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« Platonov » en queue de pie et au vin rouge

Copyright : Benoit Jeannot
Copyright : Benoit Jeannot

Platonov est une pièce qui pourrait se résumer assez simplement : dans une commune de la Russie rurale où tout le monde s’ennuie, un homme chamboule les habitudes des villageois à tel point que nul ne vivra plus jamais comme avant. Un héros créateur de scandale, critique des pères, provocateur qu’aucune convention n’arrête… Benjamin Porée respecte l’essence de la pièce et nous en propose une lecture très esthétique.

C’est le gigantesque espace des Ateliers Berthier qui sert de cadre au drame. Ce qui frappe avant même le début de la représentation, c’est l’utilisation de la scène par le décor. Cette sensation de profondeur nous habite du début à la fin. Elle est une composante essentielle de la mise en scène[1. Le spectacle a été créé le 11 mai 2012 au Théâtre de Vanves]. Benjamin Porée est lui-même l’auteur de cette scénographie dans laquelle il a orchestré ses acteurs. Le parti pris n’est pas au réalisme : la première action pourrait se situer dans un jardin du sud de la Russie comme dans la cours d’un mas de Provence. Chaque image qui compose les tableaux qui se succèdent est très réussie. La première partie du spectacle est collégiale : jusqu’à une quarantaine d’acteurs viennent occuper le plateau pour le bal. Puis, la cour d’école est occupée par une forêt de balançoires qui descendent du plafond. Enfin, le dénouement se déroule dans le salon du domaine familial, pièce meublée dans une ambiance Belle Époque déglinguée où une immense peinture abstraite fait office de toile de fond. Toutes ces images sont mises en lumière magnifiquement par Marie-Christine Soma, qui, avec ce qu’il semble être une simple ampoule, nous fais basculer de la liesse populaire à la tristesse intime des personnages.

Dans cette succession de décors, les comédiens évoluent et montent en puissance dans leur jeu tout au long du spectacle.

Un démarrage difficile pour une fin réussie

Car dans les premières scènes, les textes sont dit mécaniquement, les personnages (hormis Platonov) ne se démarquent pas les uns des autres, les actions sont molles et manquent de motivation… Mais après peut-être est-ce un choix de Porée pour représenter dans quel ennui ces villageois sont agglutinés. Si tel est le cas, le but est atteint : pendant la première heure, le public s’ennuie autant que les personnages.

Puis, le banquet arrive. D’une manière générale, cette scène bien composée mais manque un peu de folie : c’est très sage. La volonté d’une démarcation générationnelle ne ressort pas. Ici, la révolution des consciences se fait au vin rouge, pas à la vodka. On y voit Platonov comme une sorte de Valmont bas de gamme qui planifie ses conquêtes de la nuit à venir. Tout cela manque de naturel, de distance, et peut-être même d’une certaine grandeur. Néanmoins, on sent un changement à venir, une nouvelle étape de la montée en puissance grâce à la scène où la générale Anna Petrovna se déclare à Platonov.

À partir de cet instant, la suite de la pièce est sans faux-pas. On est véritablement surpris, Sofia Iegorovna (Sophie Dumont) fait enfin ressortir son talent face au héro, Sacha (Macha Dussart) est particulièrement touchante dans l’attente de son mari dont elle ressent la tromperie… Cette lancée se poursuit après l’entracte où la chambre du héros ressemble à la pièce d’un squat. Enfin ! Moins de sagesse, plus d’insalubrité. On gagne véritablement en profondeur de jeu : le contraste d’avec la scène d’exposition est surprenant. On ressent désormais la sensation des personnage : celle de n’être personne et la colère de ne rien pouvoir y changer. On ressent cette douleur dûe à désillusion collective, on partage cette prise de conscience générale de subir une vie de merde qui nous colle  la peau, jusqu’à l’explosion finale.

Ce qui avait commencé comme un cauchemar se termine comme un joli rêve pour le spectateur, et si cette création n’est pas parfaite, elle a le mérite d’être réussie.

Pratique :
Jusqu’au 1er février 2014 aux Ateliers Berthier,
14 boulevard Berthier (75017 Paris).
Du mardi au samedi à 19h00. Le dimanche à 15h
Durée du spectacle : 4 h 30 [avec un entracte de 30 minutes]
Tarifs : de 6 à 30 euros.
Réservations au 01 44 85 40 40 ou sur www.theatre-odeon.eu.




Spamalot, c’est Graal docteur ?

Prenez une coupette âgée de 2000 ans, un PEF* au meilleur de sa forme, le film « Sacré Graal », secouez le tout et vous obtenez SPAMALOT à Bobino ou L’adaptation française de la comédie musicale anglaise du même nom, inspirée du film des Monty Python, déjà montée par le même déjanté PEF en 2010, vous suivez ? Vous en voulez encore ? Alors je synthétise : SPAMALOT c’est 18 comédiens, 46 personnages, 180 costumes, plus de 2h de fous rires et un lapin carnivore.

Spamalot2

L’ex-Robin des Bois, fort de son dernier succès cinématographique avec « Les Profs », revêt de nouveau ses collants, sa cotte de maille et arbore une épée flamboyante (au sens propre), entouré par une cour de seconds rôles qui n’ont de second que le nom. En effet, PEF sait s’effacer au profit de ses preux chevaliers, notamment Galahad (ce soir-là Florent Peyre) blond platine hilarant ou d’une dame du Lac tantôt sexy, tantôt acariâtre en mal de notoriété. Même si la table est ronde, les répliques sont saillantes, la légende Arthurienne prend un « sacré » coup et le public en redemande, rien n’est épargné, pas même Monsieur Pokora, c’est dire !

Qui dit comédie musicale dit musical : chaque scène est enrobée avec plaisir et talent par des chanteurs, qui feraient rougir une Céline Dion de fin de tournée, et des danseurs, qui feraient passer « Danse avec les stars » pour une kermesse d’école communale (attention, j’ai une très grande tendresse pour les kermesses !). Les décors, mix entre châteaux, créneaux et cabarets, renforcent cette atmosphère chevaleresquo-dansant. Evidemment, quelques cascades surprendront les moins aguerris, mais que serait une comédie de PEF sans chute de trois mètres de haut ou murs dans la gueule !

Vous l’aurez compris, cette quête de Graal n’est prétexte qu’à une bonne rigolade entre potes mais il ne faut pas s’y tromper, pour que la magie opère la mise en scène doit être tirée au cordeau, et en cela PEF excelle.

Alors, que vous alliez au théâtre une fois par an  ou dix fois par mois, n’hésitez plus et courez applaudir ce Spamalot sauce frenchie. Et à ce qui n’aimeront pas, je conseille Robin des Bois et une cure de Biactol !

 

* Pierre-François Martin-Laval

 

SPAMALOT

Jusqu’au 17 avril 2014
Genre : Comédie Musicale
Bobino / 14 - 20 rue de la Gaité 75014 PARIS
Produit par Daniel Tordjman et Arthur Benzaquen
Adaptation et Mise en scène de Pierre-François Martin Laval
Direction Musicale : Raphaël Sanchez
Chorégraphie : Stéphane Jarny
Décors : Franck Schwartz
Costumes : Jean-Michel Angays
Distribution:
Arthur : Pierre-François Martin-Laval
La Dame du Lac : Gaëlle Pinheiro ou Claire Perot
Galahad : Arnaud Ducret ou Florent Peyre
Robin : Christophe Canard
Bédévère : Pierre Samuel
Lancelot : Philippe Vieux
Patsy : Andy Cocq
L'historien : Laurent Paolini

 




Vivre, par défi ou par dépit

 

Photo : Pierre Dolzani
Photo : Pierre Dolzani

C’est dimanche dans cette ville de l’est de la France. La dernière mine de charbon a fermé. Elle sera désormais un parc d’attractions. De cet événement naissent neuf histoires (qu’on imagine parmi tant d’autres) qui vont se dérouler devant nous. Neuf « tranches de vies » dans un pays sinistre, délabré, oublié par le monde moderne et le capitalisme financier. « Entre-temps j’ai continué à vivre » expose les blessures des habitants de cette bourgade. Mais la pièce montre aussi comment la vie suit son cours, que ce soit par désir ou par dépit.

Deux sœurs se retrouvent, l’une est partie de sa ville natale depuis longtemps. Elle ne s’est pas donnée la peine d’accompagner son père, mutilé par la poussière âcre des galeries, jusque dans sa tombe. L’autre le lui reproche et refuse de voir en elle une personne qu’elle aime. D’anciens collègues se retrouvent, parlent d’histoires d’amour, de vieilles rancœurs en sortent… Ces espèces de contes qui pourraient nous faire penser à des « Strip-tease » des années quatre-vingt-dix sont soutenues par des comédiens au jeu très réaliste (bien que la scénographie propose un décalage : c’est une sorte de carré pentu trônant au cœur de la scène dont les acteurs font tour à tour un mur, une pente de jogging ou le sol d’une chambre).

Mais attention, ce n’est pas qu’une suite de sombres drames auxquels nous assistons. Le texte contient de nombreuses touches d’humour et de cynisme, de l’amour raté et une mise en dérision des conventions sociales dans lesquelles sont souvent représentées (et caricaturées) les classes populaires.

Entre chaque scène, la lanterne rouge de l’ancienne mine scintille, comme un fantôme, un souvenir obscur qui a marqué l’âme des personnages au fer et qui plane au dessus de leur vie, inexorablement. Et nous, spectateurs, on explore les souvenirs comme les mineurs des galeries, à la recherche d’une matière pour se réchauffer, ou dédramatiser.

 Pratique :
Jusqu’au 2 février 2014 dans la salle Rouge du Lucernaire,
53 rue Notre-Dame-des-Champs (75006 Paris).
Du mardi au samedi à 21h30. Le dimanche à 17h
Durée du spectacle :1 h 10
Tarifs : de 15 à 30 euros.
Réservations au 01 45 44 57 34 ou sur www.lucernaire.fr.

 




Bonne nouvelle, Frédérick Sigrist refait l’actu !

Un soir d’hiver. Le Funambule Théâtre à Montmartre.
Et funambule, Frédérick Sigrist en est un.
Pas de filet de secours.
Une heure et demie de numéro d’équilibriste.
Droite, gauche, et même centre.
Tout le paysage politique y passe.
Et personne n’est épargné !

Humoriste.
Acteur.
Imitateur.
Sportif (si si!).
Mime.
Il nous dévoile toutes ses personnalités.
Et même un peu de son intimité.
Sa famille (réelle et politique).
Ses amis (très peu en politique).
Ses origines (méfiez-vous des évidences).

Des sketchs qui s’enchaînent.
Le rythme ne retombe pas.
Les zygomatiques s’affolent.
Et finalement perdent prise.
Trop c’est trop.
Impossible de résister.
Le fou rire est libéré.
Lâché dans la nature.
A peine le temps de reprendre son souffle.
Que déjà le rire revient.
Seule accalmie possible : le tomber de rideau.

Une heure et demie a passé.
Pas un instant le rire n’a cessé.
(Bon, ça c’est pour la rime.
En fait, quelques instants par ci par là.
Pour la bonne santé de son public.)

Déjà des moments cultes en tête.
Qu’on se prend à répéter à la sortie.
Et qu’on se surprend à répéter des jours après.
« On me dit que … »

On me dit que ce monsieur ira loin !

Pratique
Frédérick Sigrist refait l’actu
Théâtre : Funambule Montmartre
Tous les vendredis et samedis à 20h.
Tarifs : entre 11,50€ et 20,50€
Réservations : www.funambule-montmartre.com et par téléphone : 01.42.23.88.83

 

Frédérick Sigrist - Affiche du spectacle

 

 




Benjamin Barou-Crossman : « L’avant garde, c’est un acteur et un texte ! »

 

Benjamin Barou-Crossman / Photo : Hadrien Volle
Benjamin Barou-Crossman / Photo : Hadrien Volle

Benjamin Barou-Crossman est un jeune acteur et metteur en scène, né en 1983. Il a étudié à l’école du Théâtre National de Bretagne (Rennes) de 2006 à 2009. Il dirige actuellement Mireille Perrier dans « Jeu et théorie du duende » de Federico Garcia-Lorca au théâtre des Déchargeurs jusqu’au 21 décembre 2013.

Arkult.fr : Dans votre travail, il y a une sorte de fil rouge que vous appelez la « culture gitane ». On la retrouve sous plusieurs aspects dans vos créations. On pense à cette mise en scène de textes d’Alexandre Romanès au Conservatoire de Montpellier en 2012, mais aussi au spectacle que vous présentez actuellement aux Déchargeurs : Jeu et théorie du duende. Vous n’êtes pas ce qu’on peut appeler un gitan de naissance[1. Les parents de Benjamin Barou-Crossman, Jean-Pierre Barou et Sylvie Crossman sont les fondateurs de la maison d’édition « Indigène », connue notamment pour avoir été à l’origine de la diffusion du texte de Stéphane Hessel, « Indignez-vous! ».], alors comment s’est établi le lien entre cette culture et vous ?

Benjamin Barou-Crossman : Pour comprendre ce lien, il faut revenir à mon enfance. Petit, j’ai beaucoup voyagé avec mes parents vers des sociétés non-occidentales car ma mère était correspondante au Monde [2. Sylvie Crossman a été envoyée spéciale à Sydney.]. J’ai été en contact avec les Aborigènes en Australie, les Navajos aux États-Unis, entre-autre… Sans être ethnologues ou anthropologues, mes parents se sont passionnés pour l’art Aborigène. Ils ont été les premiers en France à monter des expositions à Paris et à Montpellier sur ce type d’art[3. L’exposition Peintres aborigènes d’Australie s’est tenue du 25 novembre 1997 au 11 janvier 1998 dans la Grande Halle de la Villette à Paris.]. Dans cette culture, vie et art sont inextricablement liés : l’art peut soigner par exemple. Enfant, dans certaines cérémonies, j’ai pu observer une théâtralité, avec de la mise en scène, de la mise en danger… En fait, tout ce que j’aime voir dans le théâtre était déjà là.

Comment cela vous est-il revenu dans votre vie d’adulte ?

Lorsque je suis revenu en France et après mes études au TNB, quand j’ai commencé à travailler à Paris, il me manquait ce lien entre art et vie. Il me manquait l’aspect humain dans le travail de la scène, celui du risque, de la chaleur, du partage, de la dépense… Je me suis mis en quête de tout cela, et c’est dans la culture gitane que je me suis retrouvé.

Était-ce par hasard au coins d’une rue ? En rencontrant un travail en particulier ?

C’est grâce aux petits haïku écrits par Alexandre Romanès parus chez Gallimard, ces textes m’ont profondément touché : j’y voyais le monde de mon enfance, le partage. Cette société qui ne laisse pas autant de place à l’argent. Dans cette culture, la monnaie n’est pas une valeur, c’est l’humain qui prime. Contrairement aux occidentaux et comme dans la société aborigène, la société gitane est matriarcale, et tous les membres sont des créateurs, des artistes.

Est-ce la liberté qui  vous attire chez les gitans ? Comme un moyen de soigner le monde moderne ?

Bien sur, il y a un lien a établir pour ça entre eux et l’Occident. Par la suite, j’ai rencontré Alexandre Romanès, nous nous sommes liés d’amitiés et je me permet de penser que c’est grâce à nos valeurs communes. Chez lui je retrouvais des éléments de mon histoire qui, je pense, me permettent de m’inscrire dans une continuité logique.

Etes-vous allé plus loin qu’une rencontre ? Vous-êtes vous immergé dans cette culture ?

Oui. J’aime leur idée de la famille, qui est élargie, collective. On est pas dans un schéma père, mère, fils, fille : c’est ouvert. Peut-être que celui qui remplira le rôle du père, sera l’oncle ou l’ami. Du côté occidental, c’est difficile d’avoir des rapports sains avec ses parents, il y a toujours une mémoire, une névrose, que la famille élargie permet de résoudre. J’y ai retrouvé la théâtralité, je crois que dans mon théâtre, et c’est ce à quoi je tend, j’aime l’excès. Et à la fois j’aime aussi l’épure totale, les plateaux vides où le spectateur a la possibilité de penser, de rêver, de s’interroger, car surtout il ne faut pas dire au spectateur ce qu’il faut penser. Cette liberté permet de ramener le spectateur à son intelligence, alors que malheureusement le monde moderne n’a de cesse par de multiples attraits de faire en sorte qu’on ne pense plus par nous même, pourtant c’est capital si l’on veut être heureux.

La liberté fait partie intégrante de votre travail, est-ce le seul aspect que vous intégrez ? Comment la culture gitane devient-elle outil d’interrogation ?

Je l’intègre aussi dans le rapport scène-salle. Au cirque Romanès, il n’y pas de différenciation. Comédiens et spectateurs ne font qu’un, donc il n’y pas un qui sait et l’autre qui ne sait pas. Ensemble, tous partagent une expérience. Cette dimension est importante dans mon travail. Dans Jeu et théorie du duende, la salle reste allumée un long moment au début du spectacle. À un instant donné, Mireille vient dans la salle, elle s’intègre au public. Je lui demande d’être au service du poète, donc de ne pas faire sentir aux spectateurs que « c’est comme ça qu’il faut penser », parce que cela nous éloigne de lui. On s’interroge ensemble, c’est comme ça qu’on avance.

En somme, c’est une expérience commune où chacun évolue ?

Par le biais du poétique, on atteint le politique. Et ce n’est surtout pas par une démonstration du politique qu’on atteint le politique. Dans ce type de travail ça finit toujours par les bons d’un côté et les méchants de l’autre, or notre monde est beaucoup plus nuancé. Dans Jeu et théorie du duende, Lorca relie malheur et bonheur, il relie mort et vie. Tout les jours on renaît. Il relie aussi les cultures, l’Espagne de Garcia-Lorca c’est l’Espagne arabo-andalouse, c’est l’Espagne du mélange, c’est ce qui rendait fou les phalangistes et les franquistes ! Le spectateur peut trouver avec ce texte une résonance avec ce qui se joue aujourd’hui dans un monde où les peuples sont séparés, les âges sont séparés. Alors que non ! Je peux avoir des amis de 90 ans et d’autres de 20. Je n’ai pas envie d’entretenir un racisme de l’âge ou des cultures. Je repense à la phrase de Montaigne : « un honnête homme est un homme mêlé »[6. Montaigne, Les Essais, Livre III, Chapitre IX].

Benjamin Barou-Crossman / Photo : Hadrien Volle
Benjamin Barou-Crossman / Photo : Hadrien Volle

 

Comment as-tu rencontré le texte de Garcia-Lorca ?

C’est un texte que Stanislas Nordey nous a fait lire lorsque j’étudiais au TNB. Il m’avait déjà bouleversé. Ensuite, Mireille Perrier m’a mis en scène dans un spectacle en 2012[7. « J’habite une blessure sacrée », voir notre critique ici]. En cadeau de première, elle m’a offert Jeu et théorie du duende. J’y ai vu comme un signe. Je ne crois pas en la fatalité, mais je pense que les choses les plus fortes de notre vie adviennent car on est disponible et ouvert. Cela n’est pas de l’ordre de la volonté, du « je veux, je veux ». Quand on veut trop quelque chose, on finit par s’en priver. On ne contrôle pas ce qui nous arrive et là ça s’est fait naturellement.

Qu’est que le duende ?

Le duende c’est le feu sacré, la flamme, le supplément d’âme. Quelque chose que la technique n’apportera jamais, ou alors au moyen d’une technique tellement maîtrisée que, à un moment, on peut atteindre ce feu. Mais c’est quelque chose qui ne se répète jamais, d’imprévu et d’imprévisible. Là aussi est le lien avec la culture gitane. Les gitans sont dans la vie, dans l’instant. S’ils ont envie de chanter à minuit, ils chantent ! Il n’y a pas de cadre qui les enferme, ça peut être ça le duende. Chez Garcia-Lorca, c’est aussi ce qui m’a beaucoup touché. C’est moi qui le lit ainsi, mais il me semble que le duende sublime la douleur du poète. La joie se reconquiert à chaque instant et pour cela, il faut aller la chercher au fond des tripes. Donc cela remue, cela fait mal, il peut donc il y avoir de la douleur dans le duende. Je repense à cette phrase de Genet : « on est pas artiste sans qu’un grand malheur s’en soit mêlé »[6. Jean Genet, Le Funambule.]. Je pense ici à Garcia-Lorca, ce n’est pas de l’ordre de ma petite histoire personnelle, pour ça il y a la psychanalyse !

Mais chaque metteur en scène met un peu de lui à travers le texte de l’auteur…

Inconsciemment, peut-être, mais la base du théâtre reste le texte et l’acteur.

Ce n’est pas un peu réactionnaire que de penser encore cela aujourd’hui ?

Bien sur que non ! L’avant-garde dans nos années c’est un acteur et un texte. Aujourd’hui on met de l’image et de la vidéo de partout. Je milite pour un retour à l’essentiel. Sinon qu’ils aillent faire du cinéma ou des performances ! Les grandes histoires du théâtre viennent à la base du texte et de l’acteur non ? Le fait de ne pas imposer d’image ça n’empêche pas d’intégrer de l’imaginaire au spectacle. Le metteur en scène est au service du texte, c’est là où il existe le plus.

À propos de l’existence du metteur en scène, vous remerciez Claude Régy dans la feuille de salle. Lui connait bien la formule « un acteur et un texte ». Quelle est sa contribution à votre travail ?

Il m’a conseillé, m’a reçu chez lui pour parler de mise en scène. L’un des premiers textes qu’il ait monté c’est justement un Garcia-Lorca : Doña Rosita. À ce propos il m’a dit, « qu’est-ce que j’étais naïf à l’époque » (rires). Il a vraiment la sagesse des gens qui se sont construit leur expérience en osant.

Quels outils retenez-vous de Régy pour votre travail ?

Qu’il faut oser se planter ! Se lancer pleinement car entre deux eaux, tu es mort. Qu’il faut aller au bout de ce tu penses comme étant juste. Il m’a aussi rappelé que l’un des défauts des jeunes metteurs en scène, c’est que l’on veut trop montrer qu’on existe au moyen d’artifices qui font perdre de vue l’essentiel. Enfin, il m’a appris une chose importante en matière de direction d’acteur : tu ne peux pas faire faire à ton acteur quelque chose qu’il ne veut pas faire. Car même si tu le force, il le fera mal, consciemment ou non il y aura toujours une gêne dans sa façon de jouer ce moment là. C’est important d’entretenir le dialogue avec le comédien, celui-ci peut t’emmener sur un terrain que tu n’aurais peut-être pas soupçonné et que cela te semble juste. Il faut avoir l’humilité de se déplacer soit.

Pratique : Jeu et théorie du duende de Federico Garcia-Lorca. Au théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, 75001 Paris. Du mardi au samedi à 19h30. Durée : 1h15. Tarifs : entre 10 et 24 euros.




Une soirée au Petit-Saint-Martin : « La beauté » et « Ring »

Bernard Richebé
Bernard Richebé

On peut apprécier passer une soirée sur les Grands Boulevards [1. Les boulevards qui relient la place de la République à l’entrée du boulevard Haussmann sont, depuis le XVIIe siècle, le point géographique où sont rassemblés à Paris les théâtres de divertissement pour le public populaire], sans pour autant aimer péter au lit avec son épouse. C’est pourtant ce que semble sous-entendre Eric Loret dans un article un brin condescendant, paru dans la série « Libé » explore le théâtre de boulevard, où il traite (un peu) du spectacle Divina, mettant en scène Amanda Lear dans une pièce de Jean Robert-Charrier.

Eric Loret incarne dans cet article, le critique (trop) snob, rappelant les nobles qui venaient « s’encanailler » sur les boulevards au XVIIIe. Pour ce public étaient prévus des loges munies d’un grillage, afin d’assurer leur discrétion dans ces lieux affreusement populaires. Un snobisme de la part de Loret, qui s’illustre par la nécessité de donner son avis sur tout, et surtout pas sur l’essentiel. On a droit à son avis de critique mondain sur le public (« Un monsieur d’une soixantaine d’année avec sa maîtresse »), monsieur Loret est-il aller demander s’ils étaient bel et bien amants ? On notera ici l’allusion sexiste volontairement boulevardière, où il n’existe aucune possibilité que ce soit « une femme d’une soixantaine d’année avec son amant ». On a ensuite droit à l’avis de critique gastronomique, quand il commente la commande du couple précédent (« ce sera deux suprêmes de volailles »), comment ? Tous les publics de théâtre ne commandent pas des « émulsions » et autres « gyosa » avant d’aller au théâtre ? Dieu que le boulevard Montmartre est rétrograde…

On a droit ici à ce que Libération fait (rarement heureusement) de pire. Où la critique montre sa face moribonde, affreusement tournée sur elle-même, s’illustrant à destination d’un public d’amis.

Nous revendiquons donc, sur Arkult, le droit de pouvoir s’amuser sur les boulevards, de temps en temps, pour lâcher prise, pour se vider la tête, car c’est un moyen comme un autre après tout ? C’est moins classe qu’un rail de coke, c’est sûr, mais selon le public, c’est tout aussi efficace. Il faut de tout pour faire un monde, non ? [2. Aaaah ! Encore un horrible adage populaire !]

De notre côté, jeudi soir, on est allé passer une soirée très enrichissante au théâtre du Petit Saint-Martin. Qui n’a bien sûr pas la même vocation drôlatique » que celui des Variétés, mais qui a le malheur de se trouver dans la même zone géographique. Et pourtant, les deux productions qu’il accueille sont excellente et « de très bon goût ».

Rémy Perthuisot
Rémy Perthuisot

La beauté, recherche et développement

Le spectacle de début de soirée accueille le public au son d’une voix off toussoteuse qui semble se vouloir rassurante. On se croirait entré dans un séminaire de développement personnel dont la brochure aurait été trouvée dans un Nature et Découverte, un soir de novembre. Quand la lumière s’éteint, c’est un « voyage » qui commence. Conduit par Brigitte et Nicole, ce parcours sur plateau nu met à l’épreuve l’imagination du public. Un public venu suivre une visite guidée sur la notion de beauté.

C’est sans machine et sans gadget que le duo nous guide dans l’aventure. Leur jeu est très complémentaire, elles sont là pour nous faire du bien, pour nous montrer le beau, sans pour autant masquer leur faiblesse (feinte), qui fait voir le beau en chaque chose. Elles sont un mélange entre des Madame Loyal et des vendeuses-animatrices de grande surface des années quatre-vingt dix, empaquetées dans une gestuelle clownesque.

L’humour ne réside pas forcément dans leurs répliques, mais dans l’auto-réaction qu’elles suscitent, leur simplicité les amuse et nous amuse dans la foulée. L’inspiration du texte ? La vie d’une quadra de classe moyenne, dans la vie de tous les jours. On joue sur les mots, sur le registre de l’autodérision, mettant en lumière la faiblesse des moyens techniques pour soutenir leurs discours. On notera la richesse d’investissement corporel des actrices qui ont le talent de nous faire sourire d’un geste de main (alors imaginez quand elles dansent !).

Quelques zones d’ombre dans la vie de Brigitte et Nicole jalonnent ce « voyage » et n’en font que ressortir la drôlerie pour le public. On relève la dédramatisation du monde actuel, celui qui est prêt aux pires horreurs pour retrouver la beauté, et qui finalement se mutile. Une certaine poésie réside dans les métaphores et offre finalement plusieurs niveaux de lecture au public. A la fois drôle et intelligent, ce spectacle est un manifeste humaniste.

Pratique : Actuellement au théâtre du Petit-Saint-Martin, 17 Rue René Boulanger, 75010 Paris- Réservations par téléphone au 01 42 08 00 32 ou sur www.petitsaintmartin.com/

Durée : 1h10

Mise en scène : Pierre Poirot

Avec : Florence Muller, Lila Redouane

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Bernard Richebé

Ring

A 21 h, place au spectacle de Catherine Schaub mettant en scène Audrey Dana et Sami Bouajila, Ring. Dans ce décor moderne, une toile blanche étendue sur le mur et sur le sol, deux accessoires : un banc et un lit et se déroulent devant nous toutes les facettes de l’amour.

Cette suite de tableaux débute par une dispute de couple banale, entre Adam et Eve. Elle s’ennuie, elle veut « s’épanouir intellectuellement » et son mari ne sait plus quoi faire pour qu’elle puisse se divertir. Le problème ? Ils sont seuls. Plus tard, un autre couple : elle domine et veut de la baise, et c’est elle qui fait peur à l’homme. A un autre moment ils se connaissent à peine, ou se rencontrent par hasard. Les rôles changent et s’inversent et on est souvent surpris. Il y a du sexe, de la violence, de la volupté, parfois un peu de passion, et beaucoup d’amour.

Quand on lit le paragraphe précédent, on pourrait croire qu’il y a du drame dans toute la pièce. Oui, il y en a, mais il passe au second plan derrière tant d’humour. Le texte de Léonore Confino est extrêmement drôle, il est d’un style très affirmé et audible. Dana et Bouajila se l’approprient profondément et s’investissent corps et âmes sur le plateau, dans une mise en scène, tout en déséquilibre, réussie. Le plaisir que ces comédiens ont à jouer ensemble est visible, palpable.

Le décor est sensitif, le blanc se prête à la réflexion du bleu, du rouge, à la projection d’un décor en 3D et contribue (avec la musique, électronique, parfaitement froide mais agréable) à nous plonger dans une sorte d’hors-temps et d’hors-espace, bien que les histoires racontées mettent en lumières les problèmes relationnels et existentiels d’un couple moderne, dans un échange dominant/dominé. Des histoires d’amours difficiles, mais qu’on a un plaisir fou à vivre quand on est dans le public.

Pratique : Actuellement au théâtre du Petit-Saint-Martin, 17 Rue René Boulanger, 75010 Paris- Réservations par téléphone au 01 42 08 00 32 ou sur www.petitsaintmartin.com/

Durée : 1h40

Mise en scène : Catherine Schaub

Avec : Audrey Dana, Sami Bouajila

 




« Zelda et Scott » tiédissent le La Bruyère

Jean-Paul Bordes, Sara Giraudeau, Julien Boisselier
Jean-Paul Bordes, Sara Giraudeau, Julien Boisselier

C’est dans cette ambiance New Yorkaise des années 20 (fantasmée !) que débute « Zelda et Scott », une pièce écrite par Renaud Meyer sur des bases biographiques, qui nous propose de vivre l’amour tourmenté, vécu par les époux Fitzgerald. [1. Pour rappel, Scott Fitzgerald est notamment l’auteur du roman Gatsby le magnifique, qui bien qu’adapté aujourd’hui par Hollywood, n’a pas été un grand succès en son temps.]

Cette histoire de couple pourrait être un parfait drame. Mais la richesse de la pièce présentée au théâtre La Bruyère ne réside malheureusement pas dans sa construction : elle est basique, suit l’ordre très chronologique et ne ménage pas beaucoup de « coups de théâtres », tout n’est que progression. Tant bien même que si l’on ignore l’histoire de Zelda et Scott, la fin est assez prévisible. Le texte est forcément dans cette lignée, bien qu’on puisse être surpris de temps à autres : quelques phrases surgissent, mais restent des « bons mots » épars…

Néanmoins, on a un léger plaisir à partager cette vie, celle si classique du poète et de sa muse, puisque la légende veut que ce soit Zelda qui ait inspiré à Scott son premier succès, L’envers du Paradis. Ensemble, ils profitent de cette gloire à plein régime au rythme des cuites, des drogues et des mondanités. Ils jouent à se faire peur comme des enfants dans ce monde d’adulte qui brille de mille feux. Zelda est simple, fait la naïve, exagère son personnage de provinciale et Scott en est fou.

Ernest Hemingway vient faire ici le pendant raisonnable à la spirale autodestructrice du couple. Découvert par Fitzgerald, l’auteur en devenir n’est pas l’homme sombre qui se décrit en filigrane dans Pour qui sonne le glas. Dans Zelda et Scott, il est celui qui a la tête sur les épaules, celui qui tient la corde en haut du puits et que Fitzgerald refuse d’attraper. Jean-Paul Bordes campe son personnage peut-être de façon un peu trop monolithique, face aux nuances dans la détresse incarnée de Julien Boisselier. Dommage.

Enfin, le spectacle est accompagné par un live band très conventionnel qui occupe bien son rôle de soutient. Quoi de plus évident pour accompagner l’aventure de l’écrivain qui représente l’ère du jazz ? Mais cela ne suffit pas à l’histoire pour nous faire sentir (physiquement !), l’Amérique de ces années. Zelda et Scott sont trop propre dans la première partie ! Heureusement, la seconde sent un peu plus le tabac et le whisky. La violence, la déchirure y sont bien visible.

La déchéance, la désolation, la mort, sont là. Trop tardivement, trop brutalement sans doute. C’est donc un spectacle tiède que nous sert ici Renaud Meyer. Une tiédeur qui étonne tant l’histoire qu’elle illustre fut sulfureuse.

« Les Liaisons Dangereuses », texte et mise en scène de Renaud Meyer, au Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère, 75009 Paris. Durée : 1h40 (avec entracte). Plus d’informations et réservations sur www.theatrelabruyere.com

 




Un « bois lacté » traversé par un fleuve d’émotions

© Pascal GELY
© Pascal GELY

Avec « Le bois lacté », Dylan Thomas signait une pièce poétique [1. La pièce a été créée pour la radio en 1952]. Les mots y sont utilisés pour créer un imaginaire qui transporte le lecteur/spectateur comme un fleuve drague une multitude d’objets. On est pris dans le courant de la journée d’un village Nord-Américain où 63 personnages (jouées par 7 acteurs), laissent à voir leur intimité jusque dans ses méandres les plus profondes. Le texte, difficile au premier abord, est dit de façon claire. Il ne faut pas chercher à comprendre à tout prix : les images parlent d’elles-mêmes et, pour nous aider, celles-ci se succèdent dans une structure temporelle et spatiale bien définie.

Chacun des protagonistes décrit son existence, donne son regard sur lui-même dans des situations simples, récurrentes. Tantôt dans une diction narrative, tantôt vivant l’action. Il n’y a pas d’ordre d’importance entre eux. Tous égaux face à la vie ! Chacun ses rêves, ses relations… L’une est maniaque, seule dans sa grande maison, l’autre est alcoolique et il vit une histoire physique avec une jeune femme dans la forêt. L’un tente depuis des années de tuer sa femme, l’autre voit l’amour quand il regarde le village chaque matin. Finalement on est ensemble, mais chacun dans son monde et chacun dévoile son jardin secret.

Stephan Meldegg réussi là une prouesse de mise en scène en faisant jouer cette galerie de personnages sur la (toute) petite scène du théâtre de Poche. La plupart du temps, tous les comédiens sont sur le plateau. Parfois, seul l’un d’entre eux déclame, parfois ils s’animent tous ensemble pour créer une ambiance propice à soutenir la narration : équipage d’un navire, troupeau de chèvre, pilliers de comptoirs, visite touristique… Ce parti prix d’occupation de l’espace ressert d’autant plus l’attention autour des mots.

Finalement, c’est un véritable conte qu’il nous est proposé de vivre dans ce « Bois lacté », une histoire au long cours qui prendra qui veut bien se laisser happer, un moment où il y a autant d’émotions à vivre que de personnages à rencontrer.

Pratique : Jusqu’au 8 décembre 2013 au théâtre Poche-Montparnasse, 75 bd du Montparnasse, 75006 Paris – Réservations par téléphone au 01 45 44 50 21 ou sur www.theatredepoche-montparnasse.com / Tarifs : entre 10 € et 35 €.

Durée : 1 h 30

Texte : Dylan Thomas

Mise en scène : Stephan Meldegg

Avec : Rachel Arditi, Jean-Paul Bezzina, Sophie Bouilloux, Attica Guedj, César Méric, Jean-Jacques Moreau, Pierre-Olivier Mornas




L’École des Femmes, leçon acide à La Tempête

Laura Mariani
Laura Mariani

En montant les grands auteurs classiques (essentiels ?) du théâtre français, le metteur en scène prend un risque. Le risque de montrer quelque chose de déjà (trop ?) vu ou encore celui de vouloir sortir des codes au détriment de l’essence de la pièce. Comme à son habitude [1. Philippe Adrien a mis en scène de nombreuses pièces classiques, pour la liste complète, se référer au site du théâtre de La Tempête], Philippe Adrien ne tombe pas dans un mauvais piège et son École des Femmes respecte le texte tout en lui donnant une résonance moderne.

Le spectacle se déroule dans un décor raffiné, champêtre où la teinte majeure est le gris. Les personnages ont quitté le XVIIe français où ils sont nés pour être transposés dans une toute fin de XIXe siècle morne et un peu angoissante.

Inutile de revenir en détail sur les enjeux du drame, mais l’École des Femmes trouve encore aujourd’hui une véritable raison d’être entendu. Philippe Adrien fait ressortir toute l’horreur de la situation où Arnolphe a voulu sculpter – par l’éducation – une femme (Agnès) selon ce qu’il attendait d’elle, pour pouvoir ensuite l’épouser. Ainsi, il se protégerait de tous les travers (supposés) de la féminité. Une brillante critique du patriarcat moderne en somme, amplifiée par la scénographie où cohabitent une salle de torture et les plaines brumeuses de l’arrière pays [2. La scénographie est de Jean Haas].

Les acteurs sont tous juste, parfois drôles, dans leurs rôles respectifs, notamment Patrick Paroux, campant Arnolphe, qui fait de ce personnage un homme entre Panisse et Louis de Funès, avec quelque touche bouleversante qui laissent voir un égoïsme sans limite au milieu d’une douleur sincère : celle du rejet de sa personne par Agnès, au profit du jeune Horace.

Bien sur, l’amour triomphe dans une scène de fin collégiale en forme de tableau à la Courbet, et l’on quitte la salle, conquis, heureux d’avoir aussi bien entendu le texte de Molière, soutenu par ces ambiances féeriques, oniriques et pourtant très simples dont Adrien a le secret.

Pratique : Jusqu’au 27 octobre 2013 au théâtre de la Tempête, La Cartoucherie de Vincennes – Réservations par téléphone au 01 43 28 36 36 ou sur www.la-tempete.fr/ / Tarifs : entre 12 € et 18 €.

Durée : 2 h

Texte : Molière

Mise en scène : Philippe Adrien

Avec : Raphaël Almosni, Vladimir Ant, Gilles Comode, Pierre Diot, Joanna Jianoux, Valentine Galey, Pierre Lefebvre, Patrick Paroux.




Un voyage en « Train fantôme »

Train Fantôme

Des mises en scène d’Éric Metayer, on se souviendra surtout des 39 Marches et de son ambiance « hitchcockienne » tournée à la dérision qui a connu un grand succès lors des deux dernières saisons [1. La pièce avait alors remporté le Molière 2010 du meilleur adaptateur et celui de la meilleure pièce comique]. Avec Train Fantôme, l’auteur-metteur en scène s’approprie l’univers des vampires pour en faire un cocktail horreur-humour relevé de quelques touches grandguignolesques.

La pièce est plus une suite de sketches qu’une histoire qui suit son cours. Une écriture qui présente ses avantages et ses inconvénients, les principaux étant que certaines parties sont plus drôles que d’autres. De plus, certaines scènes n’apportent rien à l’histoire, créant ainsi parfois un sentiment de confusion dans l’esprit du spectateur. Toutes ces scénettes joyeux monde se déroulent dans une ambiance Disneyland de pacotille, mais un pacotille qui rigole sans grincer de son manque de moyens, créant ainsi un objet d’humour supplémentaire dans la narration de ces conte potaches où il est question d’un notaire, de Dracula, d’histoires d’amour et de femmes volages…

Au final, le Train Fantôme est une aventure amusante où des personnages d’une gentille candeur, parfois même légèrement stupides, divertissent un public venu passer un moment agréable. Les comédiens s’amusent sur scène, le plaisir est ressenti dans la salle. On en demandera pas plus à ce spectacle, qui rempli très bien sa mission de divertissement.

Pratique : Jusqu’au 5 janvier 2014 au théâtre de la Gaité-Montparnasse, 26 Rue de la Gaité (14e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 43 22 16 18 ou sur www.gaite.fr / Tarifs : entre 16 € et 38 €.

Durée : 1 h 40

Texte : Gérald Sibleyras et Eric Metayer

Mise en scène : Eric Métayer

Avec : Jean-Philippe Beche, Andréa Bescond, Dorel Brouzeng-Lacoustille, Yamin Dib, Christophe Laubion.




Sapin le jour, Ogre la nuit …


Arkult_SML_InsideArticleUn beau soir d’été Samantha, Carrie, Charlotte et Miranda* se sont rendues dans les Vosges.

*Les prénoms, bien sûr, ont été modifiés, mais disons « un groupe de nénettes vachement chouettes » ont assisté au one-man-show de Sophie-Marie Larrouy : Sapin le jour, Ogre la nuit.
Un nom d’artiste à rallonge (quand ils sont nombreux à se contenter d’un prénom!?) et un nom de pièce énigmatique, pour une surprise caustique et touchante.

Les Vosges, dont Sophie-Marie Larrouy est originaire, nous sont ici contées d’une manière assez terrible. On est loin de l’image caricaturale des boites de pastilles pour la gorge, peuplées de monstres imaginaires (ogres) ou bien réels (Francis Heaulme et son poto Xavier Dupont de Ligonnès). SML a du talent et même s’il y a quelques hésitations, c’est une artiste une vraie de ceux (et celles) qui ont un vrai monde à eux et un sacré pet au casque. Et non, bien que SML soit une fille, ça n’est pas un spectacle girly, messieurs allez-y tranquilles !

Derrière un sourire onctueux (qui imite à merveille des lèvres mal botoxées) et une charmante robe aux motifs Liberty se cache une humoriste brute de pomme. La demoiselle venue de l’Est recourt de façon très assumée à des phrases à tiroirs sans bugner sur des polichinelles. Sophie-Marie Larrouy a une diction très théâtrale et son lexique soutenu côtoie un jargon vosgien guttural dont la rudesse est accentuée par des postures masculines et une bière greffée dans la main droite. Mais puisque la bière, elle la fait tourner, tout va bien!

Seule en scène, après quelques entrechats déjantés SML débute sa psychanalyse de groupe. Elle nous livre ses extravagantes psychoses mais aussi des morceaux choisis de son enfance. Freud lui même ne s’en remettrait pas. Pour les fans, elle laisse aussi s’exprimer Vaness la Bomba, quintessence d’un univers pittoresque, délirant et parfois noir. L’intervention finale de ce double maléfique de SML est la cerise sur le gateau; une touche chantante et dansante (vidéo) au spectacle.

Arkult_SML_Affiche

La Matinale de Canal+, où elle a fait ses armes, ne s’y était pas trompée, SML est drôle et douée! Sapin le jour ogre la nuit est un stand-up très spontané et jamais téléphoné.

Le tout petit théâtre des 3 bornes accueille Sophie-Marie-Vaness pour son show décalé chaque dimanche et lundi.

Pratique : du Dimanche au Lundi à 20h
A la Comédie des 3 bornes, 32 Rue des Trois Bornes – 75011 Paris
Réservations : 01 40 21 03 64

Tarifs : entre 8€ et 16€.
Durée : 1h
De : Sophie-Marie Larrouy
Mise en scène : Océane Rose Marie
Avec : Sophie-Marie Larrouy

 




Dénommé Gospodin … P. Löhle nous propose une évasion !

Au commencement, il y eut le lama.
Greenpeace. La télévision. L’ampli stéréo. Les amis. L’enterrement. La femme. Le travail. L’argent. La famille. L’argent. Le crime. L’argent. L’argent. L’argent.

Tous ces éléments du quotidien des « petits-bourgeois ». Toutes ces charges dont il semble nécessaire de se défaire pour revenir à la vie, et lui redonner sens. Dresser un dogme initiatique entre l’homme et le monde qui l’entoure. Ses aspirations et la société. Sa conception et la réalité de ceux qu’il côtoie. Éternelle contradiction des points de vue. Le dénuement matériel au profit de la richesse spirituelle. Descente aux enfers qui s’apparente à une montée en grâce.

Gospodin chemine à travers cette société moderne en véritable électron voulant devenir libre. Et nous pose ainsi devant la réalité de nos choix de vie, devant les valeurs qui la dominent.

Quel avenir pour la propriété ?
Quel sens à l’argent ?
Quelle réalité derrière la décision ?
Quelles possibilités de fuite ?

Arrivé le dénouement, toute la pièce prend un nouvel éclairage, un second sens, un second souffle. Génie de l’écriture, force et maîtrise de la mise en scène. Philipp Löhle et Benoît Lambert emmènent le spectateur dans une introspection difficilement manichéenne.

Telle une curiosité que l’on suivrait dans ses déambulations quotidiennes, Gospodin est un anti-héros des temps modernes, transcendé par l’époustouflant Christophe Brault. Cette bête de foire dont l’univers se résume aux personnages alternativement incarnés par Chloé Réjon et Emmanuel Vérité, également présentateurs et narrateurs de cette fable d’anticipation, qui n’est pas sans évoquer « The Truman Show ».

Programmé au Théâtre National de la Colline, cette création du Théâtre Dijon Bourgogne (dirigé également par Benoît Lambert) est à découvrir avant le 15 juin ! Dépêchez-vous, les places s’arrachent devant le succès de la pièce …

 

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Pratique
Théâtre National de la Colline – Petit Théâtre – du 15 mai au 15 juin – www.colline.fr
Du mercredi au samedi à 21h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h
durée 1h30

Auteur : Philipp Löhle
Mise en scène : Benoît Lambert
Avec : Christophe Brault, Chloé Réjon, Emmanuel Vérité

 




Oh les beaux jours – Quand Frot magnifie Beckett (et réciproquement !)

« Ca que je trouve si merveilleux », ou encore « (Sourire.) Le vieux style ! (Fin du sourire.) ».

Un peu comme le « I would prefer not to » bartlebien, deux exemples d’épanadiploses (ou presque) que nous offre Beckett dans son incroyable « Oh les beaux jours ».
« Oh les beaux jours » (titre original : Happy Days), est à l’origine écrite en anglais par Samuel Beckett en 1961, avant d’être transposée en français par l’auteur lui-même deux ans plus tard.

Ce texte, court, met en scène Winnie et Willie, la cinquantaine entamée. Dans un quasi monologue, Winnie nous fait vivre les petits moments d’une journée habituelle. De biens petites choses : coiffure, brossage des dents, qui se révèlent être de solides accroches pour affronter la vie qui passe, pour s’accrocher aux ravages du temps. Beckett nous entraîne en effet, sous des airs innocents et quelque peu puérils, dans le drame de la vie humaine : elle a un début, elle a une fin. Pas question de l’oublier, de se laisser penser à croire qu’on pourrait y échapper. On observe ainsi la décrépitude des corps et des esprits au gré des jours et des saisons.

Et pourtant, pas question non plus de tomber dans une morne tristesse, Winnie conserve cette incroyable faculté, ce talent même, de se réjouir de moments que nous serions nombreux à trouver plus qu’anodins. Ce pouvoir d’émerveillement, de ravissement est saisissant. Catherine Frot le magnifie davantage encore, avec ses incroyables intonations et ses airs d’insouciance et de naïveté. Elle offre ainsi aux spectateurs une heure vingt de délectation, car la performance est éblouissante. 80 minutes de presque monologue dans un texte délicat, très délicat, finement haché, fortement dirigé (de la direction du regard au début et à la fin des sourires, tout est prévu par Beckett). Et pourtant, preuve du génie de l’actrice et du metteur en scène, rien ne semble forcé, rien ne semble contraint, tout coule naturellement aux yeux du spectateur. Un numéro d’équilibriste sans filet parfaitement maîtrisé.

Et pour apprécier davantage encore, courez vite jeter un oeil au texte de Beckett … La rencontre entre Winnie et Catherine Frot n’apparaîtra que plus logique !

Oh les beaux jours - Affiche

 

Pratique : du Mardi au Samedi à 21h00, Matinée Samedi à 17h

Au Théâtre de l’Atelier – 1, place Charles Dullin – 75018 Paris
Réservations : 01 46 06 49 24
Tarifs : entre 15€ et 40€.

Durée : 1h20

De : Samuel Beckett

Mise en scène : Marc Paquien assisté de Martine Spangaro

Avec : Catherine Frot, Jean-Claude Durand

 




Arditi chante sous la pluie au Théâtre Edouard VII

 

Copyright Emmanuel Murat
Copyright Emmanuel Murat

« Comme s’il en pleuvait »,
Pleuvait quoi ? des billets, des euros, de l’oseille, des biffetons, de l’oseille,
Sur ? Bin sur Evelyne Buyle (Laurence) et Pierre Arditi (Bruno),
Sur ce modeste couple de gauche, qu’ils campent à ravir,
Sur le petit salon de leur appartement du XVème arrondissement,
Pour ? Ma foi, pour une belle comédie de mœurs qui fait la part belle au show-man qu’est Arditi.

 

Que faire de cet argent mystérieusement tombé du ciel, pas mérité donc forcément jugé comme illégitime et louche. Le dépenser ? Thésauriser ? Voici la trame de la pièce. Mais la réflexion idéologique ne plombe pas bien longtemps l’ambiance divertissante.  Quelques phrases cultes sont distillées au gré de la pièce au rang desquelles on retiendra « C’est pas parce qu’on est de gauche, qu’on doit porter des pulls qui grattent ». Puis, de ce sujet classique du théâtre qu’est l’appât du gain, on bascule rapidement dans le baroque, le loufoque.

Les actes s’enchaînent de manière fluide, la pièce est très cadencée, ça bouge. Sur scène le couple Buyle-Arditi est rejoint par Véronique Boulanger (la femme de ménage à l’accent très prononcé) et Christophe Vandevelde (le voisin excédé). Ils participent du crescendo rythmique et dramatique avec des personnages caricaturaux très représentatifs de la comédie de boulevard. Ils sont le grain de sable qui fait que ça déraille, que ça chauffe et ça s’échauffe sur les planches. Bernard Murat à la mise en scène pose un joli décor simple avec jeux de lumières recréant l’heure du jour mais, nous y a réservé quelques surprises.

La prestation d’Arditi dans le rôle de Bruno est délectable. Quand l’ours mal léché du théâtre français « pète littéralement un câble » c’est truculent. Il a les yeux fous de Jack Nicholson dans Shining et on se demanderait presque où s’arrête l’acteur et où commence l’homme tant il semble être dans la peau du personnage … bref, il lâche les chiens.

Le réalisateur, Sébastien Thiéry, a écrit le rôle de Bruno en pensant à Pierre Arditi. Si vous donnez le rôle du soleil à un acteur qui rayonne déjà beaucoup, de son aura et de son charisme, l’avantage est qu’il donnera tout ; cependant il brille presque trop au détriment de ses comparses et d’un développement sur d’autres axes de la pièce : le burlesque, la relation entre les personnages, l’introspection.

On passe un excellent moment dans l’écrin élégant du Théâtre Edouard VII installé au coin de la place au nom éponyme, reliée au Boulevard des Capucines par une rue piétonne. Un tableau tout à fait réjouissant seulement assombri par l’absence de répondant ou de mordant suffisamment vigoureux pour contenir Arditi… juste un peu.

 

Pratique : Du Mardi au Samedi à 21h, Le samedi à 18h et le dimanche à 15h30

Au Théâtre Édouard VII, 10 place Édouard VII, Paris IXeme.
Réservations par téléphone au 01 47 42 59 92
Tarifs : entre 20€ et 53 €.

Durée : 1h15

De : Sébastien Thiéry

Mise en scène : Bernard Murat

Avec : Evelyne Buyle, Véronique Boulanger, Christophe Vandevelde, Pierre Arditi.




«Desperate Housemen» (Pas si desperate que ça)

Trois amis aux personnalités différentes, unis autour d’un même thème : la relation Homme/Femme, peu de liens avec la série éponyme et c’est tant mieux.

Le show débute avec Jérôme (DARAN), personnage volage mais désespéré depuis sa séparation avec Sophie, passage de relais avec Stéphane (MURAT), idiot romantique et gaffeur à ses heures, et enfin Alexis (MACQUART), doucement misogyne subissant sa vie de couple depuis 10 ans.

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Attention danger : Grande probabilité de recevoir des éclats de rire de vos voisins de banquette. Vénusiennes, vous vous demandiez comment était perçue votre « relation » par ces êtres venus de Mars, avec ce spectacle vous en aurez une bonne approche. Tous les thèmes sont abordés : les rencontres, l’amour, le sexe, les séparations (mention spéciale à Stéphane et sa technique dite de « la couette » testée et approuvée).

Même si les femmes y sont plus légèrement égratignées (les éternelles discussions entre copines, l’interminable résumé de la journée de boulot, le shopping…) les hommes ne sont pas en reste (les soirées entre potes, les maladresses, l’incapacité au dialogue…).

Le public rebondit aisément sur ces ressorts comiques connus mais toujours efficaces et parfaitement maîtrisés. La pièce s’achève avec nos 3 amis devant la porte de Sophie, je n’en dirai pas plus. Bon, je ne vous laisserai toutefois pas sans un bémol commun à tout spectacle réussi, il est bien trop court !

Un conseil : allez-y en couple !

Merci Messieurs pour ce bon moment.

Pratique :
Le Grand Point Virgule
8 bis, rue de l’Arrivée 75015 Paris
Réservations : 01 42 78 67 03 – WWW.LEGRANDPOINTVIRGULE.COM

Les samedis à 18h00 et les lundis 20h

Tarif plein: 27 €
Tarif réduit: 19 € (sauf le samedi)

Durée : 1h20

Avec Jérome Daran, Alexis Macquart et Stéphane Murat
Mise en scène : Caroline Cichoz