mais lorsque la sonnette retentit, ils ne veulent pas ouvrir.

Cependant, et ce malgré la mise en scène pleine de bonne volonté d’Olivier Martinaud, le texte sonne finalement assez creux. Aussi, face à un Daniel Delabesse puissant, Laurent Sauvage manque de profondeur et de naturel dans son jeu – il garde toujours la même posture et la même intention alors même qu’il s’empare du rôle de bourreau. « Les inquiets et les brutes » n’est donc ni une bonne comédie, ni un bon drame, pas même un texte poétique. Le passage d’émotion est raté et la promesse de découverte d’un jeune auteur de théâtre allemand, Nis-Momme Stockmann, est loin d’être une révélation.

« Les Inquiets et les brutes » de Nis-Momme Stockmann. Mise en scène d’Olivier Martinaud, jusqu’au 16 mai au Lucernaire, 53 Rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris. Durée : 1h20 minutes. Plus d’informations et réservations sur www.lucernaire.fr.




« Le Canard Sauvage », dramatique liberté

Copyright : Elisabeth Carecchio
Copyright : Elisabeth Carecchio

Ce n’est pas le premier Ibsen que monte Stéphane Braunschweig, c’est même plutôt une récurrence dans son travail. À chaque fois, il fait ressortir de ce théâtre toute la modernité qu’il possède 150 ans après son écriture. La traduction certes, mais aussi le décor et les costumes y sont pour beaucoup.

C’est l’histoire d’une retrouvaille entre deux hommes : Gregers et Hjalamar. Le premier apprend que son père paye toute sa vie au second. Il se met en quête de lui montrer que tout cela est un gigantesque mensonge dont il est la victime. Une sorte de Truman Show avant l’heure, qui confronte les idéaux humains avec la réalité la plus sordide, mais sans être dénuée d’une certaine ironie.

Le drame se déroule dans deux espaces, tous deux intérieurs à leur manière. Le premier est un immense écran descendu sur l’avant-scène où Gregers discute avec un père de 8 mètres de haut (on décrypte aisément la symbolique !) ; le second est un intérieur qu’on imagine être celui d’une famille modeste du nord-ouest de l’Europe qui offre une belle profondeur sur le grenier du logement. Un grenier transformé en forêt. La scénographie est très réussie, douce et mobile. Elle est un espace de jeu qui soutient les acteurs à merveille et les place, au besoin, dans un déséquilibre autant mental que physique. En même temps, le décor joue avec la perception du spectateur, en se penchant vers lui, on en étant très proche de l’avant-scène. C’est selon…

Dans cet univers, les comédiens campent des personnages très marqués par leur caractère. Tous sont justes, instables : on perçoit l’indicible dualité des êtres en chacun d’eux, l’étrangeté plane sur leurs êtres, ils sont une sorte de Famille Adams Norvégienne et lumineuse. Parfois, ils peuvent être très drôles. C’est le cas pour Claude Duparfait dans le rôle de Gregers, fils mystique et psychopathe, prêt à ruiner la vie de son ancien ami dans une croisade pour sa vérité. Parfois bouleversants, comme le sont les deux rôles féminins principaux joués par Suzanne Aubert et Chloé Réjon.

Ce spectacle est un vrai drame théâtral moderne, prenant, esthétique et vivant qui fait se rencontrer le pathétique et le sublime. Il remet au cœur du spectateur cette question récurrente de l’humain : ne faut-il pas vivre dans le mensonge pour, à défaut d’être heureux, mener une vie paisible ? Chacun doit pouvoir faire son choix.

Pratique :
Jusqu’au 15 février 2014 au théâtre de la Colline,
15 rue Malte-Brun (75020 Paris)
Le mardi à 19h30. Du mercredi au samedi à 20h30. Le dimanche à 15h30.
Durée du spectacle : 2 h 30
Tarifs : de 14 à 30 euros.
Réservations au 01 44 62 52 52 ou sur www.colline.fr