Christian Waldvogel, l’imaginaire appuyé sur la science
Metz, ville d’art contemporain ? Il semble que oui. Au moins, en comparaison des autres villes de province de même taille démographique. Certes, le Centre Pompidou flambant neuf [1. Le Centre Pompidou Metz, construit par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines, a été inauguré en 2010.] est collé à la gare. Si l’on vient seulement pour lui, qu’il soit à Metz ou Strasbourg, le visiteur de passage ne ferait pas la différence. Mais si l’on se promène dans la ville, on ne manque pas d’être frappé par l’émulation qui semble s’être emparée des murs. En plus du musée, l’ancienne cité industrielle est dotée d’un centre d’art et de plusieurs galeries… Un dépliant-agenda, coordonné par un galeriste local, arrive même à fédérer tout ce petit monde en direction du public. Et un samedi en période de soldes, ces lieux sont loin d’être déserts…
Installé en Lorraine en 1982, et depuis une dizaine d’année dans un beau bâtiment du centre historique, difficile de ne pas associer le FRAC à cet éveil des consciences artistiques qui semble aujourd’hui porter ses fruits. L’organisme est pleinement assimilé dans ce tissu urbain et participe activement aux échanges[2. On pense par exemple à l’événement Dress Code qui se tient du 30 janvier au 2 février dans de multiples lieux et qui associe le FRAC au Centre Pompidou. Plus d’informations sur : www.fraclorraine.org/explorez/rencontres/271]. À 100 mètres du musée de la Cour d’Or et 500 de la cathédrale, l’équipe du FRAC fait ressortir l’importance de son ancrage dans un lieu chargé d’histoire[3. Le bâtiment d’accueil, appelé 49 NORD 6 EST, est construit sur des fondations du XIIe siècle.].
L’art comme un vecteur
Entre ces murs, qu’une cour ouvre sur la ville, l’art est un vecteur « pour dire quelque chose au monde, sur le monde, ou pour le changer ». Sa directrice, la très dynamique Béatrice Josse, y tient particulièrement. Ses positions sont toujours très claires, ici l’art ne se regarde pas : il est tourné vers ceux qui l’observent[4. Le Monde a consacré un beau portrait à Béatrice Josse en 2012. Il est consultable ici : http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/02/25/beatrice-josse-femme-flic-de-l-art-contemporain_1648453_3246.html]. Féministe et militante, elle a marqué à plusieurs reprises l’actualité, notamment grâce au FN local qui ne manque pas une occasion de montrer toute son étroitesse d’esprit en scrutant les expositions de la structure et en communiquant dessus à la moindre occasion. C’est aussi Béatrice Josse qui a acheté Le Divorce de Sophie Calle en 1994, c’est encore elle qui investit dans les œuvres dites « immatérielles », comme les performances d’artistes et les installations temporaires.
L’agenda bien rempli est une preuve supplémentaire du dynamisme de ce lieu. On y relève des visites guidées, des projections, des performances débats, des conférences (appelées ici, « rencontres non diplomatiques ») et même des concerts. Tout ça axé de façon cohérente et réfléchie autour de l’exposition en cours.
En ce moment, et jusqu’au 9 février, le FRAC accueille « Si ce monde vous déplaît… ». L’exposition a été construite à partir d’un souvenir, celui du festival de Science-Fiction de Metz qui a eu lieu entre la fin des années soixante-dix et 1986. L’événement avait pris une ampleur suffisante pour accueillir l’écrivain fou Phillip K. Dick, qui aurait révélé à cette occasion être en contact avec des extraterrestres ! Les ponts entre la science-fiction de l’époque de Blade Runner et celle d’aujourd’hui, les sous-genres de SF atypiques, l’anticipation, autant de sujets qui ont servi de prétexte à l’exposition en cours qui fait une large place à l’œuvre de Christian Waldvogel.
Sortir du monde pour le reconstruire
« Si ce monde vous déplaît… », et bien vous n’avez qu’à en créer un autre ! Voilà le message de l’artiste suisse. Lui propose quelques idées, des solutions, mais sans doute encourage-t-il aussi le public à trouver les moyens de changer le monde comme il le souhaite.
Bien que n’ayant jamais élevé un immeuble, Christian Waldvogel est architecte de formation. Il en a conservé le goût pour la recherche et la documentation. Tout son travail est construit sur des fonds importants. Des ouvrages viennent en témoigner, l’un détaille le projet Globus Cassus, avec lequel il a représenté la Suisse à la Biennale de Venise en 2004. Cette œuvre qui utilise des media multiples (vidéo, maquette, livre…) est une proposition pour recycler la Terre afin d’en construire une autre. Tout ce projet nous est montré de visu, mais l’artiste va jusqu’à en inventer le système politique qui le gouvernerait ! C’est une constante dans son travail : il fouille, creuse, explore, surtout l’Espace dont l’infini ne l’effraie pas.
« L’Espace est mon atelier, la Terre et les autres corps célestes mes matériaux », c’est comme ça que Waldvogel définit son travail. Il mélange la science et l’imaginaire. Mieux : il donne à son imaginaire un poids scientifique en exposant les travaux mathématiques ou physiques qui les accompagnent. Où un artiste n’aurait qu’à nommer une chose pour qu’elle existe, lui préfère créer une sorte « d’imaginaire rationnel » passionnant. Il créé le « Pôle Ouest ». Il est calculé, montré (aux alentours d’Hong Kong) et, à la manière d’un Fabrice Hyber, le public peut suivre le processus de création au moyen des documents affichés à proximité de la création. On apprend, avec passion, mais prudence, n’ayant pas forcément le bagage technique pour comprendre les données affichées. On suit l’artiste, encore ballotté entre ces deux composantes : l’infiniment crédible et l’infiniment rêvé de l’Espace.
Photos, vidéos, sculpture à la forme météorique, les œuvres de Waldvogel partagent une esthétique assez morne, grise. Peut-être en ce sens sont-elles plus scientifiques dans le rendu visuel qu’elles ne le sont dans leur contenu. On ne fait pas la différence entre l’œuvre et la documentation. La documentation fait partie intégrante de l’œuvre, contribuant ainsi à son apparence matérielle, sans faire perdre de force aux idées.
Le rejet de l’anthropocentrisme au profit d’un monde qui se regarde de l’extérieur. Voilà ce que l’on retient de cette visite. Comment sortir de son corps pour définir une autre réalité du domaine du probable ou au moins du possible ? L’œuvre la plus caractéristique en ce sens est « La terre tourne sans moi » où l’artiste se filme dans un avion supersonique qui, tournant à la même vitesse que la terre en sens inverse, voit la planète effectuer sa rotation sans lui. Partout, on ressent ce désir de vivre dans un espace dont il serait l’artisan.
Lui fait le choix de la noirceur. Sans oublier que la face sombre peut cacher des surprises. Comme ce mythe pythagoricien d’Antichton que Waldvogel met en scène dans une sculpture. Ce conte imagine la Terre tournant autour d’un feu sacré et ayant un pendant qui tournerait à la même vitesse à l’exact opposé d’elle, ne pouvant ainsi jamais la voir, agissant comme un contrepoint à notre planète. C’est là toute l’oeuvre de Christian Waldvogel : un contrepoint artistiquement scientifique qui nous arrache à notre monde pour nous forcer à le recréer.
Pratique : l’exposition se tient jusqu’au 9 février 2014 au FRAC Lorraine, 1 bis rue des Trinitaires, Metz. Informations disponibles sur http://www.fraclorraine.org/.