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Alice, une merveille en ce pays !

Plus d’un mois a passé depuis la première … et le succès se confirme pour Alice ! Compote de Prod, ça vous rappelle quelque chose ? Ils étaient à l’origine de « Souviens toi Pan » (http://www.arkult.fr/2011/07/le-pays-de-nulle-part-sinvite-a-paris/) et reviennent plus déjantés que jamais dans cette version revue et corrigée de la non moins fameuse histoire de Lewis Caroll.

Humour, excentricité et bonne humeur : voici trois des ingrédients de cette nouvelle recette made by Compote de Prod (avec des vrais morceaux à l’intérieur …).

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Imaginez-vous un instant l’héroïne d’une histoire qui évolue au fur et à mesure de vos agissements … Une rencontre avec un chat, qui apparaît et disparaît à son bon vouloir, ce bon vieux matou du Cheshire (Antonio Macipe); un lapin blanc, toujours pressé, toujours en retard et dont la poursuite réserve bien des surprises (Vincent Gilliéron); des conseils proférés par une mystérieuse chenille (Véronique Hatat); la terrible et redoutée Reine de Coeur (Julie Lemas) qui ne souffre aucune contradiction, aucune question ; et enfin le Chapelier Fou (Hervé Lewandowski, qui apparaît aussi en Lewis Caroll lors de la première scène), qui mérite bien son surnom, les rimes sont son domaine, la théine sa drogue, la nourriture son credo.

Alors seulement vous pourrez comprendre la dose qu’il faut de courage à la jeune Alice (interprétée par la remarquable et remarquée Marie Oppert) pour venir à bout de toutes ces aventures. Mais quelle récompense à la fin de ce merveilleux voyage, car c’est bien d’une quête initiatique dont il s’agit ! Passage nécessaire vers une étonnante maturité, celle de comprendre le bonheur d’être un enfant.

Et de maturité, l’équipe de Compote de Prod en fait preuve à l’occasion de ce deuxième spectacle de leur création. Les décors, les paroles, les arrangements, les costumes … que de chemin parcouru depuis « Souviens toi Pan ! », un cap a été franchi, heureusement l’humour et la simplicité demeurent.

 

Pratique :
Les mardi et mercredi, 19h30, au Théâtre Clavel – 3 rue Clavel – 75019 Paris
Plus d’informations sur www.compotedeprod.com

Auteur : Julien Goetz
Artistes : Marie Oppert, Antonio Macipe, Vincent Gilliéron, Véronique Hatat, Hervé Lewandowski, Julie Lemas, Anthony Fabien
Metteur en scène : Marina Pangos

 




Affreux, terrible, dramatique Tartuffe !

(c) Thierry Depagne
(c) Thierry Depagne

Luc Bondy fait ici le choix de nous montrer un Tartuffe moderne. Moderne de par son cadre : la pièce se déroule dans le salon d’un grand appartement froid au carrelage en damier noir et blanc (symbolique de la dichotomie de perception dont bénéficie Tartuffe de la part des membres de la famille ?). Moderne aussi de par son caractère : ici, le faux dévot (joué par Micha Lescot) ose et adopte un comportement de cadet de famille mal élevé qui fait tout pour faire punir ses frères et sœurs. Par exemple, lorsque le fils Damis (Pierre Yvon) vient se plaindre du comportement de Tartuffe, celui-ci se mortifie face au père Orgon (Gilles Cohen), et lorsque ce dernier à le dos tourné, Tartuffe fouette le fils de sa cravate. Ce comportement de « sale gosse » dure jusqu’à la fin de la pièce et prend de multiples formes, jusqu’aux dernières minutes du drame où Tartuffe, arrêté par les autorités, pleure comme un enfant à qui on vient de taper sur la main, après qu’il ait été pincé à la tremper dans le pot de confiture.

Ce comportement gestuel abondamment ajouté par Bondy, donne une dimension dramatique presque œdipienne : Tartuffe séduit le père (adoptif) et le conduit de façon perverse à sa perte pour pour pouvoir coucher avec la mère. Sous cet angle, une sensation d’étrangeté nous capte tout au long de la pièce. Les coups accompagnant les paroles déjà chargée de sens font ressortir la dimension profondément dramatique de ce qui est, à l’origine, une comédie satyrique. Tartuffe est ici un monstre, on rit, oui, mais pas de sa personne ou d’Orgon mené en bateau : on rit pour ne pas compatir au supplice qu’endurent les personnages.

Non, tout n’est pas sombre pour autant, le rire est aussi provoqué sincèrement par les gags de mise en scène. Notamment par la présence récurrente d’une servante muette (Léna Dangréaux), craintive et semblant tout faire pour être discrète : c’est admirablement joué et profondément drôle, elle semble créée à partir d’une fusion entre un personnage de Walt Disney et Tim Burton. Dès son entrée en scène, elle nous capte. D’autres artifices s’ajoutent au fil de la représentation : les bondissement de derrière les rideaux ou le peignoir ringard enfilé par Tartuffe lorsque la mère feint de céder à ses avances pour mieux le piéger fonctionnent très bien… Le drame resurgit néanmoins puisque la scène entre le dévot et Elmire (Clotilde Hesme) va jusqu’au viol quand certains metteur en scène se contente d’un baiser. Bondy pousse la pièce jusque dans ses retranchements tragiques.

Ce texte, qui ciblait les dévots qui truffaient alors Versailles à la fin des années 1660, avait fait scandale à sa création car Tartuffe était habillé comme eux. Elle est encore maintenant l’une des pièces les plus justes par son analyse de l’hypocrisie. Aujourd’hui, lorsqu’on écoute ces vers avec notre sensibilité contemporaine, « le ciel » loué par l’antihéros est le système en place, Orgon fait partie des « braves gens », qui ne voient que ce qu’ils ont envie de voir. On pense à ces parents qui laissent sombrer leurs enfants dans les paradis artificiels et qui refusent d’y voir leur part de responsabilité : ici, Orgon détruit sa fille en la promettant à Tartuffe alors qu’elle aime Valère. Peu à peu, on la voit sombrer dans une affliction touchante. À la fin, lorsque l’huissier vient pour saisir la maison, on se demande si Orgon ne va pas aller jusqu’au suicide.

Dans le programme du spectacle, Bondy aborde justement cette question du « voir et ne pas voir » […]. Tartuffe nous interpelle, que choisissons-nous de voir ? Face à quoi, dans la vie moderne, nous masquons nous délibérément la vérité ? Chacun y trouvera sa réponse personnelle, Tartuffe mis en scène comme l’a fait Bondy, s’adresse à tout ceux-là.

 Pratique : Le Tartuffe, jusqu’au 6 juin au théâtre de l’Odéon (Salle Berthier, 17e). Horaires et réservations sur www.theatre-odeon.eu et par téléphone au 06 44 85 40 40.

 

 




Ostermeier glace Sceaux

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Thomas Ostermeier est un immense metteur en scène, certainement le meilleurs en Europe aujourd’hui, et il le prouve comme une évidence à chacune de ses créations au moyen de techniques et de dispositifs sans cesse renouvelés.

Il met en place l’histoire de La Vipère dans un intérieur bourgeois épuré, composé d’une pièce principale agrémentée d’un salon en cuir, d’un piano et d’un grand escalier. En fond de scène, une pièce supplémentaire accueille la salle à manger dont les portes ne sont pas toujours ouvertes. Le décor joue sur les tons de gris, de noirs, agrémentés de lumières claires et froides. Ce cadre contribue à magnifier l’expérience glaçante dans laquelle sera plongé le spectateur durant la représentation.

Le point de départ est un dîner mondain, une famille invite un riche investisseur New Yorkais à sa table. On parle contrat, on trinque, l’affaire semble en bonne voie. L’invité de prestige parti, la famille d’entrepreneurs a des étoiles plein les yeux. Le hic ? Les deux frères attendent toujours que le mari de leur sœur Regina mette sa part de l’investissement sur la table, et c’est urgent. Malheureusement ce mari est malade, et il n’a aucune intention d’investir. Tout au long du drame, Regina joue une partie d’échec dont elle sortira vainqueur face à ce monde masculin qui la maltraite depuis toujours. Mais elle n’y arrive qu’au prix de nombreux sacrifices qui jaillissent comme autant de coups de théâtre.

La mise en scène est prodigieuse. Tout au long de l’action, le rythme est sans cesse modulé. Rapide quand il faut, extrêmement lent dans les instants clés, comme un poison qui coule lentement dans les veines du spectateur. Parfois arrêté, les placements contribuent à créer des tableaux incroyables. Une scène de dispute collégiale peut laisser place à une scène vide pendant plusieurs secondes. Des hurlements succèdent à de brusques moments de silences dans lesquels des enjeux énormes sont ressentis et où chaque geste raconte une partie de la vie des personnages. Tout cela ne manque pas d’ironie : entre deux actes, alors que l’histoire est de plus en plus dramatique, une pop naïve accompagne les tourments intérieurs insoutenables des protagonistes.

Le spectateur assiste à la vie de ces gens, il s’invite dans leur maison, il est voyeur. Le comédien n’est pas là pour lui, le comédien n’attend rien du public : il expose le drame comme dans un huis-clos extrêmement prégnant et c’est ici que réside, une partie du génie d’Ostermeier.

Tout ne doit pas être dit, dans cette guerre que mène cette femme pour ce qui semble être l’argent et le pouvoir, les postures, les expressions, prennent le pas sur le texte. Ce dernier a été fortement modernisé, on y parle de la dernière extension de Diablo III, de Facebook… Lillian Hellman, mort en 1984, n’avait certainement théorisé tout ça !

Le talent de chaque acteur n’est pas absent à tout cet éclat. Particulièrement en ce qui concerne les deux femmes quarantenaire, l’héroïne et sa belle sœur (archétype de la desperate housewife), qui sont d’une justesse effrayante. Bordeline dès le début, les deux sombrent dans des folies démentes, mais avec une intériorité et des nuances qui ajoutent encore plus à l’inquiétude dans laquelle le spectateur est plongé.

Tout au long de la pièce, Ostermeier nous tient dans sa main, et il serre et desserre son emprise à loisir jusqu’à la scène finale où La Vipère est seule, abandonnée par sa propre famille, mais riche. Est-ce donc ça la vie ? Ou comment plusieurs millénaires après Aristote, Ostermeier arrive comme aucun autre à susciter « pitié et crainte » dans un spectacle absolument moderne.

Pratique : (the little foxes) La Vipère, jusqu’au 6 avril à la Scène Nationale de Sceaux. Horaires et réservations sur http://www.lesgemeaux.com/




Jungers au service de Marivaux

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Pour sa première mise en scène à la Comédie-Française, Benjamin Jungers a fait le choix d’une sobriété au service du texte de Marivaux, l’île des Esclaves. Les acteurs évoluent sur la scène du Studio au milieu de voiles blanches pendues du plafond, dans des costumes dont seules les épaulettes marquent les différences de classe.

Car c’est bien à une sorte de lutte des classes à laquelle on assiste dans ce qui est une des pièces les plus célèbres de Marivaux (et pourtant sans marivaudage !). Une lutte galante, peu ambitieuse, qui n’a rien de « pré-Révolutionnaire » comme on peut le lire parfois, mais qui existe ; et ce combat entre maître et esclave, cet inversement de situations après que patrons et valets se soient échoués sur une île est très bien orchestré.

Jeremy Lopez incarne l’Arlequin goguenard et parfaitement désinvolte envers un maître (Stéphane Varupenne) calme et d’un sang froid tout aristocratique face aux attaques verbales de son subordonné. Jennifer Decker, Cléanthis, passe du rôle de la gourde ingénue à l’imitatrice parfaite d’une maîtresse (Catherine Sauval) coquette, hypocrite et faussement légère, en une phrase, avec un contraste saisissant. Cette maîtresse qui, comme son alter ego masculin, mord la poussière en silence, toujours au bord des larmes. La justesse du jeu de Cléanthis, cette façon de passer de la servante avinée à l’incarnation de l’élégance même est particulièrement excellente.

Mais ces esclaves se repentent de cette nouvelle situation aussi vite qu’ils s’en sont réjouis. Ils refusent cette émancipation brutale pour retrouver au plus vite leur ancienne (et ingrate) situation. Pendant le déroulement de la comédie, on se surprend à avoir de l’empathie pour les maîtres, pourtant coupables de mille maux aux dires des serviteurs. Cette pièce se contente de ridiculiser les maîtres sans pour autant prendre la défense de leurs esclaves.

Tout cela, Jungers le montre très bien, en faisant ressortir toute la profondeur et le talent de cette très belle distribution.

Pratique :
L’île des Esclaves au studio de la Comédie-Française (Carrousel du Louvre), jusqu’au 13 avril.
Durée : 1h.
Réservations : 0825 10 1680 ou www.comedie-francaise.fr [Complet]




La nuit des piranhas au Café de la Gare – Triste réalité …

Bas les masques. Ainsi pourrait-on résumer la pièce qui se joue en ce moment au Café de la Gare. Un lieu chargé d’histoire pour le théâtre et la comédie moderne. Rien de moins que Coluche y a fait ses débuts sur scène. Et, à l’instar de Coluche, les auteurs de « La Nuit des Piranhas » (Philippe et Cédric Dumond) nous offrent leur vision de notre société moderne. Balancée entre révoltes, injustices, jeux de pouvoir et quête de transparence. Les personnages, au prime abord, répondent à des clichés bien définis dans l’imaginaire commun.

Homme politique véreux qui cherche tous les passe-droits possible.
Prostituée, outrageusement maquillée, tombée pour racolage.
Jeune étudiant altermondialiste en quête d’un monde meilleur, d’une fraternité universelle et développant le même amour pour les forces de l’ordre que ses prédécesseurs soixante-huitards.
Maton irascible, petit chef, n’hésitant pas à user de la force pour faire taire toutes les voix qui pourraient remettre en cause ses convictions.

Puis, petit à petit, dans une pièce bien rythmée, aux assauts des manifestants (c’est jour de révolte nationale), les masques tombent. Les préjugés laissent place à des vérités bien inattendues, et parfois au goût tristement amer pour le spectateur, car tellement proches des histoires de notre quotidien. La société dépeinte dans les médias nous apparaît là dans sa désolante simplicité, et ses valeurs parfois douteuses.

Heureusement, la légèreté du ton et l’engagement des acteurs rendent cette vérité plus supportable, et permettent aux spectateurs de mieux s’indigner des travers et des aberrations contemporaines. La Nuit des Piranhas pourrait concourir à de belles récompenses comiques, si ce n’était ce fond de vérité tragique toujours présent dans les textes. Une belle leçon de société moderne, d’humilité et … d’espoir malgré tout !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pratique :
Auteurs : Philippe et Cédric Dumond
Artistes : Julie Cavanna, Benjamin Bollen, Bernard Bollet, Hubert Drac
Metteur en scène : Hubert Drac
Durée : 75 minute
Du mardi au samedi à 19h
Adresse : Café de la Gare – 41, Rue du Temple – 75004   PARIS

 




« Chat en Poche » à l’Artistic Athévains

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Copyright : Marion Duhamel

Avec cette mise en scène de « Chat en Poche », Anne-Marie Lazarini contribue à nous interroger sur la difficulté de jouer Feydeau à notre époque. Certes, ce dernier reste un auteur très populaire et visible. Sa puissance comique n’a pas disparu. Mais tout de même… Suffit-il de le mettre en scène dans un beau décor bancal aux tons gris et aménagé de meubles flashy pour rendre ce vaudeville un tantinet moderne ? En ce qui concerne « Chat en Poche », nous n’en sommes pas certains, tellement l’intrigue sue le XIXe siècle et le parti pris de la mise en scène n’est pas clair…

Qui cela amuse-t-il aujourd’hui, d’assister au désarroi d’un riche industriel de la Troisième République qui cherche à acheter sa postérité auprès d’un chanteur d’opéra (Dufosset), et de suivre celui-ci et ses proches dans sa quête (qui sera forcément un échec), pendant que le jeune premier occupe le cœur de toutes les dames de la maisonnée ? Qui est encore diverti par ces quiproquos entre futurs époux, entre Dufosset et ses femmes, sans oublier les maris de ces dernières ?

On ne peut pas dire que l’on ne rie pas : ces personnages qui se retrouvent enfermés dans des situations inextricables dans lesquelles ils se sont mis tout seul est tordante, surtout lorsque l’histoire est remarquablement servie par la performance des acteurs (en particulier Dufosset, interprété par Cédric Colas). Mais la mise en scène d’Anne-Marie Lazarini vogue dans une sorte d’entre deux eaux entre désuétude et modernité. Les acteurs courent, mais ne sont pas dynamiques pour autant.

Néanmoins, on retiendra quelques beaux effets, la sensation d’avoir passé un moment agréable mais avec cette gène d’un spectacle d’un autre temps qui nous revient tout au long de la représentation.

Pratique :
Actuellement au théâtre Artistic Athévains
45 rue Richard Lenoir, 75011 Paris
Les mardi, vendredi, samedi à 20h30. Le mercredi et le jeudi à 19h, et en matinée le samedi à 16h et le dimanche à 15h.
Durée : 1h20
Réservations au 01 43 56 38 32

 




Des rencontres réelles pleines d’illusions

Copyright : Mirco Magliocca
Copyright : Mirco Magliocca

Actuellement, Alexis Michalik a le vent en poupe avec son spectacle, « Le Porteur d’Histoire », toujours à l’affiche du Studio des Champs-Élysées. Le jeune auteur ne s’arrête pas sur cette victoire, puisque sa nouvelle création, « Le Cercle des Illusionnistes » est déjà sur les rails à la Pépinière Théâtre depuis la fin du mois de janvier.

« La vie n’est pas un trait, c’est un cercle », nous disent les héros de ce nouveau spectacle. Un cercle qui fait que tous les personnages suivent un chemin et finissent par se rencontrer d’une manière ou d’une autre dans des époques interposées. Robert Houdin, Georges Méliès, Avril, Décembre, tous ces gens de magie passent sur des traces déjà laissées par d’illustres prédécesseurs. On décolle en 1871, on se retrouve en 1984 puis on repart en 1825. Comme ça, naturellement… Voilà ce que nous montre « Le Cercle des Illusionnistes ». Les accidents de la vie qui créent des rencontres, qui changent un homme, provoquent une symbiose, comme par enchantement.

L’ambiance du spectacle est (presque) ouvertement inspirée de « Hugo Cabret », film de Martin Scorcese sorti sur les écrans français en 2011. La musique aussi nous plonge dans cet univers fantasque où chacun retrouve son âme d’enfant. On assiste à une histoire, et les réussites comme les échecs sont ponctués de tours de magie, dont certains ont fait la gloire de leur créateur. La pièce n’exploite pas ces légendes, elle leur rend hommage sous la forme d’un conte poétique où l’aventure humaine n’est pas mise de côté.

Michalik met en scène lui-même sa pièce de manière cyclique, ingénieuse, pleine de bonnes idées et de dispositifs surprenants. Son utilisation de l’espace amuse et touche, fait ressortir ce lien fictif qu’il veut mettre en avant entre ses héros, et du début à la fin le spectateur est emmené comme hypnotisé dans ces péripéties biographiques teintées d’un humour certain.

Pratique :
Actuellement à la Pépinière Théâtre
7 rue Louis Le Grand, 75002 Paris
Jusqu’au 29 mars 2014. Du mardi au samedi à 20h30. Matinée le samedi à 16h.
Durée : 1h40
Tarifs : 12/39€
Réservations au 01 42 61 44 16 ou sur www.theatrelapepiniere.com




Girardot et Schneider, un couple évident

ROMEO ET JULIETTE (Nicolas Briancon 2014)
Copyright : Victor Toneli

Dans toutes les professions, dans chaque domaine, chez les communautés de passionnés, il y a des problèmes récurrents. Celui des amateurs de Roméo et Juliette, c’est de savoir si le couple de héros va (pour faire court) tenir la route. Selon les mises en scène, on a pu entendre que la différence d’âge était trop grande, que Juliette était trop vieille (dans la pièce, elle est censée avoir bientôt 14 ans), que le courant passait mal entre les comédiens, que ces derniers sont trop inexpérimentés, etc… Bref, de tous les Roméo et Juliette montés ces dernières années (il y a en a au moins un par saison), celui joué par le couple Ana Girardot et Niels Schneider est certes le plus glamour, mais aussi le plus juste et le plus beau.

Nicolas Briançon transpose l’action de la Vérone du XVIe siècle à ce qu’il semble être le monde de la Prohibition des années trente à New York, et où les Montaigu et les Capulet deviennent deux gangs rivaux (sans pour autant nous faire penser aux Sharks et aux Jets) et le Prince le grand parrain. Ce décalage juste, apporte une certaine modernité visuelle à l’action, tout ce monde évolue dans une scénographie en grisaille et la troupe, nombreuse, est bien orchestrée. Elle donne à voir des scènes collégiales (du bal aux bagarres) dynamiques et brûlantes. La mise en scène est truffée de gags et farces qui font mouche, et les moments plus calmes atteignent même une certaine poésie, car un soin particulier a été apporté à chaque tableau et l’effet s’en ressent sur la vue générale que l’on a du plateau.

La relation nouée entre les deux héros est joliment innocente, sincère. On peut avoir quelques difficultés avec la diction de Niels Schneider (il est québécois), mais lorsque les héros tombent amoureux, cela nous paraît une évidence. Les deux comédiens sont pour la première fois au théâtre et inutile ici de chercher une bonne prise comme au cinéma : la magie opère dès qu’ils se tiennent la main. À la fois rêveurs et conscients du monde dans lequel ils vivent, ici, la plus dramatique, mais aussi la plus belle de toutes les histoires d’amour ne perd rien de sa valeur universelle.

Quelques accents volontairement exagérés sur les seconds rôles et leur présence bien mise en valeur par les coupes du texte nous font également remarquer la très belle prestation de la Nourrice (Valérie Mairesse) et de Frère Laurent (Bernard Malaka). Les autres comédiens soutiennent bien l’action, sans faire d’ombre au couple légendaire.

Un Roméo et Juliette qui fonctionne, c’est une représentation où le public espère que Roméo ne tuera pas Tybalt, où l’on espère à chaque fois que le messager du frère Laurent atteindra Mantoue, où l’on prie pour que Juliette se réveille à l’arrivée de Roméo. Même si l’on connaît la pièce par cœur on est happé, et cette version est une totale réussite, parce que tout l’essentiel y est représenté.

Pratique :
Actuellement au théâtre de la Porte Saint-Martin
18 boulevard Saint-Martin, 75010 Paris
Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 15h
Durée : 2h15
Tarifs : 10/52 €
Réservations au 01 42 08 00 32 ou sur http://www.portestmartin.com/




« Les uns sur les autres » à la Madeleine : premier raté pour Confino

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Depuis la fin du mois de janvier, le théâtre de la Madeleine accueille la pièce « Les Uns sur les Autres » dans une mise en scène de Catherine Schaub. Ce drame comique, de Léonore Confino, raconte la vie d’une famille banale, de la scène quotidienne du « à table ! » incessamment répété par la mère de famille à celle du fils qui joue aux Doom-likes, en passant par le père toujours pressé d’aller au travail. Bien sur, au théâtre, ce n’est pas ce qu’on raconte qui constitue l’intérêt de la pièce, mais la manière dont cela est dit. Et c’est bien là tout le problème…

Pourtant, l’histoire de cette création débutait comme l’une des nombreuses success story que connaît la scène privée parisienne. Une jeune auteure sur la route ascendante est mise en scène dans un beau théâtre, celui de la Madeleine. Pour ajouter du piquant à l’événement, le rôle principal sera tenu par Agnès Jaoui en personne, elle qui n’avait pas foulé les planches depuis la dernière de Un air de famille en 1994 qui avait connu un succès unanime. Mais voilà, le texte, l’histoire, ces mots qui font l’essence même d’un spectacle, ne sont pas à la hauteur de l’événement.

Le propos de Leonore Confino se veut universel. C’est d’ailleurs cela qui a touché Agnès Jaoui et qui lui aurait donné envie de remonter sur une scène. Malheureusement, cette universalité espérée n’est qu’un pale reflet des problèmes que subit au jour le jour la famille bourgeoise de classe moyenne, plutôt supérieure. Non, tous les maris ne rêvent pas de quitter leur femme le matin en allant au travail, non, toutes les femmes ne sont pas apeurées à l’idée d’être en retard chez l’ostéopathe ou l’acupuncteur parce que la pièce de 1 euro est restée coincée dans le cadis à Intermarché. Et si l’on prend un peu de distance sur le propos : non, toutes les femmes ne sont pas maltraitées, obligées de rester chez elles pour tenir la maison. C’est néanmoins le cas du personnage joué par Agnès Jaoui, et ce jusqu’à la caricature la plus vulgaire de la fin de la pièce où maman qui en a marre raconte à son fils qu’elle avait « le vagin large comme une autoroute » après l’avoir mis au monde et qui confesse à sa fille qu’elle arrive à garder papa à la maison parce qu’elle « taille des pipes d’enfer ».

Le procédé d’écriture est pourtant amusant. Il mélange phrases construites et nuages de mots devenus lieux communs sur la vie de notre siècle, où les gens sont toujours pressés. Mais là aussi, on tombe vite dans l’idée reçue et très vite, l’humour disparaît.

Soulignons le risque qu’ont pris Jean-Claude Camus et Jean Robert-Charrier de mettre dans cette grande salle une jeune auteure, pas ou peu connue du grand public. Leonore Confino a rencontré son premier véritable succès que très récemment, avec Ring, au Petit Saint-Martin. Ce texte sur l’amour, le couple, ses succès et ses problèmes était juste, drôle, triste et joyeux. Il était porté par deux interprètes pour qui ces saynètes semblaient taillées. Coup de chance ? Ou trop d’ambition trop vite ? À La Madeleine, ça ne prend pas.

Les comédiens pourtant s’accrochent. Mais, comme un grand musicien à qui l’on donnerait une partition médiocre, on est bien obligé de voir qu’ils font ce qu’ils peuvent. Nous pourrions évoquer la belle scénographie, les procédés de mise en scène ingénieux (notamment le moment où l’adolescente anorexique atteint enfin un IMC négatif et donc devient invisible). Mais rien n’est suffisant pour sauver la pièce, à qui l’on souhaite de tomber rapidement, pour éviter à Léonore Confino que son nom soit associé trop longtemps à cet échec.

Pratique :
Actuellement au théâtre de la Madeleine
13 rue de Surène, 75008 Paris
Du mardi au samedi à 21h – Matinée le samedi à 16 h
Durée : 1h25
Tarifs : 20/52 €
Réservations au 01 42 65 07  09 ou sur http://www.theatre-madeleine.com/




Un vent d’anarchie souffle au Montparnasse

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Copyright : Photo Lot

Dans un décor elliptique, minimal, Jean-Claude Idée (véritable passionné de philosophie) raconte et met en scène sa vision d’un Montaigne rongé par le remord de n’avoir respecté la mémoire de La Boétie. Ce dernier hante les rêves du philosophe vieillissant jusqu’à ce celui-ci assume sa trahison mémorielle. À ce duo, Jean-Claude Idée ajoute le personnage de Marie de Gournay, amante (historiquement supposée) de Michel de Montaigne, mais qui dans la pièce est à l’origine d’une seconde jeunesse pour l’homme de lettres.

Les dialogues, toujours unilatéraux (Marie de Gournay ne voit pas La Boétie), et qu’ils soient entre les deux hommes ou entre Montaigne et Marie, sont drôles et ironiques. La langue utilisée est celle de notre siècle, on l’entend bien. La locution difficiles de ces auteurs de la Renaissance française sont laissés dans les livres et la transcription mise en mots par Idée fait ressortir à merveille la pensée des écrivains sans la travestir. Les propos modérés de Montaigne explosent au contact des idées anarchistes de La Boétie, le premier, d’abord pragmatique et froid, se retrouve face à ses propres contradictions.

Nous voyons ici une réflexion sur le pouvoir politique moderne, sur le goût qu’on a pour celui-ci, ses effets. Elle oppose l’ultraconservateur Michel Montaigne — homme conciliant aux accents hollandistes et effrayé par la liberté — et un La Boétie d’extrême gauche, idéaliste, mais sombre, ne se faisant aucune idée sur le genre humain, car « pour construire une société idéale, il faut idéaliser les gens » alors que nous sommes « au monde pour le changer, non pour en jouir ». Et bien que chargé en citations, on ne tombe pas dans une bête paraphrase du Discours sur la Servitude Volontaire, mais dans une réelle confrontation idéologique entre les deux hommes.

Les acteurs sont excellents, naturels, d’une fougue communicative. Marie de Gournay (Katia Miran) est particulièrement juste dans son personnage de femme espiègle et pleine d’espoir juvénile qui brutalise amoureusement le vieux philosophe. La Boétie (Adrien Melin) est doté d’une ironie jouissive qui fait résonner chaque phrase comme une évidence pour le spectateur. Montaigne (Emmanuel Dechartre), d’abord vieux misanthrope, termine la pièce en amoureux transi après être passé par une multitude de nuances intérieures maîtrisées.

« Parce que c’était lui » est une pièce prenante, bien menée et mise en scène dans le souci de la portée du texte. Spectacle littéraire, didactique et compréhensible, on regrette juste que le public parfois somnolant du Petit Montparnasse ne soit peut-être pas le plus à même d’apprécier la valeur révolutionnaire de cette belle création.

Pratique :
Actuellement au Petit Montparnasse
31 rue de la Gaîté, 75014 Paris
Du mardi au samedi à 21h – Dimanche à 15 h
Durée : 1h20
Tarifs : 18/32 €
Réservations au 01 43 22 77 74 ou sur http://www.theatremontparnasse.com/




Fanny … Ardente à la Gaité Montparnasse

Ardent comme le désir qu’elle porte à son fils, désir incestueux, désir maternel, désir œdipien
Ardents comme les coups portés, au coeur et au corps de son fils
Ardente comme la colonie qu’elle quitte pour retrouver ce fils aimé, ce fils haï, ce fils désiré, ce fils repoussé.
Un fils parmi quatre autres enfants.
Un fils unique dans le cœur de sa mère.
Un fils en marge de la société.
Loin des Messieurs de ce monde.
Avec pour seul amour sa mère, et pour seul désir la fuite.
Loin des hommes du monde, recherchant la proximité (et l’argent) des femmes du monde.
Et il y a la sœur, absente de scène, mais omniprésente dans la bouche de la mère et dans celle du fils.
La sœur Mimie, pourtant bien laide.
Porteuse de tous les secrets. D’elle viendront toutes les révélations. Tous les déclins. Toutes les déceptions.
Mademoiselle Marcelle fait pâle figure au milieu de ce portrait de famille. Venue de nulle part, n’allant nulle part. Jamais regardée, jamais consultée. Toujours rabrouée.

Affiche "Des journées entières dans les arbres"

En ce 60e anniversaire de la parution de la nouvelle éponyme de Marguerite Duras, Thierry Klifa fait le pari d’une mise en scène classique, austère, légèrement modernisée grâce aux sonorités d’Alex Beaupain (mais en gardant l’original d’Hervé Vilard !). Et c’est une réussite. Quatre acteurs seulement sur scène, aucune fioriture, la salle est conquise, les spectateurs se prennent même à vouloir eux aussi leur part de choucroute lors du repas familial … Et à rêver d’être les enfants de Fanny Ardant (ou à défaut de prénommer leurs enfants Fanny, en hommage … ). Sa prestance, sa présence, l’incroyable mélodie de sa voix nous entraînent à sa suite tout au long de la pièce, dans les méandres des histoires et des drames familiaux.

Après « Oh les beaux jours » en 2013, avec Catherine Frot, c’est Fanny Ardant dans cette nouvelle version de « Des journées entières dans les arbres » qui relève le défi de reprendre un rôle jusqu’alors complètement acquis à la divine Madeleine Renaud. Et à l’instar de Catherine Frot, ça marche ! Alors, n’attendez plus, courez à la Gaité ! 

Pratique :
Des journées entières dans les arbres
Théâtre de la Gaité Montparnasse, jusqu’au 30 mars 2014
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h30
Tarif : de 20€ à 40€

Avec Fanny Ardant, Nicolas Duvauchelle, Agathe Bonitzer, Jean-Baptiste Lafarge
Texte de Marguerite Duras
Mise en scène de Thierry Klifa
Musique d’Alex Beaupain
Photos : Carole Bellaiche




« Comme un arbre perché », amitié transcendantale

Copyright : Photo Lot
Copyright : Photo Lot

Douze ans après leur dernière dispute, Louis (Francis Perrin) vient rendre visite à Philippe (Patrick Bentley) dans sa chambre d’hôpital. Le second, universitaire et écrivain, a été victime d’un AVC dont la séquelle est un « Locked-In Syndrome ». Cet anglicisme désigne une paralysie totale du corps, mais une pleine conscience de l’esprit. Pour s’exprimer, Philippe bat des cils, un pour oui, deux pour non. D’abord effaré, Louis renoue peu à peu le dialogue avec son ami, jusqu’à la mort.

Francis Perrin est ici presque seul en scène. Le spectacle tient sur ses épaules. Les quelques petits dialogues sont ceux de Louis et la belle infirmière (Gersende Perrin). Philippe, lui, est placé de dos, proche de l’avant-scène. Le public se confond avec le mourant et devient, au même titre que l’alité, l’interlocuteur des introspections de Louis. On assiste à l’évolution du personnage principal devant à son ami immobile tout au long de la pièce. D’abord effrayé, au fil de ses visites il arrive à dépasser la maladie pour considérer le paralysé comme son camarade de toujours. Il partage sa solitude, sa tristesse, ses regrets qui jalonnent une vie déjà bien derrière lui. C’est une histoire sincère, simple et humaine à laquelle on participe émotionnellement.

Sans être pathétique, le texte de Lilian Lloyd allie la tristesse d’une mort imminente et l’humour juif le plus caractéristique, où les moments les plus sombres font naître les meilleures blagues. Des larmes montent, mais une fois sorties des glandes lacrymales, elles peuvent tout aussi bien couler de rire.

Face à « Comme un arbre penché », on pense aussi au « Père » de Florian Zeller avec un autre ancien du Français[1. Francis Perrin est entré à la Comédie-Française en 1972 et il en est parti en 1973] : Robert Hirsch. Cette dernière pièce connait un beau succès public et critique au Théâtre Hébertot depuis 2012. Les deux textes partagent une thématique commune : la chute médicalisée d’un homme vers sa tombe et la réaction de son entourage. Les points de vue divergent, mais des questions d’une importante modernité émergent : la fin de vie, l’intérêt de son accompagnement… En ce sens, « Comme un arbre penché » est une pièce modeste et touchante, mais elle s’inscrit pleinement dans l’un des enjeux politiques de notre époque.




Les voies de l’âme sont impénétrables

© Antonia Bozzi
© Antonia Bozzi

À peine nous entrons dans la petite salle du théâtre de la Tempête, une odeur nous prend au nez. Celle de la nature, d’une forêt après la pluie, agrémentée d’un désagréable parfum de moisissure. Cette ambiance orageuse est une belle métaphore de la pièce à venir : une histoire où les gens beaux physiquement peuvent cacher un monstre dans leur âme. À l’inverse, une personne affreuse peut s’avérer à être magnifique à l’intérieur. Ce mythe moderne qui habite la littérature et le cinéma, du « Portrait de Dorian Gray » d’Oscar Wilde à « Freaks » de Tod Browning prend un autre visage sous la plume de Stéphanie Marchais.

Et quelle plume ! Le texte a pour mérite de vulgariser l’âme humaine à un public de curieux ! Dans des tons alliant noirceur et ironie, l’auteur raconte une sorte de dystopie qui se déroule dans un temps proche du nôtre. Un temps où on trouvait du public se pressant à des dissections anatomiques autour de savants fous. Ici, le savant est Hunter (Laurent Charpentier) et le futur disséqué est Owell (Philippe Girard). Toute l’histoire tient en la poursuite du second par le premier. Owell étant très grand et bossu, il obsède Hunter qui rêve de l’ouvrir pour voir si cet être démesuré a une âme.

De cette histoire, Thibaud Rossigneux a créé un matériau où il fait se rencontrer les mots avec les acteurs et la lumière, mais aussi avec la nouvelle technologie (un robot humanoïde tient un petit rôle) et la musique électronique. Jouée en live, cette dernière agit comme une camisole sonore autour de la scène, et renforce encore l’impression d’observation d’un monde parallèle au nôtre.

Au moyen de l’ombre et de la lumière [qui n’est pas sans nous rappeler les tableaux de Joël Pommerat (les moyens en moins)], le metteur en scène nous fait parcourir la multitude d’espaces qui constitue le décor du drame comme autant de zones de l’âme humaine. On passe de la maison d’Owell, au cabinet du docteur, à la tombe de la fille de 10 ans (Géraldine Martineau). On passe aussi de l’apparence extérieure aux questionnements intérieurs des personnages. Tous ces effets sont surprenants et bien maîtrisés : du début à la fin de la pièce ils ne manquent pas de nous étonner.

Les comédiens incarnent des rôles de personnages troubles où le mystère et la psychose se lisent dans les gestes et les intonations. Philippe Girard est tendre et parfois bouleversant en déclamant son amour d’une vie simple et tranquille, Géraldine Martineau est particulièrement touchante dans ses rôles multiples de petite fille.

Le public regrettera peu de choses dans cette pièce complexe et passionnante sur les mondes qui nous habitent. On notera juste que la conclusion traîne un peu en longueur et l’on s’attriste d’un Laurent Charpentier, malheureusement trop énervé, est doté de peu de nuances dans son jeu. Néanmoins, ces deux remarques ne sont pas suffisantes pour se priver ce beau spectacle magique et créatif.

Pratique :
Jusqu’au 16 février dans la petite salle du théâtre de la Tempête
La Cartoucherie de Vincennes
Du mardi au samedi à 20h30. Le dimanche à 16h30
Durée : 2h
Tarifs : de 12 à 18 euros
Réservations au 01 43 28 36 36 ou sur www.la-tempete.fr




« Les Gens » tournent en rond

Michel Corbou
Michel Corbou

À la base, la création des « Gens » est plutôt une belle histoire : alors qu’il est directeur de la Colline, Alain Françon monte les célèbres « Pièces de guerre » d’Edward Bond. Entre l’écrivain et le metteur en scène, c’est le coup de foudre immédiat. Une envie si productive qu’Edward Bond n’écrira pas une, mais cinq pièces pour lui. De ce projet appelé la « Quinte de Paris », « Les Gens » est le quatrième opus. Après la grande première qui a eu lieu au TGP de Saint-Denis, Alain Françon a confié aux journalistes qu’il ne créerai pas la dernière pièce car elle est « immontable ». Dieu merci !

La mise en scène est intéressante, sur un plateau qui semble être un flan de montagne volcanique, les acteurs sont toujours en déséquilibre. Françon joue de ces étranges postures que cela provoque, et c’est bien maîtrisé. Les lumières complètent l’ambiance de ces tableaux funestes, tantôt très présente, tantôt presque absente, il n’y a pas de doute, c’est beau. Mais la beauté ne suffit pas, ou peu : elle lasse vite quand il n’y a qu’elle. Et c’est bien là le point noir de ce spectacle.

Le texte est en grande partie imbuvables. Dans une dystopie qu’on imagine post-apocalyptique, le drame se déroule dans un cimetière. Des hommes errent, ils sont profondément abîmés,  comme le paysage. Chaque personnage (ils sont 4) est enfermé dans une histoire qu’il répète inlassablement de plusieurs façons. Les temps de lucidité dans leur histoire laissent apparaître un profond désespoir. Toutes ces phrases n’arrivent nul part, ou disons que, la fin est si prévisible qu’elle ne nous surprend pas. On se rend compte que les protagonistes avaient tous (plus ou moins) une relation qu’ils ont tous (plus ou moins) consciemment oublié à cause d’horreurs vécues.

Et pourtant… Quelques idées apparaissent, très actuelles, sur l’impossibilité de la communication entre gens proche. On y lit aussi l’absence de bienveillance à l’attention des autre, on y voit l’existence comme un simple rite funéraire. Mais tout cela est très brouillon.

On en vient à plaindre les acteurs, particulièrement Dominique Valadié et Aurélien Recoing qui font preuve d’un jeu assez virtuose, mais qui ne suffit pas à nous accrocher. Dans cette situation qu’ils jouent le texte des « Gens » ou qu’ils jouent « Les Pages Jaunes », l’effet pour le public sera sans doute le même.

Pratique :

Jusqu’au 7 février 2014 au théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis
59 boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis (Métro Basilique de Saint-Denis)
Lundi, jeudi et vendredi à 20h / Samedi à 18h / Dimanche à 16h
Durée du spectacle : 1h45
Tarifs : de 6 à 22 euros.
Réservations au 01 48 13 70 00 ou sur www.theatregerardphilipe.com/




« Le Canard Sauvage », dramatique liberté

Copyright : Elisabeth Carecchio
Copyright : Elisabeth Carecchio

Ce n’est pas le premier Ibsen que monte Stéphane Braunschweig, c’est même plutôt une récurrence dans son travail. À chaque fois, il fait ressortir de ce théâtre toute la modernité qu’il possède 150 ans après son écriture. La traduction certes, mais aussi le décor et les costumes y sont pour beaucoup.

C’est l’histoire d’une retrouvaille entre deux hommes : Gregers et Hjalamar. Le premier apprend que son père paye toute sa vie au second. Il se met en quête de lui montrer que tout cela est un gigantesque mensonge dont il est la victime. Une sorte de Truman Show avant l’heure, qui confronte les idéaux humains avec la réalité la plus sordide, mais sans être dénuée d’une certaine ironie.

Le drame se déroule dans deux espaces, tous deux intérieurs à leur manière. Le premier est un immense écran descendu sur l’avant-scène où Gregers discute avec un père de 8 mètres de haut (on décrypte aisément la symbolique !) ; le second est un intérieur qu’on imagine être celui d’une famille modeste du nord-ouest de l’Europe qui offre une belle profondeur sur le grenier du logement. Un grenier transformé en forêt. La scénographie est très réussie, douce et mobile. Elle est un espace de jeu qui soutient les acteurs à merveille et les place, au besoin, dans un déséquilibre autant mental que physique. En même temps, le décor joue avec la perception du spectateur, en se penchant vers lui, on en étant très proche de l’avant-scène. C’est selon…

Dans cet univers, les comédiens campent des personnages très marqués par leur caractère. Tous sont justes, instables : on perçoit l’indicible dualité des êtres en chacun d’eux, l’étrangeté plane sur leurs êtres, ils sont une sorte de Famille Adams Norvégienne et lumineuse. Parfois, ils peuvent être très drôles. C’est le cas pour Claude Duparfait dans le rôle de Gregers, fils mystique et psychopathe, prêt à ruiner la vie de son ancien ami dans une croisade pour sa vérité. Parfois bouleversants, comme le sont les deux rôles féminins principaux joués par Suzanne Aubert et Chloé Réjon.

Ce spectacle est un vrai drame théâtral moderne, prenant, esthétique et vivant qui fait se rencontrer le pathétique et le sublime. Il remet au cœur du spectateur cette question récurrente de l’humain : ne faut-il pas vivre dans le mensonge pour, à défaut d’être heureux, mener une vie paisible ? Chacun doit pouvoir faire son choix.

Pratique :
Jusqu’au 15 février 2014 au théâtre de la Colline,
15 rue Malte-Brun (75020 Paris)
Le mardi à 19h30. Du mercredi au samedi à 20h30. Le dimanche à 15h30.
Durée du spectacle : 2 h 30
Tarifs : de 14 à 30 euros.
Réservations au 01 44 62 52 52 ou sur www.colline.fr