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Collaboration – Pour le meilleur et pendant le pire

Art, guerre, amitié
Trois mots qui forment des combinaisons bien aléatoires.

Il y avait eu « Inconnu à cette adresse« , où l’espoir avait laissé la place à la faiblesse devant l’appât du pouvoir, et où l’amitié n’avait tenu tête que quelques mois face à la puissance dévastatrice d’une idéologie radicale.

« Collaboration » redore quelque peu le tableau de la nature humaine, en mettant en lumière un épisode méconnu de la vie de deux immenses artistes du XXe siècle : Richard Strauss et Stefan Zweig. L’Allemand et l’Autrichien. Le compositeur et l’écrivain. Deux génies.

Deux génies qui se respectent et qui pourtant se découvrent et se dévoilent au fil des contacts qu’ils entretiennent pour la création de l’opéra-bouffe « La Femme silencieuse » (première en 1935).
Deux génies que le monde en devenir en 1932 aurait pu opposer, et qui, malgré tout, les a rapprochés jusqu’à les tuer, physiquement ou moralement.

Car Stefan Zweig était juif.
Car Richard Strauss ne se refusait pas à cotoyer les hauts dignitaires nazis.

Deux génies qui reprennent corps et vie au Théâtre de la Madeleine, sous les traits de deux monstres du théâtre français : Michel Aumont (Richard Strauss) et Didier Sandre (Stefan Zweig). Parfaits dans leur personnage comme dans leur jeu, ils évoluent naturellement à travers les années et les sentiments, toujours accompagnés et soutenus par une présence féminine à leurs côtés. Pauline Strauss (exceptionnelle Christiane Cohendy), qui emporte toute la salle avec elle dans ses coups d’éclats ménagers face à la « peste brune », ne se laissant pas le moins du monde démonter devant l’uniforme et la menace, et Charlotte Altmann (touchante Stéphanie Pasquet).

Les tableaux se succèdent, les années s’écoulent, l’amitié demeure, le public jubile, et l’art en profite.

collaboration

 

Pratique : Actuellement au théâtre de la Madeleine, 19 Rue de Surène (8e arrondissement, Paris)
Réservations par téléphone au 01 42 65 07 09 ou sur www.theatremadeleine.com

20h30 du mardi au samedi, 17h00 le samedi et le dimanche

Tarifs : entre 20 € et 58 €

Durée : 2 h 00

Une pièce de Ronald Harwood

Texte français : Dominique Hollier
Mise en scène : Georges Werler

Avec :
 Michel Aumont, Didier Sandre, Christiane Cohendy, Stéphanie Pasquet, Patrick Payet, Eric Verdin, Armand Eloi

Décors
 : Agostino Pace
Lumières : Jacques Puisais
Costumes : Pascale Bordet
Conception sonore : Jean-Pierre Prevost

 




« Georges Dandin » au Lucernaire

Copyright : Clément Bertani
Copyright : Clément Bertani

Dans un décor à la croisée d’une réalisation de Wes Anderson et d’une bande dessinée de Gotlib, Matthieu Penchinat montre un George Dandin sous un jour comique et grotesque, écartant presque le drame que montre cette pièce d’un revers pour n’en garder que le rire.

Heureusement, cela marche très bien. Cette histoire de mari cocu dont tout le monde se joue est à l’origine un bien triste drame : George Dandin contre sa fortune a pu épouser une noble appauvrie. Celle-ci ne voulant pas de ce mariage se refuse à son mari et se laisse courtiser par Clitandre, aux yeux et à la barbe de son mari, qui n’obtiendra jamais gain de cause et adoptera la solution du suicide.

L’apparence moderne et grotesque de chacun des personnages fait de la pièce un moment irréel où le texte original est interprété de façon très moderne (ce qui ajoute encore au comique de situation de cette mise en scène). George Dandin ressemble plus à un dépressif un peu bête, avec qui on n’a pas vraiment envie de compatir dans le malheur. Julien Testard qui l’interprète est particulièrement excellent, cannette de coca à la main et cheveux en bataille, il a tous les attributs que l’on pourrait donner à une caricature du paysan contemporain.

La mise en scène, vivante et précise, souligne l’absurde et la folie grandissante de ce personnage injustement malmené. Les corps explosent et le texte n’est pas le seul vecteur d’amusement, le geste l’accompagne allègrement. La musique de Lully remplacée par celle d’Edith Piaf ajoute encore au décalage entre le texte et l’interprétation qu’en fait Matthieu Penchinat.

On y voit encore très bien le regard effroyable que porte la noblesse à l’égard des parvenus, comment une étiquette colle à la peau toute un vie malgré les efforts pour s’en défaire. C’est aussi un bel exemple du pouvoir de manipulation que les femmes ont sur les hommes et comment, par amour pour leurs enfants, les parents peuvent ignorer l’évidence. Et tout ça, dans une foule d’éclats de rires.

Pratique : Jusqu’au 30 mars au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris.
Réservations par téléphone au 01 45 44 57 34 ou sur http://www.lucernaire.fr.
Tarifs : de 15 à 25 €.

Durée : 1 h 10

Mise en scène : Matthieu Penchinat, assisté d’Edouard Bonnet

Avec : Julien Testard, Julie Méjean, Sylvère Santin (ou Edouard Bonnet), Philippe Baron et Anne Juliette Vassort.




Kheiron – Libre Education à l’Européen

Kheiron - Libre Education - Crédit photo Fifou
Kheiron – Libre Éducation – Crédit photo Fifou

Kheiron « enseigne » sa Libre Education à l’Européen. C’est plus fun que celle de votre vieil instit’ taciturne. Le jeune homme est provocateur, transgressif, hilarant et chevelu contrairement à ce que les fans de la série BREF pourraient croire !?
En effet, si son nom vous dit quelque chose, c’est peut-être parce que vous aviez aperçu son regard lubrique dans la série de Canal+ diffusée au Grand Journal. Kheiron était alors le démon sur l’épaule de Kyan Khojandi, sa conscience trash en quelque sorte, avec son leitmotiv aussi fameux qu’explicite: « Baise-laaaaaaaaaa ».

Seul sur scène pendant plus d’une heure, Kheiron « trashe » un peu dans tous les sens dans une décontraction communicative. En quelques minutes, on a l’impression d’être avec un ami d’ami. Les classiques du « stand up », Kheiron les maîtrise. Il parle du couple et de ses déboires, de la drague et des situations du quotidien. Mais Khei, pour les intimes, capitalise aussi sur son expérience d’éducateur en ZUP et son approche corrosive de l’enfance, des nationalités et notamment la sienne : non il n’est pas turc, il est iranien !
Jusque là rien de bien nouveau même si c’est avec beaucoup de talent et d’abnégation qu’il tire ces vieilles ficelles. La grande nouveauté réside dans le rapport avec le public. Le public participe et partage ses aventures ou avis donnant lieu à beaucoup de digressions et à un spectacle sur mesure chaque soir. Puisqu’il est très difficile de savoir lorsqu’il improvise, l’artiste prend un pari décalé, celui d’inviter « à vie » ceux qui sont venus le voir. En revenant assister au show à nouveau (et gratuitement), l’occasion est donnée au spectateur d’apprécier à sa juste mesure le talent de « grand improvisateur » de Kheiron.

Bref, une seule personne sur la scène mais un spectacle réalisé avec l’aide de chaque spectateur. Un humour très générationnel par ses références, son vocabulaire et son ton chambreur mais un humour qui percute et un personnage à suivre.

Pratique : Jusqu’au 23 Mars 2013 à L’Européen, 5 rue Biot 75017 Paris le jeudi, vendredi, samedi à 20H30.
Réservations par téléphone au 01 43 87 97 13 ou http://www.leuropeen.info/index.php?wh=programme&evt=628#628
Tarifs : entre 24 € et 28 €

Durée : 1 h

De et avec : Kheiron

 




Ita L. née Goldfeld – Magnifique Hélène Vincent !

Hélène Vincent - Ita

 

Décidément, le Théâtre du Petit Saint-Martin nous gratifie à chaque fois de pépites théâtrales. Après le succès de la déjantée Doris Darling (article sur Arkult), l’équipe de Jean-Claude Camus nous propose une pièce à l’interprétation d’une justesse bouleversante : Ita L. née Goldfeld, sous les traits de la magnifique Hélène Vincent.

Paris, rue du Petit Musc, le 12 décembre 1942.
On frappe à la porte d’un appartement. Qui vient donc troubler la paisible journée d’Ita L. Goldfeld ? Ces messieurs de la police, deux jeunes hommes en uniforme, un troisième portant un blouson de cuir. Un « simple contrôle d’identité » comme ils disent, « mais prenez tout de même une valise, ça pourrait prendre un peu de temps ». Ils repasseront dans une heure.

« Ita L. née Goldfeld », c’est l’histoire de cette heure précisément. Une heure emplie de doutes, de souvenirs, d’émotions en tous genres. Les souvenirs de son Odessa natale, des rues de son enfance, de sa rencontre avec son défunt Salomon, des naissances de ses très chers enfants … Les doutes qui planent autour d’elle depuis que Salomon s’en est allé, depuis qu’être Juif s’affiche au col des vêtements, depuis que les voisins se méfient, complotent, médisent … Les émotions qui emplissent le coeur et la tête d’une vieille dame, tiraillée entre l’espoir de retrouver ses enfants, ses petits chéris devenus grands, et l’envie de fuir, fuir une nouvelle fois, fuir au devant de l’inconnu …

Une heure interminable pour Ita.
Une heure qui semble un instant pour le spectateur.

Hélène Vincent metteur en scène tout d’abord. Avec Julie Lopes Curval, elles ont fait le choix de l’efficacité. Un minimum de meubles présents sur scène. Pas de changement de décor. Mais à chaque nouveau jeu de lumières, un nouvel épisode de la vie d’Ita.

Hélène Vincent actrice ensuite. Magnifique, touchante, troublante, émouvante, bouleversante. A chaque nouveau jeu de lumières, une nouvelle performance d’actrice. Peinée, empreinte d’une folie passagère, nostalgique d’une époque passée, emplie d’espoir, puis soudain enjouée …  L’immense variété des émotions des moments de la vie s’incarne pleinement dans les expressions et les traits de l’actrice. Seule sur scène, et pourtant, semblant soutenue par ceux qui ont compté dans sa vie. Comme autant de fantômes qui la hantent ou de compagnons qui lui mettent du baume au coeur.

 

Le mot de la metteur en scène:

Voilà plusieurs années qu’Hélène Vincent a rencontré ce texte. Quand elle m’a proposée de l’accompagner dans ce voyage en distance et en émotion, entre les souvenirs de la Moldavanka en Ukraine et la rue du petit musc non loin d’ici, je savais qu’elle portait déjà en elle l’« Odessa » d’Ita. Il fallait à présent dessiner les contours de sa vie, son espace, trouver sa voix. Accepter d’abord que nous ne cherchons pas à dire cette période obscure de l’Histoire, mais s’accorder à donner la parole à une femme simple, qui a déjà vécu l’horreur, et qui se retrouve encore une fois confrontée à la folie des hommes, et contre laquelle elle n’a plus le courage de se battre. Trop seule, trop fatiguée. Donner à voir les images de sa vie qui tiennent dans une valise et une tête pleine de ceux qu’elle a aimés. Vivre une heure auprès d’elle, une heure où se bousculent l’espoir, l’incrédulité, la lucidité, la terreur et le renoncement. Tous ces états qui la traversent avant ce voyage en train dont on ne connaît que trop la destination. Personne ne connaît plus la belle Ita de Salomon, elle est un nom sur un mur parmi tant d’autres. Son arrière petit-fils Eric Zanettacci en a décidé autrement. À partir de ce qu’il a pu découvrir et rêver d’elle, il lui redonne son existence particulière. Avec toute l’humilité qui accompagne Hélène Vincent dans son travail, offrir à ce nom un corps, une voix, une vie.

 

Ita L née Goldfeld affiche

Pratique : Actuellement au Théâtre du Petit Saint-Martin, 17 rue René Boulanger, Paris 10e arrondissement
www.petitstmartin.com
Du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 15h
Tarifs : 25 € Placement libre

Durée : 1 h

Une pièce d’Eric Zanettacci
Mise en scène : Hélène Vincent & Julie Lopes Curval
Avec : Hélène Vincent
Scénographie : Tim Northam
Lumières : Arnaud Jung

 




« Un fil à la patte » dynamique au théâtre de Belleville

Un fil à la patte 2

En ce moment au théâtre de Belleville se joue « Un fil à la patte », comédie demi-mondaine de Georges Feydeau. La compagnie « Hocemo Théâtre » nous en propose une version prenante, dynamique et très vivante.

Lucette Gauthier est une femme libre, forte … Chanteuse de cabaret, elle a une vie délicieuse. Se lève à midi en compagnie de son amant, déjeune et puis reçoit, à sa convenance et selon son envie. Parmi ceux qui patientent aujourd’hui, il y a un parolier et une dame qui voudrait l’engager pour le soir…

Malheureusement, monsieur Bois d’Enghien, qui a passé la nuit avec Lucette et qui lui donne tant de plaisir à vivre doit signer son contrat de fiançailles le soir même, durant une sauterie où Lucette est invitée à chanter. Bien sur, ni l’un ni l’autre ne sont au courant. La pièce est une belle illustration du génie de Feydeau, qui fait durer et monter jusqu’à l’explosion la plaisanterie pendant 3 actes.

Ce vaudeville est aussi une critique franche du monde de Feydeau (la France mondaine de la fin du XIXe). Il est intéressant de voir que la comédie humaine dénoncée dans ce comique de situation est toujours d’actualité. L’humour qui en ressort ne semble en rien désuet.

Sur scène à Belleville, tous les acteurs sont jeunes. Ils ne semblent pas avoir plus de 35 ans. De cette jeunesse, par ces bouches presque juvéniles, Feydeau semble plus vivant que jamais. Le texte, le rythme sont très bien tenus, on entend les mots, les phrases et tout cela sonne moderne à nos oreilles. C’est une prouesse, car en plus d’être doués d’une diction impeccable, les personnages ont un jeu d’une exagération maîtrisée ahurissante. Sans parler de leurs corps, il se dégage des situations clownesques, voir cartoonesques de leurs gestes. Les comédiens nous font rire et nous ébahissent, même lors des passages sans texte sans qu’aucun ne soit moins bon que les autres : rarement il est permis de voir un aussi haut niveau d’excellence entre tous les acteurs.

Ces choses mises ensemble, on assiste à un vrai moment de théâtre où tout est calculé au millimètre près, de l’entrée des comédiens aux décors en passant par les virgules du texte et les changement de rôles des comédiens pendant la pièce. La compagnie Hocemo fait parfaitement ressortir l’essence de la leçon de comique donnée par Feydeau, un régal.

Pratique : Jusqu’au 28 février au théâtre de Belleville, 94 rue du faubourg du Temple, 75011 Paris.
Réservations par téléphone au 01 48 06 72 34 ou sur www.theatredebelleville.com.
Tarifs : de 10 à 25 €.

Durée : 2 h

Mise en scène / Jeu : Lise Quet

Avec : Nicolas Fantoli, Cindy Rodrigues, Julien Large, Lionel Rondeau, Damien Prévot, Rémi Dessenoix (en alternance avec Florent Bresson), Amandine Calsat, Claire Pouderoux




« Tout est normal mon coeur scintille » et Gamblin irradie à nouveau

Crédit photo : Giovanni Cittadini Cesi
Crédit photo : Giovanni Cittadini Cesi

Quand la lumière s’allume l’acteur est déjà sur scène. La salle est pleine. La scène est vide.
l’exception donc de Jacques Gamblin et d’un spot de lumière dans lequel, d’ailleurs, il n’est pas. Débute alors un one-man show. Puis le one-man show se fait poétique et très vite la danse vient faire écho à la narration. Gamblin est alors rejoint par deux danseurs et l’écran noir qui obturait le fond de la salle devient tableau.

Jacques Gamblin semble conduire à voix haute la réflexion qui l’habite, revivant des scènes de son enfance ou incarnant des animaux. La danse toujours prolonge le discours et entre parfaitement en résonance avec le sentiment qui l’anime. La danse et le théâtre paraissent faits l’un pour l’autre, contrairement aux deux personnages dont Gamblin tracent le contour à demi-mots.

Une rupture : voilà le début de la réflexion de « Tout est normal mon cœur scintille ». Mais finalement le thème en est l’Amour. Et comment mieux d’écrire l’amour que quand on vient de le perdre ?

C’est un texte vérité qu’a écrit Gamblin et qu’il rejoue au Théâtre du Rond Point avec beaucoup d’humour. Un texte avec des bons mots qu’on aimerait noter dès qu’on a fini d’en rire. Il semble énoncer clairement ce que chacun pense confusément, comme une projection de votre esprit mais en plus fluide, en plus limpide. Un univers onirique évoquant Tree of Life (1) avec des petits bonshommes en costume sur fond de ciel nuageux à la Magritte (2).

La prestation de Gamblin est éloquente de souplesse.
Palpitant, en pantin électrique.
Touchant, en homme blessé malgré ce ton décalé enjôleur.

Les danseurs Claire Tran et Bastien Lefèvre occupent superbement toute la surface qui leur est offerte et insufflent l’air nécessaire à la réflexion en entraînant avec eux Gamblin qui exécute quelques pas de danses.

Quand le spectacle est terminé, c’est au public d’applaudir. Usant ainsi de ses deux mains pour émettre une onde en propulsant énergiquement la paume gauche contre la paume droite (l’inverse fonctionnant aussi). Par l’applaudissement, il semble entendu tacitement que le public signifiera aux acteurs sa satisfaction d’avoir acquis un siège pour quelques heures dans ce théâtre et pour cette pièce.

Ainsi, par une équation savante effectuée entre la vigueur des applaudissements et leur longueur on obtient un degré d’échauffement/irritation de la paume de la main.

Les miennes après la représentation de « Tout est normal mon cœur scintille » étaient diablement échauffées.

Notes:

(1) Tree of Life, film dramatique américain écrit et réalisé par Terrence Malick, interprété par Brad Pitt, Sean Penn et Jessica Chastain palme d’or à Cannes en 2011.

(2) René Magritte, peintre surréaliste belge.

 

Pratique : Jusqu’au 3 Mars 2013 au théâtre du Rond-Point, 2bis av. Franklin D. Roosevelt (VIIIe arrondissement, Paris)
Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.theatredurondpoint.fr
Tarifs : entre 15 € (moins de 30 ans) et 36 € (plein tarif).

Durée : 1 h 30

De et avec : Jacques Gamblin

Collaboration artistique : Anne Bourgeois

Danseurs : Claire Tran et Bastien Lefèvre

 




Jeunes et cons : du Punk Rock au Théâtre 14

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Sur scène des jeunes, des uniformes scolaires, des cahiers, une bibliothèque et des sonneries marquant début et fin des cours. En quelques bavardages on est dans le bain : nous voici de retour au lycée. Un lycée anglais mais un lycée comme les autres.

Adaptation de la pièce dramatique de l’auteur britannique prometteur Simon Stephens. Au cœur de leur débat sans jamais être énoncé clairement il y a la découverte de l’autre et de soi, la crainte du futur, le besoin d’amour… Un huis-clôt dans la bibliothèque du lycée Stockport en Grande-Bretagne où William et ses camarades préparent leurs examens d’entrée à l’Université.

Entrecoupé de morceaux punk-rock et de stroboscopes à gogo, l’enchaînement des scénettes nous fait ressentir le malaise latent qui grandit entre ces élèves aux caractères bien trempés.
Vous n’êtes pas devant un épisode d' »Hélène et les Garçons ».
Dans cette pièce de Stephens, on est d’avantage dans l’esprit d’un « Péril Jeune » (1).
Mal dans leur pompes, ces héros de la puberté le sont et ça se sent. Comme cette légère odeur de poudre que l’on peut sentir avant une explosion inévitable.

L’interprétation de ces 8 grands ados sonne juste. La mise en scène est efficace et chorégraphiée simplement par un écran placé au dessus de la scène et indiquant l’évolution dans le temps de la date et de l’heure .
Même si la violence fait partie de notre quotidien, son escalade dans la pièce est un peu rapide pour être parfaitement réaliste.
Car ne vous fiez pas à l’affiche : tout n’est pas rose, le héros n’est pas Billy Elliot (2) et ça ne finira pas en chanson.

C’est davantage entre Le Cercle des Poètes Disparus(3) et Sex Intentions (4) que la pièce réussit un grand écart.
Provoc’, certes mais pas que. La réflexion transgénérationnelle ne paraît pas inutile, lorsqu’on a eu connaissance des évènements de Concordia, Columbine, Virginia Tech ou Aurora.
Il n’est pas ici fait référence à l’excellence académique de ces campus américains mais bien à l’usage de la force réalisé par certain des élèves à l’encontre de leurs camarades.

Pour paraphraser les Nèg’ Marrons (5) « La routine quotidienne met les jeunes sous pression ». « Y a-t-il une solution pour calmer la tension, avant l´hémorragie interne avant l´auto-destruction? »

Le débat est dignement ouvert par cette pièce perturbante dont vous ressortirez chamboulés.

Bande Annonce
http://theatre14.fr/saison/spectacle/punk-rock/bande-annonce

Notes :

(titre) Jeunes et cons, titre de Saez sorti sur l’album Jours Etranges en 1999
(1) Le Péril Jeune, film français réalisé par Cédric Klapisch sorti en 1994
(2) Billy Elliot, film dramatique anglais réalisé par réalisé par Stephen Daldry en 2000
(3) Le Cercle des Poètes Disparus, film américain de Peter Weir, sorti en 1989
(4) Sexe Intention, film américain de Roger Kumble sorti en 1999, inspiré de l’oeuvre de Laclos, Les liaisons dangereuses
(5) Extrait de la chanson des Nèg’ Marrons, « Ca dégènère » sortie en 2000 sur l’album Le Bilan

 

Pratique : Mardi, vendredi et samedi à 20 h 30. Mercredi et jeudi à 19 h. Matinée le samedi à 16 h. Jusqu’au 23 Février au théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier (14e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 45 45 49 77. Informations complémentaires sur theatre14.fr
Tarifs : entre 11 € et 25 €

Durée : 1 h 40

Texte : Simon STEPHENS

Adaptation française : Dominique HOLLIER et Adelaïde PRALON

Mise en scène : Tanya LOPERT

Avec : Aurélie AUGIER (Docteur Harvey), Alice de LA BAUME (Tanya Gleason), Issame CHAYLE (Bennett Francis), Clovis GUERRIN (Chadwick Meade), Roman KANÉ (William Carlisle), Mathilde ORTSCHEIDT (Lily Chill), Laurent PRACHE (Nicholas Chatman), Alice SARFATI (Cissy Francks).

Merci à Flo, de m’avoir accompagné pour cette soirée au Théâtre 14.




Le Marquis de Sade libère le Ciné 13 Théâtre

Pierre-Alain Leleu nous propose de partager quelques années de la vie du Marquis de Sade. Texte moderne, avec de nombreux recours aux oeuvres du Marquis, l’interprétation en est parfois déroutante, voire décevante. La mise en scène de Nicolas Briançon, simple et efficace, fait toutefois oublier ces quelques égarements dans le texte et le jeu proposé au public.

Le rideau s’ouvre sur l’arrivée de Donatien Alphonse François de Sade (Pierre-Alain Leleu), dans sa cellule de la Bastille, et la première rencontre avec celui qui va rapidement devenir son bourreau et son souffre-douleur à la fois, le gardien Lossinote (Jacques Brunet, saisissant). Ces provocations sont entrecoupées de crises de folie numéraire à répétition, et tempérées par de profondes réflexions philosophico-religieuses. Mais ce qui occupe surtout et avant tout l’esprit du Marquis, ce sont ses longs dialogues imaginaires avec une créature féminine (La Femme, Dany Verissimo). Ces conversations, ces visites qu’impose cette créature à l’esprit du torturé, représentent le véritable exutoire du bouillonnement intérieur du prisonnier : fantasmes sexuels, perversités de tous ordres, joutes philosophiques, …parfois entremêlées d’apparitions surprenantes (tel le curé, joué par Michel Dussarat).

Car Sade, au-delà de ses moeurs décomplexées, est avant tout un authentique libertin, amoureux et fervent défenseur de la liberté d’opinion, de pensée, d’expression. C’est d’ailleurs celle-ci qui lui a valu, paradoxalement, ses nombreuses années d’enfermement (27 années sur les 74 qu’a duré sa vie).

Dans un contexte actuel voyant s’imposer la toute puissance des religions, et où la diversité et le choix des moeurs est au centre de tous les débats nationaux, il ferait certainement bon d’enseigner dans nos écoles cette pensée affranchie de tout carcan, loin très loin des clichés sulfureux entourant la réputation du cher Marquis.

Sulfureux, aucun doute à ce sujet, le marquis l’a toutefois été. Nicolas Briançon ne s’y trompe pas, dans sa mise en scène, déroutante parfois de crudité, mais jamais déplacée. Austère, on est bien loin du faste et du grandiose déployé dans Volpone (lire l’article sur Arkult), mais l’essentiel est là, et cela fonctionne.

Une pièce qui mérite d’être vue, pour découvrir ou redécouvrir cette figure de la philosophie et de la littérature française, dans la douceur des fauteuils ou canapés du somptueux Ciné 13 Théâtre.

Pratique : Jusqu’au 9 mars au Ciné 13 Théâtre, 1 avenue Junot, 75018 Paris.
Réservations  sur http://www.3emeacte.com/cine13/Manifestations.aspx.
Tarifs : entre 14,50 € et 27,50 €.

Durée : 1h40

Mise en scène : Nicolas Briançon

Avec : Pierre-Alain Leleu, Dany Verissimo, Jacques Brunet, Michel Dussarat

 

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« Candide » déchaîné à la Comédie-Française

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Il en revient à chaque lecteur de mettre ses images sur une œuvre littéraire. Surtout lorsque c’est une œuvre incontournable que tous (ou presque) ont lu (au moins au lycée). Pourtant, le regard partagé par Emmanuel Daumas dans cette adaptation est juste et plaisante, une bonne raison de redécouvrir Candide.

Le décor est planté dans le salon d’un restaurant des années 20. Des « gens d’expérience », aristocratiques, se mettent à raconter l’histoire de Candide à son avatar contemporain (Laurent Stocker). Cette mise en abîme est une excellente solution qui permet à chaque acteur d’être une part de la multitude de personnages qui composent le conte philosophique. Chacun prend la parole, en fonction du découpage originel bien rythmé et retranscrit. Notons tout de même que le Pangloss joué par Serge Bagdassarian est complètement déchaîné et Julie Sicard fait une Cunégonde érotico-burlesque à tomber.

Outre l’excellente composition dont font preuve les comédiens, et la candeur magique de Laurent Stocker, la mise en scène laisse place à de beaux moments sans paroles. Presque cartoonesques, ces instants ajoutent une touche d’humour supplémentaire bienvenue et ponctuent ce qui pourrait sembler un peu rébarbatif dans le texte.

Le conte n’est pas donné en intégralité. On est loin de la lecture (et c’est tant mieux), mais l’essence, les passages clés sont tous biens visibles et ne devraient pas ennuyer les puristes de Voltaire qui assisteraient au spectacle. Le tour du monde vécu par le héros se fait dans une antichambre cossue. Mais, une fois arrivé au bout, les acteurs sont éprouvés, et nous, spectateurs, avons bien capté le sens et les images. Les effets et les causes…

Pratique : Jusqu’au 3 mars au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli.
Réservations par téléphone au 01 44 58 98 58 ou sur www.comedie-francaise.fr.
Tarifs : entre 6 € et 8 €.

Durée : 1h15

Adaptation/Mise en scène : Emmanuel Daumas

Avec : Claude Mathieu, Laurent Stocker, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Laurent Lafitte




Joël Pommerat, le maître de la lumière à l’Odéon

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Comme pour « Ma chambre froide », Joël Pommerat n’utilise pas l’espace conventionnel d’un théâtre. Point de sièges, point de scène. Ces attributs sont remplacés par deux rangées de gradins face à face pour les spectateurs et un espace scénique de plusieurs dizaines de mètres entre les deux comme terrain de jeu(x).

Au sens propre comme au figuré, Pommerat déstructure les codes du théâtre pour les faire entrer dans son univers très particulier. Un monde sombre où les personnages sont parfois de simples volumes de chair sur lesquels se reflète la lumière, la véritable actrice des mises en scène du créateur.

Comme à son habitude, Pommerat créé tout en même temps. La mise en espace, le décor, les jeux lumineux et le texte. Dans « La réunification des deux Corées », pas d’histoire, mais plusieurs tableaux dont le fil conducteur est l’amour et les crises qui l’accompagnent. Pêle-mêle, on y voit un couple lesbien en thérapie conjugale, un mari qui rend visite à sa femme complètement amnésique, deux parents dont l’avis diverge sur le fait que leur fils veuille partir à la guerre…. L’humour peut suivre la gravité, l’ironie succède à la souffrance ou le calme à la colère et l’absurdité la plus totale quand un curé vient expliquer à une prostituée dont il est le client fidèle qu’il se passera désormais de ses services car il a « rencontré quelqu’un ».

Le noir se fait entre chacun des scénarios et lorsque la lumière (toujours magnifique) se rallume, la nouvelle scène apparaît sous nos yeux comme par magie. L’éclairage dessine parfois un soupirail, une boîte de nuit, un parvis d’église où la mariée se prépare à monter les marches ou une rue sombre où un fantôme vient chercher sa promise. On est toujours surpris, émerveillés d’un tableau à l’autre. Pommerat arrive jusqu’à recréer le reflet des feux d’artifice sur le sol d’une ville, et il n’a pas peur de faire venir des auto-tamponneuses sur le plateau pour les besoins d’une scène.

Néanmoins, cette création pèche un peu par la qualité qui varie d’un « sketch » à l’autre. Certains s’étirent trop en longueur, d’autres semblent connaître une fin bâclée … De plus, la justesse des comédiens change d’un personnage à l’autre. Parfois d’une neutralité dérangeante, ils peuvent également se révéler en grand contraste avec ce décor si puissant.

Malgré ce bémol, Pommerat s’inscrit en maître de la création d’ambiance poétique et onirique. Ce spectacle est, et doit être vu, comme une nouvelle grande réussite à mettre sur le compte du metteur en scène, car on quitte la salle comme des enfants quittent un cirque : des étoiles pleins les yeux et la hâte d’y revenir.

Pratique : La réunification des deux Corées
Jusqu’au 3 mars au théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier,  au théâtre de l’Odéon, 1 Rue André Suares  (75017, Paris). Réservations par téléphone au 01 44 85 40 40 ou sur www.theatre-odeon.eu. Tarifs : entre 6 € et 30 €.

Durée : 1h50

Mise en scène : Joël Pommerat

Avec : Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu.




« Tristesse Animal Noir » à la Colline

tristesse

Trop de détails dans le texte

Sensation désagréable

Ce qui nous emmène à la fin du spectacle, qui, bien que jalonnée de mort, est la partie la plus vivante. Les 40 dernières minutes sont prenantes et beaucoup plus dynamiques. En allant voir « Tristesse Animal Noir », prenez votre mal en patience, le meilleur vient à la fin. 

 

Pratique : Jusqu’au 2 février au théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun (75020, Paris).
Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.colline.fr.
Tarifs : entre 14 € et 29 €.

Durée : 2h20

Mise en scène : Stanislas Nordey

Avec : Vincent Dissez, Valérie Dréville, Thomas Gonzalez, Moanda Daddy Kamono, Frédéric Leidgens, Julie Moreau, Lamya Regragui, Laurent Sauvage.




À l’Athénée, on « Attend Godot » avec plaisir

reptions Godot

Après « En attendant Godot », à partir du 7 février la même équipe reprendra « Fin de partie » (toujours de Beckett). Les deux pièces partiront ensuite en tournée.

Pratique : Jusqu’au 27 janvier au théâtre de l’Athénée, Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau (75009, Paris).
Réservations par téléphone au 01 53 05 19 19 ou sur www.athenee-theatre.com.
Tarifs : entre 7 € et 32 €.

Durée : 2 h 10

Mise en scène : Bernard Lévy

Avec : Gilles  Arbona, Thierry  Bosc, Garlan  Le  Martelot, Georges Ser, Patrick  Zimmermann

Tournée (En attendant Godot) :

les 10 et 12 janvier 2013 à la Scène nationale de Sénart (77)
le 31 janvier 2013 au Salmanazar Théâtre Gabrielle Dorziat, Epernay (51)
les 14 et 15 mars 2013 au Théâtre-scène nationale de Narbonne, Narbonne (11)
les 19 et 20 mars 2013 à la Scène nationale d’Albi, Albi (81)
le 11 avril 2013 à l’ACB-scène nationale Bar-le-Duc, Bar-le-Duc (55)
le 19 avril 2013 au Théâtre de Suresnes Jean-Vilar, Suresnes (92)

 

 




Pierre Notte réjouit le Rond-Point

tristeculs

Le théâtre du Rond-Point accueille tout au long du mois de janvier deux spectacles de Pierre Notte. L’un a vu le jour à Avignon en 2011 et avait déjà connu un franc succès au festival OFF. Le second vient d’être créé pour cette saison. Les deux pièces partagent la même distribution, le même auteur et bien qu’elles soient toutes deux différentes, elle mérite tout l’intérêt du spectateur.

La dernière fois, on avait laissé Pierre Notte avec une création un peu ratée au théâtre de La Bruyère. Depuis il y a eu la tournée de son cabaret, « J’existe (Foutez moi la paix) » qui mettait en scène l’auteur et sa sœur dans des chansons légères, osées et intelligentes. Désormais, place doit être faite aux mémoires pour « Sortir de sa mère » et « La Chair des tristes culs ».

« Sortir de sa mère » : Dialogue mère-fils

Dans la première pièce, Pierre Notte est au piano. Tout commence par un dialogue entre lui et sa mère. Une discussion franche et sincère sur la vision que la mère a de ses enfants. Sur ses désirs et son amour, sur le fait d’être une femme. Un échange drôle, touchant, simplement humain qui donnera le ton du reste de la pièce.

On y suit deux jumeaux (Brice et Chloé), de leur conception à leur séparation. Mais aussi la rencontre entre leur père et leur mère, leur vie, leur mort et la vérité sur la naissance des enfants. Le texte est drôle, incisif et mélange habilement humour et poésie, une profondeur derrière une apparente légèreté et la dérision. Les acteurs sont tous les trois très justes dans toute la galerie de personnage qu’ils incarnent. Des icônes aux infirmières en passant par les héros de l’histoire. Ils sont remarquables dans leur voix comme dans leurs gestes et les chorégraphies.

La mise en scène souligne la force des acteurs qui évoluent sur un plateau nu. Ce qui n’empêche pas la vision de quelques jolis tableaux bien soutenus par la lumière magique de Nicolas Priouzeau.

Comme dans chaque spectacle de Notte, les chansons ponctuent l’action. Ce qui ajoute un effet léger, amusant, presque charmant au spectacle. Même si celui-ci traite des questions de sociétés très actuelles : la vieillesse, la maltraitance des personnes âgées, le deuil, l’abandon, la perte de la mémoire…

Ces péripéties nous mène en 1 h 10 à une fin aussi folle qu’inattendue, bien que l’on connaisse l’amour de l’auteur pour les grandes actrices aux airs d’icône…

« La chair des tristes culs » : Folie aux frontière des enfers

La seconde pièce est dotée d’un décor plus fourni, et pour cause : une marchande de crêpes accepte de louer une chambrette à un désespéré pour qu’il mette fin à ses jours. En contrepartie, l’homme lui laissera son corps pour qu’elle puisse créer une nouvelle recette savoureuse à partir de la viande qui le compose. Espérant ainsi donner un peu d’humanité à ses clients qui se font chaque jour plus rares.

Cette pièce est plus sombre, bien qu’aussi très drôle. Sur la scène se côtoient vivants et morts, dans des personnages complètement dingues et magistralement bien incarnés par de jeunes acteurs. La logeuse-marchande de crêpes borderline, dans sa réalité difficile, fait le contrepoids à une greluche briseuse de couples du monde des morts. Le contraste comme le jeu des acteurs est grandiose. Il y a celle qui veut rester en vie, celui qui veut mourir et celle qui est déjà morte. L’affrontement est brillant.

Ces remarques s’ajoutent à celle de la pièce précédente, car il y a aussi des belles chansons, bien interprétées qui ponctuent le drame. Un drame qui ne prend pas la forme à laquelle nous pourrions nous attendre. En effet, le jeune homme après avoir hurlé par la fenêtre du théâtre à l’attention des passants (pour de vrai!) un génial « Je suis une mouette », décide de ne pas mettre fin à ses jours, sauvé par le désir. Mais pour respecter son engagement, il se pèlera le cul jusqu’à en crever… La marchande pourra donc faire tourner sa boutique avec de délicieuses tranches de fesses qui fourreront ses crêpes.

Prenant parfois des airs de pastiches aux envolées lyriques, le texte est toujours excellent. Cru sans être vulgaire. Sombre sans conduire à la déprime. Dans ces deux contes, Pierre Notte est bien là, à son plus haut niveau de génie dans l’écriture, on ne peut que s’en réjouir.

Pratique : Jusqu’au 9 février au théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin D. Roosevelt (75008, Paris).
Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.theatredurondpoint.fr.
Tarifs : entre 13 € et 30 €.

Mise en scène, musique, écriture et jeu : Pierre Notte

Avec : Brice  Hillairet, Tiphaine Gentilleau, Chloé Olivères

 




Non à « Pour un oui ou pour un non » au Lucernaire

Copyright : Laurencine Lot
Copyright : Laurencine Lot

Pour ceux qui découvrent « Pour un oui ou pour un non », ce qui frappe en premier lieu c’est que cette pièce est celle qui a contribué (de façon directe ou non) à la création du plus grand succès dramatique de Yasmina Reza : « Art », en 1994. Comme dans la pièce de Nathalie Sarraute, elle met en scène les meilleurs amis du monde qui remettent toute leur vie commune en question après une intonation condescendante sur l’action de l’autre.

Néanmoins, cet ancêtre théâtral écrit dans le plus pur style « Nouveau Roman » est (textuellement) magnifique. Les mots (et les maux) échangés entre les deux amis volent haut, la joute souligne la nécessité de remettre les compteurs de leur amitié à zéro, après trop de petits détails passés sous silence, comme une cocotte minute de rancoeur qui explose entre de vieux amants.

Malheureusement, dans cette mise en scène, René Loyon nous montre deux intellectuels prise de tête dans une dispute déjà très intellectualisée par l’auteur. Le jeu est mou et mécanique, il y a déjà assez de distance dans la pièce, on attendrait plus de sang dans le comportement physique des deux protagonistes. Il y a ici trop de postures, trop de distance et de pincettes…

Les voix sont monocordes, les gestes mesurés, le tout nous laisse voir une pièce sans nuance. Le texte reste, mais perd en ironie et en passion. La goutte d’eau qui fait déborder le vase ne donne que quelques effluves alors qu’elle devrait être à l’origine d’une cascade.

Si c’est « Pour un oui ou pour un non » ? Pour nous la question ne se pose pas : c’est un non.

Pratique : Jusqu’au 2 février au Lucernaire, 53 rue Notre Dame des Champs (75006, Paris).
Réservations par téléphone au 01 45 44 57 34 ou sur www.lucernaire.fr.
Tarifs : entre 15 € et 25 €.

Mise en scène : René Loyon

Avec :  Jacques Brücher et Yedwart Ingey

 




Les Enfarinés, drôle d’Archipel !

Théâtre de l’Archipel, Xe arrondissement, un vendredi soir.
Une petite salle parisienne comme il en existe tant, à cette particularité près qu’elle fait également office de cinéma.

Mais c’est de théâtre dont nous parlons aujourd’hui.
« Les Enfarinés », la nouvelle création de Gracco Gracci, auteur et metteur en scène, se joue jusqu’au 13 janvier 2013 dans cette intimité réconfortante.

En quelques mots, la pièce nous dépeint les déboires d’un couple aux prises avec son fils, adopté, et son père biologique, puissant baron du cartel de la drogue colombien. Sans retour du fils dans son pays natal, le dangereux patriarche s’attachera à liquider le père adoptif.
Trafic de drogue, trafic d’armes, corruption, proxénétisme, tout y passe durant cette heure et demie.

Surprise dès l’entrée en scène des différents comédiens, nous n’en dirons pas plus pour vous la préserver intacte !
S’ensuit une première partie quelque peu poussive, le temps que le décor et l’histoire se mettent en place. Un début où les comédiens semblent surjouer, et usent de ficelles peu convaincantes (la réaction de la salle en témoigne d’elle-même).
Une grande inquiétude émerge alors à l’esprit du spectateur : « Et si ça ne s’améliorait pas dans les scènes suivantes ? » … On entraperçoit alors un long moment de solitude … surtout lorsque l’on se porte garant d’une belle soirée auprès de ses amis !

Mais que nenni ! (Phrase théâtrale pour un revirement de situation théâtral lui aussi)
Un déclic, une réplique, un ou deux tics … et le tour est joué !

La situation s’emballe, le jeu se déride (certains spectateurs rêveraient que ça leur arrive aussi … ), les calembours font mouche (rien à voir avec l’effet du camembert …) !
Tout s’enchaîne du tac au tac, les acteurs maîtrisent la scène et leur jeu, les fous rires retentissent. Les zygomatiques sont alors mises à rude épreuvre, pas de répit possible.
On ne fait plus vraiment attention à l’histoire et à l’intrigue qui se développe devant nous tant les gags des acteurs sont prenants.
Et le plus surprenant reste sans hésitation cet état de doute dans lequel est parfois plongé le spectateur : quid de l’improvisation ? quid de l’écriture ?

En effet, au-delà même des ficelles plutôt « traditionelles » de la comédie (calembours, comique de situation et autres décalages de ton et de langage), ce sont toutes les petites références à cela même qui est en train de se dérouler qui font mouche auprès du spectateur.
Je ne sais s’il s’agit là de « méta-communication » mais ça y ressemble fortement. Les acteurs réagissent autour et à propos même du jeu qu’ils sont en train d’offrir à une salle comblée (à défaut d’être comble) !

Et l’on vient à en faire un rapprochement avec une autre pièce, encore à l’affiche et qui connaît un véritable succès partout en France : « Si je t’attrape je te mort ». A noter d’ailleurs au rang des similitudes entre ces deux pièces, la présence à l’affiche de la désopilante Kim Schwarck. La jeune actrice excelle d’ailleurs dans la propagation du doute entre jeu / mise en scène et dérapage / improvisation / fou rire.

Le dénouement arrive presque trop vite, tant cette seconde partie est jouissive pour le spectateur.
N’allez toutefois pas chercher de message philosophico-subliminal. Pas de morale à se mettre sous la dent (juste un peu de cocaïne peut-être … ). Juste un pur moment de délectation !

les enfarinés

 

Les Enfarinés
Théâtre de l’Archipel, 17 boulevard de Strasbourg, Paris Xe
Jusqu’au 13 janvier 2013
Les jeudis, vendredis et samedis à 21h30 et dimanche à 18h30
http://www.larchipel.net/

Auteur et metteur en scène : Gracco Gracci
Distribution : Pascal Barraud, Ariane Gardel, Emmanuelle Graci, Othmane Larhrib, Siewert Van Dijk, Eliott Lerner, Kim Schwarck