[Exposition] « Daniel Brush » : l’esthétique intemporelle d’un artiste polymorphe
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Pour célébrer ses cinq années d’existence, l’Ecole des Arts Joailliers magnifie la création contemporaine internationale par le biais d’expositions temporaires et ouvre ses portes au grand public. Tel un écrin précieux, l’Ecole accueille jusqu’au 31 octobre seulement, les œuvres singulières de l’artiste en orfèvrerie Daniel Brush. A travers une sélection de sculptures, colliers, manchettes et dessins, l’exposition met en valeur l’univers de ce créateur polymorphe qui fascine par son perfectionnisme et sa maîtrise technique. Plus qu’une simple monstration esthétique, un moment d’une élégance rare.
Peintre, philosophe, sculpteur ou encore historien, Daniel Brush est un artiste aux multiples talents dont les œuvres reflètent en filigrane, ces complexes influences. Créateur énigmatique, ses réalisations comme sa vie personnelle étonnent et fascinent : telle une légende de l’artiste forgée au fil du temps, on le dit solitaire et volontiers reclus dans son atelier, travailleur acharné dont la vie quotidienne très ritualisée confère à son œuvre, une dimension méditative et quasi-mystique. Tel un enchanteur alchimiste, Daniel Brush façonne pierres et métaux pour en révéler la sensualité, dissimulée sous l’apparente rudesse du matériau. Ainsi sous ses doigts, l’acier brut se fait bijou, tour à tour papillons aux parures d’or ou coquelicots de diamants.
Les créations ici présentées et magnifiées par une muséographie épurée aux tons de nacre, subjuguent par leur délicatesse et l’impression de mouvement qu’elles exhalent : faites d’or et de cuivre, d’acier et d’aluminium, leurs surfaces creusées de vagues métalliques et de fins sillons se parent de reflets lumineux et changeants.
De ces matériaux pourtant si lourds, émane une légèreté paradoxale où la maîtrise technique s’efface derrière la poésie du bijou. Fruits d’une réflexion plastique en perpétuelle innovation, les objets d’art de Daniel Brush recèlent un charme envoûtant que l’on ne saurait briser.
Parmi les pièces exposées, les colliers créés par l’artiste métaphorisent une épopée poétique livrée aux caprices du temps. Issus d’une collection de 117 pièces, ils possèdent tous leurs spécificités, leur caractère propre aux accents parfois animaliers, sertis de pierres précieuses ou rehaussés de motifs floraux. Conçus sur une période de quatre ans, ces colliers célèbrent tant l’évanescence du présent que la beauté d’une femme imaginaire, absolue, dont le cou serait orné de ces créations uniques. Dès lors, le charme de ces pièces réside avant tout dans leur rareté, loin d’une logique marchande où la multiplication de l’objet annihile sa singularité.
Tout aussi hypnotiques, les dessins grands formats de l’artiste se déploient sur les murs de l’Ecole des Arts Joailliers. Plastiquement, l’influence japonaise de la calligraphie et du théâtre Nô est palpable. Ici, contrairement aux bijoux ciselés qui s’observent au plus près, il faut se détacher de l’œuvre pour en saisir la complexité intrinsèque : que l’on s’éloigne du cadre, et la toile s’anime, la sensation de mouvement affleure face à ces dessins qui semblent inachevés, mus par une vie propre à la fois fugitive et suspendue dans l’instant. Ainsi appréhendées dans l’espace, les lignes esquissent de fugaces stries ondulantes, comme autant d’échos aux fines ciselures des bijoux.
Par sa première exposition française, Daniel Brush insuffle à l’art de la joaillerie contemporaine, une forte dimension émotionnelle et bouleverse les codes par son insatiable quête d’originalité. « Il me faut repousser les limites de la bijouterie pour bousculer l’histoire » explique-t-il ; une subversion esthétique certes, mais qui privilégie l’harmonie et la richesse de la forme à la vile polémique. Collectionneur passionné d’objets anciens, Daniel Brush y puise une inspiration foisonnante teintée d’historicité, afin de créer des pièces à la sensualité quasi-viscérale et obsédante. Un tour de force tout en finesse.
Thaïs Bihour
L’exposition « Daniel Brush, Cuffs and Necks » se tient jusqu’au 31 octobre à l’Ecole des Arts Joailliers. Plus d’informations sur https://www.lecolevancleefarpels.com/fr
[Exposition] « Klaus Barbie, le procès », ou l’absolue nécessité d’un réveil mémoriel
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Le 11 mai 1987, s’ouvre le premier procès pour crime contre l’humanité en France : Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo de Lyon, s’apprête à être jugé devant la cour d’assises du Rhône. A l’occasion du 30e anniversaire de ce procès historique, le Mémorial de la Shoah revient sur ces 37 jours d’audience qui ont marqué les consciences, à travers de nombreux témoignages et documents inédits. Saisissante, l’exposition met en lumière le rôle du contre-espionnage américain qui a protégé Barbie, mais aussi l’action déterminante des époux Klarsfeld dans la traque du criminel nazi, ainsi que les démarches menées par Fortunée Benguigui et Ita-Rosa Halaunbrenner, dont les enfants furent déportés. De salle en salle, documents des services secrets, images d’archives, extraits d’audiences et coupures de presse, retracent les étapes d’un procès qui a bouleversé l’opinion au-delà des frontières françaises. Trente ans après, la parole des rescapés d’Auschwitz et le souvenir des 44 enfants d’Izieu, restent gravés dans la conscience collective, marquant l’absolue nécessité d’une mémoire à conserver.
Né le 15 octobre 1913 en Rhénanie-Westphalie, Klaus Barbie intègre les jeunesses hitlériennes avant d’être recruté par le service de sécurité du parti nazi en 1935. Affecté à Lyon dès novembre 1942, il ne tarde pas à prendre la direction du département IV de la Gestapo et reçoit le surnom de « boucher de Lyon » pour les nombreuses arrestations, tortures et déportations qu’il ordonne. Il est ainsi reconnu comme le commanditaire de la rafle de l’Ugif rue Sainte-Catherine du 9 février 1943, de celle des 44 enfants d’Izieu le 6 avril 1944 qui furent gazés à Auschwitz, et du dernier convoi de déportés du 11 août 1944. Enfin, le 21 juin 1943, il arrête Jean Moulin et le torture à mort avant de s’enfuir lors de la Libération.
Pour autant, à l’indicible effroi des crimes commis par Klaus Barbie, se superpose la cruelle opération des Américains : ces derniers le recrutent au sein de leur cellule de contre-espionnage et lui permettent de se réfugier en Bolivie sous le nom de Klaus Altmann, tandis que les services secrets français tentent de suivre sa trace. Tout aussi implacable est l’attitude des services de renseignements allemands qui emploieront secrètement Barbie jusqu’en 1966. Face à ce triste constat, le malaise va en grandissant. La muséographie sobre et épurée, parée de bois clair et tonalités sombres, accentue cette froideur qui prend au ventre ; toute démonstration ornementale serait superflue : les faits et les documents parlent d’eux-mêmes, silencieux mais criants de vérité.
Suivant une trame chronologique, le parcours s’ouvre sur la traque de Klaus Barbie ; douze années durant lesquelles l’ancien officier SS – aidé par le parquet de Munich qui enterre toutes les poursuites à son encontre, parvient à échapper à la justice, jusqu’à sa remise aux autorités françaises en 1983. Pour en arriver là, il aura fallu la détermination sans faille d’hommes et de femmes à l’instar de Serge et Beate Klarsfeld, d’Ita-Rosa Halaunbrenner ou du résistant Raymond Aubrac, prêts à tout pour faire entendre leur voix et celle des victimes de Barbie : « Six millions de morts étaient avec moi aujourd’hui : s’ils ont marqué le jury, j’aurais gagné quelque chose », témoigne l’ancienne déportée Simone Kaddoshe-Lagrange lors du procès.
Abondamment documentée, l’exposition relate minutieusement l’instruction du procès qui se déroule entre février 1983 et octobre 1985. Le dossier est complexe, tant par la nature des actes commis que par la temporalité des évènements : Barbie est accusé de crimes prescrits depuis près de dix ans lorsqu’il est transféré à la prison Saint-Joseph de Lyon. Il est donc primordial de fournir de nouvelles preuves pour relancer l’affaire ; désormais, c’est au juge Christian Riss de prouver que Barbie s’est bien rendu coupable de crimes contre l’humanité, imprescriptibles aux yeux de la loi.
Mais l’accusé refuse de se présenter au procès et lorsqu’il accepte de répondre aux faits qui lui sont reprochés, il les réfute et atteste n’avoir aucun souvenir des témoins qu’on lui présente. Face à l’une de ses victimes, Julie Fino-Franceschini, on lui demande : « Cette dame vous reconnaît formellement. Vous avez entendu son témoignage. Qu’en pensez-vous ? » ; il répond : « Je n’ai rien à dire. » Confronté aux rapports de déportations signés de sa main, aux documents qui comptabilisent les arrestations et au télégramme envoyé par ses soins après la rafle d’Izieu, il ne cesse de nier, soutenu par son avocat Me Jacques Vergès qui affirme qu’il s’agit de faux.
Durant sept semaines, magistrats allemands spécialisés dans la traque d’anciens nazis, experts de la persécution des Juifs en France, scientifiques chargés d’authentifier les pièces à conviction et témoins directs, se succèdent à la barre. La parole portée par les rescapés des camps ébranle l’opinion et le procès Klaus Barbie s’affiche en une des journaux du monde entier : le réveil de la mémoire est amorcé. Le 15 octobre 1992, le Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation est créé, les établissements scolaires organisent des entretiens entre élèves et anciens déportés, tandis que François Mitterrand inaugure le Mémorial des Enfants d’Izieu en ce 24 avril 1994.
Le parcours de cette exposition poignante et ô combien nécessaire, s’achève sur les images filmées du procès et retransmises pour la première fois en intégralité. Après tant de preuves à charge et de vies brisées, on est désemparé, la gorge nouée par la plaidoirie de Me Vergès qui scande lors de la 37ème audience : « Au nom de l’humanité, du droit et de la France, acquittez Klaus Barbie. »
Cette ultime déclamation échoue, et après sept semaines d’un procès inoubliable, Klaus Barbie est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Une nouvelle étape en faveur de la construction mémorielle de la Seconde Guerre mondiale est franchie, dont nous sommes désormais les garants.
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Thaïs Bihour
L’exposition « Le procès Klaus Barbie. Lyon, 1987 » se tient jusqu’au 15 octobre au Mémorial de la Shoah. Plus d’informations sur http://www.memorialdelashoah.org/
[Exposition] « Lee Ungno » : un rêve de liberté à l’encre calligraphiée
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Fort de ses liens avec la création plastique coréenne contemporaine, le musée Cernuschi dédie sa nouvelle exposition à l’artiste Lee Ungno (1904-1989). Considéré comme l’un des peintres asiatiques les plus importants du XXème siècle, son œuvre exprime une quête libertaire façonnée par les bouleversements politiques de son époque et résonnant des cris d’un peuple opprimé. Ancien prisonnier politique sous le mandat de Park Chung-hee, c’est toute la démocratie coréenne naissante qui s’incarne à travers ses encres calligraphiées et ses compositions abstraites, où se décline le motif symbolique des foules. En 1959, Lee Ungno s’établit en France et fonde quelques années plus tard, l’Académie de peinture orientale abritée par le musée Cernuschi ; durant sa carrière, il ne cessera d’explorer les liens entre l’Extrême-Orient et l’Europe, fréquentant des artistes occidentaux tels Hans Hartung ou Pierre Soulages. Ici, une sélection de 82 œuvres parmi les collections du musée, compose cette rétrospective où le travail académique de Lee Ungno côtoie ses créations plus intimes entre figuration et abstraction. Alors, l’émotion se mêle à la richesse du propos, promesse d’un songe où la liberté s’esquisse à l’encre calligraphiée.
Durant les années 1920-1930, la production de Lee Ungno se situe dans une veine traditionnelle qui lui assure ses premiers succès, exerçant même dans le domaine publicitaire en tant que concepteur d’affiches. Pourtant, la domination des autorités coloniales japonaises tend à bouleverser le paysage culturel coréen, incitant les artistes à se familiariser avec un nouveau vocabulaire. La nécessité d’étudier les pays occidentaux afin d’être en mesure de leur résister se dessine en filigrane : les mutations artistiques du Japon entre modernité et tradition – notamment durant l’ère Meiji, en sont le symbole. A partir de 1937, Lee Ungno teinte donc son langage plastique de nouvelles influences, empruntées tant aux courants européens qu’au nihonga, mouvement réformateur de l’art japonais.
Mais en 1945, la libération de la Corée amorce une rupture esthétique dans le travail de l’artiste : ses expérimentations sur la couleur, la matière et les textures portent la marque d’une société coréenne bouleversée, éreintée par les conflits sociaux et dont l’avant-garde artistique dépeint désormais la douleur. L’espace muséal, paré de tonalités rouge et de noir, restitue avec justesse cette atmosphère saturée d’une sourde violence. Dès lors, la confrontation de Lee Ungno avec les courants abstraits européens amorce un tournant, dont son installation définitive en France signe l’aboutissement.
En 1964, il fonde l’Académie de peinture orientale de Paris, véritable trait d’union artistique et intellectuel entre les mouvements occidentaux et asiatiques. L’artiste coréen y prodigue ses enseignements en tant que professeur ; il privilégie la liberté personnelle de ses élèves et le développement de leur propre vocabulaire plastique, rejetant ainsi l’usage de la copie. L’Académie devient au fil des ans, un lieu de dialogue franco-coréen qui se perpétue après la mort de son créateur en 1989.
Très attaché à sa culture coréenne d’origine, Lee Ungno réalise de nombreuses calligraphies et encres sur papier inspirées de la tradition lettrée. La plasticité et l’expressivité de ses motifs qui confinent à l’abstraction, deviennent pour l’artiste une source de créativité libérée de ses carcans formels. Ainsi, la spontanéité du trait prime parfois sur la lisibilité des caractères. Pour autant, Lee Ungno ne se détourne pas totalement des valeurs esthétiques et morales de la peinture traditionnelle ; elles s’incarnent dans des compositions où se déploient de majestueux bambous, signes contestataires de la vertu face à l’oppression du pouvoir.
Poignantes et subtilement mises en valeur par une muséographie épurée, ces œuvres où la poésie s’allie à la vindicte militante, portent les stigmates de son incarcération en tant que prisonnier politique. Détenu de 1967 à 1969, Lee Ungno préserve sa liberté créatrice et s’adapte aux conditions pénitentiaires, faisant ainsi évoluer sa pratique artistique. Morceaux de cartons, papiers et bouts de cordes, investissent désormais la toile dans des compositions abstraites aux formes cernées d’épais contours.
Ainsi, le motif particulier de ces foules humaines saturant l’espace pictural, découle des abstractions calligraphiques réalisées en prison. Ces silhouettes, dont la pureté géométrique annihile la complexité des formes, évoquent par leur multiplication des danses ou rituels collectifs. Mais la colère gronde encore en Corée et le soulèvement populaire de la ville de Gwangju en mai 1980, suscite une farouche répression des autorités. L’art de Lee Ungno se pare une nouvelle fois de contestation politique : ses foules démesurées appellent de leurs vœux, l’émergence d’une ère progressiste et démocratique.
Le parcours s’achève avec émoi sur ces individus massés, emblèmes d’une société unie contre la violence d’un état totalitaire. La conclusion ne pourrait être plus tranchante ; ces foules hypnotisantes matérialisent par leur élan vital, un rêve de liberté réalisé au prix de nombreuses existences et menant à la démocratisation de la société sud-coréenne. Ainsi en est-il de ce tiraillement qui affleure dans l’esthétique de Lee Ungno, où les préoccupations politiques grondent sous la poésie plastique et dont les idéaux, à l’encre dessinés, ne sauraient se diluer.
Thaïs Bihour
« Lee Ungno, l’homme des foules » – L’exposition se tient jusqu’au 19 novembre 2017 au musée Cernuschi. Plus d’informations sur http://www.cernuschi.paris.fr/
[Exposition] « Animer le paysage » : une expérience immersive, pour mieux sensibiliser
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A la genèse de cette exposition qui explore la piste des vivants, il y a le domaine de Belval : situé au cœur des Ardennes et créé en 1972 par l’industriel François Sommer, le site – qui a œuvré à la réintroduction du cerf –, est conçu comme un espace de dialogue entre l’homme et la nature. Accessible au public, le parc pâtit cependant de l’afflux de visiteurs : en 2001, il est contraint de fermer pour préserver son écosystème. Le domaine de Belval devient dès lors, un centre de recherche tant scientifique qu’artistique, soucieux de la biodiversité et veillant au respect d’une chasse durable. Dans cette optique, « Animer le paysage » donne la parole à des écologues, chasseurs ou agriculteurs, afin de partager leur vision de la faune et de la flore, sans préjugé. Ainsi, le parcours engage le visiteur à devenir acteur de son environnement, aussi bien culturel que naturel ; une expérience immersive, au service d’une meilleure sensibilisation ?
« Si je vous dis : « Il faut sauver la nature », vous direz sans y penser : « Oui, oui, bien sûr » – et vous passerez à autre chose de plus important. Mais si je vous dis : « Il faut défendre votre territoire ! » alors, là, vous vous mobiliserez aussitôt », explique le socio-anthropologue Bruno Latour. Dans ce constat qui souligne l’écart de sensibilité entre la notion de « territoire » et de « nature », c’est notre individualisme, tout autant que la tradition iconographique du paysage qui sont mis en perspective. Face à la nature, on demeure extérieur, aussi simplement qu’un spectateur admire une peinture de paysage : l’émotion est certes présente, mais se sent-on véritablement concerné ? Tel est le postulat défendu par cette exposition : pour prendre conscience de son écosystème et le préserver, il faut s’y confronter de manière palpable. Traquer, capter, pister, sillonner ; telles sont les actions auxquelles ce parcours incite, à travers divers témoignages, photographies ou installations numériques.
« TRAQUER », telle est la première thématique illustrée par Sylvain Gouraud : par le prisme de la chasse, l’artiste évoque la complexité des enjeux relatifs à l’aménagement d’un territoire partagé, où animaux et humains doivent cohabiter et trouver leur place. Filant la métaphore de la traque – qui consiste à se fondre dans le paysage, son installation photographique matérialise cet exercice de dissimulation : pour observer ses clichés, il faut se courber, jouer avec la perspective, l’espace et la luminosité. Son œuvre, à l’image de la nature, ne se laisse appréhender qu’au terme d’une observation attentive.
Thierry Boutonnier invite ensuite, à « SILLONNER » le paysage. Lauréat du prix COAL Art et Environnement en 2010 pour son œuvre Prenez racines !, l’artiste propose ici, une réflexion sur l’interdépendance entre humain et écosystème. En s’intéressant au maïs, cette plante dont la culture compte parmi les plus productives dans les pays industrialisés, Thierry Boutonnier met en lumière le travail des agriculteurs ; avec pudeur, il dévoile leurs difficultés, et leurs craintes face à l’avenir d’un monde agricole en pleine mutation. Telle une œuvre de Land Art détournée, les témoignages qui ornent les murs évoquent avec force, ces chemins de maïs tourmentés.
Puis, l’artiste Sonia Levy et l’architecte Alexandra Arènes, proposent de « CAPTER » les mouvements des êtres vivants. Invitées au domaine de Belval pour enquêter sur les modes de vie de différentes espèces, leur travail questionne les bouleversements industriels et leur impact sur l’environnement. L’objectif, tant artistique qu’écologique, est de façonner une carte géographique d’un genre nouveau, en croisant les chemins empruntés par divers êtres vivants – qu’ils soient humains ou non. Loin des traditionnels plans inanimés, les courbes décrites par les sangliers ou les flèches rythmant les vols d’oiseaux, dessinent des reliefs singuliers qui matérialisent ce fourmillement de vitalité au sein du territoire de Belval.
Enfin, une alcôve abrite l’installation de Baptiste Morizot et Estelle Zhong Mengual : au rythme d’un flash lumineux qui fend l’obscurité, l’on est convié à « PISTER » la faune sauvage et ses grands prédateurs. Telle une mise en abîme, nos pas se mêlent aux empreintes animales gravées au sol ; une trace visible et matérielle, qui questionne de manière poétique l’impact de l’homme sur l’environnement.
Aussi immersive et engagée que soit cette exposition, parvient-elle vraiment à transcender la tradition iconographique du paysage ? La contemplation extérieure, s’efface-t-elle au profit d’une nature incarnée ? S’il semble difficile d’appréhender une diversité suffisante de points de vue et de pratiques artistiques en seulement quatre thématiques, il serait irréfléchi de condamner une telle démarche en faveur de la biodiversité et d’une chasse durable. La question est si fondamentale, qu’elle ne souffre aucune critique sur le fond ; sur la forme, la concision du parcours et la réussite de l’expérience sensible, seront soumises au ressenti de chacun.
« Animer le paysage », c’est aussi l’occasion de découvrir le projet artistique d’Olivier Sévère, développé lors de sa résidence à la Villa Kujoyama. Intitulée « Loin d’une île », l’exposition dévoile de saisissantes sculptures, constituées de fragments de roches rapportées du Japon. Là réside toute l’émotion ; dans ce déracinement des pierres, matérialisé par le morcellement que l’artiste leur inflige : il les fragmente, les mélange et les fusionne, créant de nouvelles roches composites dont la cohérence visuelle, dissimule une complexité intrinsèque et poignante.
Pourtant, Olivier Sévère reste humble face aux matériaux qu’il manipule. A travers deux vidéos – Dans ces eaux-là et En Substance, l’artiste met en valeur la force créatrice de la nature et des puissances telluriques : elles portent en elles la force du sculpteur originel, bien avant que l’homme ne façonne le paysage et n’y laisse son empreinte. Plus qu’une sage conclusion qui relie ces deux expositions, un plaidoyer salutaire, une ode au vivant.
Thaïs Bihour
« Animer le paysage – Sur la piste des vivants » et « Loin d’une île » – Les expositions se tiennent jusqu’au 17 septembre 2017 au Musée de la Chasse et de la Nature. Plus d’informations sur http://www.chassenature.org/
[Exposition] « Potente di fuoco» : métamorphoses animales au prisme du temps
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Au Musée du Temps de Besançon, cerné d’horloges et de trotteuses galopantes, le street artist italien mondialement connu Ericailcane / Leonardo, dévoile son incroyable bestiaire aux mille métamorphoses. Dans cette exposition au titre évocateur, « Potente di fuoco – Les âges de la vie », il se penche sur ses dessins d’enfant, à l’aune de son regard d’adulte. « Inventeur d’animaux » comme le surnomme son père, le petit Leonardo se retrouve pris dans l’engrenage du temps : les diptyques exposés, où ses illustrations enfantines et leurs réinterprétations se font face, tissent la trame d’un imaginaire permanent confronté au cycle de la vie. Une belle occasion de (re)découvrir l’artiste et son univers captivant.
Né à Belluno au nord de l’Italie dans les années 1980, Ericailcane côtoie le milieu naturaliste dès son enfance aux côtés de son père. Fasciné par la nature et le monde animal, ses œuvres se parent de créatures anthropomorphes qui, dans leur beauté ambigüe, dessinent les travers de la société humaine. Inspiré par l’imagerie zoomorphe du caricaturiste Grandville, ses bêtes étranges mêlent la précision d’un biologiste à l’iconographie fantastique et effroyable d’un Jérôme Bosch ; un jeu permanent entre tension et poésie, que l’artiste exprime dans ses fresques au cœur de l’espace urbain.
Ici, loin du regard des passants, les œuvres sont plus intimistes, centrées sur l’espièglerie d’un garçon de cinq ans à l’imagination foisonnante : les dessins – précieusement conservés par ses parents, racontent des histoires de grenouilles-pirates hissant le drapeau noir, d’oiseaux aux allures d’avions ou de hérissons cueilleurs de cerises.
Vingt ans plus tard, à travers le prisme du temps, la candeur s’efface devant l’expérience vécue ; hostilité entre espèces, armes tranchantes et gueules aux rictus inquiétants, sont désormais l’apanage de ces animaux modernes.
A la fois émerveillé et bouleversé, on ne sort pas indemne d’une telle confrontation : l’innocence du petit Leonardo, blesse l’adulte en nous comme un coup de poignard. Ainsi, perchées en équilibre entre onirisme naïf et cruauté du monde, les silhouettes anthropomorphiques d’Ericailcane esquissent à la seule force de feutres de couleurs, une incroyable odyssée du vivant.
Thaïs Bihour
« Potente di fuoco – Les âges de la vie » – L’exposition se tient au Musée de Temps de Besançon jusqu’au 17 septembre 2017. Plus d’informations sur : http://www.mdt.besancon.fr/
L’exposition est présentée en parallèle de l’édition 2017 du festival Bien Urbain – parcours artistiques dans l’espace public –, et qui accueille cette année l’artiste Ericailcane (http://www.ericailcane.org). Pour en savoir plus : http://bien-urbain.fr/fr/
[Exposition] « Tout allumé » : les ensorcelantes parodies du vivant de Gilbert Peyre
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Après le succès de son exposition « L’électromécanomaniaque » à la Halle Saint-Pierre, Gilbert Peyre dévoile sa Cour des Miracles aussi fantaisiste qu’effroyable, à La Grande Vapeur d’Oyonnax. Ancienne manufacture dédiée à la fabrique de peignes, l’édifice classé monument historique offre à l’artiste, une scène à la fois épurée et théâtrale : dans cette ambiance industrielle, ses œuvres à l’esthétique savamment loufoque et disloquée, y trouvent une place de choix. Entre tintamarre mécanique et poésie burlesque, une exposition saisissante, où l’imaginaire enchante l’ordinaire.
De la FIAC à la Fondation Cartier, en passant par l’exposition « Persona » du quai Branly, les machines-opéras de Gilbert Peyre ont marqué les esprits par leur charme énigmatique et leur fragile beauté : un univers de paradoxes poétiques, où le matériel côtoie l’allégorique. Jean-Pierre Jeunet ne s’y trompe pas lorsqu’en 2009, il met en scène six œuvres de l’artiste dans son film Micmacs à tire-larigot ; un scénario à leur image, satirique et teinté d’absurde, un peu cruel sous ses dehors enfantins.
À La Grande Vapeur, l’atmosphère de ce lieu chargé d’histoire restitue à merveille cette ambivalence : brute, saturée de béton armé, mais habitée par des créatures hybrides et attachantes. Là, une BêteMachine chante du Edith Piaf à tue-tête, tandis qu’une souris-marionnette exécute une danse endiablée, juchée sur des pinces à linge. Plus singulière, une femme sans tête se dandine voluptueusement dans sa culotte : sans nul doute, un clin d’œil sensuel et dérangeant à la célèbre Poupée du surréaliste Hans Bellmer, un hommage à cet objet fétiche devenu quasi-iconique.
Poèmes inventifs et sensibles, les dispositifs de l’artiste dévoilent aussi en filigrane, de subtiles références à l’Histoire de l’art ; tel est le cas de ce Tableau de Chasse créé en 2014. Visuellement, l’œuvre est très aboutie : des boîtes de sardines en métal miment, telle une nature morte mécanisée, un banc de poissons frétillant dans l’océan ; caressante, la lumière qui se reflète sur les conserves imite les reflets de l’eau. Telle une Vanité mise en abîme, cette installation où les objets eux-mêmes sont réifiés, devient un admirable pléonasme artistique. Certes, de l’onirisme émane de cette scène de chasse, mais la cruauté est sous-jacente : comment continuer de rêver dans une société de consommation qui a besoin de tels trophées ?
Matérialisant des univers désincarnés, faits de bric et de broc, le travail de Gilbert Peyre révèle les paradoxes du quotidien : tout va de travers et pourtant, tout fonctionne. Dès lors, ces installations interpellent et portent à réfléchir ; elles soulignent que la clef de certaines œuvres, réside parfois dans la curiosité et la patience, plutôt que dans la satisfaction immédiate : certains mécanismes sont lents, énigmatiques, les bourdonnements métalliques rythment une attente angoissée où rien n’a de logique apparente.
L’artiste, au fond, esquisse des allégories sarcastiques de la vie : on est au cœur du familier, entouré d’assiettes, de jouets, de linge et de vaisselle ; pourtant, c’est la maison des horreurs. Face à ce spectacle hallucinant, on a envie de s’échapper, mais on reste fasciné par ces ensorcelantes parodies du vivant.
Sans conteste, Peyre insuffle une âme à ses machines dont l’obsolescence devient la plus belle qualité. Sa maîtrise technologique est indéniable et ses œuvres, ersatz d’humanité, évoquent un incroyable imaginaire poétique. « La mécanique est la plus belle partie de l’objet », explique-t-il ; l’enchantement en effet, réside peut-être là : dans ce qui est insoupçonnable.
[Exposition] « Grand Trouble » : entre fascination et regrets
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Réunis à la Halle Saint-Pierre pour acter la naissance de leur nouveau collectif, près de quarante artistes explorent le monde dans sa complexité, sa beauté et sa violence intrinsèque, au sein d’une exposition dont le titre interpelle : « Grand Trouble ». Sous cette dénomination énigmatique, se cache un dialogue permanent de médiums, de supports et d’identités artistiques qu’aucune école de pensée ne rassemble. Dans cette optique dégagée de tout dogmatisme, le parcours promet au visiteur d’expérimenter une nouvelle manière de s’émouvoir, sans carcan ni contrainte. Mais est-on réellement saisi par ce trouble tant attendu ?
Si la manifestation « Grand Trouble » se veut émancipée des codes de la création contemporaine, et détachée de l’esprit mercantile inhérent au marché de l’art, quelques réserves se dessinent. Porté par ce collectif d’artistes que leur amitié et leur admiration mutuelle rassemblent, le parcours souffre paradoxalement de l’incohérence stylistique qu’ils revendiquent ; si le postulat d’un mouvement libéré des dogmes peut constituer une véritable force, l’intention s’égare parfois dans la réalisation : en choisissant pour seul lien thématique la violence et la beauté du monde, le fil conducteur s’avère si ténu qu’il semble se dissoudre dans un léger déjà-vu.
Certes, le sujet est porteur et de prenantes réalisations ponctuent la visite. Mais à l’évidence, choisir la fureur du monde et l’expressivité de l’angoisse comme sujet fédérateur est un exercice périlleux ; tant de grands noms s’y sont essayés : Otto Dix, Egon Schiele, Francis Bacon pour ne citer qu’eux…l’esprit est marqué par ces généalogies artistiques dont on ne parvient pas à se détacher totalement. Serait-on à ce point conditionné et aveuglé par une culture muséale des chefs-d’œuvre ? Ou emprisonné dans un discours formaté qui ne souffrirait aucune opinion divergente ? Que nenni ; car en contemplant les enfants armés du talentueux dessinateur Frédéric Pajak, ce ne sont pas les grands maîtres de l’histoire de l’art qui viennent à l’esprit, mais bien l’imagerie populaire – tantôt victimaire, tantôt patriotique – de la Première Guerre mondiale. Bien sûr, la posture de ce collectif d’artistes est défendable : aucune création ne peut naître ex nihilo. A raison, Frédéric Pajak admet volontiers que « tout artiste […] participe d’une filiation éthique et esthétique ».
Alors au fond, ce qui gêne dans ce « Grand Trouble », c’est son argumentaire : dans la forme, exposer librement les œuvres d’un collectif est un moyen pertinent de mettre en lumière la création contemporaine. Le souci n’est pas là. En revanche, la promesse d’une monstration du monde dans sa violence et ses paradoxes, engendre une attente démesurée vis-à-vis des artistes : l’atmosphère du lieu est poignante, les œuvres prises isolément fascinent et imposent leur présence ; mais la finalité de l’ensemble se dilue dès qu’on tente de l’effleurer.
Néanmoins, la Halle Saint-Pierre reste fidèle à ses engagements de liberté artistique et de non-conformisme : « Grand Trouble » plonge dans des univers d’abstraction où la confusion du trait se mue en harmonie, à l’instar des troublants dessins de Marcel Katuchevski ; elle révèle des processus esthétiques quasi-cosmogoniques et dévoile un hyperréalisme glaçant d’où émergent les femmes mannequins désincarnées de Sylvie Fajfrowska. Ces œuvres fortes, portées par leurs créateurs, laissent leur empreinte et marquent l’esprit.
Ainsi en est-il de Tomi Ungerer et ses réifications dérangeantes du corps humain, où des prisonniers de guerre s’entassent dans des boîtes de sardines ; d’Alain Frentzel qui se joue de notre regard, brouillant les identités et les frontières entre visible et invisible dans sa série La vie dans les plis. On se laisse absorber par les toiles à la fois magnétiques, violentes et stellaires de Jean-Paul Marcheschi qui s’abîment dans ces fusions de cire, d’encre et de suie. Plus loin, on est saisi par les maquettes d’Edith Dufaux, comme autant d’espaces hallucinatoires et fictifs où la mémoire n’a plus de repère. De même, on reste captivé par les œuvres d’Uroch Tochkovitch, ce peintre mystique dont les autoportraits douloureux saisissent au plus profond de l’âme.
Mais transcrire le monde dans sa violence et son pur chaos, nécessite aussi de plonger dans l’ordre cosmique et le sacré des origines ; Chantalpetit livre ici une série de sculptures splendides, brutes et particulièrement valorisées par une muséographie en nuances. Mise en exergue dans une vidéo de l’artiste, la technique à l’œuvre dans sa Fabrique des météores se situe entre maîtrise du matériau et hasard du processus créatif ; une installation aboutie qui se déploie majestueusement au cœur de la Halle Saint-Pierre.
Enfin, une œuvre de Jérôme Cognet capte littéralement le regard : un écran géant, posé au sol, diffuse des séquences d’archives en continu dont l’artiste a effacé au montage, toute forme de figuration pour ne garder que le grain de l’image et son rythme saccadé. Au son d’un grésillement quasi-hypnotique, une matière granuleuse et scintillante se répand à terre, telle une mine de graphite usée par un inlassable frottement ; celui d’une violence insatiable du monde ?
« L’art est fait pour troubler. La science rassure », affirmait Georges Braque. Alors que l’on se laisse emporter par les propositions de ce mouvement artistique ; ou que l’on reste sur la réserve, « Grand Trouble » est une manifestation inédite qui ne laissera personne indifférent. Probablement, il y a là matière à débat ; et c’est tant mieux !
Thaïs Bihour
« Grand Trouble » – L’exposition se tient jusqu’au 30 juillet 2017 à la Halle Saint-Pierre. Plus d’informations sur http://www.hallesaintpierre.org/
[Exposition] Le « Sentiment de la Licorne », ou l’enchantement des sens
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La Maison Cire Trudon, créatrice de bougies d’exception et plus ancienne manufacture de cire au monde depuis 1643, s’associe au Musée de la Chasse et de la Nature pour une installation éphémère : de salles en salles, quatre fragrances créées par le parfumeur Antoine Lie, offrent un écrin olfactif aux œuvres des collections permanentes et dialoguent avec elles. Une expérience immersive qui enchante les sens, à découvrir du 16 au 28 mai 2017.
De l’aveu-même de son directeur Claude d’Anthenaise, le Musée de la Chasse et de la Nature privilégie volontiers l’émotion à la didactique. Fidèle à ce parti pris, le parcours olfactif du « Sentiment de la Licorne » évoque ce besoin de liberté : hors des sentiers battus, l’interprétation des senteurs proposée par Antoine Lie se veut poétique, plus personnelle que littérale ; dès lors, la perception sensorielle s’avère propre à chacun et se décline selon l’atmosphère des lieux.
Dans la salle d’Armes, les vitrines emplies de fusils aux crosses et canons plus sophistiqués les uns que les autres et incrustés de matériaux précieux, feraient presque oublier la dimension mortifère de l’arme elle-même. Pourtant, l’odeur distillée ramène à la réalité de la traque : le parfumeur a saisi l’instant du coup de feu, cette odeur acre et métallique ; celle de la poudre à canon, mais aussi celle du sang. « Le sentiment de la Licorne », au fond, c’est peut-être cela : cette dualité constante d’une réalité où le « sentiment » désigne scientifiquement l’odeur laissée par un animal, et où la figure mythique de la licorne s’avère aussi évanescente qu’un parfum.
Le Cabinet de la Licorne exprime cet antagonisme dans l’odeur qui lui est attribuée, à la fois poudrée et chargée d’encens. Antoine Lie aime travailler les contrastes et cette salle, qu’il qualifie de « laboratoire d’élixirs », est probablement celle qui en offre le plus : sombre et quasi-mystique, ce cabinet de curiosités renferme des objets d’une blancheur éclatante, faits de nacre et d’ivoire. Alors, la magie opère avec une pointe d’admiration : dans un espace si exigu, créer de tels contrastes olfactifs relève de la prouesse technique.
Plus loin, le Cabinet de Diane se gorge de notes exacerbées de cuir qui résonnent avec les scènes de chasses de Jan Bruegel et Pierre Paul Rubens. Mais une seconde émanation, terreuse et animale, saisit après-coup ; il suffit de lever la tête pour comprendre : happé comme des proies par l’œuvre de Jan Fabre où des plumes et billes de verre multiplient d’impressionnantes têtes de chouettes, on est pris au piège. L’impression hostile n’en est que plus renforcée par l’odeur : qui est le chasseur à présent ?
Enfin, le Cabinet du Cheval dévoile la proposition la plus osée dans le fond, mais peut-être moins poignante dans la forme. Si la parfumerie de nos jours, répugne à utiliser les odeurs animales, c’est qu’elles ne sont pas assez lisses pour plaire au plus grand nombre. Pour l’occasion, Antoine Lie livre une ambiance inhabituelle aux senteurs bestiales, auxquelles se mêlent des notes de foin et de crottin. L’expérience est curieuse, mais l’odeur reste trop discrète ; il ne faut pas incommoder le visiteur : l’originalité, telle une touche de parfum, se dose avec parcimonie.
Ce parcours olfactif est aussi l’occasion d’admirer l’exposition temporaire « En plein cœur », où l’artiste Marlène Mocquet dissémine une soixantaine de ses œuvres à travers le musée. A l’instar d’un conte de fée, son univers se pare d’atours malicieux, colorés, mais terriblement menaçants. Faussement enfantines, ses toiles et sculptures sont si foisonnantes, si narratives, que l’on s’abîme dans leur contemplation jusqu’à l’accaparement.
Usant souvent de miroirs, Marlène Mocquet donne à contempler le reflet de son monde intérieur : au cœur du processus créateur, les entrailles absorbent, digèrent et extériorisent les émotions et la matière avec une avidité charnelle : la dévoration, on le comprend, est une thématique omniprésente chez l’artiste, vitale, quasi-intestine.
Mais ce qui frappe surtout, ce sont les détails foisonnants qui parsèment ses œuvres, les couleurs éclatantes et la brillance de la céramique ; ici, la dualité esthétique se retrouve dans la réalisation plastique : si les personnages sculptés sont d’une naïveté touchante, le savoir-faire de l’artiste est d’une maturité certaine. Là réside toute la beauté du geste : la technique est si bien maîtrisée qu’elle se dilue dans la candeur de la forme.
Pensées comme des mondes à part entière, ses sculptures recèlent la particularité d’être décorées sur toutes leurs faces ; il en va ainsi du dessous et de l’arrière de chaque pièce, même si le regard ne les effleure pas : une continuité dans la forme, comme une envie de ne jamais s’échapper du rêve, aussi cruel soit-il. Au fond, l’œuvre de Marlène Mocquet est un miroir aux alouettes, un leurre mortel à l’éclat fascinant.
Originellement issues de deux propositions distinctes, « Sentiment de la Licorne » et « En plein cœur » se répondent par les trames communes qu’elles tissent en filigrane : odes au sensible et à l’émotion, elles déclinent le vivant dans ce qu’il a de plus paradoxal et de captivant.
« En plein cœur » de Marlène Mocquet – L’exposition se tient jusqu’au 4 juin 2017, au Musée de la Chasse et de la Nature. Plus d’informations sur http://www.chassenature.org/artistes-invites/
[Exposition] « Kiefer – Rodin » : une communion des âmes et de la matière
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En 1914, désireux de s’imposer en tant qu’intellectuel et plus seulement en tant qu’artiste, Auguste Rodin s’attèle à l’écriture de « Cathédrales de France », un ouvrage intime et complexe pourtant méconnu ; en cette année du centenaire de sa mort, la volonté de rééditer cet écrit s’est alors imposée. Respectant le souhait de l’artiste d’inspirer les futures générations de créateurs, le Musée Rodin veille à confronter l’œuvre du sculpteur à celle d’artistes contemporains ; ainsi, cette carte blanche donnée à Anselm Kiefer, loin d’être vaine, tient ses promesses et sonne d’une belle justesse : une confrontation artistique au sommet, un coup de cœur.
Emancipée de toute chronologie comme suspendue hors du temps, cette exposition renouvelle le regard porté sur l’œuvre de Rodin : confrontée au travail de l’artiste contemporain Anselm Kiefer, des thématiques communes se dévoilent et transparaissent en filigrane. Ainsi en est-il de cette quête éperdue de sincérité au profit d’une perfection trop lisse ; de ce regard tourné vers le passé mais qui tend, par la réutilisation des motifs, vers une notion de création infinie. De même, si Rodin confère à la matière et à l’architecture une dimension organique, Kiefer témoigne dans son travail, d’une matérialité qui lui est chère : ses toiles sont denses, sculptées de reliefs faits de peintures, de laque et de plomb ; imposantes, elles appellent au toucher alors que certains morceaux se décollent du tableau. Il y a là, un chamboulement de la matière qui n’est pas sans rappeler la gestuelle de Rodin, qui tel un iconoclaste, détruit ses moulages, les sépare et les rassemble indéfiniment. Dès lors, le lien entre les deux artistes est palpable : une symbiose des âmes et de la matière qui émane de manière saisissante.
En effet, confronté aux moules du sculpteur, à ses ébauches d’architecture et ses dessins érotiques, Kiefer s’est imprégné du processus créatif de Rodin. De ses expérimentations, naissent des peintures monumentales où maintes élévations architecturées se disputent la trame de la toile : à l’instar du sculpteur, Kiefer leur donne ici la dimension de cathédrales endommagées mais triomphantes. Jamais hasardeuses, les références sont subtiles, pertinentes et sans imposture ; ainsi, la réutilisation des moules de Rodin confère une identité supplémentaire aux œuvres créées par Kiefer : une empreinte, comme métaphore d’un héritage artistique conscient, où l’idée d’achèvement disparaît derrière de multiples résurrections, tant artistiques que religieuses.
Ce mysticisme entre sacré et profane qui affleure chez Rodin, s’incarne dans la sculpture Sursum corda imaginée par Kiefer. Signifiant « Haut les cœurs » en latin, la locution évoque une injonction tournée vers le ciel ; à l’image des églises médiévales que le sculpteur admire, Kiefer matérialise une élévation à la fois spirituelle et terrestre : un arbre modelé, enraciné dans une terre jonchée de moulages rodiniens, s’élève aux côtés d’une échelle hélicoïdale mimant un fragment d’ADN. L’allusion biblique à l’arbre de la connaissance ou à l’arbre de Jessé – dans son ambivalence symbolique, métaphorise une généalogie ancrée dans un terreau artistique que Kiefer partage avec le sculpteur.
Conçue autour de l’ouvrage « Cathédrales de France », l’exposition présente aussi la série de livres illustrés par l’artiste en hommage à Rodin. Révélant une iconographie architecturale très organique, ces illustrations traduisent une dimension quasi-charnelle du matériau commune aux deux artistes. Ainsi, la matière contiendrait en amont l’intention artistique, et Kiefer n’exprime pas autre chose quand il produit ses livres imitant le marbre – les Marmorklippen, où la matière se fait œuvre avant même l’acte créateur.
Le parcours se poursuit au cœur de l’Hôtel Biron, où des plâtres de Rodin sont exposés au public pour la première fois. Là, une œuvre monumentale et mystérieuse attire le regard ; intitulée Absolution, elle apparaît sans équivalent dans la production du sculpteur, mais témoigne de ses préoccupations nouvelles pour l’agrandissement de ses figures : amplifié, le Torse d’Ugolin est associé à la Figure de la Terre et à la Tête de la Martyre, dans une composition unique dont tous les secrets n’ont pas encore été percés.
Enfin, le cabinet d’art graphique du musée clôt le parcours : un couloir sombre et intime, ultime allusion à l’amour que Rodin vouait aux cathédrales médiévales. Dans ses croquis, les édifices se muent en figures féminines bien souvent dénudées ; une fascination pour l’architecture et un attrait de la corporalité, à l’origine de sa célèbre sculpture de Balzac : un monument pour un homme qui par sa grandeur, s’impose comme une référence temporelle ; telle est la vision grandiose que Rodin avait de l’écrivain.
Assurément, cette exposition mérite que l’on s’y attarde, tant le dialogue entre ces deux artistes se révèle poétique, authentique et sincère. Jusqu’à la muséographie épurée qui ne souffre d’aucun artifice, il n’est rien à ajouter : tout réside ici, dans la simplicité du geste.
Thaïs Bihour
« Kiefer – Rodin » – L’exposition se tient jusqu’au 22 octobre 2017 au Musée Rodin. Plus d’informations sur http://www.musee-rodin.fr/
[Exposition] « Herero et Nama : le premier génocide du XXème siècle » : une exposition salutaire
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De 1904 à 1908, près de 80% du peuple herero et 50% du peuple nama furent exterminés sur les terres Namibiennes, ancienne colonie du Sud-Ouest africain allemand. Douloureuses prémices, ce génocide sera passé sous silence, foulé aux pieds pour préserver les intérêts des colons et des Blancs. Ainsi reléguée au second plan par les affres d’une Histoire marquée par deux guerres mondiales, la parole des victimes et de leurs descendants peine à rompre l’oubli. Si les années 1990 amorcent une première reconnaissance du génocide, il faudra attendre le rapatriement de crânes Herero et Nama en 2011, pour que les gouvernements namibien et allemand libèrent enfin le passé de son carcan. Pour la première fois en France, à travers un parcours riche et sensible, le Mémorial de la Shoah lève le voile sur ces événements poignants, encore méconnus du grand public.
Consacrées à la genèse du processus génocidaire, les premières salles explorent la situation complexe de la Namibie du milieu du XIXème siècle, alors qu’un climat de tensions règne entre les peuples Herero et Nama qui se partagent le centre du pays. Lorsque les missionnaires luthériens arrivent dans la colonie en 1840, le capitaine herero Oorlam Jonker Afrikaner – secondé par ses alliés Kahitjene et Tjamuaha, est parvenu à s’imposer après des années de conflits. Ainsi, cherchant à s’assurer la protection des Allemands, certains chefs herero concluent des alliances avec les missionnaires sous forme d’échanges commerciaux et diplomatiques. Mais en 1861, la mort du capitaine Afrikaner ébauche le retour progressif de la discorde avec le clan nama, porté par leur chef nommé Witbooi. C’est dans ce contexte instable qu’est proclamé le 7 août 1884, le protectorat du Sud-Ouest africain allemand.
Mais la colonisation n’apporte pas les ressources financières tant espérées par l’Allemagne, et les relations avec la population semblent se dégrader ; en effet, conscients du péril que représentent les colons, les clans jadis ennemis décident de s’unir. Les échanges épistolaires conservés par les Archives nationales de Namibie et ici exposés, traduisent ce sentiment d’insécurité devant la menace grandissante. Face à ce soulèvement imprévu, les troupes allemandes massacrent les femmes et les enfants du camp nama, alors dirigé par Witbooi : au terme d’un impitoyable bras de fer, ce dernier est obligé de céder face aux Allemands qui l’ayant soumis, le forcent à combattre à leurs côtés pour assujettir les dernières « tribus rebelles » de Namibie. La bataille achevée, les terres et le bétail deviennent la propriété exclusive des colons et les quelques survivants seront voués aux travaux forcés. La fin de l’indépendance Herero est actée, le début des exactions a sonné : les soldats allemands violent, tuent et torturent la population sans qu’aucune sanction ne soit prononcée. En 1904, tandis que les Nama tentent toujours de mener une rébellion parallèle, les Herero, lassés de ces violences, se retournent contre les infrastructures coloniales : la réplique de l’Allemagne ne se fera pas attendre.
Le général allemand Lothar von Trotha est alors envoyé dans la colonie pour rétablir l’ordre par la répression, avec pour consigne de ne faire aucun prisonnier : ainsi, les quelques Herero qui échappent aux massacres sont pourchassés dans le désert jusqu’à leur épuisement. Alors que le 3 octobre 1904, von Trotha ordonne la destruction systématique des Herero, les troupes allemandes sont elles aussi éreintées par les combats : poussés par la peur et l’aversion raciale, les soldats se livrent à l’extermination des civils. Poursuivant son entreprise génocidaire, von Trotha menace de réserver le même sort au peuple nama : dès lors, le mois de mars 1906 signe l’abandon forcé des derniers combattants et amorce les déportations au camp de concentration Shark Island.
Femmes et jeunes filles y sont continuellement violées, l’état sanitaire est déplorable, maltraitance et malnutrition sont le lot quotidien des prisonniers qui succombent à une vitesse foudroyante. Si les photographies présentées par l’exposition mettent en lumière l’organisation des camps et le traitement réservé aux prisonniers, elles dévoilent un aspect plus sombre encore : mis en place par les Allemands, le système concentrationnaire leur permet de collecter des crânes à des fins anthropologiques et de se livrer à des comparaisons raciales, où l’excuse scientifique cautionne les dérives racistes.
Enfin, la guerre s’achève en mars 1907, mais les camps resteront opérationnels jusqu’en 1908. Pourtant, lors de leur fermeture, les autorités coloniales appréhendent les représailles des rescapés et décident de ne pas les libérer : déportés au Cameroun dans une autre colonie allemande, ils finiront par mourir d’infections ou d’épuisement.
Portée par de nombreux documents d’archives, des médiums variés et une muséographie sobre, cette exposition salutaire éclaire doublement l’histoire passée et présente d’une Namibie, dont l’indépendance s’est construire sur le souvenir des disparus et l’espoir de réparations. La limpidité du propos et la dureté du constat qui s’impose, agissent comme un coup de poignard. Incisif, percutant, le parcours interroge les responsabilités multiples : celle des persécuteurs d’abord, alors que le gouvernement allemand s’apprête à formuler des excuses officielles ; la nôtre ensuite, quant à l’importance d’un devoir mémoriel, comme pour conjurer ces paroles de Roland Dorgelès : « On oubliera. […] Et tous les morts mourront pour la deuxième fois. »
Alors, ces quelques mots de visiteurs inscrits dans le livre d’or, concluent peut-être mieux qu’un long discours : « Pour cette exposition nécessaire, merci. »
Thaïs Bihour
« Le premier génocide du XXème siècle : Herero et Nama dans le Sud-Ouest africain allemand, 1904-1908 » – L’exposition se tient jusqu’au 12 mars 2017 au Mémorial de la Shoah. Plus d’informations sur http://www.memorialdelashoah.org/
[Exposition] « Arnold Schönberg. Peindre l’âme » à la lumière de la musique
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A l’aube du XXe siècle, alors que souffle sur Vienne un vent de renouveau artistique, Arnold Schönberg, autodidacte en tout, complète son métier de compositeur d’une autre pratique artistique : la peinture. Composée principalement d’autoportraits, c’est cette production picturale qui fait aujourd’hui l’objet d’une exposition au MahJ. Pour accompagner ces autoportraits, Jean-Louis Andral et Fanny Schulmann proposent une sélection de plus de deux cent cinquante œuvres de toute sorte qui illustrent la grande diversité de la production de ce créateur juif-protestant.
Suite à une première salle tapissée de portraits de Schönberg et de son entourage, le visiteur pénètre dans l’univers de l’artiste où sont juxtaposés affiches de concerts, croquis du compositeur, autoportraits et coupures de presse. L’espace ouvert laisse apercevoir de grandes toiles de Kandinsky dont on comprend par la suite le lien avec les travaux du compositeur. En effet, quel meilleur pendant à l’atonalité musicale que l’abstraction picturale. Cette analogie est relevée par Kandinsky qui écrira le 18 janvier 1911 à Schönberg : « […] nos aspirations et notre façon de penser et de sentir ont tant en commun que je me permets de vous exprimer ma sympathie. ».
Alors commence une relation de travail mise en lumière tout au long de l’exposition. A la recherche perpétuelle d’un art total, les deux artistes, l’un compositeur, l’autre peintre, s’essayent au médium de l’un et de l’autre. C’est dans ses opéras que Schönberg réalise au mieux cette fusion des arts intelligemment mise en valeur au cœur de l’exposition par une présentation complète des carnets de travail du compositeur, ponctuée de croquis, flanquée des partitions et surmontée de petites aquarelles prévoyant la mise en scène.
L’étalage des différents éléments de travail est particulièrement intéressant pour saisir la pensée du créateur, d’autant que ces travaux préliminaires sont augmentés de la projection d’extraits de ces mêmes opéras. Créateur jusque dans les loisirs, il applique son imagination à décorer des jeux de cartes et va jusqu’à inventer un « jeu d’échecs » qui, par ses règles, rappelle le fonctionnement de la dodécaphonie dont il est le théoricien. Les autoportraits qui clôturent l’exposition sont attendus depuis le début, annoncés par le titre autant que par l’affiche, ils constituent le dernier pan de l’Œuvre de Schönberg. Psychanalyse imagée, ces visages, ces yeux, ces profils saisissent par leur nombre et leurs regards, peut-être qu’ils auraient pu être présentés d’emblée, afin de mieux saisir la profondeur du personnage.
A travers cette rétrospective au parcours dédalique, sans chronologie affirmée, le visiteur découvre un homme brillant aux compétences multiples, qui, bien que l’on connaisse le visage de par les nombreux autoportraits, garde une aura de mystère.
« Arnold Schönberg. Peindre l’âme » jusqu’au 29 janvier 2017 au musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Hôtel de Saint-Aignan, 71, rue du Temple, 75003 Paris. Plus d’informations : https://www.mahj.org/
[Exposition] « MMM. Matthieu Chedid rencontre Martin Parr » : les images prennent du son
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Lors de l’édition 2015 des Rencontres d’Arles, Sam Stourdzé, directeur du festival, invite le photographe britannique Martin Parr à intervenir. Plutôt que d’organiser une rétrospective au sens classique du terme, le directeur et le photographe décident de proposer un projet sur lequel ils travaillent depuis plus de deux ans avec un autre artiste, le chanteur Matthieu Chedid. C’est de ce projet longuement muri qu’est née l’exposition « MMM », présentée pour la première fois dans l’église des Frères Prêcheurs à Arles, et aujourd’hui visible à la Cité de la musique à Paris.
En contournant une paroi sur laquelle figurent les diverses informations relatives à l’exposition, on pénètre dans un espace sombre où se fait entendre une mélodie inconnue qui emplie la pièce au fur et à mesure que l’on s’y aventure. Sur les murs noirs jaillissent des images qui défilent rapidement, laissant voir des foules qui se pressent à la plage, au musée, dans la rue, pour toujours plus de divertissement. Face à ce diaporama, des chaises longues sur lesquelles sont imprimées des images de baigneurs qui se prélassent au soleil invitent le visiteur à les imiter pour mieux profiter des photographies projetées. Associant le Synthétiseur de Matthieu Chedid et la série « Busy – Plein » de Martin Parr, cette première installation annonce d’emblée la nature de l’exposition qui suit. L’immersion y est totale, dans cet espace sombre où seuls le son et les images nous guident. Sans ordre, sans cartels, le lieu est pensé pour donner une liberté absolue au spectateur qui se laisse surprendre par les œuvres qui l’entourent. Les images de Martin Parr sont présentées sous de nombreuses formes, du diaporama thématique à la série de photographies argentiques, en passant par un papier-peint fait de cadavres exquis ou encore les transats « humains » aux airs surréalistes. Chaque ensemble est enrichi d’une piste sonore qui lui est propre, signalée par un néon qui s’intitule Célesta, Voix, Guitare électrique imitant l’écriture du chanteur.
Née de la rencontre incongrue entre un photographe britannique reconnu sur la scène internationale et un chanteur français de renom, cette exposition est une réussite. Elle permet de redécouvrir les clichés acerbes de Martin Parr qui prennent vie sous les « mélodies » de Matthieu Chedid. Certains regretteront une exposition trop petite, mais c’est qu’il faut prendre le temps de s’imprégner de chacune des installations toutes plus riches les unes que les autres.
« MMM. Matthieu Chedid rencontre Martin Parr », jusqu’au 29 janvier 2017 à la Cité de la musique, 221, avenue Jean-Jaurès 75019 Paris. Tarif : 5,50€ tarif réduit, 7€ plein tarif. Plus d’informations ici : http://philharmoniedeparis.fr
[Exposition] « L’enfer selon Rodin », ou l’antre de la liberté créatrice
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Au cœur des jardins du musée Rodin, trône une sculpture aussi énigmatique que grandiose : la Porte de l’Enfer, ce chef-d’œuvre à l’histoire mouvementée, révélant la vitalité artistique de son créateur, son talent et son savoir. D’une esthétique à la fois sensible et brutale, elle dévoile aussi les angoisses d’un artiste qui ne se résoudra jamais à terminer ses œuvres. Cette exposition retrace avec force le processus créatif d’une célèbre porte vouée à rester close, et nous plonge au cœur de la damnation : un enfer dont on ressort subjugué.
Tout débute sur un doux parfum de scandale. Nous sommes en 1877, lorsque Rodin expose sa sculpture de l’Age d’Airain. A sa vue, c’est l’esclandre : l’artiste aurait moulé son œuvre sur le motif, ou pire encore selon la rumeur, sur un cadavre. Et de polémiques en justifications pour rétablir la vérité, s’amorce la carrière de Rodin.
En 1880, le sous-secrétaire d’Etat aux Beaux-arts – Edmond Turquet, commande à l’artiste pour le futur musée des Arts décoratifs de Paris, une porte ornementale inspirée de la Divine Comédie de Dante Alighieri. Rodin s’implique avec passion dans ce projet, s’adonne à une lecture rigoureuse du texte dantesque et matérialise ses idées par le biais de dessins et de modelages préparatoires. L’exposition met bien en lumière cette exaltation, en présentant une belle diversité de maquettes et d’études ; autant de pièces situées à la genèse de l’œuvre et qui permettent de saisir la complexité de son évolution.
En effet, à l’ébauche du projet, Rodin souhaite structurer sa composition autour des figures du Penseur, d’Ugolin et de Paolo et Francesca ; pourtant, pris dans un mouvement perpétuel de création, il porte son attention sur le travail du sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux. L’inspiration est palpable, l’évolution est saisissante : Rodin modifie totalement l’aspect initial du groupe sculpté d’Ugolin et ses enfants. Reprenant l’un des épisodes les plus sombres de la Divine Comédie, il mue cet homme en une bête rampante qui, torturée par la faim, dévorera la chair de ses propres fils. Ces modifications déstabilisent l’harmonie de la Porte de l’Enfer, et poussent sans cesse l’artiste à la réinterprétation : Rodin est un artiste du vivant, dont la sensibilité touche profondément quiconque se confronte à son œuvre.
La scénographie renforce ce parti pris empathique : dès la deuxième salle, une alcôve est aménagée ; cerné par ces esquisses de personnages damnés, on est au cœur des cercles de l’Enfer. Pourtant, les péchés et châtiments qui s’animent sous les crayons de Rodin, restent une variation libre de la Divine Comédie : le texte de Dante est ici prétexte à l’acte créateur.
Le discours scientifique porté par cette exposition – didactique et bien documenté, révèle d’ailleurs cette capacité de l’artiste à dépasser les frontières littéraires pour donner à ses œuvres, une individualité certaine. Les maudits de Rodin, prisonniers de leur supplice, tendent à l’universalité des émotions humaines.
A leur vue, comment ne pas penser au brillant ouvrage de David Le Breton sur l’Anthropologie de la douleur, lorsqu’il écrit : « La douleur est un moment de l’existence où se scelle pour l’individu l’impression que son corps est autre que lui. Une dualité insurmontable et intolérable l’enferme dans une chair rebelle qui le contraint à une souffrance dont il est le propre creuset. Si la joie est expansion, élargissement de la relation au monde, la douleur est accaparement, intériorité, fermeture, détachement de tout ce qui n’est pas elle.**» Et dans ces damnés combattant des serpents, dans ces fautifs accablés par le poids des sentiments, c’est nous-mêmes que nous voyons.
Et plus la Porte de l’Enfer évolue sous les mains du sculpteur, plus elle s’émancipe de son sujet originel : les Fleurs du Mal de Baudelaire deviennent une source d’inspiration nouvelle, imposant une dimension érotique de plus en plus palpable. Dans un jeu de miroir et d’influence, Rodin illustrera à la demande de Paul Gallimard, un exemplaire du recueil baudelairien. Pourtant, il n’orne pas la totalité des poèmes et ne cherche pas la parfaite concordance entre texte et dessin : il choisit simplement le vers qui lui provoquera l’émoi le plus fort.
Rodin, c’est l’incarnation même de la liberté créatrice, rarement là où on pourrait l’attendre ; et cela se ressent tout au long du parcours. Ainsi, quinze années se sont écoulées depuis le projet initial pour les Arts décoratifs : la Porte de l’Enfer est devenue par la force des choses, une œuvre autonome qui manifeste en filigrane, l’angoisse perpétuelle de l’artiste à considérer ses œuvres comme achevées.
En pleine gloire, Rodin souhaite dévoiler sa sculpture au public lors de l’exposition universelle de 1900 ; mais ce qu’il expose est une Porte de l’Enfer mise à nue, dont la plupart des éléments décoratifs ont été ôtés. Beaucoup d’interrogations se posent encore sur les raisons de ce choix ; et si l’exposition n’apporte pas de réponse, elle opère une mise au point nécessaire : cette version de la porte fut souvent qualifiée d’œuvre préfigurant l’abstraction, mais il n’en est rien. Rodin est l’artiste même du corps, il s’attaque à la chair et à la corporalité de l’âme ; lui conférer une dimension abstraite serait un malheureux contresens.
Et quittant l’exposition comme on s’échapperait de l’enfer, on en ressort haletant, avec l’envie d’y plonger à nouveau.
** Le Breton David, Anthropologie de la douleur, Paris, Métailié, 1995, p. 24.
Thaïs Bihour
« L’enfer selon Rodin » – L’exposition se tient jusqu’au 22 janvier 2017 au Musée Rodin. Plus d’informations sur http://www.musee-rodin.fr/
Une histoire des illuminations publiques et privées de 1790 à 2016
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« Paris entier brille d’une nouvelle illumination (…) et la ville est encore magnifiquement illuminée », cette remarque si actuelle est pourtant du député Cabet, qui en 1845 évoque une fête de 1790. Devenu ordinaire, garanti par la ville, en 2016 à Paris, l’éclairage public ne nous surprend plus sinon pendant les périodes de fêtes, où l’on admire les façades des Grands Magasins et où l’on arpente les Champs-Élysées que l’on ne fréquente pourtant guère le reste de l’année…
Associée à la célébration, l’illumination, d’usage public ou privé, est désormais liée à Noël et plus généralement à décembre sans que l’on ne sache vraiment pourquoi. D’un autre côté, peut-on dater Noël tel que nous le fêtons aujourd’hui ? Alain Cabantous et François Walter dans leur ouvrage Noël : une si longue histoire (2016) esquissent des pistes pour répondre à cette question.
Les débuts de l’électricité
Aujourd’hui devenu rituel obligé, le sapin et les décorations (notamment en Europe et aux Etats-Unis depuis la fin du XIXème siècle), marquent Noël, une fête qui date pourtant de l’antiquité romaine ! Depuis quand ? Le sapin serait entré dans l’espace public dès le XVème siècle, et dans l’espace privé à la fin du XVIIIème. En cette même fin de siècle, Paris devient la « ville-lumière » : le temps de grandes fêtes, des rues entières se parent de décorations lumineuses qui ressemblent davantage aux décorations des siècles à venir qu’à celles du siècle passé, notamment de celles des fêtes royales de Versailles. Avant de parler de Noël, il faut faire un détour par la lumière…
Une gravure d’un dessin d’Armand Parfait Prieur montre par exemple des fêtes et lumières aux Champs-Élysées le 18 juillet 1790, date où le roi Louis XVI prête serment et accepte la Constitution, un jour particulier « où l’on se réunit spontanément au milieu d’une illumination spontanée et générale ».
La fin du XVIIIème siècle, qui correspond aussi à l’arrivée de l’éclairage dans des lieux très fréquentés comme les jardins ou les promenades publiques marque un tournant vers la démocratie. En effet, la lumière adopte des fonctions symboliques particulières : on ne saurait s’intéresser à l’histoire des illuminations de Noël sans évoquer la place que l’éclairage et l’électricité vont progressivement prendre dans les espaces de vie de chacun.
Simone Delattre, dans Les Douze Heures noires : La nuit à Paris au XIXème siècle, explique ainsi que l’éclairage et l’illumination des rues vont aller de pair avec l’idée « de civilisation, de souveraineté, de démocratie, de réjouissance, de luxe, de sécurité, de salubrité, de modernité », alors que l’obscurité est associée à la subversion. Alain Cabantous, à l’origine d’ouvrages sur Noël et l’Histoire de la nuit, mais aussi Daniel Roche dans l’Histoire des choses banales, rappellent que, dès 1763, le royaume de France lance un concours auquel participe notamment Lavoisier, afin de repenser l’éclairage public. Cette initiative donnera naissance au réverbère. Gage de sûreté, la lumière évolue donc rapidement : en 1766, 7000 lanternes à bougies éclairent la ville et dès 1830, 6000 lampadaires au gaz sont installés.
Cette arrivée de l’éclairage dans l’espace urbain est suivie de près par son usage privé. Dès le XVIIIème, un goût plus affirmé de la part des parisiens pour la lumière au sein même de leur logis, et l’éclairage à gaz, « fixe et régulier », va rapidement constituer un premier pas vers les grandes avancées que va connaîtra le XIXème dans l’investissement du lieu privé.
Le glissement se fait sentir lorsqu’on regarde des peintures comme Après le bal, de Jean-François de Troy où, en 1735, la bougie est encore présente dans l’espace privé, face à l’huile sur toile de 1840 de Prosper Lafaye représentant le pianiste Zimmermann dans son intérieur au Square d’Orléans, où la bougie a disparu de l’intérieur, remplacée par un lustre de lampes à huile suspendu au milieu de la pièce.
Car avant la seconde moitié du XIXe, l’utilisation quotidienne de la lumière est encore l’apanage des bourgeois et aristocrates qui illuminent leurs hôtels particuliers, ce qui opère un premier pas entre lieu public et lieu privé puisque l’intérieur est un lieu de représentations sociales.
La lumière est une fête
C’est le quartier de l’Odéon et le Passage des Panoramas qui, en 1830, sont les premiers lieux publics à être éclairés, sortant ainsi la lumière de son luxe. La ville s’embellit et c’est par ce lent contexte d’avènement de la lumière, dont s’emparent et profitent les lieux de commerce, que l’on peut comprendre le goût pour les illuminations au moment de Noël. Pour les boutiques, la lumière est un objet de publicité efficace : elle permet d’attirer le regard, le premier appât commercial ! Elle orne les vitrines et annonce bientôt les devantures des Grands Magasins. Sous le Second Empire, sur l’actuel Boulevard Haussman, s’imposent les fêtes de nuits rendues possibles par la lumière qui leurs sont alors associées.
En 1840, la place de la Concorde et les Champs-Élysées sont embellis, les contre-allées sont enfin éclairées et Victor Mabille, célèbre pour ses bals et le bal qui porte son nom, investit dans près de cinq mille becs de gaz : la lumière devient résolument festive.
L’exposition Internationale d’électricité
Pour autant, Noël et les illuminations n’est pas encore une association évidente avant la fin du XIXème siècle. Il faut attendre l’exposition internationale d’électricité de 1881, soit deux ans après que Thomas Edison a déposé le brevet de l’ampoule électrique, pour que l’électricité devienne un vrai service universel et que celle-ci bénéficie d’un réel tremplin. Lors de l’exposition et la mise en lumière du Palais de l’électricité, plus de 800 000 personnes se pressent pour venir admirer le spectacle, pendant que près de 1000 lampes sont installées par Edison en plein Paris. Inventeur de l’ampoule, en 1880 Thomas Edison mettait au point la guirlande électrique de Noël en 1882. La première guirlande de Noël est commercialisée en 1884, et les illuminations de Noël entrent dans l’histoire pour devenir une tradition. Si la guirlande illuminée se popularise d’abord aux États-Unis, qu’en est-il du sapin ?
Le sapin, cet illuminé
Martin Luther (1483-1546) aurait eu l’idée de décorer un sapin, l’arbre qui symbolise la vie éternelle parce qu’il est toujours vert, avec des bougies. Ce qui symbolisait alors la lumière du Christ avec au sommet, une étoile rappelant l’étoile de Bethléem qui avait conduit les rois mages jusqu’au lieu de la naissance de Jésus. Et avant les bougies, les dictionnaires du XIXème siècle évoquent le fait que l’on décorait les maisons avec des branches, et les sapins avec des bonbons ou des petits jouets pour les enfants.
Ensuite, on raconte qu’en 1738, Marie Leszczynska, mariée à Louis XV, aurait fait installer un sapin à Versailles. Il faut attendre près de 100 ans pour en entendre de nouveau parler : en 1837, la duchesse d’Orléans aurait fait décorer un sapin aux Tuileries. Le conifère le plus connu reste celui du prince Albert et de la reine Victoria qui, en 1841, l’auraient fait dresser au château de Windsor en Angleterre. L’ère victorienne aurait donc marqué un tournant dans l’histoire du sapin de Noël. Encore exceptionnels les sapins, jusqu’en 1880 sont rares ou du moins rarement représentés, et seules des bougies les illuminent.
Mais rapidement, grâce aux avancées électriques et au fait que les bougies deviennent dangereuses (elles sont à l’origine de nombreux accidents) l’Edison’s Illumination Compagny est créée afin de promouvoir l’industrialisation des décorations lumineuses aux Etats-Unis. Une démocratisation encore toute relative jusque dans les années 1920, puisqu’une seule guirlande lumineuse coûtait l’équivalent de 300 dollars, soit 2000 dollars en 2016 !
On comprend que l’un des premiers à acquérir ces guirlandes ait été le président américain Grover Cleveland qui, en 1895, installe le premier sapin de Noël illuminé à la Maison Blanche, avec de surcroît, des éclairages multicolores.
Dans les années 1920, la famille Sadacca décide de créer une entreprise de guirlandes lumineuses et domine le marché jusque dans les années 60. Elle est à l’origine de la vraie popularisation de ces décorations, à un moment où aux Etats-Unis, la tradition du sapin se pérennise à cause du « sapin national », éclairé de près de 3000 petites ampoules.
Et la France dans tout ça ?
Du côté français, l’influence américaine retentit en un rien de temps. À l’image des vitrines des magasins Macy’s à New York qui, en 1884, animent pour la première fois leurs vitrines pour Noël et dont la parade de Noël est encore l’un des plus attendues qui soit, les Grands Magasins français s’illuminent à leur tour. En 1883, c’est Le Printemps qui est le premier à être uniquement éclairé à l’électricité. Déjà, en 1860, Émile Zola s’émerveille des vitrines des ces immenses boutiques et de la fée électricité : dans Au Bonheur des Dames il évoque sa « la clarté blanche ».
Puis, les photographies de Léon Gimpel, qui travaille à l’invention de la photographie en couleurs avec les Frères Lumières dès 1904, donnent à voir les illuminations de Noël de Paris des années 1925-1930. Une série de clichés exceptionnelle à plus d’un titre : non seulement les décorations des Grands Magasins (Galeries Lafayettes, BHV Marais, Samaritaine, Le Bon Marché) impressionnent, mais après l’éclairage public et privé, les illuminations de Noël correspondent à nouveau à une avancée technique d’envergure, à savoir ici, l’autochrome !
Face aux Grands Magasins qui profitent des innovations pour se faire de la publicité et attirer le public, les monuments de la capitale ne sont pas en reste, on pense notamment à la Tour Eiffel. Construite en 1889 (en plein essor de l’électricité!) dès son inauguration elle est illuminée par 10 000 becs de gaz. En 1900 elle est ornée de 5000 ampoules, puis en 1978, à l’occasion de Noël, elle est décorée d’un sapin lumineux de 30 000 ampoules !
Paris, comme New York, est alors réputée au moment des fêtes pour ses Grands Magasins. La « ville-lumière », associée au luxe, utilise l’éclaire comme publicité, comme un signe d’opulence et de finesse.
Revenons-en au sapin : en somme, durant l’ère victorienne et pendant tout le XXème siècle jusqu’à nos jours, le sapin et ses illuminations ont investis l’espace public et privé au rythme du progrès électrique. Depuis l’intérieur cossu de la Maison Blanche et de l’Angleterre bourgeoise des années 1880 qui marquent le début d’un Noël commercial, les illuminations sont devenues un temps fort de nombreuses grandes villes.
Le sapin illuminé est devenu un tel symbole de Noël qu’on ne compte plus les photographies des années 40 et de guerre qui montrent des soldats fêtant Noël et parvenant, malgré tout, à se procurer un sapin et bénéficier pour un temps de répit, d’un peu de lumière.
De la même manière, les années 50, le baby boom, les trente glorieuses et l’avènement du capitalisme font monter en flèche les ventes de guirlandes de Noël et autres accessoires de décorations pour les fêtes. Comme en témoignent ces photographies d’époque mettant en scène des familles, on est bien loin des illuminations des premiers Grands Magasins du XIXème siècle, l’effet escompté par le rôle de celles-ci a atteint son paroxysme et les sociétés de vente de décorations font fortune. On ne spécule plus seulement sur le passage du Père Noël la nuit du 24 au 25 décembre. Plus qu’une fête : Noël est un business.
À l’échelle de la capitale française, la tradition s’est bien installée au cours du XXème siècle. Les rues se décorent et des lieux, comme les Champs-Élysées, font l’objet d’innovations perpétuelles pour séduire les parisiens et renouveler l’écrin lumineux des fêtes de fin d’année.
L’engouement est tel que des concours, plus répandus aux Etats-Unis qu’en Europe, sont organisés et font triompher ceux qui auront le mieux, et le plus décoré leur demeure. Certains vont jusqu’à illuminer leur maison pour qu’elle soit vue de l’espace. Il existe même une ville, en Virginie, où Noël est fêté comme au XIXème siècle.
Jusqu’où irons-nous ?
[Agenda] Exposition : Ciao Italia. Un siècle d’immigration et de cultures italiennes en France (1860-1960)
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« Ciao Italia. Un siècle d’immigration et de cultures italiennes en France (1860-1960) »
Exposition au Musée de l’histoire de l’immigration
Stéphane Mourlane, Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université d’Aix-Marseille
Isabelle Renard, Responsable de la collection d’art contemporain au Musée national de l’histoire de l’immigration
Avec Ciao Italia, exposition présentée à partir du 28 mars 2017, le Musée national de l’histoire de l’immigration rend compte pour la première fois à l’échelle nationale, de l’histoire de l’immigration italienne en France, qui reste à ce jour la plus importante de l’histoire française.
Dès la seconde moitié du 19e siècle et jusque dans les années 1960, les Italiens furent les étrangers les plus nombreux dans l’Hexagone à venir occuper les emplois créés par la croissance économique.
Aujourd’hui célébrée, leur intégration ne se fit pourtant pas sans heurts. Entre préjugés dévalorisants et regards bienveillants, l’image de l’Italien en France se dessina sur un mode paradoxal et leurs conditions d’accueil furent difficiles.
Entre méfiance et désir, violences et passions, rejet et intégration l’exposition traduit les contradictions spécifiques de l’histoire de cette immigration tout en mettant en lumière l’apport des Italiens à la société et à la culture françaises.
Jouant des clichés et préjugés de l’époque et rappelant la xénophobie dont ils étaient victimes, l’exposition s’attache à retracer le parcours géographique, socio-économique et culturel des immigrés italiens en France du Risorgimento des années 1860 à la Dolce Vita célébrée par Fellini en 1960.
Abordant tout à la fois la religion, la presse, l’éducation, les arts, la musique et le cinéma, les jeux et le sport, ou encore la gastronomie, elle donne à voir tous ces Italiens, ouvriers, mineurs, maçons, agriculteurs, artisans commerçants ou encore entrepreneurs qui ont fait la France tout en rendant hommage aux plus connus d’entre-eux à l’instar d’Yves Montant, de Serge Reggiani, de Lino Ventura ou encore des familles Bugatti et Ponticelli.
Dans un dialogue original et fécond ce sont près de 400 objets de mémoire, extraits de films, cartes géographiques et œuvres d’art qui sont présentés au travers d’un parcours à la fois sensible et pédagogique où figurent les artistes Giovanni Boldini, Giuseppe de Nittis, Gino Severini, Renato Paresce, Filippo De Pisis, Massimo Campigli, Mario Tozzi, Alberto Magnelli, Leonardo Cremonini, Amedeo Modigliani et Alberto Martini.
PALAIS DE LAPORTE DORÉE
MUSÉE NATIONAL DE L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION PALAIS DE LA PORTE DORÉE. 293, avenue Daumesnil – 75012 Paris