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De la difficulté d’être « L’origine du monde »

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

À l’apparition du trait tant attendu sur le test de grossesse, Chloé est en joie. Elle hurle, danse, exulte : comme elle le désirait, la voilà enceinte. Elle a eu ce qu’elle voulait. Oui, mais après ?

« C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde » raconte ce qui suit le test de grossesse. On apprend (ou on revit, pour certaine), le passage d’un monde à l’autre. De l’insouciance à l’angoisse et l’enfermement. Largement autobiographique (ou plutôt, centré sur leur expérience et celle de leur entourage), les deux personnages sont deux comédiennes et jeunes mamans. Tout commence forcément par l’exclusion du projet en cours : après avoir informé le metteur en scène qu’elle est enceinte, l’actrice ne peut – selon lui – plus jouer. Puis il y a les visites chez le médecin, qui prescrit, interdit, rabote dans tout ce qui peut faire plaisir à la mère : « pour le bien de l’enfant ». Puis c’est au tour de la gourou new-age de distiller ses précieux conseils : pas de péridurale, manger son placenta et huile essentielle de pépins de raisin sur les reins aux premières contractions… » Et comme si la vie n’était pas assez compliquée ainsi, il y a les textes. Toutes ces femmes, Simone de Beauvoir en tête, qui ont donné leur avis sur ce qu’est être mère. Pour, contre, où donner de la tête ? Comment ne pas devenir folle, comment ne pas perpétuer le mythe psychanalytique : « il n’y a rien de pire qu’une mère » dans cette ambiance contradictoire ?

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

Spectacle tragique ? Non, miroir du monde. Sur le plateau, Tiphaine Gentilleau et Chloé Olivères exorcisent ce qu’elles ont vécu, avec intelligence et universalité. À la manière de Molière modernes, les Filles de Simone (du nom du collectif qu’elles constituent avec Claire Frétel, qui les met en scène) nous envoient à la figure toute l’absurdité du traitement infligé aux futures mères, allant contre leur instinct. On ne cesse de rire face à tant de gravité contrastée par le jeu délirant des deux comédiennes.

Outre un spectacle rassurant pour les futures mamans, « C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde » est un manifeste pour plus de justice sociale vis-à-vis des femmes. Une pièce qui montre à quel point le monde peut-être déjanté face au naturel. Une pièce qui transforme tellement notre regard de spectateur, qu’au sortir du théâtre, on ne peut voir le monde comme tel.

« C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde », création collective des Filles de Simone : Claire Fretel, Tiphaine Gentilleau, Chloé Olivères. jusqu’au 31 octobre au Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008, Paris, puis en tournée. Durée : 1h15. Plus d’informations et réservations sur theatredurondpoint.fr/




« Le Dîner », improvisation trop humaine ?

© Eric Ballot
© Eric Ballot

« Le Dîner » est un spectacle improvisé, qu’en écrire alors ? Si ce n’est évoquer l’expérience (assez malheureuse) d’un soir. Mais qui nous dit que le lendemain, ce n’était pas absolument génial ?

Le principe est séduisant, mais complexe. Les spectateurs sont invités à assister à un dîner organisé par un couple pour une raison, chaque soir, définie par le metteur en scène. Ce couple invite deux amis à dîner, et l’un des convives emmènera une personne complètement inconnue. Une fois ce cadre installé, le rôle de chacun est attribué au hasard aux acteurs. Une fois leur personnage connu, chaque comédien emmène une partie du public dans un endroit du théâtre afin de lui poser des questions sur ce qu’il sera (son métier ? Quelque chose qu’il sait sur l’un des convives ? Un souvenir d’enfance qu’il lui faudra raconter…) Une fois le questionnaire rempli, le public s’installe dans la salle et les comédiens doivent mémoriser le tout en quelques minutes, pendant que le metteur en scène sélectionne la musique. Enfin, « Le Dîner » peut commencer : les acteurs vont improviser durant une heure.

© Eric Ballot
© Eric Ballot

On peut regretter la mise en place, longue et fastidieuse. Les déplacements des spectateurs entre l’entrée dans la salle, l’installation sur la scène, puis, après les explications du metteur en scène, un nouveau déplacement aux quatre coins du théâtre… Tout cela prend beaucoup de temps. Il faut ensuite compter un peu plus de 20 minutes pour que l’acteur fasse remplir son questionnaire. Des questions qu’il limite très rapidement : « il faut que ce soit réaliste et réalisable, pas d’aliens qui viennent interrompre le repas ». Soit. Alors que reste-t-il comme option au public ? Répondre à des questions extrêmement précises qui sont souvent dirigées par le comédien lui-même. Outre le manque de liberté et la confusion dans laquelle nous somme plongés, les spectateurs eux-mêmes ont des idées au ras du sol (pour ne pas dire la ceinture). Quand le comédien demande quelle est la nature de sa relation avec l’invitée numéro 2 ? Sa maîtresse. Et ce qu’il sait sur l’invité numéro 3 que les autres ne savent pas ? Il est acteur porno ! Un secret qu’il doit avouer pendant le repas ? Il est ruiné. On pourrait penser aux ingrédients d’un Feydeau et la poésie est vite balayée par des envies graveleuses. Voulues par le public qui est lui-même bridé par les directions données par le comédien. Les questions ayant toutes trouvées des réponses, le retour dans la salle est encore long. Le spectacle débute à 20h, les comédiens commencent à jouer à 20h45.

Et alors que jouent-ils ? On ne saura jamais vraiment ce qui est de la part du comédien et du public dans le jeu des personnages que nous n’avons pas suivi au début. On s’amuse à voir celui qui nous a guidé placé les mots et les situations voulues par les spectateurs, mais ça tourne vite en mauvais boulevard. On salue la performance des personnages qui semblent tous très bien composés (mais on ne le saura jamais vraiment), et on se surprend à penser qu’on aurait préféré une comédie assumée plutôt qu’une situation qui sera toujours entre deux : il n’y a pas l’écriture de Feydeau ni la folie fantastique, drôle et délirante que le public attend d’un vrai spectacle d’impro… En tout cas, on ne reviendra pas voir demain si c’est mieux mais d’autres, sans doute, le feront.

« Le Dîner », improvisation. Mise en scène de Joan Bellviure, 15 et 16 novembre 2015, 13, 14, 15 décembre 2015, 10, 11, 12 janvier 2016, 7, 8, 9 février 2016, au Théâtre de Belleville, 94 Rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris. Durée : Variable. Plus d’informations et réservations sur theatredebelleville.com




Au théâtre, Vartan « fait le job »

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Encore un événement de rentrée (théâtrale). Quelques saisons après Johnny à l’Edouard VII, c’est au tour de Sylvie (Vartan) de monter sur les planches pour la première fois. Cet honneur, elle le fait au Théâtre des Variétés, dans une pièce de – et avec – Isabelle Mergault, « Ne me regardez pas comme ça !»

Le potentiel comique de Sylvie Vartan est connu de son public. Celle qui remplit encore des Olympia ne peut être là que pour s’amuser : c’est ce qu’elle fait. Les spectateurs venus pour voir la star jouant le rôle d’une star ne seront pas déçus. Sur scène, elle est Victoire Carlota, ancienne vedette de cinéma qui n’est pas sortie de son appartement depuis 20 ans. Le succès est loin mais le fisc frappe à la porte : Victoire Carlota prévoit d’écrire ses mémoires pour payer ses impôts. Mais voilà : elle se souvient de tous ceux qu’elle a rencontrés, mais d’elle, plus rien. Isabelle Mergault est Marcelle, le nègre envoyé par l’éditeur. Ensemble, elles partent en Italie pour tenter de raviver la mémoire de la star déchue. Si les souvenirs sont définitivement perdus, Victoire y (re)trouvera l’amour.

Si le texte de la pièce était un bateau, il serait l’Erika, tellement tout cela est mal écrit. La mise en scène est à peu près inexistante et le décor vidéo mérite qu’on s’y arrête : composé en grande partie de projections montrant des paysages italiens (Rome, la campagne), le responsable technique semble avoir tout essayé pour faire de l’humour informatique. Les transitions avec lesquelles les images se succèdent en fond de scène sont plus inesthétiques les unes que les autres. On a l’impression que défilent des photos retouchées par un enfant sur Paint, version Windows 98. On reste difficilement stoïque face à ces fondus enchaînés qui semblent faire absolument ce qu’ils veulent, surtout de se foutre de l’effet qu’ils font car tout le monde n’a d’yeux que pour la star Vartan.

Mais Isabelle Mergault joue Mergault (avec son inimitable cheveux sur la langue), à rendre le public hilare. Sylvie Vartan ne se prend pas au sérieux et est surprenante d’autodérision. On est dans le pur théâtre visant à rire sans réfléchir. Il ne faut pas en attendre autre chose, car de ce point de vue (et il serait hypocrite d’en prendre un autre), c’est totalement réussi.

« Ne me regardez pas comme ça » d’Isabelle Mergault. Mise en scène de Christophe Duthuron, actuellement au Théâtre des Variétés, 7 boulevard Montmartre, 75002, Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur www.theatre-des-varietes.fr/




« Vu du Pont », fascinant van Hove

Vu du pont © Thierry Depagne
Vu du pont © Thierry Depagne

« Vu du pont », d’Arthur Miller. Si l’auteur est principalement connu en France, pour avoir été l’un des maris de Marylin Monroe, la pièce, elle, ne semble pas – a priori – être un chef-d’œuvre. Ivo van Hove, dans le n°16 de la Lettre de l’Odéon, évoque pourtant « l’urgence qu’il y a de [la] monter », et en effet sous sa baguette, l’évidence fuse.

C’est l’histoire d’Eddie Carbone, de sa femme Béatrice et de leur nièce Catherine ; immigrés ou descendants d’immigrés italiens. Tous trois vivent dans un appartement minuscule du côté de Brooklyn. Par altruisme, ils accueillent deux cousins de Béatrice qui débarquent clandestinement d’Italie pour tenter de gagner leur vie en fuyant un pays où les perspectives professionnelles sont inexistantes. Marco et Rodolpho s’avèrent être de bons travailleurs mais, bien vite, Catherine tombera amoureuse de ce dernier. Les jeunes gens prévoient même de se marier. Eddie en devient fou de rage, et passablement amoureux de sa nièce, il ne supporte pas l’idée de son départ. Cette situation dramatique bien construite laisse une grande place au développement psychologique des personnages. Ivo van Hove, en génie de la mise en scène, s’en donne à cœur joie. Le moindre geste, les regards et les frôlements, tout concorde à mener le spectateur vers l’explosion du drame qui sera, on le comprend vite, sanglant.

Charles Berling montre ici toute l’étendue de son talent. Sympathique, inquiet, amoureux sans le savoir, ouvertement jaloux, prêt à tout pour garder son amour près de lui, il en vient à se trahir lui-même et détruire sa propre vie jusqu’à en mourir. Il impressionne par l’évolution que suit son personnage, la légèreté des gestes et les sourires laissent de plus en plus place à la lourdeur du pas et aux cris. Sa souffrance est palpable et son amour, qu’il vivra toujours comme innocent, voire même inexistant, jaillit par chacun de ses pores. Caroline Proust, qui joue sa femme, est d’une justesse touchante. Sa force, son courage jaillissent peu à peu sur la nièce, interprétée par Pauline Cheviller qui, si elle est d’abord une incarnation de la fraîcheur, deviendra haineuse et triste. Son oncle l’a souvent prévenue de la trahison dont pouvait faire preuve les hommes qu’elle allait rencontrer. Elle n’a jamais voulu le croire et il en devient l’exemple le plus violent. Enfin, il ne serait pas juste de ne pas mentionner Nicolas Avinée et Laurent Papot, frères à la scène que tout oppose, vivant différemment leur rêve américain. Alain Fromager, narrateur du drame, conte justement cette histoire sordide dont il est pourtant le personnage le plus éloigné.

La splendeur réside aussi et d’abord dans la scénographie. Un rectangle blanc autour duquel les spectateurs sont installés de trois côtés. Le visage des acteurs n’est pas forcément visible en fonction de la place que l’on occupe dans la salle. Peu importe, par cette occupation de l’espace, van Hove réussit à nous faire voir chacun des lieux dans lesquels se déroulent les scènes. Dans l’appartement de Brooklyn, sur le perron… C’est si simple et pourtant si beau.

De cet assemblage entre acteurs et décor naît la matérialisation de l’urgence dont parlait van Hove. Il montre à quel point les immigrés sont, avant tout, des êtres humains. Comment être plus dans la nécessité de ce que doit montrer le théâtre aujourd’hui ?

« Vu du Pont » d’Arthur Miller. Mise en scène d’Ivo van Hove, jusqu’au 21 novembre aux Ateliers Berthier, 1 rue Andre Suares, 75017, Paris. Durée : 1h55. Plus d’informations et réservations sur www.theatre-odeon.eu/




Un délicieux Charles Spencer Chaplin

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Qu’est-ce qu’« Un certain Charles Spencer Chaplin » ? Dans le jargon cinématographique, cela s’appellerait un biopic. Daniel Colas prend le parti de raconter la vie d’un Charlot en dehors du champ des caméras.

Ceux qui, comme l’auteur de cette critique, seraient peu familiers de la vie privée de l’une des plus grandes stars planétaires de la première moitié du XXe siècle, en apprendront beaucoup. Sur la noirceur de la personnalité de l’icône notamment. Tyrannique, angoissé, difficilement supportable par son entourage… Le prix à payer pour son talent ? On aurait tendance à le croire, surtout lorsque Charlot est interprété par un Maxime d’Aboville fabuleux, invité de nouveau à jouer un personnage changeant au fort potentiel évolutif. La saison passée, avec The Servant, il a remporté plusieurs récompenses, parmi lesquelles un Molière. Xavier Lafitte et Adrien Melin, partageaient l’affiche avec lui, on les retrouve – avec plaisir ! – dans ce « Certain Charles Spencer Chaplin ». Un trio qui enchaîne les succès.

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La pièce de Daniel Colas est construite comme une succession de scènes, qui ne suivent pas un ordre chronologique. L’auteur s’est attaché à brosser un portrait, sautant d’une époque à l’autre. Il montre les épreuves terribles, les succès, la constance et les sentiments de Charlot et de ses proches. On assiste à son premier tournage aux USA, produit par Mack Senett, au défilé de ses femmes, aux manipulations du FBI qui trouve que son cinéma est trop critique envers le système. On voit Edgar Hoover mettre en place la propagande visant à ternir son image et faire de lui une victime du maccarthysme. Ni juif, ni communiste, c’est avant tout un provocateur ivre de liberté, qui se retrouve interdit de territoire américain. Daniel Colas trouve le juste mélange entre informatif et moments de théâtre, à l’exception d’une longue scène précédant la fin qui allonge inutilement et de façon didactique la pièce – à près de 2 heures de spectacle.

Une pièce passionnante, menée par des acteurs remarquables, des clins d’œil au cinéma muet mis en scène avec talent, font néanmoins de ce « Certain Charles Spencer Chaplin » une pièce réussie, où, malgré les silences du personnage, le public ne manque pas de manifester bruyamment sa joie au moment des saluts.

« Un certain Charles Spencer Chaplin » de Daniel Colas. Mise en scène de l’auteur, actuellement au Théâtre Montparnasse, 31 rue de la Gaîté, 75014, Paris. Durée : 1h50. Plus d’informations et réservations sur theatremontparnasse.com/




20 000 Lieues sous les mers : une plongée merveilleuse

© Brigitte Enguerand. collection Comédie-Française.
© Brigitte Enguerand. collection Comédie-Française.

En ce début du mois d’octobre, le théâtre du Vieux-Colombier est transformé en bathyscaphe. Le plus célèbre d’entre tous, puisqu’il s’agit du Nautilus, conduit par le Capitaine Nemo, héros du roman de Jules Verne, « 20 000 Lieues sous les mers ». Christian Hecq interprète l’illustre personnage qu’il met aussi en scène, avec Valérie Lesort.

On est d’abord frappé par le décor, véritablement à coulisses. Le public est installé dans le salon du Nautilus. L’ambiance y est merveilleuse, retranscrivant l’émotion que l’on peut avoir en lisant un roman de Jules Verne dans ce que le XIXe siècle fait de plus futuriste, à renforts de tuyaux de cuivre et d’un canapé chesterfield. L’avenir fantasmé des alentours de 1870, qui nous a laissé divers témoignages, ne néglige jamais sur le confort. On est happé par le désir de partager le quotidien sous-marin des personnages.

© Brigitte Enguerand - coll. Comédie-Française.
© Brigitte Enguerand – collection Comédie-Française.

L’ambiance est complétée par une utilisation constante, mais mesurée, de marionnettes. À travers le hublot du fond de scène, on assiste aux ballets de méduses, rémoras et à l’attaque du kraken qui provoquera la catastrophe à bord. Marionnettes, encore, lorsqu’il s’agit de peupler les cauchemars du professeur Aronnax par une méduse géante ou une araigNé(e)mo. Marionnettes, toujours, pour illustrer le périple du petit sous-marin autour du globe. Si certains marionnettistes se cachent parmi les personnages, les acteurs eux-mêmes se retrouvent à la manipulation, et c’est brillant.

Des acteurs qui campent des personnages bien singuliers. Ils retranscrivent avec talent les personnalités très différentes des protagonistes. Christian Hecq est un Némo colérique et énervé, face à un Nicolas Lormeau en touchant érudit de la fin du XIXe. Jérémy Lopez, Louis Arene, respectivement second d’Aronnax et Némo sont aussi marquants par la justesse de leurs jeux.

On l’aura compris, ces « 20 000 Lieues sous les mers » sont une réussite. L’adaptation est courte mais fidèle, l’essentiel est gardé – quelques notes de la toccata de Bach sont entendues –, les prouesses techniques soutiennent un spectacle prenant. La plongée se fait donc dans les meilleures conditions possibles : tout en finesse et en rêves.

« 20 000 Lieues sous les mers » de Jules Verne. Adaptation et mise en scène de Christian Hecq et Valérie Lesort, au Théâtre du Vieux-Colombier, 20 rue du Vieux-Colombier, 75006, Paris. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr




Martineau et Lavoine, comme poissons en foire

Copyright : Christophe Vootz
Copyright : Christophe Vootz

Léonore Confino est bien l’auteur surprenante que l’on espérait. Si on avait apprécié son regard acide, drôle et ironique sur l’amour dans « Ring », on se souvient aussi de la catastrophe, « Les Uns sur les autres », la pièce qui marquait le retour d’Agnès Jaoui au théâtre. Avec le « Poisson Belge », son nouveau duo, le plus haut niveau est atteint. Elle réalise une pièce géniale sur la difficulté de la rencontre, les relations familiales dramatiques et les liens qui peuvent se créer entre des êtres qui ont comme point commun, leurs différences.

La première scène se déroule un vendredi soir au crépuscule, sur un banc de Bruxelles. La Petite fille (Géraldine Martineau), fait tout pour attirer l’attention de la Grande monsieur (Marc Lavoine). Petite fille prétexte que ses parents l’ont abandonnée, le date de Grande monsieur n’arrive pas. C’est là, à ce moment précis, qu’une adoption se dessine. Les deux personnages vont partager quelques jours, semaines, de leurs vies accidentées (l’une étouffée par une paire de parents psychanalystes, l’autre par la femme qui habite dans son corps d’homme). On apprendra que les géniteurs de Petite fille sont morts dans un accident de voiture, le même vendredi soir où elle a rencontré Grande monsieur. Mais Petite fille supporte bien le deuil, mieux que son hôte, qui finira par aller lui-même à la rencontre de son propre fils, qu’il n’a jamais connu.

Cette pièce est, comme cela caractérise le style de Léonore Confino, un mélange entre narration étrange et lyrisme de l’absurde. Les personnages ont pleinement conscience de la situation atypique qu’ils sont en train de vivre, mais ils s’en accommodent au mieux. Ils acceptent leurs différences, confortés l’un par l’autre. C’est à la fois extrêmement drôle, mais aussi très tendre, sincère, une ode à la bienveillance entre les êtres.

Copyright : Christophe Vootz
Copyright : Christophe Vootz

Les pièces de Confino sont mises en scène par Catherine Schaub. Ici, le dispositif mêlant vidéo, espaces neutres – presque futuristes – qui nous projettent hors du temps, et la musique électronique froide rappelle celui de « Ring ». Ce mélange de simplicité et d’élégance scénographique laisse toute la place au génie des comédiens.

Pour Marc Lavoine – déjà acteur dans de nombreux films –, c’est la première fois sur les planches. Frustré, en colère, ce rôle de transsexuel dont les seules marques de féminité sont les boucles d’oreilles, lui va à merveille. Le personnage apparaît derrière l’aura du chanteur. Et si Lavoine est bien, la vraie star du spectacle est Géraldine Martineau. Son physique juvénile aidant, on l’a souvent remarquée dans des rôles de petites filles – au théâtre comme au cinéma –, mais ici, elle ne se contente pas de bien jouer, elle transcende le rôle. Martineau est LA Petite fille, mature et délurée, intelligente, borderline. Par le corps comme par l’esprit, le rôle dessiné par Léonore Confino lui colle à la peau, elle peut y exploser de tout son talent. À la fois effrayée et contente de sa folie, elle devient sur scène un personnage fascinant à l’humour fracassant. Qu’elle danse, se cache, pleure ou rigole. Elle interpelle, démonte les codes de l’enfant bête en le hissant au rang de sage franc et maladroit. Un talent porté par le génie, Géraldine Martineau a trouvé le rôle qui, on l’espère, la révélera au très grand public. Des spectateurs emmenés par ce « Poisson Belge », comme Némo et Doris dans le courant est-australien.

« Le Poisson Belge » de Léonore Confino. Mise en scène Catherine Schaub, actuellement à La Pépinière Théâtre, 7 rue Louis-Legrand, 75002, Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur theatrelapepiniere.com/




Avec Francis Huster et Ingrid Chauvin, « Avanti! »

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Pour « Avanti ! », le Théâtre des Bouffes Parisiens devient une chambre d’hôtel Romaine où George Claiborn et sa femme, Diana, ont élu domicile le temps de mettre en place le rapatriement du corps du père de George. En Italie, tout semble compliqué : Diana rentre à New York, pressée d’assister au troisième mariage de sa sœur, laissant son époux se débrouiller avec l’administration italienne. Il sera aidé en cela par Baldo Pantaleone, « contact officieux » prêté par l’ambassade. Le destin fera que George va rencontrer Alison Miller. De sa bouche il apprend que son propre père et la mère d’Alison étaient amants. Rome aidant, ils perpétueront, l’un pour l’autre, les doux sentiments que leurs géniteurs avaient cultivés.

De cette comédie romantique, on repère trois parties dans lesquelles les héros vivent des passions distinctes. Dans la première, les vies des protagonistes sont mornes et la recherche des corps des défunts est prétexte à des situations comiques. La deuxième partie est plus tendre, Alison et George tombent amoureux. La dernière est une promesse. Comme leurs parents, ils quitteront leurs vies américaines et britanniques afin de passer le mois de mai à Rome. Cette pièce de Samuel Taylor est un bel équilibre entre comique, romantisme et drame de la rupture probable avant un happy end.

Du public, on oscille entre les flatteries faites à notre côté fleur bleue et le rire franc causé (au moins !) par la présence de Thierry Lopez dans le rôle de Baldo, qui à lui seul mérite le déplacement. Ingrid Chauvin est juste et touchante dans son rôle d’anglaise célibataire esseulée, qui pleure sur l’épaule d’un Francis Huster grave et dont le décalage par le jeu ne peut que provoquer l’hilarité. « Avanti » tient ses promesses. Un boulevard équilibré et élégant.

« Avanti ! » de Samuel Taylor, adaptation, Dominique Piat. Mise en scène Steve Suissa, actuellement au Théâtre des Bouffes Parisiens, 4 rue Monsigny, 75002, Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur bouffesparisiens.com




« La Dame Blanche », on en veut encore !

Copyright : Emilie Brouchon
Copyright : Emilie Brouchon

On se souvient de l’engouement suscité par « Dernier coup de ciseau », une comédie signée Sébastien Azzopardi et Sacha Danino. Pour la « Dame Blanche », c’est le même duo aux commandes et cette fois-ci, la promesse a changé. Le but est de faire vivre au public ce sentiment aussi courant au cinéma qu’il est rare au théâtre : la peur. Pari réussi !

Le Théâtre du Palais-Royal est transformé en maison hantée. Avant le lever de rideau, l’ambiance stressante est omniprésente. Des sortes de goules sans visage se promènent dans la salle et effrayent le public (âme sensible, attendez la dernière minute pour vous installer !). L’aspect immersif est conservé tout au long de la représentation. Les membres du public composent, tour à tour, les habitants d’un squat et les victimes des éléments (ou des esprits !) déchaînés. On est jamais extérieurs à l’histoire qui se déroule autour de nous.

Copyright : Emilie Brouchon
Copyright : Emilie Brouchon

Car histoire il y a. Les auteurs se sont gardés de créer un banal train fantôme d’1h40. On apprend, dès les premiers instants, que Milo a fauté en quittant son amante Alice après lui avoir fait des promesses, puis en la tuant accidentellement. Alors, l’image d’Alice ne cessera de tourmenter Milo, « les esprits ne peuvent pas tuer, mais ils rendent fou », dira une jeune médium toxicomane à un Milo à deux pas de l’asile. La noirceur du propos ne doit pas nous faire oublier un certain humour. Quelques scènes effrayantes (qui ne sont pas les plus spectaculaires), sont pleines de dérision.

En même temps, les effets spéciaux tiennent leurs engagements. Vidéo, effets sonores et tours de magie maintiennent l’ambiance entre angoisse et merveille. Un drap peut traverser le théâtre et la pluie s’abattre sur le public. Aussi, on assiste au cauchemar récurrent de Milo, celui où il renverse Alice. Cadavre en décomposition et mobilier mouvant sont aussi de la partie.

Avec cette « Dame Blanche », Azzopardi et Danino revisitent un mythe de l’épouvante sans tenter de s’y complaire de façon littérale. Le point de départ, combiné à une mise en scène dynamique et une équipe d’acteurs tous dotés d’une inquiétante maîtrise de la dualité, en fait un spectacle ludique, rare et captivant.

« Dame Blanche » de Sébastien Azzopardi, Sacha Danino. Mise en scène Sébastien Azzopardi, actuellement au Théâtre du Palais-Royal, 38 rue de Montpensier, 75001, Paris. Durée : 1h40. Plus d’informations et réservations sur theatrepalaisroyal.com/




Un « Père » sans tension

Copyright : Vincent Pontet, coll. Comédie-Française.
Copyright : Vincent Pontet, coll. Comédie-Française.

Le rideau s’ouvre sur un univers sombre, austère. De grands registres tapissent les murs d’une scénographie à tiroirs, qui, dans la perspective, sera tour à tour cabinet de travail, salle à manger ou corridor. Du point de vue purement plastique, ce décor accompagné de l’important travail de lumière par Dominique Bruguière, « Père », la nouvelle production de la Comédie-Française est splendide.

Ce cadre sévère, sans être aride, voit se dérouler un duel au sommet entre le Capitaine (Michel Vuillermoz) et sa femme Laura (Anne Kessler). L’enjeu ? L’éducation de leur enfant, Bertha. Le Capitaine veut envoyer sa fille à la ville, faisant valoir son droit de père de famille, pouvant trancher ce qu’il y a de mieux pour son enfant. Il souhaite sortir sa progéniture du carcan familial où chaque membre du foyer y va de sa confession et tente d’y convertir l’enfant. En libre penseur et scientifique, pour le Capitaine, sa fille doit partir ! Laura ne peut se résoudre à s’éloigner de son unique enfant ; par une suite de manigances, elle arrivera à faire passer son mari pour fou. Celui-ci meurt dans sa camisole de force, quelques heures avant d’être interné.

Copyright : Vincent Pontet, coll. Comédie-Française.
Copyright : Vincent Pontet, coll. Comédie-Française.

Ce combat d’une mère pour garder son enfant (contre sa volonté même), offre de multiples grilles de lecture au spectateur. Elle peut montrer jusqu’où une mère est capable d’aller. Mais exprime encore le combat, parfois injuste que doit mener la femme afin de conquérir sa liberté. Le texte est aussi une réflexion sur la paternité. Laura, insidieusement, sème le doute dans la tête de son Capitaine de mari en supposant qu’il ne soit pas le père de leur fille. On pense évidemment à ce doute, élevé au rang de dogme dans la religion juive, que le père ne soit pas vraiment le père, puisque jusqu’aux tests ADN, rien ne pouvait le prouver avec certitude.

La mise en scène d’Arnaud Desplechin, pour sa première fois au théâtre, n’arrive pas à se décrocher de certains artifices du cinéma. Notamment la musique, présente en permanence pour soutenir l’action (même si parfois, il s’agit d’une note). Ici, elle perturbe le jeu des comédiens qui sont bien obligés de composer avec ces tonalités lancinantes. L’ambiance pesante, la sensation de guerre jamais ne s’installe, parasitée par des jeux d’acteurs qui resteront à des dimensions discrètes en rapport à la portée offerte par les rôles. Michel Vuillermoz est néanmoins juste, et il contraste en cela du reste de la distribution. Mais quelle exagération dans la voix d’Anne Kessler ! On s’attend à chaque seconde, la voir se tordre de douleur et éclabousser la salle de larmes de crocodiles.

Plus que la tension, l’ennui installe son voile dans la salle et de cette sombre intrigue, ne reste qu’une sensation agréable à la mort du Capitaine ; comme lui, nous voilà enfin libérés de ce monde où rien n’est vrai : ni les personnages, ni les sentiments qu’ils devraient nous faire éprouver.

« Père » d’August Strindberg. Mise en scène d’Arnaud Desplechin, jusqu’au 4 janvier 2015 (en alternance) à la Comédie-Française (salle Richelieu), place Colette, 75001 Paris. Durée : 1h55. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr




Victor – A l’amour, à la mort

Une pièce subtile servie par une distribution haute en couleurs et pour le moins exceptionnelle. Victor nous emmène dans les frasques de l’amour, sans jamais tomber dans les ficelles faciles, ou les répliques de bas étage. Un merveilleux moment de théâtre alliant émotion et légèreté, une découverte très appréciée en cette période de rentrée théâtrale.

France. 1950. La guerre est encore dans les esprits. Victor (Grégory Gadebois) nous apparaît à sa sortie de prison. Il vient d’y passer une année, pour un délit qu’il n’a pas commis. Il vient d’y passer une année, pour un ami. Cet ami, Marc (Eric Cantona) est un personnage en vue dans la ville. Puissant homme d’affaires, aux manières parfois douteuses, mais qui ne peut se trouver compromis dans une affaire publique, sous peine de voir son empire naissant s’effondrer sur sa base d’argile encre fraîche.

La clé de l’intrigue qui va se dérouler devant nos yeux entre bientôt en scène, sous les traits de Caroline Silhol. Françoise est la femme de Marc, et Françoise est la passion de Victor. Là où l’on pourrait s’attendre à se trouver en présence d’un trio d’une comédie de boulevard plutôt classique, c’est un tout autre jeu auquel nous assistons une fois ce décor posé. Loin des quiproquos et des amants cachés dans le placard, Henri Bernstein nous propose au contraire la force de la franchise, du sentiment assumé, revendiqué, exprimé.

Comment pourrait-on s’en étonner devant un Grégory Gadebois tout en puissance, et un Eric Cantona à la majesté légendaire ? Pas de faux-semblant, l’honnêteté fait loi (et foi !) dans ce jeu maléfique et cruel de l’amour et du désamour. Otage parmi tous, l’amitié est malmenée, reniée, bafouée. Et puis, la nature humaine reprend ses droits. L’honneur comme seul guide. L’orgueil même.

Dans le cadre du théâtre Hébertot, Rachida Brakni nous propose une mise en scène simple pour laisser toute la force au texte et au jeu de ses acteurs. Les premiers changements de décor se font au noir, presque à vue. On y admire alors la simplicité du changement d’univers. Le passage d’un mur de prison à un intérieur d’abord modeste, puis clairement bourgeois. Les suivants se feront derrière le rideau. La sobriété des intérieurs comme des extérieurs résonne devant le tranchant des sentiments qui se dévoilent au fil de la pièce, et qui déchirent les âmes et les cœurs.

Serge Biavan et Marion Malenfant viennent compléter ce merveilleux trio, dans les rôles délicats des compagnons de passage, presque amis et pas complètement amants … Vous l’aurez compris, Victor (la pièce) est un cours de nature humaine. Terriblement réel car parfaitement interprété, sans exagération ni facilité. Du grand théâtre ! Bravo !

 

Pratique : Victor, au Théâtre Hébertot
Séances : du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 17h
Casting : Grégory Gadebois, Eric Cantona, Caroline Silhol, Marion Malenfant, Serge Biavan
Texte : Henri Bernstein
Mise en scène : Rachida Brakni
Location : 01.43.87.23.23




Arias, patissier en dramaturgie

Copyright : Fred Goudon
Copyright : Fred Goudon

Alfredo Arias s’installe, en ce début de saison, dans la petite salle du Théâtre de la Tempête, baptisée Copi, du nom du compatriote avec lequel Arias a travaillé en arrivant à Paris. Le décor nostalgique est ainsi planté avant même l’entrée en scène. La Comédie patissière à laquelle nous allons assister fait forcément écho à la Comédie policière du jeune Arias, qui revendique tout au long de ce nouveau texte sa volonté de « rester enfant ».

Et qu’est-ce que c’est, l’enfance d’Arias ? Élevé dans une banlieue modeste de Buenos Aires, ses premières années paraissent n’être vécues dans le seul but d’assister à l’émission culinaire de Dona Petrona – jouée ici par une Sandra Macedo sévère –, au grand dam de sa mère qui pense que cela le rend « féministe » ! Les créations délirantes de la cuisinière télévisuelle sont, pour le jeune Arias, un remède à la morosité de sa vie et au régime péroniste.

Sur scène, ces souvenirs prennent un air coloré, de grandes toiles aux couleurs de l’Argentine occupent le fond de scène et l’action se déroule entre un grand plan de travail et le divan d’un psy. Alfredo Arias – jouant le rôle de son double – et Sandra Macedo ressemblent à un couple échappé d’une pièce montée. Une troisième personne, la chanteuse Andrea Ramirez, chante ou fredonne, parfois, contribuant à installer une ambiance entre kitsch et onirisme enfantin : elle est la part de rêve. Arias veut nous faire entrer dans son enfance, sans tristesse.

Le texte est beau, gourmand et fin à la foi. Le plaisir de partager l’instant hebdomadaire est bien là. Cette joie est prétexte à revivre aussi certaines douleurs : une mère intrusive et un père absent. Jusqu’au jour où la maîtresse de ce dernier l’abandonne, alors qu’il est devenu infirme. Si ces drames sont racontés, aucun n’est lourd : Dona Petrona est là pour nous faire oublier tout ça à grand renforts de glaçages. La volonté de cette « héroïne nationale » était d’éclairer les foyers modestes par sa force de création. Pari tenu.

On est cependant troublé par l’absence d’une mise en scène claire dans ce spectacle. Le mouvement des acteurs, le choix des lumières, rien ne semble défini. Chaque déplacement parait être effectué à l’envie, comme une partie des recettes de Dona Petrona qui conseille de doser la levure en fonction de la température ambiante. On est aussi ennuyé par les gestes didactiques des acteurs, quand l’un parle, l’autre mime ce qu’il dit. Rien ne le nécessite, pourtant. La folie qui devrait se dégager du spectacle se retrouve ainsi happée par un manque de rigueur.

Aux saluts, Alfredo Arias clame encore : « restez enfants ! », en trottant un peu partout autour du décor. Et si Arias semble avoir réussi à garder les qualités de ses jeunes années, il semble aussi – par l’aspect déconstruit – en avoir gardé certains défauts.

« Comédie Pâtissière » d’Alfredo Arias. Mise en scène de l’auteur, jusqu’au 18 octobre 2015 au Théâtre de La Tempête, La Cartoucherie de Vincennes, route du Champs de Manoeuvre, 75012 Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur www.la-tempete.fr




« Momo », un grand boulevard !

Ce vendredi, lorsqu’André et Laurence sont allés faire les courses, ils n’avaient pas prévu qu’un débile leur piquerait leur caddie avant même qu’ils ne soient passés à la caisse. Cela quelques minutes avant la fermeture du magasin. Ils n’avaient pas non plus planifié de retrouver le même type, chez eux, après qu’il a livré les courses et pris une douche. Et pourtant, c’est bien là le point de départ de « Momo », la nouvelle pièce de Sébastien Thiéry.

Copyright : C. Nieszawer
Copyright : C. Nieszawer

Comme à son habitude, l’auteur ne respecte aucune convention, sauf celles dictées par son imagination, toujours très surprenante. Très vite, la situation devient ubuesque et les scènes successives sont autant de pierres qui bâtissent une comédie très drôle et explosive. Patrick (c’est le nom de l’étranger), affirme être le fils de Laurence et André, parti pour Montpellier il y a 20 ans, afin d’essayer d’oublier sa famille – comme on oublie une histoire d’amour douloureuse. Malheureusement, il semble que ses parents, eux, aient réussi à l’effacer de leur mémoire. Est-ce un dangereux cambrioleur ? Comme face à un fou dangereux, le couple décide de jouer le jeu pour ne pas le contrarier.

Puis, entre la mère supposée et le fils nouveau, les liens se reforment, la discussion se créée. Pourquoi est-il revenu ? On l’apprend de Sarah, la fiancée aveugle de Patrick qui se révèle ne pas être débile, mais malentendant. Il est de retour sur les lieux du traumatisme : s’il ne partait pas, il aurait tué sa famille. Les cœurs s’ouvrent, les larmes coulent, jusqu’à un dénouement à rebondissements sentimentaux réussis : il s’avère que Patrick s’est trompé d’immeuble, il a confondu Laurence et André avec un couple du même âge, portant le même nom à une lettre près et habitant à côté. Mais l’histoire ne s’arrête pas là…

Copyright : C. Nieszawer
Copyright : C. Nieszawer

Une certaine élégance se dégage de la scénographie d’Edouard Laug, très réaliste au premier abord – la scène d’exposition se déroule dans les rayons d’un supermarché – elle fait ensuite place à un grand appartement bourgeois dont les murs ne sont pas complètement opaques et laissent deviner ce qu’il se passe dans les chambres bordant le salon. La mise en scène de Ladislas Chollat utilise bien ce dispositif, aidé par la musique pour soutenir quelques effets cinématographiques. Le travail principal semble avoir été fait auprès des acteurs, tout en essayant de les faire s’émanciper avec finesse de la mise en scène de boulevard conventionnelle – on pense notamment à Muriel Robin qui tape avec vigueur sur le canapé du salon, accessoire symbolique du boulevard bourgeois.

Car oui, ici Thiéry ne signe pas un simple boulevard efficace – tel « Comme s’il en pleuvait » au théâtre Edouard VII – ce « Momo » est double ; les situations comiques d’un fond brûlant. Ce fils de 42 ans qui s’invite dans la vie d’un couple respectable qui n’a jamais réussi à en avoir relance les désirs maternels de Laurence qui, consciente de cela, le considère très vite comme la chair de sa chair, parlant la même langue que lui. Patrick, lui, semble tout le temps énervé comme sa mère. De vraies questions existentielles naissent sur la transmission : « nos souvenirs vont disparaître, si on ne les donne pas à quelqu’un », dira Laurence, dans une scène sombre.

Si les acteurs portent tous leurs rôles avec finesse, Muriel Robin s’illustre particulièrement brillante. Celle qui, telle Jacqueline Maillan, n’a qu’à paraître sur scène pour rendre le public hilare, ne cesse jamais d’avoir l’air sévère. Et pour cause : l’arrivée de ce fils providentiel lui apporte les réponses aux questions qu’elle n’osait plus se poser. Pragmatique et autoritaire, tenant avec force les rennes harnachant un mari craintif, elle se transforme en mère enamourée. Robin nous impressionne par la finesse de son jeu dans les instants dramatiques : aucune larme, aucun excès, une intériorité qui montre que derrière l’humoriste, une grande actrice existe.

Lors de la scène finale, malgré le quiproquo qui a conduit Patrick à prendre le couple pour ses parents, Laurence-Muriel Robin lui demande de rester. Elle plaide contre cette vie injuste qui lui a interdit d’avoir des enfants. Et Thiéry fait dire à une actrice très ouvertement lesbienne qu’ « une maman, ce n’est pas de l’orthographe, c’est dans le cœur que ça se lit » ; « Momo » devient alors pièce manifeste face au climat réactionnaire d’un pays encore divisé sur la question de l’accès à la parentalité pour les couples de même sexe.

Réunie, l’équipe de « Momo » produit un grand théâtre de boulevard, extrêmement drôle, mêlant ressorts classiques du rire burlesque et véritable message, en phase avec les préoccupations sociétales actuelles.

« Momo » de Sébastien Thiéry. Mise en scène de Ladislas Chollat, actuellement au Théâtre de Paris, 15 rue Blanche, 75009, Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur theatredeparis.com




« Trois Ruptures », comique par K.O.

Copyright : Larry Stokrat
Copyright : Larry Stokrat

La toute petite Comédie Tour-Eiffel est transformée en scène de crime – ou ring de boxe, c’est selon. Le public s’apprête à assister à un match en trois round, prenant la forme de trois ruptures entre un homme et une femme : à cause du chien, d’un coup de foudre pour un pompier ou bien pour subir chacun son tour le joug d’un enfant tyrannique.

Tout un programme dramatique qui, sous la plume de Rémi De Vos, recèle un fort potentiel comique. L’auteur révèle, dénonce, souligne le comportement humain déraisonnable face au point de rupture : la tentative désespérée de l’un ou l’autre pour garder celui qui part. L’attacher ? Lui promettre d’accepter n’importe quoi ? Ou bien subir l’évidence d’un amour qui n’est plus. Au final, toute l’absurdité qui jaillit pour tenter de venir apaiser une crise extrême.

De ce texte génial, Emilie Pierson et William Astre sont les interprètes justes et drôles. On ne partage aucunement la douleur des séparations, tant les situations et les personnages sont poussés à bout. On pense à la troisième rupture, où le couple en crise se comporte comme pris en otage par sa progéniture, et dans laquelle les deux acteurs semblent complètement effarés sur fond sonore de manga.

Si les enjeux de la mise en scène ne sont pas toujours très clairs, Trois Ruptures est un excellent spectacle qui sera prétexte à découvrir un lieu inattendu, dans un quartier qui ne frappe pas à l’esprit pour sortir au théâtre.

« Trois Ruptures » de Rémi De Vos. Mise en scène de Sylvain Martin, actuellement à la Comédie Tour-Eiffel, 14 rue Desaix, 75015, Paris, mercredi et jeudi à 21h. Durée : 1h. Plus d’informations et réservations sur craccoyer.free.fr.




Un « Roi Lear » entre boulevard et grand guignol

Copyright : Christophe Vootz
Copyright : Christophe Vootz

Monter le Roi Lear de Shakespeare à la Madeleine a conduit Jean-Luc Revol a prendre de multiples risques. D’abord, celui de transposer l’action dans un tournage de film des années 30, où projecteurs et pétards à amorces sont les accessoires les plus manipulés par les acteurs. Autre élément remarquable : le nombre de comédiens sur scène. Ils sont une quinzaine, ce qui pour une production de théâtre privé (entendez : avec l’obligation de réaliser suffisamment de bénéfices pour payer tout le monde), est particulièrement exceptionnel.

Heureusement, la transposition est effectuée sans toucher au texte. Jouer Shakespeare « en costume » aujourd’hui serait probablement jugé de très mauvais goût. Ici, les multiples intrigues de la pièce sont claires et si, d’aventure, un spectateur ne connaît pas « l’histoire » du Roi Lear, cette version est d’une grande lisibilité. On comprend tout.

Les acteurs se mettent au service du drame. Au premier rang desquels Michel Aumont qui sombre peu à peu dans la folie avec finesse. Bruno Abraham-Kremer est aussi un Kent excellent. Arnaud Denis et Jean-Paul Farré nous captent aussi par la profondeur et les nuances de leurs personnages. On regrettera le jeu trop dramatique de Marianne Basler. Beaucoup trop de sincérité se dégage de ce personnage de fille hypocrite conduisant son vieux père à la déraison.

Copyright : Christophe Vootz
Copyright : Christophe Vootz

Quelques légères maladresses dans la mise en scène peuvent gêner l’expérience théâtrale : les chorégraphies de combats, la musique et quelques morts trop longues conduisent le public à rire dans des moments tragiques. Bien que, parfois, des instants comiques jalonnent le drame, comme c’est souvent le cas chez Shakespeare.

Au final, on garde de ces 2h40 de représentation une sensation agréable : pas de colère ni d’ennui. Un spectacle complet et plaisant, qui ne manquera pas de se parfaire, espérons-le, tout au long de la saison.

« Le Roi Lear » de William Shakespeare. Mise en scène de Jean-Luc Revol, actuellement au Théâtre de la Madeleine, 19 rue de Surène, 75008, Paris. Durée : 2h40. Plus d’informations et réservations sur www.theatre-madeleine.com/.