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L’autre vie de l’« Open Space »

Copyright : Pascal Victor
Copyright : Pascal Victor

Jean-Michel Ribes, à la tête du théâtre du Rond-Point, ne programme que des auteurs vivants. Amusant hasard, les seuls dialogues d’ « Open Space », la pièce de rentrée, sont des onomatopées. Ce spectacle de Mathilda May raconte une journée (la moins banale, sans doute) d’un service « international », dont les bureaux sont installés au 32e étage d’un immeuble quelconque.

La plupart des entreprises françaises est installée en open space. Alors pourquoi, après y avoir passé une journée, avoir envie d’y retourner en allant au théâtre ? Parce que Mathilda May montre tout ce qu’on ne voit pas, tous ces petits détails auxquels, habitués, on ne fait plus attention. Elle exclue les mots pour se concentrer sur les bruits, les gestes, les attitudes et les regards. Non, en sortant d’ « Open Space », vous ne verrez plus vos collègues de bureau de la même façon.

Chaque personnage est très marqué. Du jeune cadre dynamique séduisant au chef d’entreprise « hitlérique », en passant par le placardisé, oublié devant un Minitel. Le choix est fait d’un jeu clownesque, très corporel. Parfois, les individus coordonnent leurs bruits pour créer des orchestrations amusantes. On pense notamment à ce rictus de larmes lors de la mort d’un collègue qui vient faire l’instrumentation d’un gospel chanté pour l’occasion. De la machine à café trop bruyante aux chorégraphies synchronisées, en passant par la sonnerie de téléphone qui fait l’effet d’une flûte à six schtroumpfs, « Open Space » est plein de bonnes idées, drôles et surprenantes.

Mathilda May, dans un décor à mi-chemin entre « Le Père-Noël est une ordure » et un magasin d’exposition Alinéa, mélange bien réalisme cru de ces bureaux ennuyeux et onirisme dramatique lors de certains moments clés. Les lumières accompagnent à merveille ces changements de tons.

Un regret, peut-être, la longueur et la répétition de certains gags. On a parfois l’impression qu’il y a le désir de « faire durer » artificiellement le spectacle. Chaque spectateur se fera son idée sur ce qui aurait pu ne pas être ajouté, mais certaines idées perdent en force lorsqu’elles sont trop montrées.

Quoi qu’il en soit, « Open Space » est un spectacle déroutant, qui mérite que le public en fasse l’expérience.

« Open Space » de Mathilda May, au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 19 octobre, 2 bis avenue Franklin-Roosevelt (8e arrondissement), du mardi au samedi à 21h. Dimanche à 15h (relache les 7, 16, 17 et 18 septembre). Durée : 1h30. Plus d’informations sur www.theatredurondpoint.fr/.




Pouvoir, sexe et trahison à l’Hébertot

cartes du pouvoir

En mettant à l’affiche « Les Cartes du Pouvoir », le Théâtre Hébertot surfe sur l’engouement provoqué par la série « House of Cards ». La pièce est une adaptation de la pièce « Farragut North » de Beau Willimon. Pour elle, la production met le paquet : affiches dans Paris depuis le début de l’été et bande-annonce dans les cinémas de la capitale. Fort heureusement, toute cette stratégie médiatique sert un spectacle réussi.

Le public est invité à suivre la stratégie d’un candidat démocrate à la primaire de son parti depuis son cabinet de campagne. Un cabinet qui, de prime abord, paraît être un banc de requins squattant les hautes sphères du pouvoir, rassemblés pour dévorer le camp adverse : le directeur de campagne, l’attaché de presse, la stagiaire blogueuse, eux-mêmes entourés de journalistes prêts à tout avec lesquels la connivence est évidente. On assiste, au début, à un bal d’autosatisfaction puant où les ressorts de la victoire sont évoqués avec cynisme : le but n’est pas de convaincre les électeurs, mais de faire sombrer le candidat adverse. Pour cela, tous les moyens sont bons. Mais très vite, on comprend que l’on suit le mauvais camp, puisque les personnages principaux ont des idéaux et de la morale, et qu’ils croient aussi en la force de leurs propositions politiques.

Steven Bellamy : « Les gens n’entendent que le scandale »

Les échanges entre les personnages sont trépidants, jouant du champ lexical auquel nous, français profanes, sommes désormais habitués, « sénateur », « sondages dans les états clés », « gouverneur » et « whisky » : tous sont égrainés. On est pris dans le jeu comme dans un épisode de « House of Cards » ou « Scandal ». Les personnages principaux, bien qu’affichant des valeurs morales, ne manquent pas de cynisme, envers l’amour, ou le peuple qu’ils se targuent de vouloir servir. La dualité de propos rend les situations d’autant plus passionnante et ne manque pas de nous rappeler ces pièces anglo-saxonnes modernes qui traitent de problèmes actuels, comme « Race » de David Mamet.

« Les Cartes du Pouvoir » ne suit pas le rythme linéaire d’une campagne, se contentant de montrer comment un cabinet gère quelques crasses de la part de l’équipe adverse. C’est une vraie pièce, avec ses nombreux coups de théâtre. L’action se resserre rapidement autour du personnage de l’attaché de presse, Steven Bellamy (Raphaël Personnaz). Manipulateur manipulé, dont la chute est orchestrée par le camps opposé, on assiste finalement à sa descente aux enfers, le tout dans un laps de temps très bref (trois jours environ), belle démonstration de la vitesse à laquelle en politique américaine, les hommes se font et se défont.

Le drame est servi par une équipe d’acteurs justes. Dans le rôle de Paul Zara, Thierry Frémont est excellent, homme de conviction, politique idéaliste, il est aussi brut de décoffrage et très « américain » dans ses postures : parfois, on s’attend à entendre un accent texan jaillir de sa bouche. Aussi, Raphaël Personnaz se révèle comme un comédien de théâtre très convaincant, rongé par ses démons et la peur de n’être rien s’il est éloigné de l’adrénaline des campagnes. Notons aussi la très bonne performance de Roxane Duran, alias Molly, stagiaire espiègle, sensuelle et amatrice d’hommes murs.

L’action se déroule dans un décor moderne et froid, composé d’éléments amovibles glissant au gré des espaces comme des pièces sur un plateau d’échec : allégorie de la situation qui s’imbrique sous nos yeux. La mise en scène de Ladislas Chollat est pleine d’idée et utilise bien ce dispositif.

Concrètement, « Les Cartes du Pouvoir » ne parle pas de politique, mais des jeux qui l’entoure. Bien sur, cela questionne aussi nos rapport avec nos gouvernants, sur l’intérêt accru que chacun nourrit plus ou moins pour la forme au détriment du fond. On s’amuse aussi de voir comment aux USA, la moindre des « affaires » françaises ferait couler tout le pan de l’appareil en place, quand dans l’Hexagone elles passent chacune comme des faits divers.

« Les Cartes du Pouvoir » d’après « Farragut North » de Beau Willimon , actuellement au Théâtre Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles (17e arrondissement), du mardi au samedi à 21h. Samedi à 15h30 et dimanche à 18h. Durée : 1h55. Plus d’informations sur http://theatrehebertot.com/




Honnêteté VS Envie

© Pascal Gely
© Pascal Gely

Une nuit, dans la Russie communiste. Quatre élèves viennent sonner à la porte de leur enseignante de mathématiques, seule le soir de son anniversaire, des cadeaux à la main. Vivant une existence pauvre et difficile, Elena (Myriam Boyer) est touchée par cette attention et invite les jeunes gens à entrer. Ces derniers exploitent ainsi la gentillesse et le bon sentiment humain de leur professeur afin de s’introduire dans son intimité par malice. On pense immédiatement à « Orange Mécanique » de Kubrick où Alex et ses drouguies (néologisme construit sur le mot russe « droug »!) prétextent une panne d’essence afin de pénétrer chez leur victime.

Le but avoué est d’obtenir la clé du coffre où sont conservées les copies d’examen final, afin de corriger celles-ci pour avoir la meilleure note possible, et ainsi accéder à leurs rêves d’études. Les cajoleries et les gentillesses envers leur hôtesse ne suffisent pas. Très vite, on sent par des intonations et des phrases, les pensées horribles qui naissent dans l’esprit des visiteurs. De la douceur du champagne, on passe à l’horreur des menaces jusqu’aux violences les plus sombres.

On apprend aussi que le leader du groupe, Volodia (François Deblock), s’est mis en tête d’obtenir la clé uniquement par défi. Mais Elena est une Antigone moderne, et ce dernier l’a compris. Plus on essaye de l’atteindre, plus son héroïsme grandit : seule la torture d’un autre être sous ses yeux peut la faire ployer.

Volodia : « La morale est une notion humaine, donc relative ».

Tout au long de ce jeu malsain, on entend les regrets et les inquiétudes de chacun. Pour Lialia (Jeanne Ruff), le jeu va trop loin et n’en vaut pas la chandelle. De Pacha (Gauthier Battoue) et Vitia (Julien Crampon), on sent la gène qui les bride de commettre l’irréparable. Ils sont en fait les objets d’un François Deblock machiavélique. Ce dernier incarne ici un brillant manipulateur en herbe assoiffé de victoire.

Durant ce drame, Eléna est sincère, attachée à ses principes d’honnêteté. Une idéaliste qui croit en l’humanité et en l’URSS. Face à elle, la jeunesse russe rêve de richesse, de liberté et fustige les gens qui pensent mais n’agissent pas.

De ce huis-clos jaillissent tous les problèmes qui opposent l’ancienne et la nouvelle Russie. La situation extrême est propice à délier les langues. On échange sur les questions sociétales plus profondes, sur l’alcoolisme, le désir d’une vie plus légère. Ce texte est la critique d’un régime qui a beaucoup déçu, les jeunes rêvent de mettre l’honneur à mal au profit d’un monde plus rock and roll. On a l’impression de voir naître devant nous les oligarques Russe actuels : obsédés par l’argent et le pouvoir à tout prix. Sauf que les élèves d’Eléna, conscients d’être allés trop loin, quittent l’appartement en laissant la probabilité d’une reconstruction. Inquiétant.

Cependant, on regrettera un texte parfois un peu trop explicatif, reflet d’un monde et de préoccupations aujourd’hui éloignés. Essayer de transposer cette situation aux grandes questions sociales modernes, c’est commettre un solécisme théâtral : on comprend ce qu’elle nous raconte sur le monde actuel, mais la manière de le dire est un peu maladroite.

« Chère Eléna » de Ludmilla Razoumovskaïa, actuellement au Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse (6e arrondissement), du mardi au samedi à 21h. Dimanche à 15h. Durée : 1h40. Plus d’informations sur www.theatredepoche-montparnasse.com/.




Judith Magre, activiste anti-solitude

Copyright : Augustin Rebetez
Copyright : Augustin Rebetez

« Les Combats d’une reine » sont, en fait, une pièce biographique mettant en scène la figure de Gisélidis Réal – écrivaine, peintre et prostituée activiste – à trois âges de sa vie : 30, 50 et 70 ans. Trois périodes où le corps, mais aussi les idées et les discours subissent l’assaut du temps.

Pour raconter cette histoire, les actrices ont chacune leur espace sur le plateau – cellule de prison, secrétaire, trottoir – on passe d’une période à l’autre grâce à l’éclairage. La mise en scène de Françoise Courvoisier est assez simple, statique, laissant toute sa place aux voix. Parfois, les époques se croisent, le temps d’une danse ou d’une phrase. Ainsi réunies, les comédiennes créent un portrait vivant de l’icône, explorant et montrant son âme à divers stades de son existence. Une image du temps qui passe…

Idéaliste, rebelle à 30 ans, elle est enfermée dans une cellule et crie au monde son désir de liberté. A 70 ans, elle est profondément cynique et pourtant plus que jamais amoureuse de la vie. Ce dernier aspect est interprété par une Judith Magre captivante, au sommet de son art, portant les 70 ans de Gisélidis comme un charme (bien que, dans la vie, elle en ait 15 de plus !).

« Nous, les putes, on ira directement au paradis, parce que l’enfer, on a déjà donné ! »

Les textes de Réal sont une analyse de l’humain sans concession. Il existe dans sa plume un plaisir à choquer au moyen d’un franc-parler cru et grossier. Une expression aussi appelée par la nécessité, semble-t-il, de nommer les choses comme elles sont, sans éponger les angoisses de l’auditeur tranquille. Ce phrasé très imagé parvient également à rendre drôle les pires horreurs de cette vie de prostituée, qui finira par mourir du cancer. Un discours, parfois sordide, est aussi porté par des valeurs humanistes et libertaires capitales pour vivre.

Activiste, combattante, c’est elle qui mène à Paris la « Révolution des Prostituées » en 1975, se battant pour que ce métier soit désormais reconnu. Sur scène, on la voit se désoler de l’effroyable retour en arrière voulu par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur au début des années 2000, et du délit inventé de « racolage passif ». Elle fustige ainsi l’hypocrisie des politiques : difficile de ne pas faire de lien avec les discours du pouvoir en place aujourd’hui. Ce spectacle « manifeste » questionne aussi par le biais de son héroïne : « que faut-il mieux prostituer, son corps ou son âme ? », en référence aux gens qui pratiquent des métiers qui ne sont pas en accord avec leur être.

Terminant sur une touche d’espoir, cette déclaration universaliste nous rappelle enfin, qu’il n’est jamais trop tard pour vivre.

« Les Combats d’une reine », jusqu’au 18 octobre à la Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron (18e arrondissement), du jeudi au samedi à 21h. Dimanche à 17h. Durée : 1h10. Plus d’informations sur www.manufacturedesabbesses.com/.




Marguerite à Belleville

Copyright : Fabienne Boueroux
Copyright : Fabienne Boueroux

Au début du mois de février, la presse a parlé du Théâtre de Belleville en la personne de son directeur[1. « Cinq directeurs qui donnent tout pour leur théâtre » à lire sur LeFigaro.fr], Laurent Sroussi. Ancien trader, il a décidé de reprendre cette salle emblématique du quartier en 2011 et d’y établir une programmation dramatique[2. Depuis 1988, on y jouait surtout des opérettes]. Outre l’intérêt que peut susciter cette aventure humaine (le directeur déchire lui-même les billets), c’est le théâtre qu’on y propose qui doit être mis en avant pour que le public y prenne ses habitudes. Une programmation populaire, risquée et exigeante dont « Marguerite et moi » est une belle illustration.

Avant même le début de la représentation, de multiples objets jonchent la scène. Le bruit de la mer se fait entendre en fond, ce fond sonore que Duras aimait plus que tout. Sur ce tapis reposant, serein, Fatima Soualhia-Manet commence à dresser le portrait d’une femme de fer aux idées tranchées. On est dès les premiers instants, et jusqu’à la fin de la pièce, pris dans ce qu’on pourrait appeler un manichéisme durassien. La comédienne n’est pas Duras, elle ne l’incarne pas complètement, elle est simplement un vecteur de ses mots, elle laisse de la distance et l’on n’en entend que mieux la pensée. De cette voix posée, stricte, précise et garnie de silences, elle évoque des sujets aussi variés que son amour de la cuisine, l’alcoolisme ou l’absence de père. Elle esquisse un portrait dur, sévère et souvent contradictoire de l’écrivaine, faisant ressortir le désir anarchisant de cette femme qui, bien qu’aimant la vie, avait aussi le désir de tout détruire.

« On boit parce que dieu n’existe pas » – Marguerite Duras

La matière qui compose les paroles du personnage n’est pas littéraire, mais orale. Constituée à partir d’interviews qui prennent parfois la forme d’interrogatoires. Marguerite-Fatima répond, avec sa foi personnelle, avec ses mots graves, tristes ou drôles, ironiques. L’avantage pour le spectateur c’est qu’il entend tout. Il n’y a pas de recherche littéraire dans les réponses de Duras, elle dit ce qu’elle est et fait en sorte d’être comprise. Cela rend le spectacle didactique, car, bien qu’orienté vers des sujets précis, il donne une image différente de celle véhiculée par l’écriture souvent montrée sur scène. En fait, c’est un bon complément à toute l’actualité durassienne qui occupe les théâtres en cette saison-centenaire[3. On pense à « La Maladie de la Mort » jouée au Vieux-Colombier en janvier, ainsi qu’à la trilogie Duras (Savannah Bay, Le Square et Marguerite et le président) sur la scène de l’Atelier].

On remarquera peut-être une mise en scène un peu disparate, presque superflue. Quelques accessoires viennent compléter le jeu, telle la cigarette non allumée dans la main ou un fauteuil en formica et cela auraient peut-être suffi. Mais finalement, la quantité de matériel symbolique disposée sur le plateau n’empêche pas le personnage d’être libre et c’est là l’essentiel. Il y a quelques saisons, Coralie Seyrig a tenu l’affiche dans « Madame de… Vilmorin »[4. Il avait terminé sa course au Lurcernaire pendant la saison 2011-2012.], qui était aussi un spectacle constitué d’entretiens. Elle était simplement installée sur une méridienne et cela fonctionnait. Fatima Soualhia-Manet a une telle voix et une telle présence scénique, que ces deux attributs suffisent à remplir l’espace.

C’est un personnage froid, sec, à la nostalgie communicative que l’on voit s’exprimer pendant un peu plus d’une heure sur le plateau. Et sans être un recueil de citation, des phrases continuent à résonner dans notre esprit bien après la représentation. C’est la meilleure preuve d’un spectacle réussi.

Pratique :
Actuellement au Théâtre de Belleville (relâches exceptionnelles les 13, 14, 26 et 27 mars)
Reprise du 24 septembre au 11 octobre 2014.
94 Rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris
Du mardi au samedi à 19h15, le dimanche à 20h30
Durée : 1h05
Tarifs : 10, 15 ou 25 €
Réservations au 01 48 06 72 34 ou sur http://www.theatredebelleville.com/




Au Mélo d’Amélie, un boulevard martien

Copyright : Bruno Perroud
Copyright : Bruno Perroud

Malgré son nom, « Qui est Qui », ne voyez pas dans ce boulevard la moindre trace d’inspiration du jeu télévisé des années 1990. Ici, la confusion est semée par les petits hommes verts, qui prennent le contrôle des humains pour tenter de les kidnapper.

La petite salle du Mélo d’Amélie est, en ce moment, la résidence secondaire de François et sa compagne. Le couple est en crise depuis que François a eu une aventure extra-conjugale six mois auparavant. Problème : Cerise, celle qui l’a dénoncé a été invitée par Madame à passer le week-end avec eux. Pour parfaire cette situation déjà explosive, des extra-terrestres débarquent dans le champ du voisin, et ils sont bien décidés à repartir avec un spécimen humain à étudier.

Chaque personnage a son caractère bien trempé : le jeune mari désolé se fond dans un pathétique drôle pour tenter de reconquérir le cœur de celle qu’il aime, dotée de tendances nettement hystériques. On comprend vite que Cerise, institutrice psychorigide vierge de 45 ans, ne fait rien pour arranger la situation du couple car elle est complètement éprise de François. Le paysan voisin, rebouteux notoire, est une brute tendre qui s’oblige à squatter le salon de ses hôtes citadins, car il attend un coup de fil de la gendarmerie, mais aussi parce que ces gens sont probablement sa seule compagnie…

Tous sont tour à tour possédés par un Martien, ce qui a pour effet de les rendre muet et de leur faire faire des choses étranges aux yeux des autres. Les situations sont drôles, cocasses, bien que la ficelle de l’extra-terrestre prenant possession de chaque corps soit un peu grosse et répétitive néanmoins, la pièce est brève, on ne tombe donc pas dans l’ennui. Les dialogues sont efficaces sans révolutionner l’art du boulevard : quiproquos, ironie et grivoiserie sont de mises. Les situations sont simples, le dénouement est attendu, mais on rit facilement de bon cœur, et c’est là l’essentiel.

« Qui est Qui », actuellement au Mélo d’Amélie, 4 rue Marie-Stuart (2e arrondissement), du mardi au samedi à 20h. Plus d’informations sur www.lemelodamelie.com.




Les Nombrils – Voyage hilarant en égotisme

Trop souvent ignoré, délaissé, voire pire, torturé, nous devrions tous avoir une pensée émue pour notre nombril, voilà pour moi c’est fait… Évidement le sujet de ce billet n’est pas notre petite cicatrice située sur l’abdomen, résultat de la coupe du cordon ombilical, mais de la pièce Les Nombrils actuellement au théâtre Michel.

Après s’être caressé le ventre, vient tout de suite en tête le syndrome de l’ego surdimensionné, dit le melon, et c’est bien le thème de cette pièce truculente et hilarante : une troupe de quatre comédiens égotiste au talent plus que discutable dirigée par un metteur en scène souhaitant interloquer le spectateur par une approche révolutionnaire du théâtre. cinq personnages donc, rejoints très vite par un sixième jouant tous les différents hôteliers rencontrés pendant leur tournée provinciale.

Le regard lointain, la main sur le cœur, la voix calée en mode vibrato, ces pseudos acteurs essaient tant bien que mal de jouer une pièce incompréhensible qu’un Shakespeare de boulevard sous LSD, promenant sa collerette dans les plaines de Kiev, aurait pu écrire dans un moment de grande détresse personnelle.

Il y a tout d’abord la grande actrice à la carrière longue comme le bras d’un bébé Hobbit qui a connu son heure de gloire dans une pub pour de la farine, le comédien à l’haleine douteuse qui ne cesse de dépiler son CV empli de films que personne n’a jamais vus, le jeune apprenti de 40 ans dont le talent n’a été repéré que par sa maman, et l’ingénue qui hésite entre le théâtre, le doublage de films pornos et le pole dance. Leurs égos sont mis à mal par l’abandon de leur producteur qui devait financer cette tragédie russe jusqu’au graal ultime : le festival d’Avignon !, mais également par les réceptionnistes des hôtels de seconde zone notamment par un Corse qui imposera sa vision de la pièce à la sauce indépendantiste. Le metteur en scène, dépassé par autant de talent concentré, se démène dans tout cela pour imposer sa vision myope d’un théâtre du futur.

 

crédit photo : Franck Harscouet
Crédit Photo : Franck Harscouet

En plus d’un pitch original qu’est-ce qui fait que la pièce Les Nombrils soit si réussit ? Tout d’abord le texte, en effet, l’écriture est ciselée et précise, les répliques fusent et font mouches :

« Il y a tellement de noms d’oiseaux qui volent au-dessus de ma tête qu’il y en a bien un qui va me chier dessus ! » du Audiard en somme !

Ensuite, l’interprétation, il faut beaucoup de talent pour se faire ainsi maltraité dans cette autodérision permanente et chaque personnage, pris individuellement, peut même émouvoir.

Assurément un des succès de cette seconde partie d’année et alors que la pièce fictive n’attire qu’une vingtaine de spectateurs au début des représentations (beaucoup moins à la fin), cette parodie allèche le badauds tant les fous rires sont nombreux et bruyants.

Un conseil, ne vous couvrez pas trop, il fait très vite chaud.

« Les Nombrils », actuellement au théâtre Michel (8e arrondissement), du mardi au samedi à 21h et en matinée le samedi à 17 h 30. Plus d’informations sur http://lesnombrils-lapiece.fr.




Chemla illuminée dans « L’Annonce faite à Marie »

Copyright : Guy Delahaye
Copyright : Guy Delahaye

L’Annonce faite à Marie semble, à l’origine, un désir de Claudel d’exposer sa vision d’auteur d’une énigme chrétienne comme la Bible en contient pléthore. Dans cette mise en scène, Yves Beaunesne prend le drame et en fait une sorte de conte où Judith Chemla, l’héroïne, campe une Violaine totalement illuminée conduite à une fin extatique. Tant de catholicisme revendiqué tout au long du drame mène nécessairement le spectateur à tenter de faire des ponts avec le monde contemporain. Mais peut-être est-il préférable de le prendre comme Claudel l’a écrit : tel un mystère, sans tomber dans la sur-interprétation.


Quand le spectateur entre dans la salle, un cierge se consume au milieu d’un décor monumental et désertique, dont l’espace des Bouffes du Nord permet la mise en place. La scénographie est divisée en deux parties, la plus proche de nous est le monde des vivants. L’autre, en fond de scène, derrière un rideau de fils, est l’occulte. Sans pour autant être le paradis, ce deuxième lieu est trouble et les personnages qui l’habitent tour à tour, se cachent, espionnent, complotent ou veillent sur les vivants. Ces deux mondes baignent dans une lumière sombre, caravagesque, belle et froide sans être austère. L’ambiance et les couleurs sont plus franciscaines que jansénistes : pauvres, mais chaudes.


Dans ce décor va se dérouler un périple. Celui d’une existence innocente qui connaîtra le martyre. Au départ, gentille, aimante, apitoyée,Violaine donne un baiser à Pierre de Craon (Damien Bigourdan) qu’elle sait pourtant lépreux. La scène est surprise par Mara (Marine Sylf), la petite sœur de Violaine. Après avoir vu cela, la première va mettre tout en œuvre pour que le mariage de sa grande sœur avec Jacques Hury (Thomas Condemine), voulu par le père n’ait pas lieu : elle en est amoureuse et hait sa grande sœur à qui il est promis. Au final, par ce baiser innocent, Violaine contracte la lèpre à son tour et meurt des mains de Mara alors qu’elle s’était retirée du monde, exclue par sa maladie.


Copyright : Guy Delahaye
Copyright : Guy Delahaye


La famille dans laquelle se déroule le drame s’inscrit dans une dichotomie : il y a ceux qui se sacrifieront (le père et Violaine), sans que le déclencheur qui les pousse à l’abnégation ne soit apparent, d’autres voudront vivre la vie qu’ils veulent (Mara, Jacques), au détriment de leurs proches. La pièce est l’opposition chrétienne, à petite échelle, entre les vices et les vertus. La création d’une sainte à partir d’une accumulation d’épreuves gratuites, « injustes » au sens divin du terme, puisque ces punitions ne viennent pas condamner un péché et que, après toutes ces horreurs, Violaine, tel le Christ, meure en pardonnant.


Le père : « Je suis las d’être heureux »


Le spectacle est porté par une Judith Chemla envoûtante par sa voix et par son jeu. Souple, enfantine, ingénue, au début, son jeu a quelque chose de clownesque : les jambes accompagnent les doigts qui indiquent les directions. Puis, peu à peu, les épreuves la marquent, jusqu’à l’inertie. De la légèreté joviale elle évolue vers une gravité maritale. Le corps, le caractère, les yeux : tout se courbe et entre dans la nuit. Ce jeu brillant de l’actrice se démarque parfois des autres acteurs. Cela se remarque particulièrement avec l’interprète de Pierre de Craon, sans doute plus chanteur qu’acteur.


Copyright : Guy Delahaye
Copyright : Guy Delahaye


Mais la musique est importante. Chemla montre comment elle peut se balader parmi ses nombreuses tessitures, passant du chant lyrique à la variété sans difficulté apparente. Les autres protagonistes ont tous de très belles voix, chacune marquées par un caractère particulier. Cependant, le choix des chants, nous conduit encore à éviter la sur-interprétation. Le Salve Regina a beau être ponctué de cris d’animaux, il veut toujours dire Salve Regina, la même remarque s’applique au Pater Noster ou à l’Alléluia Resurexis. La musique balise le mystère comme le chant balise la messe.


Le père : « C’était trop beau, ce n’était pas acceptable »


Au sortir, le sentiment créé par cette pièce n’est pas évident à définir. L’ennui qui habite parfois les personnages peut atteindre le spectateur. Le texte, truffé de lourdeurs et de locutions bibliques, y contribue aussi. Et puis finalement, le jeu des acteurs, la musique, la mise en scène et la lumière, permettent au public de vivre un pieux mais beau spectacle, où le mystère reste entier.


« L’Annonce faite à Marie », jusqu’au 19 juillet au théâtre des Bouffes du Nord (10e arrondissement). Horaires et réservations sur www.bouffesdunord.com et par téléphone au 01 46 07 34 50.




Marylin Monroe, VDM

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

« Marylin, intime » est une œuvre biographique très romancée, écrite et interprétée par Claire Borotra. L’actrice y montre la vie personnelle difficile de la star hollywoodienne, en partie à travers une correspondance imaginée avec sa mère, de ses 8 ans à sa mort en 1962.

Ce spectacle est une performance. Seule en scène, l’actrice montre une orpheline sensible et touchante : toujours souriante, ingénue, malgré les épreuves. Sa fragilité et ses failles sont palpables, troublantes de sincérité. Tout tient sur le jeu.

Elle raconte son histoire atroce : abandonnée à de multiples reprises, elle enchaînera les échecs affectifs comme un intermittent doit courir après les cachets. La métamorphose de Norma-Jeane en Marylin n’étant que la partie émergée de l’iceberg. De cette icône retenant sa robe en passant au-dessus d’une bouche d’aération, Claire Borotra en fait une femme.

Après une enfance chaotique, ponctuée d’attouchements et de meurtres d’animaux, elle est abandonnée par une mère schizophrène. À 16 ans, en 1942, elle se marie pour divorcer en 1946. Si une chance folle la propulse dans les couloirs de la 21th Century Fox, Marylin pense en premier lieu que c’est une chance inespérée pour retrouver son père qu’elle n’a jamais connu. Dans la perpétuelle quête de reconnaissance d’une fille reniée, elle égrène les amants, et lorsqu’elle en aime un et qu’elle se marie avec, l’abandon en est inévitablement l’issue de la relation.

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

Un autre aspect de la dureté mis en avant ici réside dans le fait que Marilyn soit consciente de ses échecs, et tout au long du spectacle, on la voit repartir à l’assaut de la vie avec la meilleure volonté du monde. Était-elle comme cela ? Peu importe, encore une fois, c’est l’interprétation qu’en fait Claire Borotra qui suscite tout l’intérêt de « Marylin, intime ».

La lumière très soignée de Jean-Philippe Viguié vient ponctuer les époques et les brusques changements d’émotion de la star. Faisant crépiter les flashs lors de ses sorties publiques, l’éclairage peut-être celui d’un hôpital ou d’une prison l’instant d’après, avant d’être celui d’une chambre au crépuscule. Ces variations accentuant ainsi les soubresauts de la vie discontinue qui s’étale face à nous. Tout au long de la représentation, l’espace rangé d’une chambre est de plus en plus jonché d’objets divers : vêtements, literie, chaussures. Autant de symboles des cicatrices qui viennent à chaque fois alourdir un peu plus l’âme de la star, jusqu’à sa mort, provoquée par le poids trop lourd d’une véritable VDM.




« Perdues dans Stockholm » : épopée burlesque et folle magie

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

Sur scène défilent un mobile home, une gare, un casino… Tant de lieux construits avec le même décor à tiroirs : trois caisses de bois montées sur roue. Des boites accompagnées de trois acteurs auxquels Pierre Notte a insufflé son jeu, sa musique et sa folle magie. Tout fonctionne pour emporter le spectateur dans une épopée burlesque, allant de surprise en surprise, faisant mouche dans nos esprits toujours au moment où on l’attend le moins.

Avant que la lumière ne s’éteigne, Lulu (Brice Hillairet) bondit sur scène, se change pour ne pas qu’on le reconnaisse, tel un malfaiteur qui a fait une énorme bêtise… Et c’est le cas : il vient d’enlever la présidente du Festival du film américain de Deauville (Juliette Coulon), croisée par hasard au rayon primeur du Monoprix ! Grâce à la rançon qu’il va en tirer, il va pouvoir enfin se payer son opération de transformation et devenir la femme qu’il est vraiment. Très vite, il s’avère que l’actrice n’est qu’une comédienne mineure ressemblant vaguement à la présidente en question, elle qui passait par là dans l’espoir de plaire à un directeur de casting américain. Tata Yoyo (Silvie Laguna), rentrant du casino complètement ruinée vient compléter le groupe de personnages qui, bien que nichés dans le plus profond désespoir Trouvillais, n’ont pas abandonné l’espoir de réaliser leurs rêves.

Le syndrome de Stockholm agit alors sur la kidnappée, bien décidée à rester avec les deux tendres loosers pour qu’ensemble, ils s’offrent la vie qu’ils méritent : ouvrir la première école de Geisha en Haute-Normandie.

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
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Toutes les situations, les actions et les gestes – notamment ceux de Brice Hillairait qui se lâche complètement et nous montre ainsi toute l’étendue de son talent – sont tirés vers l’absurde comme deux aimants. Notte ne suit que ses codes, il est un roi en matière de quiproquo entre ses acteurs et le public : durant les premières minutes de la pièce, le personnage de Lulu, bien que transsexuelle, a tout d’une bigote hystérique sortie tout droit de Saint-Nicolas du Chardonnay : en enlevant la présidente d’un festival de film, on pense assister à l’obscurantisme qui kidnappe la culture. Métaphorique ! Et bien sûr, la situation s’avère ne pas être ce qu’elle semble. Ce procédé revenant de manière incessante est mené de main de maître.

Le texte est cinglant, rapide, truffé de gags. Les clins d’œil à la société moderne abondent et l’on retrouve les citations qui font la marque de fabrique de Notte : la référence aux grandes actrices, notamment Catherine Deneuve.

Entre les personnages, le cloisonnement délie les langues, en filigrane, chaque protagoniste se questionne sur son identité, ce qui fait qu’elle est unique, sur l’ignorance des autres de leur personne puisque ce ne sont pas des gens connus… Et finalement, malgré tout le rire découlant de ces situations d’un comique certain, on ne peut s’empêcher d’être touché, parfois ému et évidemment conquis par ces trois femmes formidables.

Pratique : « Perdues dans Stockholm », jusqu’au 29 juin au théâtre du Rond-Point (8e arrondissement). Horaires et réservations sur www.theatredurondpoint.fr et par téléphone au 01 44 95 98 21.




Amour, désir et mensonge à la Bastille

 l'homme au crane rasé / cie de koe / belgium

« L’Homme au crâne rasé », c’est, d’abord, un roman du flamand Johan Daisne publié en 1948. Un film en sera tiré pour la télévision belge en 1965, l’œuvre a particulièrement marqué Peter Van den Eede : en 2013, la compagnie de Koe dont il est le fondateur prend les idées du romancier pour en créer un spectacle littéralement nouveau, à la fois proche et éloigné de l’histoire d’origine.

Un homme et une femme se retrouvent à l’entracte de Salomé, ils sont attablés dans une intimité magnifiée par la profusion d’éléments de décor – le bar d’un foyer d’opéra – abondant pour si peu de personnages. Très vite, ce qui semble une simple rencontre de vieux amants va devenir une discussion passionnante entre deux âmes qui repoussent au plus loin l’inévitable retour, si ce n’est de l’amour, au moins du désir.

« — Je t’aime

Combien de fois ne nous l’avons pas dit ? »

La compagnie de Koe fait ici le choix de ne pas plonger le spectateur dans une adaptation fictionnelle du livre, les deux personnages sont en fait eux-mêmes (une actrice, un acteur-auteur), ils montrent un pan de leur vie, moderne, et se projettent, peut-être inconsciemment, dans les œuvres de fiction qui les ont construits. Les retrouvailles maître-élève de « L’Homme au crâne rasé » en fil rouge puisque ce lien hiérarchique a existé entre les deux protagonistes. La distanciation est réussie, l’interaction avec le public naturelle. Nous, spectateurs, sommes aussi installés dans ce foyer, et le couple sur scène est semblable à celui que chacun écoute d’une oreille discrète lorsqu’il est seul dans un café.

l'homme au crane rasé / cie de koe / belgium

Très vite, le désir entre eux est palpable, mais ils discutent, parlent longuement d’histoire de l’art, de la Sixtine, où ils se sont rencontrés. Puis on les écoute évoquer abondamment le frigo encastré. Pendant ce temps, nous, public, nous entendons complètement autre chose : l’infraverbal est lisible comme un panneau de circulation. La manière d’échanger est bien plus importante que l’échange lui-même. Le jeu des deux acteurs est d’une grande finesse, toujours sur le fil, une prouesse splendide. Ils parlent d’un tas de choses, sauf de ce qu’il se passe vraiment, et pourtant on voit tout. Il est ici question d’un couple brisé qui lutte de toute ses forces pour ne pas sombrer de nouveau dans leurs anciens amours.

« On ne peut pas faire l’amour maintenant, non, non (un temps), non, nous n’avons encore rien mangé »

L’échange est drôle, précis, cultivé et à la fois absurde. Peu à peu, le masque glisse et laisse place à leur vérité commune, le champ lexical de la peinture, de la cuisine, disparaît au profit de celui de la relation. Doucement, les mots se font plus rares et les silences plus présents. Les corps prennent le pas sur la parole… Le combat entre désir et raison s’apaise peu à peu pour finir dans le mystère : en somme, une belle métaphore de la relation moderne.

 Pratique : « L’Homme au crâne rasé », jusqu’au 17 juin au théâtre de la Bastille (11e arrondissement). Horaires et réservations sur www.theatre-bastille.com et par téléphone au 01 43 57 42 14.




Un Goya décousu, fou et faux au théâtre de l’Atalante

caprices

Peu à peu, le festival de Caves, qui se tient au mois de mai dans la région de Besançon, tente de s’exporter à Paris. Pour l’occasion, le petit théâtre de l’Atalante accueille un spectacle créé sur un texte contemporain de José Drevon, lui-même écrit d’après l’œuvre du peintre espagnol Francisco de Goya (1746 — 1828).

C’est en fait une interprétation émotionnelle des célèbres gravures (Los Caprichos) qui nous est montrée ici. Devant le spectateur, très proche, Francesco de Goya (Maxime Kerzanet) est allongé sur une table, sorte d’espace de dissection mentale. Il est en pleine crise d’angoisse. Jamais il ne quittera ce territoire délimité. L’homme souffle, se parle, tente de contrôler sa douleur psychique en ce lieu extrêmement prégnant. À l’abri des regards, il rejette en bloc la société espagnole du roi Charles IV : le clergé, les femmes, les manières aristocratiques, avec une grande force. Les images qu’il emploie dans ce but sont claires. Nous voyons alors un peintre seul face à sa feuille, exorcisant, par le dessin, ses démons.

Malheureusement, malgré une performance d’acteur notable, une belle lumière (de Christophe Forey) et une mise en scène fine (de Guillaume Dujardin), le spectacle ne nous saisit pas. En cause ? La partition, le texte, assurément. L’auteure fantasme Goya comme s’il était Baudelaire écrivant Spleen IV, or, bien que reconnu en tant que peintre de l’horreur, de la violence et d’une certaine folie, Goya n’est pas celui du délire. Ses Caprices sont en fait bien réfléchis, pesés, et font l’objet de nombreuses études dont l’une d’entre elles a montré dernièrement que tout était calculé : même la date de sortie dans le commerce des Caprices est prévue au moment précis de la dernière pleine lune d’un cycle astronomique important de la fin du XVIIIe siècle. Alors qu’ici sur scène, le texte montre un Goya fou, à moitié nu, prisonnier d’une cave afin d’expurger sa folie dans la solitude, mais ses Caprices avaient pour but d’être diffusés à un public très large, rien n’était enfoui, rien n’indique que c’est le résultat d’un délire nocturne du peintre.

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Bien sûr, José Drevon fait ici un choix extrêmement libre, et sa vision n’est pas mauvaise, puisque c’est celle d’une artiste, son cri. Mais cela ne suffit pas à lui donner la contenance nécessaire à susciter un intérêt : il est décousu, passant du coq à l’âne sans logique, sauf celle de la démence, encore. Mais le délire, s’il ne mène nulle part, à quoi bon l’exhiber ? L’acteur termine dans la même position que celle par laquelle il nous est apparu, montrant ainsi qu’il est cloisonné dans une crise répétitive, ce qui est en plus en contradiction avec la sortie de ses démons sur le papier montrée quelques minutes avant. Tous ces mots ne semblent que style au détriment d’un véritable fond.

Du coup, le beau dispositif scénique et l’écrin particulier dans lequel on essaye de plonger le spectateur ne fonctionnent pas. À quel public s’adresse-t-on ? Le spécialiste ne verra pas Goya, l’amateur en aura une image saugrenue, et si la destination n’est pas d’apporter un témoignage biographique, ce qui semble être le cas ici, l’ennui guette et surgit plus vite que les brûlantes angoisses vécues par le personnage évoluant sur scène.

Pratique : « Caprices », jusqu’au 24 juin au théâtre de l’Atalante (18e arrondissement). Horaires et réservations sur www.theatre-latalante.com et par téléphone au 01 42 23 17 29.




Cyrano : il est tout, avec trois fois rien

Cyrano de Bergerac

Rarement, une création fait autant parler d’elle. Fin 2012, en pleine « affaire Depardieu », Philippe Torreton prend parti et assaille le premier dans une longue tribune dans Libération. Un texte truffé de références à Cyrano de Bergerac. Quelques semaines plus tard, Torreton incarne lui-même Cyrano, ce rôle qui colle tant à la peau du grand Gérard. La comparaison se fera forcément. Heureusement, les premiers commentaires seront unanimes : Torreton ne se ridiculise pas, il est Cyrano, un personnage puissant, solitaire et brutal incarné à merveille. Un Cyrano enfermé dans un hôpital psychiatrique construit sur la scène de l’Odéon jusqu’à la fin du mois de juin.


Une pièce commune glauque, éclairée au néon. Des tables et des chaises de-ci de-là parsèment l’espace. Torreton est déjà sur scène, dos au public. Un défilé de malades délirant s’opère pendant qu’un juke-box crache de la musique. Rien dans les premières minutes ne laisse présager que nous allons assister à une représentation de Cyrano. Les plus sceptiques se poseront la question de savoir si, comme au cinéma, ils ne se sont pas trompés de salle. Puis, peu à peu, on se surprend à imaginer les salles d’asiles auxquelles chacun a pu être confronté. On se questionne alors : peut-être que ceux qui nous semblent fous habitent un monde parallèle dans lequel ils jouent les plus grands drames de la langue française ? Doucement, l’imaginaire se créé.


Enfin, la pièce débute. Montfleury (Jean-François Lapalus) monte sur une scène faite de tables en formica. Tous autour s’amusent et parient pour savoir si Cyrano viendra interrompre la représentation, ce qu’il fait. Torreton une fois debout efface les autres tant il rayonne, tant son incarnation est pleine de force et de justesse. La transposition dans ce monde en blouse blanche où lui est habillé dans un vieux survêtement Sergio Tachini n’empêche pas le texte d’être limpide et particulièrement bien dit. Rostand est l’un des ancêtres de Pagnol et Audiard en matière de textes imagés.


Bien que l’épée soit remplacée par un fer à repasser et que la scène du balcon devienne une conversation Skype, la dramaturgie est très respectueuse des situations rostandiennes : toutes existent et aucune ne perd en force. Celles-ci sont soutenues dans une mise en scène volontairement déséquilibrée qui met particulièrement en valeur le héros et son nez, au détriment des personnages secondaires.  L’organe de Cyrano parle, il est le prolongement parfait de l’acteur. De profil, il accuse, de face, il touche, de dos, il nous manque. Seule Roxanne (Maud Wyler) trouve sa place au-devant de la scène. C’est elle qui rend le Gascon tout chose, plus faible, en un mot amoureux. Monde moderne et monde baroque se confondent lorsqu’on vit cette situation douloureuse d’un amour par procuration.


L’enfermement dans le monde psychiatrique renforce d’autant plus le climat de tristesse de la situation dans laquelle se trouve Cyrano. Cet homme seul, bon et courageux cloisonné dans sa laideur avec ce nez qui « d’un quart d’heure pourtant [le] précède », vit dans un monde imaginaire. Le drame gagne en noirceur et la vie de cet homme fou en devient profondément désespérante, après une scène finale grandiose, on sort du spectacle bouleversé.


Pratique : Cyrano de Bergerac, jusqu’au 28 juin au théâtre de l’Odéon (6e arrondissement). Horaires et réservations sur www.theatre-odeon.eu et par téléphone au 01 44 85 40 40.




Un Macbeth total

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Suivant le succès unanime des Naufragés du fol espoir, d’après Jules Verne, Ariane Mnouchkine revient à un immense classique : Macbeth de Shakespeare. En ce 450e anniversaire de la mort du dramaturge anglais, elle fait de ce monument de l’art dramatique ce qu’il est : un grand spectacle, presque « total ».

L’immense foyer du théâtre du Soleil est orné d’une multitude d’images reprenant l’iconographie que cette pièce a connue dans le monde depuis sa création. Sur les murs sont peints des affiches de films, des frontispices d’éditions originales, des annonces de spectacles en anglais, russe ou arabe… Un immense portrait de Shakespeare décore le fond du hangar. Le son des rossignols et quelques notes de musique baroque complètent cette ambiance enchanteresse dans laquelle est immédiatement plongé le spectateur.

Une magie se créé lorsqu’on se rend dans ce lieu mythique du théâtre contemporain. Comme à son habitude, Ariane Mnouchkine contrôle les tickets, veille sur chacun, les acteurs et le public, elle est le liant qui créé l’unité nécessaire pour entrer pleinement dans le monde qu’elle dessine pour tous. Le temps d’une soirée, le visiteur se sent, lui aussi, intégré à la troupe.

Enfin, on finit par s’installer sur les gradins, face à l’immense plateau. Prêt pour un voyage de quatre heures dans les profondeurs de l’âme humaine. Un parcours mouvementé, dense, rythmé par les changements de décor (des acteurs à part entière !) et les effets de foules permanents, mais virtuose : Mnouchkine fait ce qu’elle veut du temps, il est long quand l’action le demande, bref lorsque cela est nécessaire. Il difficile d’en décrire les sensations ressenties. Il faudrait tout raconter ou bien se taire. On saluera la beauté de la scénographie, l’intelligence de la musique et l’incarnation presque surnaturelle des acteurs.

Il suffit de savoir que tous les éléments qui composent le spectacle convergent pour la création d’un immense conte. Allégorie de nos êtres, à travers Macbeth chacun visite son côté sombre. Les questions du drame restent universelles. On est ce couple fou mais admirable qui s’enfonce dans la folie la plus noire.

La chute, cette longue chute dans laquelle on sombre est effrayante. Mais pour y tomber, on a la chance d’être accompagné par le Soleil lui-même, et après l’atterrissage, on ne demande qu’à redécoller.

 Pratique : Macbeth de Shakespeare, actuellement au théâtre du Soleil (Cartoucherie de Vincennes, 12e). Horaires et réservations sur www.theatre-du-soleil.fr et par téléphone au 01 43 74 24 08.




Passion simple, voyage amoureux

Copyright : Benoite Fanton / Wikispectacle
Copyright : Benoite Fanton / Wikispectacle

Elle se réveille un matin toute habillée dans une chambre d’hôtel. Enseignante quadragénaire du début des années quatre-vingt-dix elle se remémore la passion qu’elle a connu en étant la maîtresse d’un homme, sa rupture, la reprise puis l’extinction… tout ça sur fond de Lambada et de Sylvie Vartan.

Le texte d’Annie Ernaux est débordant de détails précis et universel sur la posture d’attente face à l’être, si ce n’est aimé au moins désiré. Le téléphone qui sonne, l’espérance d’entendre la voix tant souhaitée et la colère ressentie contre l’interlocuteur qui n’est pas celui que l’on espérait être. Enfin, notre avenir qui ne dépasse pas l’horizon du prochain rendez-vous. Passion simple dépeint toutes ces situations dans lesquelles chacun se donne une posture pathétique volontaire, et enfin, lorsqu’elle le voit, elle est incapable d’apprécier le temps présent, obnubilé par son départ forcément trop proche.

Spectateur, on se questionne alors sur la soumission, ou comment les contraintes sont sources d’attente et de désir. Sur l’idéalisation de l’être aimé. On se surprend à accorder une importance certaine à cette histoire banale, mais oh combien plaisante à écouter.

Le sujet traité un nombre incalculable de fois adopte alors un tour prenant. Marie Matheron, seule en scène, est captivante, elle parle d’une voix grave et posée tout en prenant au fur et à mesure de plus en plus distance de son personnage, ce qui a pour effet de dédramatiser cette aliénation dans laquelle elle nous entraîne et de lui donner une pointe d’ironie délicieuse. Peu à peu, son bel amant devient un cadre parmi d’autres, un abruti qui parcourt les Grands Boulevards fiers de siéger dans sa grosse voiture. Enfin, elle en s’en détache, et, avec seulement du plaisir, le public parcours ce chemin sentimental passionné en toute quiétude.

Pratique : Jusqu’au 7 juin au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs (6e arrondissement). Du mardi au samedi à 18h30. Durée : 1h. Réservations sur http://www.lucernaire.fr/ et au 01 45 44 57 34.