Le cinéma sud-coréen jouit ces dernières années d’un coup de projecteur, lui valant aujourd’hui d’être connu et reconnu à travers le monde. Tenant le pari d’être à la fois exigeant et ambitieux tout en restant populaire, à l’instar du dernier film de Shim Sung-Bo : Les Clandestins.
Les Clandestins, candidat à l’oscar du meilleur film en Corée du Sud, est le premier long-métrage de Shim-Sung Bo en tant que réalisateur. Son travail de scénariste avec Bong Joon Ho pour le film Memories of Murder était déjà un succès. Nous retrouvons ici le duo gagnant, qui confirme avec ce film une œuvre saisissante. Celui-ci raconte l’histoire d’un capitaine, Mr Kang, infortuné mais épris de passion pour son bateau : le Junjin, qu’il refuse d’abandonner. Pour le sauver lui et ses hommes, il acceptera alors de basculer dans l’illégalité en transportant des clandestins lors d’un voyage qui vire au chaos. Le récit, inspiré de faits réels, est avant tout un drame social à la croisée des genres : entre thriller et film d’horreur, basculant parfois dans la comédie grâce à la palette de personnages tous plus déments les uns que les autres.
Pourtant, c’est bien une tragédie qui se joue dès les premières minutes de film, au travers d’un paysage déjà assombri et d’un capitaine au visage fermé, qui ne nous laissera jamais l’occasion de le voir sourire. Se refermant tout au long de l’histoire dans l’agressivité et la fureur. Se transformant petit à petit en une créature monstrueuse capable des pires atrocités pour sauver son bien le plus précieux. Interprété par le brillant Kim Yun-Sesk, adepte des rôles de méchant, celui-ci réussi avec brio à susciter chez le spectateur autant de haine que d’empathie dans ce rôle de capitaine abandonné.
Ce banal transport de clandestin bascule dans le cauchemar lorsqu’on découvre la vingtaine d’hommes et de femmes enfermés dans la cale, sans vie. Se montre alors à nous un nouveau visage de l’horreur humaine quand vient le moment pour l’équipage de se débarrasser des corps à coups de haches. Tournant essentiel du film, qui revelèra alors les vrais personnalités et la véritable nature de chaque membre de l’équipage pour qui, jusque là, un sentiment de sollicitude régnait. Shim-Sung Bo, réussit très bien ce retournement de situation apportant au film un nouvel élan essentiel. L’enfermement dans une sorte de huit à clos à ciel ouvert sur un pont nous permet de vivre tous les évènements comme si nous y étions : le débarquement des clandestins pendant la nuit de tempête, le contrôle de la police sur la bateau, l’histoire d’amour entre un marin et une clandestine. Histoire d’amour qui aura d’ailleurs une place importante tout au long de l’histoire, déclenchant jalousies et animosités qui feront perdre la tête et bien plus à certains membres de l’équipage. La romance s’entrelaçant avec l’horreur apporte un contraste qui vient intensifier les émotions. Là est bien la force de Shim Sung Bo : jongler entre les genres avec adresse et apporter une dynamique qui ne s’essouffle jamais.
Peu de surprise quand à la chute de l’histoire : alors que sombre au loin le capitaine et son bateau, les deux amoureux s’enfuient à la nage. Une fin vendue très vite au cours du film, où l’on comprend un peu naïvement que l’amour triomphera de toute la méchanceté du monde. Mais c’est sans compter sur le brillant réalisateur sud coréen qui ne laissera pas le film s’achever sur un commun happy end et qui réservera un dernier rebondissement. Les Clandestins est un savant mélange de genre, qui ne nous laisse pas une minute de répit, nous plongeant progressivement dans une horreur de plus en plus effrayante. Faisant basculer chaque personnage dans leurs travers les plus sombres, amenant même les plus innocents à devenir des bêtes. Nous dévoilant les plus noirs facettes de l’être humain et son instinct d’animal, nous laissant dubitatif quand à ce que notre voisin de fauteuil serait capable de faire dans une situation pareille.
« SEA FOG : Les Clandestins », de Sung Bo Shim, sortie au cinéma le 1er avril 2015.
Du même auteur ...
- L'humour plus fort que la mort - June 13th, 2015
- Les amants de l'ombre - June 8th, 2015
- De l'insouciante légèreté de la jeunesse - June 1st, 2015
- Dear White People : des noirs dans un monde de blanc - March 23rd, 2015
- L'amour rend aveugle - February 10th, 2015