La guerre des clans aura bien lieu
Coralie, la vingtaine passée, Vicky pour les intimes anonymes du téléphone rose, vit dans un bled paumé en compagnie de son « père » et d’un ex-prisonnier enamouré. Pour voisins, 3 compères, caïds de la campagne, wesh wesh made in Tabernacland, dont les principales occupations se résument à jouer au ping-pong, à traquer du Frenchy égaré, à rouler des muscles pour devenir les maîtres absolus… d’un hameau. Deux prostituées russes complètent le tableau.
Ici, on pousse les indésirables de leur vélo à coups de voiture puis on achève les ennemis à bout portant. La mort plane et ce ne sont pourtant pas les coups de revolver qui l’annoncent. La mort s’est déjà installée dans les traits, les pas, les mouvements lourds de ces corps bruts mais lâches.
La nature, si souvent sujet de contemplation, se révèle oppressante.
Le ciel immense d’un blanc saturé menace à chaque instant de tomber sur la tête de ces hommes. Les nuages sont fixes. La vie semble s’être arrêtée.
« Rien ne bouge ».
Dans cette nature écrasante, tout en lignes arides, les personnages évoluent comme des ombres, des personnages de papier noir, ce qui n’est pas sans rappeler Michel Ocelot. Des pantins, en somme.
Il y a à cet égard une scène éloquente. Le petit chef en devenir se trouve dans un champ à côté d’une voiture. Batte à la main, une forme noire en mouvement massacre la voiture avec rage. On est frappés par cette explosion et pourtant, à l’image de ce bâton levé, un air de marionnette, on ne peut s’empêcher de penser à Guignol et à ses coups de bâton saccadés.
Car il y a bien quelque chose d’étrangement burlesque dans ce film.
On pense à Mrs Murdock et le rein de la délivrance. On aurait presque honte d’en sourire largement.
Le temps, aussi, est menaçant. Il passe à compte-gouttes et ce ne sont pas les tic-tac des horloges qui sonnent son inexorable lenteur mais le bruit des balles de ping-pong qu’on renvoie inlassablement au voisin en se relayant, jusqu’à se résoudre à se donner la mort, comme Alain, dans la solitude des champs de maïs.
Dans ce panorama cauchemardesque subsistent pourtant quelques points de lumière, témoins les prostituées russes et la forêt. Une forêt aux allures de conte de fées, irréelle, dangereuse, hors du temps. Ce sera pourtant là que l’héroïne ira trouver refuge, se balançant sur une barrière, comme l’enfant qu’elle n’est plus. Coralie est désorientée, et nous aussi. On est incertains, parfois mal à l’aise mais fascinés. On s’aveugle d’une heure et demie de N/B intense et lorsque l’on sort du film, on se surprend, les yeux au ciel, à en vérifier le bleu et à fixer d’un regard songeur les couleurs de l’été, comme dotés de nouveaux yeux.
Elle veut le chaos de Denis Côté. Avec Ève Duranceau, Nicolas Canuel, Normand Lévesque, Olivier Aubin, Laurent Lucas et Réjean Lefrançois. 1h45. 2008. Disponible en DVD.