« Louise elle est folle » : avoir le cafard, et le manger
En clôture d’Itinéraire Bis, le Théâtre des Quartiers d’Ivry présente le diptyque « Louise, elle est folle » et « Déplace le ciel » mis en scène et joué par Frédérique Loliée ainsi qu’Elise Vigier à partir des œuvres de Leslie Kaplan. D’entrée de jeu les deux femmes débattent, l’une accusant l’autre de lui avoir pris ses mots, l’autre ne comprenant pas cette remarque. Le point commun entre ces deux adaptations ? Un combat livré aux mots qui nous enferment, à ce qu’ils ont à dire sur nous presque malgré nous, et notre société.
Dans « Louise, elle est folle » les deux femmes évoluent dans une structure métallique fermée de panneaux de tulle blanc coulissants extrêmement imposante. C’est à la fois en lieu réel, un bar, et lieu fictif servant d’écran à un défilé de nuages où dansent les ombres, que la scénographie a été pensée, très élevée comme pour dynamiser le propos tenu par les deux actrices loufoques, au charisme fou. Dans cette partie, elles débattent quant à la folie de Louise qui n’est pas là, tout en s’accusant d’avoir pris les mots de l’autre. Louise ? Elle est folle, victime manifeste de la société de consommation, Louise c’est la bêtise même. Pour dire la folie de Louise, il ne reste que des mots qui au goût du duo, ont déjà trop servi à dire des choses, à tel point par exemple, qu’on ne pourrait plus utiliser le mot lavabo sans avoir de pensée pornographique.
Au delà du débat sur la folie de Louise, c’est une critique acide, acerbe mais pleine d’humour qui nous est livrée sur notre société, et de notre terre surpeuplée. La bêtise ce n’est pas Louise, mais c’est de passer une semaine à s’acheter à un maillot de bain, de ne pas pouvoir manger une vache qu’on connaît, de ne manger que du poulet français… Toutes ces questions sont marquées par une interprétation touchante, en parallèle de ces jeux de mots, elles n’ont de cesse d’accomplir des tâches quotidiennes décontextualisées avec beaucoup de drôlerie, comme bronzer le visage blanc de crème solaire. Malgré la teneur de leur propos, elles esquissent des petits tableaux de vie qui confrontent le spectateur à ses propres habitudes et clichés. Toute leur réflexion est marquée par Dieu, est-il d’origine française ? Pourquoi n’a-t-il pas de femme ? A quoi ressemble Dieu ? Dieu c’est la nature soutient l’une des deux pour convaincre l’autre, qui mange des cafards pour se sentir héroïque, plus réelle, plus proche de lui, transcendée. Terriblement d’actualité mais traitées sur un ton aux airs naïvement réjouissants, ces interrogations plongent le public dans la construction d’un discours dogmatique. Les mots, bien choisis, employés avec conviction ont un pouvoir performatif que les deux femmes se plaisent à rendre absurde.
Dans « Déplace le ciel », le duo féminin affublé de lunettes de soleil et boots à paillettes n’en finit plus de faire sourire par des attitudes lascives et improbables, en évolution dans une structure blanche horizontale et plus lointaine, avec un téléviseur comme décor et fond sonore. En écho avec la pièce précédente, elles jouent avec les mots et leurs corps pour comprendre l’amour. L’amour c’est la catastrophe, la sensation du maximum. Elle rêvent beaucoup, se demandent si le français est supérieur à l’anglais et plus encore. Alors que l’une des deux comédiennes attend Léonard, celui qu’elle aime mais qui ne vient pas, l’autre, le nez collé à son téléphone parle de ses ruptures. Le potentiel comique du duo semble infini.
En quête d’une vérité qui nous échappe après avoir même débattu sur le mot vérité, les deux héroïnes de ce diptyque refont le monde et nous en peignent un tableau aussi absurdement génial que grave, parce que si on pense seulement à la réalité, on dépérit.
« Louise, elle est folle & Déplace le ciel », de Leslie Kaplan, conception et jeu de Frédérique Loliée et Elise Vigier, jusqu’au 17 avril 2016 au Studio Casanova, 69, avenue Danielle Casanova, 94200 Ivry-sur-Seine. Durée : 2h20 avec entracte. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatre-quartiers-ivry.com/