1

[Critique] Amphitryon : rire des dieux avec éclat

Photo : André Muller
Photo : André Muller

Amphitryon est une pièce de Molière que l’on voit finalement peu montée, c’est une comédie en trois actes où les dieux et les hommes se rencontrent avec humour. Tout juste marié à Alcmène, Amphitryon est appelé à la guerre, Jupiter – derrière qui se cachait Louis XIV critiqué pour ses amours – saisit l’occasion de séduire la belle mortelle en prenant les traits de son jeune époux. Alors que Mercure garde un œil sur la situation, Amphitryon finit, accompagné de son valet, par rentrer plus tôt et tomber nez-à-nez avec son sosie, ce qui sème la confusion et crée un quiproquo fantaisiste où dieux et mortels se confondent.

Guy Pierre Couleau, qui la saison dernière s’était fait remarquer avec Don Juan revient de la guerre pour sa capacité à créer de très belles images grâce à une scénographie soignée et très esthétique, revient avec une création tout aussi onirique et une mise en scène constellée. Lorsque le rideau s’ouvre, on découvre une scène dépouillée où tout semble plongé dans la nuit, mais une nuit étoilée par des suspensions qui donnent de l’éclat et de la magie aux situations. La scénographie, qui repose par cette évocation constante des dieux qui regardent les mortels et se jouent d’eux depuis les cieux, rappelle les mises en scène de Jean-François Sivadier qui a récemment monté Don Juan au Théâtre de l’Odéon. Avec son Amphitryon, Guy Pierre Couleau crée de très belles situations qui ne perdent pas en intelligence, tout semble parfaitement orchestré, chorégraphié, on ne peut que saluer la limpidité de la pièce qui est en grande partie due au choix des comédiens très bien pensé pour les rôles. Aux physiques très différents, les acteurs sont toujours identifiables malgré les scènes entre sosies où les dieux prennent l’apparence d’humains, de sorte que l’on ne perd pas un mot de la représentation qui nous emmène dans un monde cosmique où si les personnages ne savent plus démêler le vrai du faux, on se régale de cette farce mythologique.

L’âme magique que le metteur en scène parvient à donner à la pièce grâce à des comédiens très bien dirigés augmentés d’une scénographie impeccable qui réveille notre âme d’enfant nous illumine. On se plait et on rit de ces dieux qui s’ennuient dans ce monde où la Terre ne tourne pas – plus – autour du Soleil et où la place de l’homme est en pleine interrogation.

Amphitryon, de Molière, mise en scène de Guy Pierre Couleau, Tournée du 17 au 28 janvier aux Célestins, Théâtre des Lyon. Durée : 2h. Pour plus d’informations : http://www.celestins-lyon.org/

 




Feuilleton théâtral : semaine n°48

© Elisabeth Carecchio
« Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni » © Elisabeth Carecchio

Bientôt les vacances de Noël ? Les scènes françaises semblent ne jamais dormir et offrent chaque semaine leurs lots de surprises. Un coup d’œil sur les créations nouvelles qui tiendront l’affiche jusqu’au milieu du mois et parfois même après ailleurs en France…

Si la crise grecque paraît lointaine dans l’actualité, elle est de nouveau sur scène, aux Ateliers Berthier, mise en scène par les italiens Daria Deflorian et Antonio Tagliarini que Stéphane Braunschweig avait déjà accueilli alors qu’il était directeur de la Colline. Ils présentaient cette semaine « Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni » (« Nous partons pour ne plus vous donner de soucis »). Spectacle minimaliste où le plateau est occupé par moins d’objets que de comédiens. Ces derniers assument leur impuissance à recréer la vraisemblance d’un fait divers marquant : le suicide collectif de quatre personnes âgées en Grèce qui n’avaient plus les moyens de vivre. Ils jouent alors à chacun ce à quoi leur fait penser ce geste. Brûlant d’intensité avec des mots simples, les chanceux pourront voir une autre création du même groupe la semaine prochaine, « Il cielo non è un fondale », à laquelle je n’assisterai malheureusement pas.

Qu’il peut être difficile de voir plusieurs créations collectives à la suite, surtout si la seconde est aussi ratée que la première était réussie. Le Théâtre Silvia Monfort accueille les « Apaches » qui opèrent à une variation sur le thème de la famille sous le nom « Une place particulière ». Verbeux, trouble et sans logique – pas même absurde –, ce spectacle ne mérite pas le déplacement : tous les inspirateurs du collectif – dont le plus visible est Joël Pommerat – sont imités sans être à moitié égalés.

Autre ratage, pourtant plein de bons sentiments : la Pièce d’actualité n° 7 à la Commune d’Aubervilliers. Cette invitation faite à la Revue Éclair à faire s’exprimer les « gens d’ici » sur scène (comprenez, les habitants du 9-3), permet au plateau de la petite salle du théâtre d’être transformée en tatami géant pour jeunes lutteurs s’entraînant. Pendant que Corine Miret débite un texte parfumé d’exotisme de bon aloi, le niveau de bons sentiments qui s’en dégage est tellement abject qu’on imagine son personnage faisant partie de ceux qui « adorent Barbès », mais se plaignant des vendeurs à la sauvette. Les mêmes qui suivent les sentiers touristiques au mois d’août et se plaignent qu’il y ait du monde. Ce spectacle montre la fracture sociale avec une lumière crue. Ce petit scandale se poursuit jusque dans les cuisines du théâtre où pour se sustenter avant la représentation, comptez 14,50 euros pour un croque-monsieur et deux boissons sans alcool : des tarifs que même les théâtres intra-muros n’oseraient pas pratiquer, et qu’on imagine peu convenir aux « gens d’ici ».

Zvizdal
Zvizdal

Le week-end s’est déroulé sous de meilleurs auspices : au 104, j’ai assisté à la nouvelle création du collectif en résidence, Berlin. Nommé « Zvizdal », il est un objet scénique composé d’un écran et de trois maquettes. On y observe la vie des deux derniers habitants d’un village de la zone interdite autour de Tchernobyl. Loin des sentiers catastrophistes habituels, la vie est ici mise en valeur. Cette volonté coriace de Nadia et Pétro qui vivent en ces lieux contaminés depuis 25 ans, coupés du monde, est palpable.

Plus léger, j’ai assisté à la dernière de l’Amphitryon de Molière, mise en scène par Guy-Pierre Couleau. Le directeur de la Comédie de l’Est est, comme dans le « Songe d’une nuit d’été » que j’ai vu l’été dernier à Bussang, un magicien qui utilise de vieux dispositifs pour faire des images magnifiques. Si le texte traîne parfois en longueur, on est toujours bluffé et surpris par les effets de lumières et la direction donnée aux acteurs qui semble plus tenir de la chorégraphie que de la simple mise en espace. Avec cette histoire extraite de la Fable où les dieux viennent abuser de leur pouvoir chez les hommes, Couleau parvient à mettre de l’onirisme et nous faire rêver.

Hadrien Volle

  • « Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni », jusqu’au 7 décembre au Théâtre de l’Odéon/Berthier

  • « Une place particulière », jusqu’au 14 décembre au théâtre Silvia Monfort

  • « Pièce d’actualité n°7. Sport de combat dans le 93 : la lutte », jusqu’au 15 décembre à la Commune d’Aubervilliers

  • « Zvizdal », jusqu’au 17 décembre au 104

  • « Amphitryon », en tournée (janvier 2017 au Théâtre des Célestins de Lyon, en mars à Bagneux et en mai à Dunkerque)