Lorsque l’on sort rue de la Gaîté à Paris, c’est la légèreté et les réjouissances que l’on recherche (je fais ici allusion aux différents théâtres qui la jalonnent et non aux sex-shops). Cependant on ne sait jamais quel sort sera réservé à nos zygomatiques ?! Rira-t-on gras, jaune à la folie ou pas du tout ? Avec la pièce Une semaine pas plus au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse on rit sans se forcer et on retrouve le pavé de la Gaîté, guilleret.
Un scénario prétexte à des débordements réjouissants
Le scénario est simplissime. L’un (Paul) s’est lassé de l’autre (Sophie), sa moitié, et souhaite s’en débarrasser. Non pas la zigouiller, on ne rejoue pas un épisode de « Faites entrer l’accuser », plutôt l’éjecter cordialement de l’appartement qu’ils occupent ensemble. Pour cela, Paul aurait pu agir seul et parler à cœur ouvert à celle qui fut sa dulcinée. Mais non, c’est une manière détournée que Paul va plébisciter en passant par l’entremise (non de sa tante Artémise*, mais celle) de son meilleur ami (Martin).
La mayonnaise prend doucement mais elle prend bien
Progressivement les éléments du subterfuge imaginé par Paul (Clément Michel) pour faire fuir Sophie (Maud le Guénédal) se mettent en place : le décor, la dynamique et les rôles de chacun. La pièce mise en scène par David Roussel et Arthur Jugnot (le fils de Gérard) pâtit de certaines longueurs mais la mayonnaise monte joyeusement. Il faut dire que Clément Michel s’y emploie avec fièvre et mouille la chemise. Faire-valoir agité de ses comparses, il besogne en Sganarelle contemporain pour mettre en place sa supercherie : un beau château de sable.
La théorie du château de sable.
Bien malgré lui, la troisième roue du carrosse, Martin (Sébastien Castro), est embarqué pour pourrir le quotidien du petit-couple. Mais c’est une bonne pâte ce Martin. Il est jovial, facile à vivre, bricolo et bien élevé…. Sauf quand on lui demande d’être « vilain ». Là, Sébastien Castro se lâche et comme un môme sur la plage, piétine le château de sable dans une interprétation récréative à souhait de son personnage. Le fauve est lâché. Quelle fripouille ce Sébastien Castro qui sait faire rire sans tomber dans le lourd ou la simplicité. Voici un acteur à suivre avec, à son actif, une série de pièces qui a très bien fonctionné.
Gage de la bonne humeur qui rayonne de la pièce, on sent parfois le fou-rire poindre entre les trois acteurs. A la ville on ne sait pas – ceci ne nous regarde pas- mais à la scène ces trois là s’entendent à merveille. Un trio bien huilé, on ne regrette pas son choix. Une semaine pas plus est une comédie fort sympathique.
Gaîté Montparnasse
2 rue de la Gaîté
75014 Paris http://www.gaite.fr/actualite-theatre.php
Une comédie de Clément Michel
Mise en scène par Arthur Jugnot et David Roussel
Avec Sébastien Castro (Martin), Maud Le Guénédal (Sophie) et Clément Michel (Paul).
*Vous aviez évidemment reconnu les paroles de la chanson Le Telefon de Nino Ferrer !
Avignon 2012 – « La Nuit Tombe » grâce à Guillaume Vincent
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Spectateurs, nous sommes invités à nous installer dans un décor de maison hantée, n’ayant rien à envier à celle qui contribue au succès de Disneyland Paris. La lumière étrange et la toile placée entre le public et la scène nimbent la salle d’étrangeté. Dans cet écrin débute alors une suite de contes s’entrecoupant pendant toute la durée du spectacle.
Ce rituel scénique est mystérieux, surtout, effrayant, parfois (surtout les trente premières minutes). Les histoires mettent en scène des rencontres étranges, baignées de ces angoisses qui habitent l’enfant quand « La Nuit Tombe ». Ici, une mère fuyant un mari violent pendant la période de Noël semble avoir l’air possédée. Deux sœurs se rendent à un mariage de leur père, mais l’une fini par étrangler l’autre. Un réalisateur psychopathe agit bizarrement avec son actrice… Une autre mère envoie son gamin à la recherche d’un frère mort dans un monde proche de celui d’« Alice au Pays des Merveilles », avec placard sans fond, clé et labyrinthe.
Techniquement, le spectacle est très bien construit. Les bruitages, les sons d’ambiances, les voix trafiquées prolongent la sensation d’angoisse qui nous habite, Guillaume Vincent s’inspire des maîtres de l’épouvante : la peur est dans la suggestion.
La scénographie et le dispositif sont très beaux : une chambre d’hôtel décorée d’une grande baie en fond de scène. Le ciel, visible au travers, change au fil de la représentation. Il pleut, il neige, parfois, le ciel se teinte d’un vert à la « Sleepy Hollow », parfois d’un grand bleu à la « Shrek ». Quoi qu’il en soit, cette lumière est toujours irréelle. Elle, comme tout le spectacle, taquine la réalité avec des pincées de fiction.
L’ombre de la mort en souffrance plane sur chaque scène, sans jamais frapper complètement. Elle est l’épée de Damoclès des personnages. « La Nuit Tombe » est un objet théâtral attrayant, étrange et très ludique, il faut le reconnaître. La profondeur des histoires passe au second plan derrière la technique. Une création qui ne manquera pas de plaire aux jeunes et aux publics peux enclins à fréquenter les salles de théâtre.
Tournée :
Du 8 janvier au 2 février 2013 au Théâtre des Bouffes du Nord (Paris)
Les 7 et 8 février 2013 au Théâtre de Beauvaisis – Scène Nationale de l’Oise
Du 13 au 15 février à La Comédie de Reims
Le 8 mars au Mail – Scène Culturelle de Soissons
Le 12 mars au Théâtre de Cornouaille – Scène Nationale de Quimper
Les 3 et 4 avril au Centre Dramatique National Orléans/Loiret/Centre
Le 8 avril à Alençon – Scène Nationale 61
Les 11 et 12 avril au Parvis – Scène Nationale de Tarbes
Du 16 au 19 avril Théâtre des 13 Vents Centre Dramatique National de Montpellier
Le 30 avril à l’Espace Jean Legendre Compiègne – Scène Nationale de l’Oise
Texte & Mise en scène : Guillaume Vincent
Avec : Francesco Calabrese, Emilie Incerti Formentini, Florence Janas, Pauline Lorillard, Nicolas Maury, Susann Vogel et les voix de Nikita Gouzovsky, Johan Argenté et les visages de Thibaut-Théodore Babin, Io Smith.
La Nuit Tombe… a été créé le 10 juillet à la Chapelle des Pénitents Blancs en Avignon.
NAVA 2012 – « Le Kiné de Carcassonne »
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Une fois n’est pas coutume, Jean-Marie Besset, auteur français habitué aux pièces « sérieuses » a écrit une véritable comédie, « Le Kiné de Carcassonne », à quatre mains avec Régis de Martrin-Donos, jeune auteur de 24 ans, dont Arkult vous avait parlé l’an dernier.
Cette pièce pour rire a été confrontée au public Limouxin, forcément sensibilisé à la géographie de la ville médiévale voisine. Elle raconte l’histoire d’une famille qui débarque à New-York, dont le père vient de perdre un frère. La bande provinciale est bien décidée a récupérer l’héritage de celui-ci. Ils seront empêchés par les véritables proches du défunt. Commence alors une grande escalade du n’importe quoi dans le dédale des rues de Manhattan.
Le couple père-mère de la famille française est tordant et explosif. Elle, prof’ de lettre dépressive est accrochée à sa thérapeute, elle compte sur ce voyage inopiné pour reconquérir son mari. Ce dernier n’a d’yeux que pour la fortune de son frère, et les fesses de la colocataire de celui-ci, danseuse new-yorkaise qui finira par succomber à son charme ringardisant. Ce même père qui invite sa fille à coucher avec le notaire pour le convaincre de lâcher du lest. Sans oublier l’irradiante danseuse américaine, qui rejoue pour le mari la scène des pétales de rose d’American Beauty au milieu du gazon de Central Park. Elle a l’accent américain tombant parfois vers celui de Carla Bruni, ce qui ajoute encore à la fulgurance comique.
Succès annoncé
Tout le mécanisme de la comédie à tiroirs marche à merveille. Les rebondissement incessants sont vifs, à contretemps : le rire n’arrive pas forcément lorsqu’on l’attend. Cet aspect est particulièrement bien écrit, c’est par l’escalade de l’absurde et la véritable surprise que cette comédie se distingue des « Clan des Divorcées » et autre « Faites l’amour avec un Belge » qui elles sont prévisibles et proches du niveau drôlatique d’un téléfilm d’M6 en après-midi.
Chaque thème porte à rire, les ploucs ahuris par les grattes-ciels, sombrant dans la débauche, tout comme les parodies de répliques américaines, jusqu’aux échos à des faits d’actualité. « Ne bougez-pas, je suis kiné » pourrait devenir une réplique culte. En concurrence avec « La place Carnot de Carcassonne, c’est comme Time Square ».
Malgré l’éclat annoncé de cette comédie brillante et bien que l’on ne s’ennuie pas, quelques petites répliques, font perdre du rythme à la pièce.
Le texte manque parfois de naturel, de fluidité et semble un mécanique par endroit. Certaines scènes qui ajoutent de la profondeur aux personnages ne sont pas indispensables (ça reste une comédie) et ces tentatives cassent l’entrain au moyens de quelques verbiages inutiles.
Gardons à l’esprit que c’était une première lecture réussie. Ébauche nouvelle de ce qui sera un immense succès, mérité.
Tournée :
– En projet de création.
Avec : Raphaëline Goupilleau (la mère), Pierre Cassignard (le père), Félix Beaupérin (le fils), Agathe Le Bourdonnec (la fille), Arnaud Denis (Raoul), David Zeboulon (Winston), Chloé Olivéres (Isabella).
Mise en espace : Gilbert Désveaux
NAVA 2012 – « Car tu es poussière » de Pinter
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Le festival NAVA (Nouveaux Auteurs dans la Vallée de l’Aude), est l’occasion de découvrir des textes presque inédits, dans un cadre insolite. Le 27 juillet 2012, une nouvelle traduction de « Car tu es poussière » d’Harold Pinter était donné à Limoux dans l’abside d’une ancienne église aujourd’hui transformée en musée du piano.
La pièce met en scène un homme et une femme, chez eux, de part et d’autre de la scène. Elle l’a trompé. Il essaye de comprendre. Ce dialogue « anodin », aux accents pasoliniens, devient alors prétexte à d’autres découvertes que l’on comprendra avoir été inspirées à travers le prisme traumatique de la seconde guerre mondiale.
Dans ce qui est raconté, on ne sait rapidement plus ce qui est réalité ou fiction. Alors pris dans une spirale de folie douce, entraînante, de ce couple à la dérive en recherche d’un récif auquel se raccrocher. La mise en scène fait l’économie de mouvements au profit d’une tension palpable entre les deux personnages.
Le texte est accrocheur, lancinant et hypnotique. Bien que très clair, les mots nous entretiennent dans un voyage embrumé de souvenirs mystérieux dans un monde aux accents imaginaires, où la demi-absence de la femme laisse la possibilité au spectateur d’extrapoler l’échange dans des sphères invisibles.
On assise à la « refragmentation » de souvenirs dans notre société de l’oubli. Une pièce fine où les personnages semblent pouvoir à tout moment sombrer dans une démence, inquiétante, et pas seulement pour eux…
« Car tu es poussière » de Harold Pinter
Tournée :
En projet de création pour 2013-2014
Avec : Anne Loiret, Jacques Allaire
Mise en scène : Séphane Laudier
Avignon 2012 – « Nouveau Roman », sauce Honoré
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Christophe Honoré n’en est pas à son premier passage au festival d’Avignon. En 2005, il y présentait « Dionysos impuissant », en 2009 il revenait pour un drame d’Hugo, « Angelo, tyran de Padoue ». Cette année, trois de ses créations sont programmées, parmi lesquelles « Nouveau Roman », qui retrace l’histoire du mouvement littéraire éponyme avec ceux qui l’ont créé. Chronologie indissociable des éditions de Minuit dans la France de l’après-guerre.
Tous les acteurs sont sur scène en permanence. La scénographie mixe les attributs du tribunal et ceux du plateau télévisé. Bien que bourrée d’anachronismes (des téléviseurs à écran plat diffusent ponctuellement le témoignage d’auteurs actuels), l’ambiance des années cinquante est très parisienne. Le temps passe mais le papier peint ne se décolle pas.
Le Nouveau Roman est recréé devant le public, le temps qui passe est ponctué des prix gagnés par les auteurs (Renaudot, Goncourt et Nobel), une horloge en fond de scène indique l’heure, le public ne perd pas la notion du temps.
On pense alors aux collectifs d’artistes et écrivains qui ont fait le foisonnement littéraire de la France, jusqu’à l’hisser comme la première nation en nombre de prix de Nobel en la matière. La pièce est riche, nostalgique, érudite, la radicalité habite les concepts énoncés.
Difficile de trouver des équivalents à notre époque. Que donnerait un cercle de réflexion réunissant Foenkinos, Levy et Musso ? L’idée même porte à sourire, la possibilité d’un mouvement baptisé la « Nouvelle Naiserie »,« L’Amour Plat », ou tout simplement « La SNCF » ? Le collectif n’est pas dans l’air du temps, il n’a plus sa place, les auteurs sont seuls et le groupe du « Nouveau Roman » nous le rappelle.
Au premier abord très dense, l’humour fin, la salsa et les chansons apportent légèreté et respiration au texte, composé d’écrits et d’interviews. Des mots dits en majorité sous la forme du discours, un micro à la main. Les interventions des héros (Alain-Robbe Grillet et un Jérôme Lindon très matriarcal en tête) nous replongent dans les questions posées en cette période d’intense émulsion cérébrale, rare et réussie, sans pour autant n’être qu’une pièce-documentaire. Composée de dialogues aériens, intellectuels, vifs, on ne tombe pas la « private joke » pour public savant.
Les discussions de bureau (et quel bureau !), alternent avec les moments de solitudes des protagonistes où chacun raconte son expérience de la guerre, sa rencontre avec différents types de sexualité, ses remises en question.
Chacun des comédiens montre une maîtrise particulièrement impressionnante à habiter la psychologie de son personnage. Peu avant l’entracte, le public est invité à poser des questions à la bande. On peut questionner Jérôme Lindon, Nathalie Sarraute ou Claude Ollier comme si ils étaient face à nous. Ici, les réponses forcément improvisées sont déstabilisantes de justesse.
Le « Nouveau Roman » à la sauce Honoré n’est pas une pièce littérale où les extraits de livres donnent des indications sur la vie de leurs auteurs (ce qui aurait été dur pour cette bande en particulier). Rigoureuse sans se prendre au sérieux, à la fin de la pièce, Jérôme Lindon classe les auteurs par « importance ». Une importance dont le critères est le nombre de noms de rues, d’écoles et places publiques qui portent le nom de chacun. Pour le public, ils seront tous inoubliables.
Tournée :
– Du 10 au 12 octobre 2012 au CDDB-Théâtre de Lorient Centre Dramatique National
– Les 17 et 18 octobre 2012 au Théâtre de Nîmes
– Du 23 au 26 octobre 2012 au Théâtre National de Toulouse Midi-Pyrénées
– Du 7 au 10 novembre 2012 à la Maison des arts de Créteil
– Du 15 novembre au 9 décembre 2012 à La Colline – Théâtre National à Paris
– Du 10 au 12 janvier 2013 au Théâtre Liberté de Toulon
– Du 17 au 19 janvier au Théâtre de l’Archipel à Perpignan
Nouveau Roman a été créé le 8 juillet 2012 dans la Cour du lycée Saint-Joseph, Avignon.
Avignon 2012 – The Master and Margarita, du jamais vu
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Après Le Suicidé en 2011, la Russie comme symbole de la lutte contre l’oppression est encore bienvenue en Avignon. Le britannique Simon McBurney s’est emparé du chef d’œuvre de Mikhaïl Boulgakov, « Le Maître et la Marguerite », pour sublimer la Cour d’Honneur de façon monu-mentale.
Le Maître est un écrivain qui n’a pas supporté la critique littéraire moscovite, à tel point qu’il se retrouve en hôpital psychiatrique. Marguerite, celle qu’il aime, veut l’en libérer. Heureux hasard de la vie, Satan et sa suite rôdent justement dans cet empire soviétique des années trente, ils « viendront en aide » à Marguerite sans se faire prier.
Toute la pièce est jalonnée d’effets spéciaux vertigineux projetés sur les murs du Palais. A eux seuls, ils méritent le déplacement. Le Palais des Papes grandit, s’effondre, elle est le ciel de Jérusalem et de Russie. Bien heureusement, ce n’est pas la seule richesse qui découle de cette adaptation. Dès les premières minutes, les histoires croisées se chevauchent dans une ambiance étrange où chaque scène baigne dans le mystère.
McBurney réussit la prouesse virtuose de nous dépeindre une fresque romancée (et à la faire exploser !) où les époques se croisent sur le fil. Le dispositif est rendu possible par une mise en scène millimétrée, soutenue par un jeu de lumière précis. Les comédiens, tous excellents, réussissent à s’employer parfaitement au service de la furie créatrice du metteur en scène. Mention particulière pour celui qui est le Satan glacé et le Maître dépressif, Paul Rhys.
Le texte critique et révolutionnaire (largement censuré dans l’URSS de Staline), pose la question de l’autorité, de la possession du pouvoir, de l’amour entre les peuples, de la compassion. On y reflue les symboles, on bouscule les codes jusqu’à croire ouvertement en Dieu dans une Russie « communiste ». L’Hymne patriote est coupé avec des « shut up ! » hurlés par le chat du diable.
Se risquer à la comparaison avec notre époque semblerait simpliste, il est plus sage de se laisser entraîner par l’histoire, importante en son temps, où les interrogations sur la condition humaine sont récurrentes. Le professeur Woland (Satan), pose à plusieurs reprises la question, « les gens ont-ils changé ? ». Non, bien évidemment, aujourd’hui pas plus qu’hier.
« Le Maître et la Marguerite » dure trois heures (sans entracte). Quelques passages plus « psychologiques », parties intégrantes de l’action, font perdre un peu de rythme à cette création brillante. Du jamais vu en Avignon, c’est certain.
Jusqu’au 16 juillet dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes d’Avignon
Tournée :
– Du 25 au 28 juillet au GREC de Barcelone
– Du 2 au 10 février 2013 à la MC93 de Bobigny
Mise en scène : Simon McBurney
Avec : David Annen, Thomas Arnold, Josie Daxter, Johannes Flaschberger, Tamzin Griffin, Amanda Hadingue, Richard Katz, Sinéad Matthews, Tim McMullan, Clive Mendus, Yasuyo Mochizuki, Ajay Naidu, Henry Pettigrew, Paul Rhys, Cesar Sarachu, Angus Wright.
Le Maître et Marguerite est adapté du roman de Mikhaïl Boulgakov, oeuvre posthume publiée en URSS en 1966 dans une version amputée, mais écrite entre 1928 et 1940, année de sa mort. Ce roman est disponible en Pavillon Poche chez Robert Laffont.
Avignon 2012 – William Kentridge épris de temps
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Dans l’opéra d’Avignon, théâtre italien situé sur la place de l’Horloge, William Kentridge partage avec le public ses interrogations sur le temps. Réflexion qu’il a entamée avec le physicien américain Peter Galison.
Kentridge est un artiste pluridisciplinaire. Il est homme de théâtre, plasticien et dessinateur (c’est à lui que l’on doit l’affiche du festival cette année). La scène est un reflet de sa personne. Elle est une sorte de fourre-tout créatif où le brouhaha d’un orchestre qui s’accorde accueille le public.
Pendant 1 h 30, acteurs, musiciens, chanteurs interrogent le temps qui passe, aidés par des vidéos surréalistes et autres machines silencieuses que les occupants des planches actionnent tout en dansant des chorégraphies contemporaines.
Le spectacle est une alternance entre chansons et réflexions lues par Kentridge. Tous les temps y passent, de la création à la destruction. Il est heure, destin, joie et mort. On commence par le mythe de Persée pour arriver à la frayeur des trous noirs interstellaires. Entre les deux on passe par le temps des colonies d’où le metteur en scène est originaire (Afrique du Sud).
Parfois amusant, souvent ennuyeux (il faut ajouter à la représentation le temps de la montre que l’on consulte), le rendu est assez brouillon tellement le sujet est vaste, même si l’aspect poétique et ironique sont intéressants. Une mention particulière à cette vocaliste qui réussit la prouesse de chanter en reverse.
Au final, ce « Refuse the hour » ne convainc pas part son sujet, mais plutôt par la manière, un peu à la Tim Burton, dont il est traité. Une (petite) victoire de la forme sur le fond.
Jusqu’au 13 juillet à l’opéra-théâtre d’Avignon
Tournée :
– 15 au 18 novembre 2012 au Teatro Argentina de Rome dans le cadre du
festival RomaEuropa
– 22 au 25 novembre 2012 à l’Onassis Cultural Center d’Athènes
Mise en scène : William Kentridge
Avec : Joanna Dudley, William Kentridge, Dada Masilo, Ann Masina, Donatienne Michel-
Dansac, Thato Motlhaolwa, Bahm Ntabeni.
Musiciens : Waldo Alexander, Adam Howard, Tlale Makhene, Philip Miller, Vincenzo
Pasquariello, Dan Selsick, Thobeka Thukane.
Spectacle créé le 18 juin 2012 au Holland Festival (Amsterdam)
Hernani, drame moderne
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Cigales, chaleur, temps lourd, c’est dans une ambiance un peu triste de fin de vacances que le Printemps des Comédiens a clos le second chapitre de l’ère Jean Varela. Mais parce que la dernière nuit est souvent la plus belle, le public a pu assister à la création de « Hernani » par la Comédie Française, dans une mise en scène bi-frontale de Nicolas Lormeau.
La voix de Thierry Hancisse introduit le propos en lisant des phrases choisies de préfaces de Victor Hugo, dans un passage, l’auteur définit le drame… Celui-ci doit répondre à l’attente de la foule en l’amusant, du penseur en le conduisant à la méditation et de la femme en lui procurant de l’émotion. Telle est l’ambition d’Hernani. Ce timbre descriptif nous accompagnera durant toute la représentation : c’est elle qui lit les didascalie en début d’acte, comme pour planter le décor.
Un décor magnifique, bien que les comédiens évoluent sur un plateau vide. Grâce aux lumières d’abord, chaque scène est baignée dans une ambiance particulière, irréelle, soulignant le désir d’onirisme voulu par Nicolas Lormeau, des tableaux atteignent une beauté extrême. La musique de Bertrand Maillot complète cette vision, toute en étant discrète, les notes sont importantes, elles soutiennent la mélancolie et le drame aux instants clés de l’action, devenant parfois la septième comédienne de la pièce.
Tout au long de la pièce, on « entend » le texte (sous réserve de ne pas être en haut des gradins, le jeu en extérieur est injuste avec les spectateurs). Les paroles du drame sont vécus, ingérés par des comédiens maîtrisant l’art de la nuance. Les répliques vivent, conformément au désir d’Hugo de briser les règles du théâtre classique, elles sonnent avec un écho de modernité, 180 ans après leur écriture. « Je ne suis qu’un vieux dont les jeunes vont rire ».
Capter les mots
Donner au public la possibilité de capter la beauté des mots, c’est le défi des metteurs en scène contemporains. Faire en sorte que des vers centenaires soient « entendus » aujourd’hui. Le Printemps des Comédiens 2012 a soutenu des créations allant en ce sens. Il n’y a qu’à relire le programme pour réaliser : Le Bourgeois Gentilhomme (m.e.s de Denis Podalydès) ou Antigone (m.e.s de Gwenaël Morin) résonnent avec bien plus de sens que la prose de Brecht (m.e.s par Antoine Wellens).
Dans le « Hernani », Nicolas Lormeau a, en plus, la chance que tous les acteurs soient justes et brillants (mais on en attendrait pas moins du Français!). On sent l’hésitation, le caractère et l’humanité de chaque personnage, ils ne semblent pas de simples comédiens en costume jouant des vies poussiéreuses. On est pris dans leur histoire, les sanglots montant parfois à la gorge ou bien les rires portés par la situation absurde, fort bien mises en valeur. La folie et le désespoir de l’action finale sont bouleversants. Ce couple sublime composé de Félicien Juttner et Jennifer Decker sombre dans un abîme shakespearien réussi, « Voilà notre nuit de noce commencée, je suis bien pâle pour une fiancée », murmure Dona Sol.
Enfin, le metteur en scène a fait le choix de transposer les personnages au XIXe siècle (l’action se situe normalement peut avant le couronnement de Charles Quint en 1519), ce sont donc des gentilshommes en costumes qui sont sur scène et non plus des Grands d’Espagne, les revolvers nous le rappellent souvent.
Ce drame où toutes les actions sont portées par la question de l’honneur souligne la douleur que les hommes ressentent vis à vis (de la plus belle) des femmes. Elle interroge la place du mari et de l’amant sans érotisme tapageur. Victor Hugo savait manier l’élégance des sentiments débarrassés de son animalité.
« Hernani » par Nicolas Lormeau a été créé le vendredi 29 juin 2012 en clôture du Printemps des Comédiens. Il sera repris au théâtre du Vieux-Colombier (Paris VI e) du 30 janvier au 17 février 2013.
Mise en scène : Nicolas Lormeau
Distribution : Catherine Sauval, Bruno Raffaelli, Jérôme Pouly, Félicien Juttner, Jennifer Decker, et Elliot Jenicot.
Stress et rage à tous les étages
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La pièce BUILDING s’ouvre sur une mi-scénette drôlissime propre du au quotidien citadin : le métro.
Au petit matin, compressés, stressés, pressés on découvre les protagonistes de la pièce.
On les suit tout au long de leur journée, on les poursuit comme caméra au poing dans les moindres recoins du bâtiment où ils travaillent.
Témoins indiscrets de moments « de craquage » collectif ou individuel.
D’étage en étage, standardistes, directeurs, consultants, agents de surfaces sont tous logés à la même enseigne.
Tous logés à la même enseigne
Amandine :
Ils sont cinq, traits tirés, visages pâles, à supporter l’humeur et l’haleine de leur voisin de métro. Ils sont fatigués de bon matin, déjà usés par une vie professionnelle qui les ennuient. Ils pointent, saluent leurs collègues, suivent un client, prennent une pause. Tous logés à la même enseigne, celle de Consulting Conseil, ils s’émiettent.
Stef :
L’aliénation de l’homme par l’homme voici ce que j’ai vu sur scène.
Ce dont j’ai rit, car ces instants de vie « professionnelle » poussent au paroxysme des situations ubuesques.
Ce qui est hypnotisant, tant le rythme entretenu par les mouvements du décor et les chorégraphies ultra-rythmées est fou.
Ce qui au final m’a fait grincer des dents car ce ballet des ambitions personnelles et des concepts américains porte à voir une fuite en avant folle et criante de vérité.
Amandine :
Derrière cette mosaïque de travailleurs se cachent des hommes et femmes au bord du gouffre qui outrepassent les limites. Avec une parfaite maîtrise de l’espace, des décors et de leurs personnages, les acteurs proposent au public un panel (effrayant) de situations cocasses, nous permettant ainsi de rire de la folie humaine. Parfois vulgaires ou surfaits mais souvent drôles et touchants, ces petits sketchs donnent, au final, plus envie d’être acteur que consultant.
Du 9 Mai au 30 Juin 2012 du mercredi au samedi à 20h30 et le dimanche à 15h
Mise en scène :Catherine Schaub
Chorégraphies :Magali B.
Costumes :Julia Allègre
Scénographie : Sophie Jacob
Lumières :Vincent Grisoni
Son :Aldo Gilbert
Comédiens :Miren Pradier, Léonore Confino, Olivier Faliez, Yann De Monterno et Bruno Cadillon.
Une puce bien épargnée
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Une nouvelle auteur fait son entrée au répertoire de la Comédie Française en cette fin de mois d’avril. Pour la première fois en France, « Une puce, épargnez-la ! » de l’Américaine Naomi Wallace, dramaturge et poète, est donnée en public dans une mise en scène d’Anne-Laure Liégeois.
Mr et mrs Snelgrave attendent patiemment, face à leurs grandes baies, la fin d’une quarantaine. Au crépuscule du XVIIe siècle, la peste noire sévit partout en Europe. Leurs domestiques en sont morts et les deux maîtres n’ont plus que quatre jours à tenir en viepour prouver leur bonne santé.
C’était sans compter que deux intrus allaient s’introduire dans la maison, l’un par la cave et l’autre par la cheminée, à quelques jours de la libération. Kabe, le garde, les a vus. La quarantaine est naturellement prolongée d’un mois supplémentaire. Une longue attente se dessine pour les habitants de la demeure, légitimes ou non. Ils vont désormais vivre entre deux pièces, le salon et la cuisine. Une aventure de l »intime commence.
La scène est baignée dans une lumière étrange, reflétant le sombre intérieur d’une maison close de l’extérieur. Tout est nuance de noir et de blanc. Les costumes stricts des propriétaires, les guenilles de Bunce, l’un des intrus, ne font pas exception. Les visages sont blanchis de n’avoir vu le soleil depuis des semaines. Les murs nus de la bâtisse poussiéreuse ont une couleur oscillant entre le gris et le vert. La seule touche de couleur durant toute la pièce, c’est la robe jaune de Morse, l’autre intrus, une gamine de 12 ans dont la mère est une domestique morte dans la maisonnée.
Le public assiste à une escalade vers le plus profond de l’être de chacun des personnages, chaque instant est propice à une révélation sur l’un des occupants du plateau. L’une vit dans un corps calciné, l’autre déserte la guerre et la violence tant qu’il peut… Ces découvertes sont accompagnées de la folie progressive causée par l’enfermement prolongé et la cohabitation forcée entre riches méconnaissant la réalité de pauvres qui la fréquente au quotidien.
Le choix de mise en scène fait par Anne-Laure Liégeois donne à voir une succession de tableaux, séparés distinctement par un procédé répétitif aveuglant et assourdissant le public, c’est dommage, car cette astuce nous fait, « sortir » de la pièce et nous libère, malgré nous, de l’ambiance close et silencieuse installée dans la salle. Dès lors que les projecteurs s’éteignent, la scène est à nouveau visible et le décor a évolué, les personnages l’occupent comme les modèles d’une composition picturale précise, très esthétique.
Les acteurs tous excellents, Guillaume Gallienne est méconnaissable en quinquagénaire anglais, cruel et colérique, quant à l’introduction et la conclusion du récit interprété par la puce, Julie Sicard, sont captivantes. La dernière description qui parle de Londres après le départ de la peste est magnifique et nous offre un final plein de sérénité après deux heures de remous intérieurs.
« Une puce, épargnez-la ! » au théâtre éphémère de la Comédie-Française (Place Colette, Paris)
Mise en scène : Anne-Laure Liégeois
Distribution : Catherine Sauval, Guillaume Gallienne, Christian Gonon, Julie Sicard, Félicien Juttner
Jusqu’au 12 juin – Informations supplémentaires et réservations sur le site de la Comédie Française
O. Giraud – Je ne suis pas parisienne, ça me gène, ça me gène…
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How to become a Parisian in one hour ?
Voila ce à quoi l’humoriste français mais English speaker, Olivier Giraud, s’efforce de répondre. A grand renfort de mimiques et de participation d’un public à 80% non-français* mais 100% survolté !
Tous les clichés y passent : impolis, pressés, le parigot a les oreilles qui sifflent. Dans le métro, au resto, à bord d’un taxi, en boîte de nuit ou tout simplement dans son appartement. Les scénettes se succèdent rythmées et réjouissantes.
Le show met en avant les aspects peu sympathiques du caractère de l’habitant de la ville lumière, cette ville qui fait tant fantasmer les touristes du monde entier. Ils en rêvent et puis ils découvrent l’envers du décor de ce paysage de films, ses habitants.
La caricature est facile néanmoins par un jeu d’opposition avec le comportement d’autres nationalités (Anglais, Américains ou Allemands). Olivier Giraud use de toute sa « French Arrogance » pour créer quelque chose de nouveau par une mise en abîme tordante.
A voir absolument :
si vous avez un peu de recul sur le comportement des parisiens; parce que vous n’êtes pas né à la capitale (oh! mon dieu un provincial) ou que vous avez voyagé,
si vous êtes accompagné d’amis non Français confrontés à ce « choc » qu’est le parisien,
ou tout simplement vous avez une once d’auto-dérision!
Déjà trois ans qu’il triomphe au Théâtre de la main d’Or.
A partir du 4 juillet, c’est au Théâtre des Nouveautés qu’il fera le show, toujours 100% en anglais.
* Ou tout simplement d’origines étrangères… chaque soir plus de 30 nationalités dans le public d’How to Become a Parisian in one hour!
Denis Lavant : « Céline, ce n’est pas de l’alexandrin mais c’est presque du vers »
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S’attaquer à Céline, l’affaire périlleuse que voilà, avais-je pensé !
C’est dans le refuge boisé du théâtre de l’Epée de Bois que Denis Lavant joue jusqu’au 15 avril prochain, une mise en scène de la correspondance de Céline, « Faire danser les alligators sur la flûte de Pan ». La mise en scène est sobre, relevant à merveille la puissance du texte – et du jeu de son comédien. L’histoire, linéaire suivant le parcours de Céline. Un parti pris qui pourrait rebuter mais qui par le tressage avisé d’Emile Brami emporte le spectateur dans un Voyage jusqu’aux portes des années 60. Jusqu’à la mort de l’exilé de Meudon.
Nécessaire!
C’est un peu en alligator chahutée que je suis allée à la rencontre de Denis Lavant pour creuser son mystère Céline. Et c’est avec une tasse de thé et de gros éclats de rire (beaucoup) qu’il a accueilli mes questions de grande bécasse toute en admiration.
Extraits.
Votre premier contact avec Céline?
Mon premier contact, ça date de quand j’étais lycéen. C’est ma soeur, je crois, qui me l’avait fait découvrir. Le Voyage au bout de la nuit. J’en ai gardé un souvenir assez marquant. Des images très fortes de ce roman. Mon père était assez amateur de ses livres, il a lu un peu tout. Je m’en suis détaché un peu, à cause de l’aura que trimbalait Céline. Son attitude antisémite, avant la guerre et pendant. Ca m’a un peu dégoûté, je m’en suis méfié un temps.
Et je n’ai pas forcément pour attitude de lire tout d’un écrivain. Parfois, des oeuvres me marquent et ça me nourrit longtemps.
En fait, j’ai vraiment replongé dans l’écriture de Céline au moment où on m’a proposé ce spectacle.
Et par rapport à cette défiance dont vous parliez, au moment où Ivan Morane vous a proposé le rôle, est-ce qu’il n’y a pas eu des réticences au début ?
Ah si, d’entrée, j’étais vraiment réticent. Je me suis beaucoup interrogé. Est-ce que ça valait la peine d’endosser cette personnalité un peu monstrueuse dans tous les sens, dans le génie et dans l’abjection ?
Ce qui m’a poussé à accepter, c’est aussi la manière de parler d’une époque. Oui, le reflet d’une époque. Ses pamphlets antisémites, il est le reflet d’une attitude assez nauséabonde de l’époque d’avant-guerre, en France, d’une partie de la population, de la presse.
Mais ce qui m’a passionné d’un coup, c’est la trajectoire. Ce n’était pas juste d’exposer sa pensée sur la littérature, sur les évènements de Céline. C’est aussi tracer l’itinéraire d’un homme à travers le 20e siècle. Et de voir comment il est absolument constant dans son art, dans son idée de l’écriture, et comment il est absolument contradictoire dans sa manière de manifester ses sentiments, même par rapport à lui. Même sa manière de considérer le fait d’écrire. Il se justifie. Il désacralise tout le temps l’écriture.
Je suis parti de sa partition. Il y avait des choses en moi qui avaient retenti à la lecture de Voyage et Mort à Crédit. Et de l’écoute de ses entretiens. C’était Léos Carax qui m’avait passé ça. Avec des chansons aussi qu’il chante lui même.
Du mimétisme
Et ce dont je me suis efforcé, c’est d’éviter de rentrer dans un mimétisme. Y’a tels entretiens. (Il se lève pour chercher un coffret Céline)
J’évitais de le regarder pendant le travail. Mais malgré tout, à force d’avoir à faire avec son rythme, son écriture, y’a une espèce de scansion, de respiration qui est proche de la manière dont il fait.
Et comment on s’y prépare?
Il y a un ouvrage qui m’a énormément éclairé, par rapport à sa trajectoire. C’est sa thèse de médecine qui s’appelle Semmelweis. Il y parle d’un Hongrois du début du XVIIIe siècle qui a eu le premier l’idée de la profilaxie, c’est à dire l’idée qu’on avait besoin de se laver les mains, de se désinfecter, et ce, bien avant Pasteur.
Il raconte le cas d’une maternité à Vienne où des étudiants en médecine opèrent des cadavres et qui, après, vont toucher des femmes. Forcément, ça trimballe des maladies, des fièvres. Semmelweis commence à cerner le problème mais il se fait jeter de partout. Et Céline choisit de raconter ça. C’est déjà dans un style flamboyant. En même temps, on ne peut s’empêcher de penser que c’est proche de sa propre trajectoire. Semmelweis se retrouve complètement isolé de tout le monde, avec son idée, sa prémonition d’améliorer le sort des humains. En se lavant les mains. (Il rit) Ca m’a beaucoup aidé sur la trajectoire du bonhomme.
Et par rapport à la mise en scène qui est très sobre, l’idée derrière, c’est les mots, le jeu qui se suffisent à eux même?
Vous savez, pour moi, il y a différentes manières d’aborder la mise en scène. Vous dites qu’elle est sobre, oui, elle est élémentaire. Elle est pensée, elle est éclairée, elle est absolument conséquente mais il n’y a pas de choses extraordinaires, y’a pas de décoration en plus. D’écrans. De surabondance d’éléments extérieurs. Mais ce serait étouffer le propos sous de la surcharge.
Là, tous les éléments qui sont sur le plateau servent. Tout est mis en jeu. Pour moi, le jeu théâtral repose principalement sur l’évocation. Et après, c’est le comédien qui avec son corps et la parole, qui va faire exister, raconter une histoire. Pas besoin de rajouter des paillettes, du strass, des effets de jupes et de rideaux (Il rit comme un enfant)
Dans le spectacle, la notion de stylisme revient plusieurs fois autour de Céline – vous, l’êtes-vous, styliste en tant que comédien?
Je pense que le style s’applique surtout à l’écriture, au travail de création. En tant que comédien, je suis interprète. Mon propos, c’est d’aller vers le plus de possibilités d’interprétations.
Ma propension, c’est de me mettre en danse avec n’importe quel texte. Parce que c’est mon plaisir. C’est mon premier langage.
Là où je trouve Céline très juste, là où ça me touche, c’est qu’il parle avant tout d’émotion. Son style est au service de l’émotion.
On peut être très virtuose dans une technique mais c’est soutenu par le désir de faire passer une émotion. Il dit « je ne veux pas narrer, je veux faire ressentir ».
Le seul moyen que j’ai trouvé pour comprendre, accéder à la parole théâtrale, c’est l’émotion. Si on est dans une émotion en phase avec ce qui est dit, forcément, il n’est plus question de justesse ou de fausseté. Le corps. Tout se met en branle pour livrer passage à l’émotion.
Et après, il ajoute le rythme Céline. Ca m’a beaucoup parlé. Chez tous les écrivains, la personnalité humaine de l’écrivain est déposée dans l’écriture. Par le rythme. La pulsion. La respiration. Céline a mis le doigt dessus dès le début. Le rythme, « la certitude, le bal des ténèbres ». Si le rythme est juste, ça avance. (Il frappe des mains) Chez lui, c’est pas de l’alexandrin, mais c’est presque du vers.
Vous parliez du rapport au corps précédemment. La voix, c’est quoi, un prolongement du langage corporel ? Ou quelque chose que vous distinguez?
Non, je les traite en même temps. J’essaie de joindre le geste à la parole. Pour moi, c’est l’idéal. Mais pas facile à gérer. Effectivement, il y a des comédiens qui ont un rapport, une aisance dans l’expression orale, et qui peuvent être très empêtris, patauds, lourds ou malhabiles dans leur déplacement. Dans mon cas, j’ai d’abord versé dans le mouvement, parce que c’était plus facile. Le langage, a quelque chose de fugace. Le geste, on peut l’imprimer. La parole, c’est autre chose, ce sont des ondes sonores. Ca s’échappe.
Mais justement, comment faites-vous ?
Sculpter. Les deux sont en rapport avec l’imaginaire. Avec le corps, on peut créer, suggérer de l’image. Les mots, eux, se mettent à retentir quand ils sont investis d’une image. C’est pas juste du son signifiant, c’est du signifié. Mince, je me mets à parler linguistique. (Il éclate de rire)
Et plus le signifié est dense, et plus l’image qui est intrinsèque au mot que vous référez est concrète, intense, colorée, a de l’étoffe, plus ça parvient, plus le mot retentit. La prononciation est juste quand elle est en phase avec l’imaginaire. Ce sont deux canaux qui se complètent.
Et cette maîtrise du langage corporel que vous avez, nécessite-t-elle une discipline, une préparation particulière?
Absolument pas. Je n’ai pas de training. Je me mets en branle : sur scène. Je ne m’échauffe pas avant de jouer, j’essaie de rester calme. Et surtout d’être prêt. D’être disponible. En allant au théâtre, je suis déjà dans une démarche physique, dynamique au monde. Je marche, je n’ai pas de voiture. Je me mets, par plaisir, par goût, dans ce rapport à la vie, de m’amuser, d’être dans un rapport ludique mais poétique par rapport au quotidien. Je marche dans la rue, je ne suis pas enfermé dans un confort. Dès que je sors de chez moi pour aller au théâtre, je vais vers la représentation.
Mon idéal, c’est d’être prêt à jouer. Ca me fait marrer, mais c’est comme dans les films de kung-fu. J’ai toujours trouvé ça admirable que les gars, dans n’importe quelle situation, soient affutés tout le temps. Ils sont tout de suite prêts. Je trouve ça formidable. Prêt à jouer. N’importe quand. D’être disponible, en fait !
Faire danser les alligators sur la flûte de Pan.
Une mise en scène d’Ivan Morane, sur une mise en textes d’Emile Brami, à partir des correspondances de Céline.
Avec Denis Lavant.
Au théâtre de l’Epée de Bois, à La Cartoucherie, jusqu’au 15 avril!
Mercredi – Un stylo dans la tête
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Si on reconnaît quelqu’un à ses amis, les siens sont vraiment haut en couleurs. Karen, Olga, Raphaël et Raoul sont gratinés. Parfait donc pour être des personnages de théâtre. Voila ce que se dit le metteur en scène Victor Aubrac (interprété par Francis Perrin) dans « Un Stylo dans la tête ». Il prend la crème de la crème de leurs défauts et il monte une comédie. Enfin… il essaie!
Reste qu’il faut les convaincre d’être mis à nu devant un public qui ne demande qu’à rire de leurs petits travers. C’est là, la tâche ardue à laquelle notre metteur en scène à succès s’attelle dès l’ouverture du rideau mais sans grand renfort de gentillesse. Cet homme de théâtre un brin égocentrique est assisté, bon gré mal gré par son épouse (Anne Canovas). Mais à faire du faux avec du vrai on risque de se brûler les ailes ; la fiction va le rattraper… cruelle mais drôle avec des dialogues aux petits oignons.
On regrettera une mise en place longuette mais une fois que c’est parti c’est le grand folklore interprété avec beaucoup de talent par des acteurs qui ne tombent pas dans l’excès.
Du théâtre de boulevard, sur les Grands Boulevards exactement, au Théâtre des Nouveautés.
Mise en scène : Jean-Luc MOREAU & Anne POIRIER-BUSSON
Distribution : Anne CANOVAS, Sophie GOURDIN, Xavier GOULARD, Valérie EVEN et Éric BOUCHER.
Du mardi au samedi à 20h30
Matinées le samedi à 17h00
et le dimanche à 16h00
Mercredi – Bérengère Krief : She’s not a Barbie girl
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Bérengère Krief c’est Marla le « plan cul » de la série courte de Canal + réalisée par Kyan Khojandi et Bruno Muschio (1). Blondinette et charmante, la demoiselle et actrice cache bien son jeu. Sous son adorable minois ce cache une sauvageonne dévergondée mais pas écervelée avec une voix grave inattendue.
Cette Lyonnaise a la tchatche, du charme et un talent incontestable pour le show BREF, une show girl est née. Bérengère la douce s’inscrit dans la lignée de Florence Foresti cash voire même trash mais toujours drôle.
Elle attaque avec force verve, les techniques de dragues, les Parisien(ne)s, les programmes TV au 1er rang desquels « L’Amour est dans le Pré », l’émission de relooking de Cristina Cordula et « Belle toute nue ».
Un peps de folie et beaucoup d’humour un peu potache, gossip et caustique mais parfaitement girly.
Si son premier spectacle seule en scène s’appelait « Ma mère, mon chat et Docteur House », celui-ci nommé plus sobrement « One Woman show » aurait tout aussi bien pu s’appeler « Les mecs, ma télé et Natascha Kampusch ».
Un humour décapant, des vannes qui s’enchaînent à un rythme soutenu avec une liberté et une modernité de ton ainsi que de thèmes.
En ce moment le show c’est au Point Virgule qu’elle le fait :
Texte de : Bérengère Krief et Grégoire Dey Mise en scène : Grégoire Dey Collaboration artistique : Nicolas Vital
Point Virgule 7 rue Sainte Croix de la Bretonnerie
75004 Paris
Week-end – De cendres et de papier
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Dans un pays en guerre, deux fossoyeurs sont chargés de brûler les morts. Avec les cadavres, ce sont les paumes de leurs mains qui s’échauffent, leurs cheveux qui grésillent, les illusions du nettoyage qui s’envolent un fumée. Une femme, laissée pour morte, se relève et se joint à eux. Elle se met à travailler à leurs côtés mais à sa manière. Les morts, elle les recoiffe, leur caresse les joues, déplie leurs membres et leur parle. D’ailleurs, elle ne parle qu’à eux.
Cette pièce de théâtre de Laurent Gaudé, publiée dans la collection « Papier » d’Actes Sud, est une grotesque tragédie qui donne à lire l’indicible. Le savon, la chaux, la fumée pour dire la douleur, l’horreur et le néant. Inspiré par le témoignage d’une réfugiée kosovare, Laurent Gaudé prouve ici que les tragédies du 21e siècle n’ont rien à envier aux drames antiques.
J’ai longé des routes,
Traversé des terres que je ne connaissais pas.
J’ai fait saigner mes pieds.
J’ai erré longtemps jusqu’à atteindre, un jour, le haut de la colline.
Je me suis arrêtée.
A mes pieds,
Sur des kilomètres, à perte de vue, se tenait un campement.
Un amas immense de tentes et d’abris.
Une ville entière d’enfants pieds nus et de réfugiés.
Je suis restée là, à les contempler.
J’ai embrassé du regard cette foule qui se tenait serrée.
Et je suis descendue, lentement, au milieu des miens.
Cendres sur les mains
Laurent Gaudé
Actes Sud-Papiers
42 pages, 7,50 e