Martineau et Lavoine, comme poissons en foire
Léonore Confino est bien l’auteur surprenante que l’on espérait. Si on avait apprécié son regard acide, drôle et ironique sur l’amour dans « Ring », on se souvient aussi de la catastrophe, « Les Uns sur les autres », la pièce qui marquait le retour d’Agnès Jaoui au théâtre. Avec le « Poisson Belge », son nouveau duo, le plus haut niveau est atteint. Elle réalise une pièce géniale sur la difficulté de la rencontre, les relations familiales dramatiques et les liens qui peuvent se créer entre des êtres qui ont comme point commun, leurs différences.
La première scène se déroule un vendredi soir au crépuscule, sur un banc de Bruxelles. La Petite fille (Géraldine Martineau), fait tout pour attirer l’attention de la Grande monsieur (Marc Lavoine). Petite fille prétexte que ses parents l’ont abandonnée, le date de Grande monsieur n’arrive pas. C’est là, à ce moment précis, qu’une adoption se dessine. Les deux personnages vont partager quelques jours, semaines, de leurs vies accidentées (l’une étouffée par une paire de parents psychanalystes, l’autre par la femme qui habite dans son corps d’homme). On apprendra que les géniteurs de Petite fille sont morts dans un accident de voiture, le même vendredi soir où elle a rencontré Grande monsieur. Mais Petite fille supporte bien le deuil, mieux que son hôte, qui finira par aller lui-même à la rencontre de son propre fils, qu’il n’a jamais connu.
Cette pièce est, comme cela caractérise le style de Léonore Confino, un mélange entre narration étrange et lyrisme de l’absurde. Les personnages ont pleinement conscience de la situation atypique qu’ils sont en train de vivre, mais ils s’en accommodent au mieux. Ils acceptent leurs différences, confortés l’un par l’autre. C’est à la fois extrêmement drôle, mais aussi très tendre, sincère, une ode à la bienveillance entre les êtres.
Les pièces de Confino sont mises en scène par Catherine Schaub. Ici, le dispositif mêlant vidéo, espaces neutres – presque futuristes – qui nous projettent hors du temps, et la musique électronique froide rappelle celui de « Ring ». Ce mélange de simplicité et d’élégance scénographique laisse toute la place au génie des comédiens.
Pour Marc Lavoine – déjà acteur dans de nombreux films –, c’est la première fois sur les planches. Frustré, en colère, ce rôle de transsexuel dont les seules marques de féminité sont les boucles d’oreilles, lui va à merveille. Le personnage apparaît derrière l’aura du chanteur. Et si Lavoine est bien, la vraie star du spectacle est Géraldine Martineau. Son physique juvénile aidant, on l’a souvent remarquée dans des rôles de petites filles – au théâtre comme au cinéma –, mais ici, elle ne se contente pas de bien jouer, elle transcende le rôle. Martineau est LA Petite fille, mature et délurée, intelligente, borderline. Par le corps comme par l’esprit, le rôle dessiné par Léonore Confino lui colle à la peau, elle peut y exploser de tout son talent. À la fois effrayée et contente de sa folie, elle devient sur scène un personnage fascinant à l’humour fracassant. Qu’elle danse, se cache, pleure ou rigole. Elle interpelle, démonte les codes de l’enfant bête en le hissant au rang de sage franc et maladroit. Un talent porté par le génie, Géraldine Martineau a trouvé le rôle qui, on l’espère, la révélera au très grand public. Des spectateurs emmenés par ce « Poisson Belge », comme Némo et Doris dans le courant est-australien.
« Le Poisson Belge » de Léonore Confino. Mise en scène Catherine Schaub, actuellement à La Pépinière Théâtre, 7 rue Louis-Legrand, 75002, Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur theatrelapepiniere.com/